Le Pays de l’Enéide
Revue des Deux Mondes3e période, tome 66 (p. 762-795).
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PROMENADES ARCHEOLOGIQUES

LE PAYS DE L'ENEIDE

II.[1]
LAURENTE.


V

A la fin du IXe livre de l’Enéide, les Troyens sont assiégés dans leur camp, pendant l’absence de leur chef ; les tentatives qu’ils ont faites pour le prévenir n’ont pas réussi ; ils ont perdu leurs plus braves soldats, et leurs affaires semblent désespérées. Mais la fortune va leur revenir avec le retour d’Énée, et dès lors leurs succès grandiront toujours jusqu’à la fin du poème. Nous sommes donc arrivés à un de ces momens décisifs où les événemens vont prendre un tour nouveau. Virgile interrompt alors brusquement son récit et nous transporte de la terre au ciel pour nous faire assister à une assemblée des dieux.

C’est un morceau très brillant, fort soigné, qu’on remarque d’autant plus qu’il est le seul de ce genre dans l’Enéide, Si Virgile n’a pas imité Homère qui représente si souvent les dieux réunis et discutant ensemble, c’est sans doute qu’il a éprouvé quelque embarras à le faire. Ces sortes de scènes sont celles où les dieux homériques se livrent volontiers à toutes les violences de leur humeur, et ces violences ne convenaient guère à l’idée qu’une époque plus éclairée se faisait de la majesté divine. Virgile, tout en conservant pour l’essentiel les vieilles divinités, a voulu les rendre ; plus graves et plus décentes ; cette tentative avait quelques dangers. Nous n’acceptons tout à fait les dieux homériques que si notre imagination consent à se transporter à l’époque d’Homère ; il faut qu’elle s’abandonne entièrement au passé, qu’elle croie y vivre, pour que la naïveté de certains détails ne la blesse pas. Mais quand nous commettons l’imprudence de la ramener au présent, elle devient plus difficile ; une fois l’illusion dissipée, les contrastes l’irritent ; les corrections que nous essayons de faire à la figure primitive, les traits nouveaux que nous lui ajoutons, font ressortir l’étrangeté du reste. Dans l’assemblée des dieux du Xe livre, quoique Jupiter soit devenu plus majestueux et plus digne, nous sommes moins tentés de le féliciter des progrès qu’il a pu faire que frappés de ce qui lui manque pour réaliser l’idéal divin. Transportés dans un milieu moins naïf, nous trouvons que les discours de Vénus et de Junon contiennent des emportemens de langage, des subtilités de raisonnement et tout un appareil de rhétorique qui nous semble fort déplacé dans l’Olympe. Il nous déplaît surtout de voir que toute cette discussion ne mène à rien. Jupiter, qui, au début, paraît si fort en colère et qui semble dire qu’il va prendre les résolutions les plus graves, finit par déclarer, au milieu de la foudre et des éclairs, et en prenant le Styx à témoin de ses paroles, qu’il ne fera rien du tout et qu’il laisse les événemens suivre leur cours : Fata viam invenient. Ce n’était pas la peine de réunir toute la cour céleste pour si peu de chose. Cette scène célèbre, qui ouvre le Xe livre d’une manière si éclatante, ne me parait donc avoir qu’un seul résultat : elle indique avec une grande solennité que nous sommes arrivés à l’une des crises principales de l’action[2].

C’est, en effet, immédiatement après l’assemblée des dieux que la fortune change de face. Turnus, espérant enlever le camp des Troyens avant qu’on vienne le secourir, a recommencé l’assaut de grand matin. Les malheureux qui ont été si maltraités la veille et n’ont guère d’espoir d’échapper « regardent tristement du haut des tours, et leurs rangs éclaircis ont peine à garnir les remparts. » Turnus redouble d’efforts, attaque à la fois toutes les portes, jette sur les tours des torches enflammées et se croit sûr du succès, quand tout à coup un cri retentit sur les murailles, un cri de joie et de délivrance : c’est Énée qui arrive avec les trente vaisseaux des Étrusques. Le soleil, qui se lève en ce moment derrière les monts Albains, frappe son bouclier en face, et les éclairs qui s’en échappent n’ont pas de peine à être aperçus du camp troyen, qui, comme on l’a vu, est à quatre stades de la mer.

