Le Piccinino/Chapitre 44

Le Piccinino
Le PiccininoJ. Hetzel Œuvres illustrées de George Sand, volume 6 (p. 118-121).
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XLIV.

RÉVÉLATION.

À cette apparition inattendue, la stupeur du Piccinino fut telle qu’il resta immobile, sans songer ni à attaquer ni à se défendre. Aussi Michel, au moment de le frapper, s’arrêta-t-il, confondu de sa précipitation ; mais, par un mouvement tellement rapide et adroit qu’il fut invisible, la main du Piccinino fut armée au moment où Michel retirait la sienne.

Néanmoins le bandit, après qu’un éclair de fureur eut jailli de ses yeux, retrouva son attitude dédaigneuse et froide. « À merveille, dit-il, je comprends tout maintenant, et plutôt que d’amener une scène aussi ridicule, la confiance de madame de Palmarosa aurait dû s’étendre jusqu’à me dire : Laissez-moi tranquille, je ne puis vous entendre, j’ai un amant caché derrière mon lit. Je me serais discrètement retiré, au lieu que maintenant il faut que je donne une leçon à maître Lavoratori, pour le punir de m’avoir vu jouer un rôle absurde. Tant pis pour vous, Signora, la leçon sera sanglante ! »

Et il bondit vers Michel avec la souplesse d’un animal sauvage. Mais, quelque agile et rapide que fût son mouvement, la puissance miraculeuse de l’amour rendit Agathe plus prompte encore. Elle s’élança au devant du coup, et l’eût reçu dans la poitrine si le Piccinino n’eût rentré son poignard dans sa manche, si vite, qu’il semblait qu’il eût toujours eu la main vide.

« Que faites-vous, Madame ? dit-il ; je ne veux point assassiner votre amant, mais me battre contre lui. Vous ne le voulez pas ? Soit ! Vous lui faites un rempart de votre sein ? Je ne violerai pas une telle sauve-garde : mais je le retrouverai, comptez sur ma parole !

― Arrêtez ! s’écria Agathe en le retenant par le bras, comme il se dirigeait vers la porte. Vous allez abjurer cette folle vengeance et donner la main à ce prétendu amant. Il s’y prêtera de bon cœur, lui, car lequel de vous deux voudrait tuer ou maudire son frère ?

― Mon frère ?… dit Michel stupéfait en laissant tomber son poignard.

― Mon frère, lui ! dit le Piccinino sans quitter le sien. Cette parenté improvisée est fort peu vraisemblable, Madame. J’ai toujours ouï dire que la femme de Pier-Angelo avait été fort laide, et je doute que mon père ait jamais joué aucun mauvais tour aux maris qui n’avaient pas sujet d’être jaloux. Votre expédient n’est point ingénieux ! Au revoir, Michel-Angelo Lavoratori !

― Je vous dis qu’il est votre frère ! répéta la princesse avec force ; le fils de votre père et non celui de Pier-Angelo, le fils d’une femme que vous ne pouvez outrager par vos mépris, et qui n’aurait pu vous écouter sans crime et sans folie. Ne comprenez-vous pas ?

― Non, Madame, dit le Piccinino en haussant les épaules ; je ne puis comprendre les rêveries qui vous viennent à l’esprit en ce moment pour sauver les jours de votre amant. Si ce pauvre garçon est un fils de mon père, tant pis pour lui ; car il a bien d’autres frères que moi, qui ne valent pas grand’chose, et que je ne me gêne point pour frapper à la tête de la crosse de mon pistolet, quand ils manquent à l’obéissance et au respect qu’ils me doivent. Ainsi, ce nouveau membre de ma famille, le plus jeune de tous, ce me semble, sera châtié de ma main comme il le mérite ; non pas devant vous, je n’aime point à voir les femmes tomber en convulsions ; mais ce beau mignon ne sera pas toujours caché dans votre sein, Madame, et je sais où je le rejoindrai !

― Finissez de m’insulter, reprit Agathe d’un ton ferme, vous ne pouvez m’atteindre, et si vous n’êtes pas un lâche, vous ne devez pas parler ainsi à la femme de votre père.