Les événemens qui suivent semblent un peu confus, quand on les lit dans le poème ; ils se déroulent au contraire avec beaucoup de netteté lorsqu’on les étudie sur les lieux. En même temps qu’Énée amenait la flotte étrusque à l’embouchure du Tibre, il avait fait partir la cavalerie qu’Évandre lui a donnée, renforcée de celle de Tarchon, par la route de terre. Le chemin qu’elle doit suivre, l’endroit où elle doit s’arrêter et l’attendre, avaient été fixés d’avance. Tout s’est accompli exactement ; la cavalerie a passé le Tibre quelque part, entre le camp troyen et Pallantée. Pour échapper à Turnus, qui se tient sur ses gardes et qui veut surtout empêcher qu’on ne porte secours aux assiégés, elle a dû faire un assez long détour, et peut-être même a-t-elle tourné le stagno di Levante, De tous ses mouvemens le poète ne nous dit rien et il laisse chacun se les figuier à sa fantaisie. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est arrivée, elle aussi, tout près de la mer, puisque Pallas, le fils d’Évandre, qui est venu d’Étrurie sur le vaisseau d’Énée, parvient à la rejoindre et se met à sa tête. Voilà donc quelle est la situation des combattans lorsque Turnus, qui assiège toujours les Troyens, sans paraître se douter de ce qui le menace, entend leur cri de joie et le salut lointain qu’ils adressent à leur chef. Il se retourne lui aussi du côté de la mer et aperçoit la flotte des Étrusques qui aborde sur le rivage. Laissant alors quelques soldats autour des murailles, il court attaquer avec furie les nouveau-venus. Le combat se livre en deux endroits à la fois, vers l’embouchure du Tibre, où Énée, avec les Étrusques, vient de débarquer, et un peu plus loin, du côté de Castel-Fusano, où la cavalerie d’Évandre, commandée par Pallas, se trouve un moment fort embarrassée au milieu de troncs d’arbres et de grosses pierres, qui ont été roulés par les eaux d’un torrent[3]. Après une lutte sanglante, les Latins reculent, Turnus est entraîné loin du combat par un stratagème de sa sœur. La jeunesse troyenne sort du camp où on la tenait enfermée et toutes les troupes d’Énée se réunissent sous sa main.

Ce livre et les deux qui suivent, comme déjà celui qui précédait, sont presque entièrement occupés par la description des batailles. Il en résulte une certaine monotonie qui explique le jugement sévère qu’on a porté quelquefois sur la fin de l’Énéide. C’était malheureusement une nécessité du sujet que Virgile avait choisi, et il ne pouvait pas y échapper. Puisqu’Énée doit conquérir par les armes le pays où il veut s’établir, il fallait bien que le poète se résignât à chanter la guerre. Il ne l’aimait pas pourtant et se souvenait toujours qu’elle avait troublé sa jeunesse. A vingt-six ans, quand il était livré aux plaisirs de la campagne, à l’amour des muses, aux agrémens de la vie tranquille, il avait vu passer avec terreur les légions indisciplinées d’Antoine et d’Octave, qui ravageaient tout sur leur route. Elles étaient revenues quelques mois plus tard, rendues plus insolentes par la victoire, réclamant de leurs chefs les récompenses qu’on leur avait promises, et il avait failli perdre la vie en défendant contre elles son petit champ. Il ne faut pas s’étonner qu’il en ait gardé une sorte d’horreur pour la guerre. La paix était son idéal et son rêve. Il aimait à entrevoir dans l’avenir, il saluait d’avance une époque heureuse où l’on cesserait de vider les différends par les armes, où toutes les vieilles querelles seraient oubliées, où la concorde et la justice régneraient enfin sur le monde,


Aspera tum positis mitescent sæcula bellis.
Cana Fides et Vesta, Remo cum fratre Quirinus
Jura dabunt,


et, parmi les raisons qu’il avait d’aimer Auguste, la plus grande assurément, c’est qu’il lui savait gré d’avoir fermé le temple de Janus et imposé la paix à l’empire. Au moment même où il est forcé par la nécessité de son sujet de raconter des batailles, il ne cesse de gratifier la guerre des épithètes les plus dures (horrida, insana bella ; lacrimabile bellum). Il se met du parti des mères qui la maudissent, et, dans un vers immortel, il les montre, au premier bruit des combats, serrant leurs enfans contre leur sein,


Et pavidæ matres pressere ad pectora natos.


Ce sentiment qu’il éprouve, il n’a pu s’empêcher de le communiquer à son héros : Énée fait la guerre comme Virgile la chante, bien malgré lui.

On peut dire, à la vérité, qu’Homère parle quelquefois comme Virgile. Il lui arrive aussi d’être ému des maux que la guerre fait souffrir aux hommes ; quand un jeune homme est tué, il le plaint « de s’endormir d’un sommeil d’airain loin de sa femme dont il a reçu à peine quelques caresses. » Il a des paroles pleines de mélancolie sur le sort des pauvres humains qui sont emportés comme les feuilles des arbres ; mais ce n’est qu’un éclair. Une fois qu’il s’est jeté dans la mêlée, il est pris de l’ivresse du combat. Il triomphe avec le vainqueur, il frappe le vaincu sans miséricorde ; il est plein d’injures violentes et de cruelles ironies ; il lui semble naturel qu’un guerrier menace ses ennemis « de répandre leur cervelle comme du vin et d’atteindre l’enfant jusque dans le ventre de sa mère. « Il ne trouve pas de plus grand bonheur pour Jupiter « que d’être assis à l’écart des autres dieux et se réjouir dans sa gloire en contemplant l’éclat de l’airain, et les guerriers qui tuent et ceux qui sont tués. » L’étrange nature de poète ! Il comprend tout, et tout le ravit ! Il décrit avec le même plaisir les spectacles les plus contraires, il éprouve avec la même force les sentimens les plus opposés ; il se met également dans tout ce qu’il fait sans témoigner pour rien une préférence marquée. C’est là sans doute un des motifs qui ont fait douter de son existence, quoiqu’il soit bien impossible d’imaginer une œuvre qui n’ait pas d’auteur. La personnalité d’un homme se marque par les qualités qui dominent en lui, et c’est d’ordinaire l’absence de quelques-unes d’entre elles qui met les autres en relief. Aussi Homère, qui semble les avoir toutes au même degré, nous paraît-il moins vivant, moins réel, que Virgile dont le caractère se dessine et se précise autant par ce qui lui manque que par ce qu’il possède. Il faut avouer que cette incomparable douceur d’âme, qui en est le trait principal, ne le prédisposait guère à être un chanteur de batailles. Il a fait de son mieux pour imiter son grand prédécesseur ; il représente lui aussi des guerriers insolens, implacables, qui coupent des bras et des jambes, qui insultent l’ennemi avant de le combattre, qui le raillent quand il est vaincu, qui marchent sur lui quand il est mort. Mais il a beau faire, le cœur lui manque pour toutes ces horreurs. On sent toujours que le doux poète se fait violence quand il faut être cruel. Quelque talent qu’il déploie dans ces descriptions, il n’y est plus tout à fait lui-même, et nous y trouvons peu de plaisir.