― La femme de mon père ! dit le bandit, qui commençait à écouter et à vouloir entendre. Mon père n’a jamais été marié, Signora ! Ne vous moquez pas de moi.

― Votre père a été marié avec moi, Carmelo ! et si vous en doutez, vous en trouverez la preuve authentique aux archives du couvent de Mal-Passo. Allez la demander à Fra-Angelo. Ce jeune homme ne s’appelle point Lavoratori : il s’appelle Castro-Reale, il est le fils, le seul fils légitime du prince César de Castro-Reale.

― Vous êtes donc ma mère ? s’écria Michel en tombant sur ses genoux et embrassant ceux d’Agathe avec un mélange d’effroi, de remords et d’adoration.

― Tu le sais bien, lui dit-elle en pressant contre son flanc ému la tête de son fils. Maintenant, Carmelo, viens le tuer dans mes bras ; nous mourrons ensemble ! Mais, après avoir voulu commettre un inceste, tu consommeras un parricide ! »

Le Piccinino, en proie à mille sentiments divers, croisa ses bras sur sa poitrine, et, le dos appuyé contre la muraille, il contempla en silence son frère et sa belle-mère, comme s’il eût voulu douter encore de la vérité. Michel se leva, marcha vers lui, et, lui tendant la main :

« Ton erreur a fait ton crime, dit-il, et je dois te le pardonner, puisque moi-même aussi je l’aimais sans savoir que j’avais le bonheur d’être son fils. Ah ! ne trouble pas ma joie par ton ressentiment ! Sois mon frère, comme je veux être le tien ! Au nom de Dieu qui nous ordonne de nous aimer, mets ta main dans la mienne, et viens aux pieds de ma mère pour qu’elle te pardonne et te bénisse avec moi. »

À ces paroles, dites avec l’effusion d’un cœur généreux et sincère, le Piccinino faillit s’attendrir ; sa poitrine se serra comme si les larmes allaient le gagner ; mais l’orgueil fut plus fort que la voix de la nature, et il rougit de l’émotion qui avait menacé de le vaincre.

« Retire-toi de moi, dit-il au jeune homme, je ne te connais pas ; je suis étranger à toutes ces sensibleries de famille. J’ai aimé ma mère aussi, moi ; mais avec elle sont mortes toutes mes affections. Je n’ai jamais rien senti pour mon père, que j’ai à peine connu, et qui m’a fort peu aimé, si ce n’est que j’avais un peu de vanité d’être le seul fils avoué d’un prince et d’un héros. Je croyais que ma mère était la seule femme qu’il eût aimée ; mais on m’apprend ici qu’il avait trompé ma mère, qu’il était l’époux d’une autre, et je ne puis être heureux de cette découverte. Tu es fils légitime, toi, et moi je ne suis qu’un bâtard. Je m’étais habitué à croire que j’étais le seul fondé à me parer, si bon me semblait, du nom que tu vas porter dans le monde et que nul ne te contestera. Et tu veux que je t’aime, toi, doublement patricien et prince par le fait de ton père et de ta mère ? toi, riche, toi, qui vas devenir puissant dans la contrée où je suis errant et poursuivi ! Toi, qui, bon ou mauvais Sicilien, seras ménagé et flatté par la cour de Naples, et qui ne croiras peut-être pas toujours pouvoir refuser les faveurs et les emplois ! Toi qui commanderas peut-être des armées ennemies pour ravager les foyers de tes compatriotes ! Toi qui, général, ministre ou magistrat, feras peut-être tomber ma tête, et clouer une sentence d’infamie au poteau où elle sera plantée, pour servir d’exemple et de menace à nos autres frères de la montagne ? Tu veux que je t’aime ? Je te hais et te maudis, au contraire !

« Et cette femme ! continua le Piccinino avec une amertume bilieuse, cette femme menteuse, et froide, qui m’a joué jusqu’au bout avec un art infernal, tu veux que je me prosterne devant elle, et que je demande des bénédictions à sa main souillée peut-être du sang de mon père ? car je comprends maintenant plus qu’elle ne le voudrait, sans doute ! Je ne croirai jamais qu’elle ait épousé de bonne grâce le bandit ruiné, honni, vaincu, dépravé par le malheur, qui ne s’appelait plus que le Destatore. Il l’aura enlevée et violentée… Ah ! oui ! je me souviens à présent ! Il y a une histoire comme cela qui revient par fragments sur les lèvres du Fra-Angelo. Une enfant, surprise à la promenade par les bandits, entraînée avec sa gouvernante dans la retraite du chef, renvoyée au bout de deux heures, mourante, outragée ! Ah ! mon père, vous fûtes à la fois un héros et un scélérat ! Je le sais, et moi je vaux mieux que vous, car je hais ces violences, et l’obscur récit de Fra-Angelo m’a préservé pour jamais d’y chercher la volupté… C’est donc vous, Agathe, qui avez été la victime de Castro-Reale ! Je comprends maintenant pourquoi vous avez consenti à l’épouser secrètement au monastère de Mal-Passo ; car ce mariage est un secret, le seul peut-être de ce genre qui n’ait jamais transpiré ! Vous avez été habile, mais le reste de votre histoire s’éclaircit devant mes yeux. Je sais maintenant pourquoi vos parents vous ont tenue enfermée un an, si soigneusement qu’on vous a crue morte ou religieuse. Je sais pourquoi on a assassiné mon père, et je ne répondrais pas que vous fussiez innocente de sa mort !

― Infâme ! s’écria la princesse indignée, oser me soupçonner du meurtre de l’homme que j’avais accepté pour époux ?

Si ce n’est toi, c’est donc ton père, ou bien quelqu’un des tiens ! reprit le Piccinino en français, avec un rire douloureux. Mon père ne s’est pas tué lui-même, reprit-il en dialecte sicilien, et d’un air farouche. Il était capable d’un crime, mais non d’une lâcheté, et le pistolet qu’on a trouvé dans sa main, à la Croce del Destatore, ne lui avait jamais appartenu. Il n’était point réduit, par la défection partielle des siens, à se donner la mort pour échapper à ses ennemis, et la dévotion que Fra-Angelo cherchait à lui inspirer n’avait pas encore troublé sa raison à ce point qu’il crût devoir se châtier lui-même de ses égarements. Il a été assassiné, et, pour être si aisément surpris aussi près de la plaine, il a fallu qu’on l’attirât dans un piége. L’abbé Ninfo n’est pas étranger à cette trame sanglante. Je le saurai, car je le tiens, et, quoique je ne sois pas cruel, je lui infligerai la torture de mes propres mains jusqu’à ce qu’il se confesse ! car ma mission, à moi, c’est de venger la mort de mon père, comme la tienne à toi, Michel, c’est de faire cause commune avec ceux qui l’ont ordonnée.

― Grand Dieu ! dit Agathe sans se préoccuper davantage des accusations du Piccinino, chaque jour amènera donc la découverte d’un nouvel acte de fureur et de vengeance dans ma famille !… Ô sang des Atrides, que les furies ne vous réveillent jamais dans les veines de mon fils ! Michel, que de devoirs ta naissance t’impose ! Par combien de vertus ne dois-tu pas racheter tant de forfaits commis avant et depuis ta naissance ! Carmelo, vous croyez que votre frère se tournera un jour contre son pays et contre vous ! S’il en était ainsi, je vous demanderais de le tuer, aujourd’hui qu’il est pur et magnanime ; car je sais, hélas ! ce que deviennent les hommes qui abjurent l’amour de leur patrie et le respect dû aux vaincus !

― Le tuer tout de suite ? dit le Piccinino ; j’aurais bien envie de prendre au mot cette métaphore ; ce ne serait pas long, car ce Sicilien de fraîche date ne sait pas plus manier un couteau que moi un crayon. Mais je ne l’ai pas fait hier soir quand l’idée m’en est venue sur la tombe de notre père, et j’attendrai que ma colère d’aujourd’hui soit tombée ; car il ne faut tuer que de sang-froid et par jugement de la logique et de la conscience.