Il semble pourtant qu’il avait un moyen d’introduire un peu plus de variété dans le récit de ces combats et de leur donner ainsi plus d’intérêt pour nous : c’était de profiter des diversités qui se trouvaient entre les peuples italiques avant que Rome les eût réunis sous sa domination et de représenter chacun d’eux avec ses mœurs particulières et les traits de sa physionomie propre. Il a certainement essayé de le faire, et cette tentative mérite d’autant plus d’être remarquée qu’elle était une innovation. Chez Homère, les Grecs ne diffèrent en rien des Troyens, et ils se ressemblent tout à fait entre eux. Le célèbre catalogue du second livre de l’Iliade ne contient guère que des noms propres, avec quelques épithètes générales, Cette longue énumération des peuples qui ont pris part à la guerre de Troie est par elle-même d’un intérêt médiocre. Ce qui fit son importance, c’est que, plus tard, les cités grecques regardèrent comme un titre de noblesse d’y figurer ; mais aucune d’elles n’y paraît différente des autres. Virgile aussi, lorsqu’il plaçait, à la fin du VIIe livre de l’Enéide, une liste des nations italiennes alliées de Turnus, voulait surtout glorifier leur passé et leur donner une antiquité qui leur fit honneur ; mais il ne se contente pas de les énumérer sèchement ; il ajoute à leur nom quelques souvenirs de leur histoire, des renseignemens curieux sur leurs usages, des descriptions de leurs costumes et de leurs armes. Il nous montre, par exemple, les Volsques, les Herniques, les gens de Préneste et d’Anagnia, qui portent une peau de loup sur la tête et qui marchent au combat un pied nu et l’autre couvert d’une chaussure de cuir ; les Falisques et les montagnards du Soracte, qui s’avancent en chantant les louanges de leur roi Messapus, le dompteur de chevaux ; les Marses, dont le chef est un prêtre qui connaît l’art de charmer les serpens ; les Osques, les Auronces, les Sidicins, armés d’un javelot court, qu’ils lancent avec une courroie, et d’une épée recourbée ; les habitans de Caprée, d’Abella, ceux des rives du Sarnus, coiffés de casques de liège et tenant à la main de longues piques dont ils se servent à la manière des Teutons. Tous ces détails d’histoire pittoresque, dont on n’avait pas encore abusé, devaient causer un très vif plaisir aux contemporains de Virgile. Aussi le regardaient-ils comme un grand archéologue et un grand antiquaire ; mais nous sommes devenus plus exigeans aujourd’hui. On nous a gâtés en nous prodiguant ces sortes de peintures, et nous n’en avons jamais assez. Au lieu de lui savoir gré de ce qu’il a fait, beaucoup sont tentés de trouver qu’il s’est arrêté trop tôt ; il leur semble que les diverses nations italiques ne sont pas dépeintes chez lui en traits assez marqués et assez distincts ; ils lui en veulent surtout de n’avoir pas tiré plus de profit des Étrusques : il en parle encore moins que des Latins. Si l’on excepte un mot qu’il dit en passant sur le goût qu’ils avaient pour les costumes voyans et les armes éclatantes, il ne met vraiment en saillie qu’un côté de leur caractère, leur passion pour les plaisirs de la table et de l’amour. Au milieu d’une bataille, leur chef, Tarchon, qui les voit se sauver devant Camille, leur reproche leur lâcheté en termes amers : « C’est pour Vénus, leur dit-il, et pour ses combats nocturnes que vous gardez votre courage. Vous mêler aux danses de Bacchus quand la flûte recourbée vous appelle, vous asseoir à une table bien garnie, près d’une coupe pleine, voilà vos amours ! voilà vos travaux ! Votre joie est complète quand l’aruspice annonce que les dieux acceptent vos sacrifices, et qu’une grasse victime vous attend au fond du bois sacré. » Ces traits sont vils assurément, mais un poète moderne ne s’en serait pas contenté. Il aurait donné plus de relief et une attitude plus originale à ce peuple singulier dont un auteur ancien disait déjà que, par sa langue et sa façon de vivre, il ne ressemble à aucun autre peuple du monde. Virgile n’a pas voulu le faire, et, pour agir ainsi, il avait sans doute quelque raison. Les écrivains de l’antiquité, les historiens comme les poètes, étaient avant tout des artistes qui se préoccupaient d’abord de l’unité de leurs œuvres. Ils n’en traitaient pas les diverses parties isolément et entendaient que chacune d’elles concourût à l’impression générale ; Ils aimaient mieux adoucir certaines teintes trop éclatantes que de risquer de compromettre l’effet de l’ensemble. Nos auteurs n’ont pas tout à fait les mêmes soucis. Dans ce roman de Salammbô, où Flaubert semble s’être donné la tâche de refaire, avec des procédés réalistes, l’épopée en prose de Chateaubriand, il est amené, comme Virgile, à énumérer les divers peuples qui forment l’armée mercenaire de Carthage. Sa méthode est très simple : il ramasse partout, sans choisir, toutes les curiosités archéologiques qu’il peut trouver pour en habiller ses personnages. Il nous décrit successivement « le Grec, avec sa taille mince, l’Égyptien et ses épaules remontées, le Cantabre aux larges mollets, les Libyens barbouillés de vermillon, qui ressemblent à des statues de corail, les archers de Cappadoce, qui, avec du jus d’herbe, se peignent de larges fleurs sur le corps, etc. » Chacun de ces traits peut être piquant en lui-même, mais l’ensemble forme le tableau le plus disparate et le plus bizarre qu’on puisse imaginer. Ce n’est pas une armée, ni même une foule, c’est une mascarade. Il nous est impossible de comprendre comment des gens qu’on prend plaisir à nous montrer si différens les uns des autres ont pu concourir à une action commune, devenir l’instrument d’une seule volonté et, sous les ordres d’Annibal, vaincre les légions. Le souci de ce réalisme de détail a fait perdre à Flaubert la vérité générale ; il nous donne une série de tableaux de genre au lieu de composer, comme il en avait l’intention, une grande peinture d’histoire. C’est un défaut choquant, et quand on vient de voir le mauvais effet que produisent, chez lui, ces débauches de coloris, je crois qu’on sera moins tenté de reprocher à Virgile la sobriété de ses descriptions.