« Ah ! Michel de Castro-Reale, je ne te connaissais pas hier, quoique l’abbé Ninfo t’eût désigné déjà à ma vengeance. J’étais jaloux de toi parce que je te croyais l’amant de celle qui se dit ta mère aujourd’hui, mais j’avais un pressentiment que cette femme ne méritait pas l’amour qui commençait à m’enflammer pour elle, et, en te voyant brave devant moi, je me disais : « Pourquoi tuer un homme brave pour une femme qui peut être lâche ? »

― Taisez-vous, Carmelo, s’écria Michel en ramassant son stylet ; que je connaisse ou non l’art du couteau, si vous ajoutez une parole de plus à vos outrages contre ma mère, j’aurai votre vie ou vous aurez la mienne.

― Tais-toi toi-même, enfant, dit le Piccinino en présentant sa poitrine demi-nue à Michel avec un air de dédain ; la vertu du monde légal rend lâche, et tu l’es aussi, toi qui as été nourri des idées de ce monde-là ; tu n’oserais seulement égratigner ma peau de lion, parce que tu respectes en moi ton frère. Mais je n’ai pas ces préjugés, et je te le prouverai, un jour où je serai calme ! Aujourd’hui, je suis indigné, j’en conviens, et je veux te dire pourquoi : c’est qu’on m’a trompé, et que je ne croyais aucun être humain capable de se jouer de ma crédulité ; c’est que j’ai ajouté foi à la parole de cette femme lorsqu’elle m’a dit hier, dans ce parterre dont j’entends d’ici murmurer les fontaines, et sous le regard de cette lune, qui paraissait moins pure et moins calme que son visage : « Que peut-il y avoir de commun entre cet enfant et moi ? » Quoi de commun ? et tu es son fils ! et tu le savais, toi qui m’as trompé aussi !

― Non, je ne le savais pas ; et quant à ma mère…

― Ta mère et toi, vous êtes deux froids serpents, deux Palmarosa venimeux ! Ah ! je hais cette famille qui a tant persécuté mon pays et ma race, et j’en ferai quelque jour un rude exemple, même sur ceux qui prétendent être bons patriotes et seigneurs populaires. Je hais tous les nobles, moi ! et tremblez devant ma sincérité, vous autres dont la bouche souffle le froid et le chaud ! Je hais les nobles depuis un instant, depuis que je vois que je ne le suis pas, puisque j’ai un frère légitime et que je ne suis qu’un bâtard. Je hais le nom de Castro-Reale, puisque je ne puis le porter. Je suis envieux, vindicatif et ambitieux aussi, moi ! mon intelligence et mon habileté justifiaient en moi cette prétention un peu mieux que l’art de la peinture chez le nourrisson des Muses et de Pier-Angelo ! J’aurais été plus loin que lui si nos conditions fussent restées ce qu’elles étaient. Et ce qui rend ma vanité plus supportable que la tienne, prince Michel, c’est que je la proclame avec fierté, tandis que tu la caches honteusement, sous prétexte de modestie. Enfin je suis l’enfant de la nature sauvage et de la liberté volontaire, tandis que tu es l’élève de la coutume et de la peur. Je pratique la ruse à la manière des loups, et ma ruse me mène au but. Tu joues avec le mensonge, à la manière des hommes, et tu manqueras toujours le but, sans avoir le mérite de la sincérité. Voilà notre vie à tous les deux. Si la tienne me gêne trop, je me débarrasserai de toi comme d’un obstacle, entends-tu ? Malheur à toi si tu m’irrites ! Adieu ; ne souhaite pas de me revoir ; voilà mon salut fraternel !

« Et quant à vous, princesse de Castro-Reale, dit-il en saluant Agathe avec ironie, vous qui eussiez bien pu vous dispenser de me laisser ramper à vos pieds, vous qui n’avez pas un rôle bien clair dans la catastrophe de la croix du Destatore, vous qui ne m’avez pas jugé digne de savoir vos mésaventures de jeunesse, et qui préfériez passer à mes yeux pour une vierge sans tache, sans vous soucier de me faire languir dans une attente insensée de vos précieuses faveurs, je vous souhaite d’heureux jours dans l’oubli de ce qui s’est passé entre nous, mais je m’en souviendrai, moi, et je vous avertis, Madame, que vous avez donné un bal sur un volcan, au réel comme au figuré.

En parlant ainsi, le Piccinino s’enveloppa la tête et les bras de son manteau, passa dans le boudoir, et, sans daigner attendre qu’on lui ouvrît les portes, il traversa d’un bond une des larges vitres qui donnaient sur le parterre. Puis il revint vers cette porte de la galerie dont il n’avait pas voulu franchir le seuil, et, à la manière des anciens fauteurs des Vêpres de Sicile, il entailla d’une croix, faite avec son poignard, l’écusson des Palmarosa, sculpté sur cette porte. Peu d’instants après, il était sur la montagne, fuyant comme une flèche.

« Ô ma mère ! s’écria Michel en pressant dans ses bras Agathe oppressée, vous vous êtes fait un ennemi implacable pour me préserver d’ennemis imaginaires ou impuissants ! Tendre mère, mère adorée, je ne te quitterai plus, ni jour ni nuit. Je coucherai en travers de ta porte, et si l’amour de ton fils ne peut te préserver, c’est que la Providence abandonne entièrement les hommes !

― Mon enfant, dit Agathe en l’étreignant dans ses bras, rassure-toi. Je suis navrée de tout ce que cet homme m’a remis devant les yeux, mais non effrayée de son injuste colère. Le secret de ta naissance ne pouvait lui être révélé plus tôt, car tu vois l’effet qu’a produit cette révélation. Mais le moment est venu où je n’ai plus à craindre pour toi que son ressentiment personnel, et celui-ci, nous l’apaiserons. La vengeance des Palmarosa va s’éteindre avec le dernier souffle que le cardinal Ieronimo exhale peut-être en cet instant. Si c’est une faute de l’avoir conjurée à l’aide de Carmelo, cette faute appartient à Fra-Angelo, qui croit connaître les hommes parce qu’il a toujours vécu avec des hommes en dehors de la société, les brigands et les moines. Mais je me fie encore à ses grands instincts. Cet homme, qui vient de se montrer à nous si méchant, et que je ne puis voir sans une souffrance mortelle, parce qu’il me rappelle l’auteur de toute mon infortune, n’est peut-être pas indigne du bon mouvement qui t’a porté à lui donner le nom de frère. C’est un tigre dans la colère, un renard dans la réflexion ; mais entre ses heures de rage et ses heures de perfidie, il doit y avoir des heures d’abattement, où le sentiment humain reprend ses droits et lui arrache des larmes de regret et de désir : nous le ramènerons, je l’espère ! La loyauté et la bonté doivent trouver le défaut de sa cuirasse. Au moment où il te maudissait, je l’ai vu hésiter, retenir des pleurs. Son père… ton père, Michel ! avait une profonde et ardente sensibilité jusqu’au milieu de ses habitudes de démence sinistre… Je l’ai vu sangloter à mes pieds après m’avoir presque étranglée pour étouffer mes cris… Je l’ai vu ensuite repentant devant l’autel, lorsqu’il m’épousa, et, malgré la haine et l’épouvante qu’il m’inspira toujours, je me suis repentie moi-même, à l’heure de sa mort, de ne lui avoir pas pardonné. J’ai tremblé à son souvenir, mais je n’ai jamais osé maudire sa mémoire ; et, depuis que je t’ai retrouvé, ô mon fils bien-aimé ! j’ai essayé de le réhabiliter à mes propres yeux, afin de n’avoir point à le condamner devant toi. Ne rougis donc point de porter le nom d’un homme qui n’a été fatal qu’à moi, et qui a fait de grandes choses pour son pays. Mais garde pour celui qui t’a élevé et dont tu as cru jusqu’à ce jour être le fils, le même amour, le même respect que tu lui portais ce matin, noble enfant, lorsque tu lui remettais la dot de Mila, en lui disant que tu resterais ouvrier à son service toute ta vie, plutôt que de l’abandonner !



Il vit une pauvre femme qui mendiait. (Page 123.)

― Ô Pier-Angelo, ô mon père ! s’écria Michel avec une impétuosité qui fit déborder son cœur en sanglots, il n’y a rien de changé entre nous, et le jour où mes entrailles ne frémiraient plus pour toi d’un élan filial, je crois que j’aurais cessé de vivre. »