Les batailles, dans l’Enéide, sont donc traitées comme dans l’Iliade : il faut en prendre son parti. Virgile, comme Homère, fait alterner les mêlées générales et les combats singuliers ; on ne peut nier que ce procédé ne paraisse, à la longue, un peu monotone. Le récit des combats singuliers est quelquefois très beau : nous aurions, par exemple, grand plaisir à étudier de près, dans le Xe chant, la lutte de Turnus et de Pallas, celle d’Énée avec Lausus et Mézence ; mais on prend d’ordinaire moins de plaisir aux mêlées générales, c’est-à-dire à ces énumérations de guerriers qui tuent et qui sont tués, sans qu’on puisse toujours distinguer à quelle armée ils appartiennent :


Cœdicus Alcalhoum obtruncat, Sacrator Hydaspem,
Partheniumque Rapo…


Je fais donc grâce au lecteur de tout le détail des batailles qui se livrent autour du camp troyen. Qu’il suffise de savoir qu’à la fin du Xe chant, les Rutules sont entièrement vaincus et qu’Énée les poursuit jusqu’à Laurente, la capitale du roi Latinus, où nous allons essayer de le suivre.


VI

C’est une entreprise qui n’est pas fort aisée, car il ne reste plus rien de Laurente. On racontait que la vieille ville fondée par Faunus, où le roi Latinus résidait avec sa femme Amata et Lavinia, sa fille, au moment de l’arrivée d’Énée en Italie, avait été plus tard, abandonnée pour Lavinium, comme Lavinium le fut pour Albe et Albe pour Rome. Elle continua pourtant de vivre obscurément, pendant que Rome accomplissait ses grandes destinées ; mais elle se fit si bien oublier qu’en 565, pendant les féries latines, on négligea de lui distribuer une part des victimes, comme on le faisait pour tous les peuples de la confédération. Heureusement les dieux se souvenaient d’elle : ils témoignèrent leur mécontentement par de nombreux prodiges, et le sacrifice fut recommencé. Il est sûr qu’elle méritait plus d’égards de la part des Romains ; elle leur était restée fidèle dans une circonstance grave, au moment où la ligue latine prenait les armes contre eux, quand Lavinium même les abandonnait[4]. La guerre finie, on avait décidé, pour reconnaître cette fidélité, que le traité d’alliance entre Rome et Lauréate serait renouvelé tous les ans, à un jour déterminé. Il faut croire que, dans ce pays où rien ne se perdait, il restait encore, au temps de l’empereur Clande, quelque vestige de d’ancienne cérémonie. On a trouvé à Pompéi une inscription de cette époque où un certain Turranius, personnage vaniteux et pédant, qui paraît avoir beaucoup recherché les dignités religieuses, nous apprend qu’il a été désigné par le peuple de Laurente pour renouveler la vieille alliance avec le peuple romain. Mais ces souvenirs d’un passé glorieux n’empêchaient pas la ville de se dépeupler, et nous avons vu qu’on finit par la réunir à Lavinium, ce qui prouve qu’elle n’avait plus alors beaucoup d’importance. On ignore à quel moment précis elle acheva de disparaître.

Depuis la renaissance, les érudits se sont occupés d’elle à diverses reprises, et ils ont cherché à savoir où elle devait être. On l’a placée surtout à deux endroits différens, situés à peu de distance l’un de l’autre, à la ferme de Tor-Paterno, ou près de Capocotta. Reprenons à notre tour la question et parcourons la contrée pour voir quel est le lieu qui s’accorde le mieux avec les descriptions de l’Énéide. Ce petit voyage, par lui-même, n’est pas sans agrément : le pays est curieux, mal connu, plein de grands souvenirs, et je crois que nous n’aurons pas à nous plaindre de nous y être hasardés, quel que soit le succès de nos recherches.

Ce que nous avons de mieux à faire pour ne pas nous égarer en route, c’est de nous mettre tout à fait à la suite de Virgile. Il suppose que le premier souci d’Énée, dès qu’il a pris terre sur les bords du Tibre, est de se concilier l’amitié des gens du pays. A cet effet, il choisit cent de ses compagnons qu’il envoie, sous la conduite du prudent llionée, pour saluer le roi Latinus et lui demander son alliance. Ils partent à pied pour Laurente, accomplissent leur ambassade et sont de retour dans la journée. C’est la preuve que la ville de Latinus n’est pas fort éloignée, et tout d’abord nous sommes rassurés sur la longueur du voyage que nous allons entreprendre. Nous voilà donc partis d’Ostie, comme l’ambassade d’Énée, et suivant le rivage. A près de 4 kilomètres, un canal assez large, qui écoule dans la mer les eaux du stagno di Levante, nous barre le chemin. Dans l’antiquité comme aujourd’hui, on passait ce canal sur un pont, et l’on a découvert près de là une inscription qui rapporte que certains empereurs (probablement Dioclétien et Maximien) ont réparé ce pont, qui tombait en ruine, et qu’ils l’ont fait dans l’intérêt des habitans d’Ostie et de ceux de Laurente (Pontem Laurentibus atque Ostiensibus vetustate conlapsum restituerunt). Le canal formait donc la séparation entre le territoire des deux villes, et quand nous avons passé le pont, nous sommes sûrs de mettre le pied sur le pays de Laurente.

Un peu plus loin, nous rencontrons un autre souvenir de la vieille cité qui nous prouve que nous sommes bien dans la route qui doit nous y conduire. Au sortir de Castel-Fusano, nous entrons dans une grande forêt qui, sur la gauche, se prolonge jusqu’à Decimo, et que les cartes modernes appellent Selva Laurentina : c’est le nom qu’elle portait déjà dans l’antiquité. La forêt de Laurente, avec ses fourrés épais et ses marécages couverts de joncs, était très fréquentée des chasseurs de Rome. Ils y trouvaient en abondance des sangliers très sauvages, qui avaient la réputation de ne pas se laisser prendre aisément. Virgile, pour dépeindre la résistance énergique de Mézence, entouré d’ennemis qui le harcèlent, le compare à un sanglier de Laurente que les chiens ont poussé dans les filets. « Quand il s’y voit enfermé, il s’arrête, frémit de rage, hérisse le poil de ses flancs. Nul n’a le cœur de l’approcher. C’est de loin, à l’abri du danger, que les chasseurs le pressent de leurs traits et de leurs cris. L’intrépide animal fait face de tous les côtés en grinçant des dents et secouant les traits attachés à son dos. » Horace nous dît pourtant qu’il ne méritait pas la peine qu’il coûtait et les dangers qu’il faisait courir. « Comme il vit dans les marais et parmi les joncs, sa chair est molle et fade ; il est loin de valoir celui des forêts de l’Ombrie, qui ne se nourrit que de glands. » Mais il faut remarquer qu’Horace n’exprime pas ici son opinion propre ; le personnage qu’il fait parler est un professeur de gastronomie, dont il veut précisément railler les délicatesses. D’ordinaire on n’était pas aussi difficile ; et Martial croit que c’est faire un beau cadeau à l’un de ses amis que de lui envoyer « un sanglier de Laurente qui pèse un bon-poids. » L’excellent Pline le Jeune, qui n’était de sa nature ni guerrier ni chasseur, cédait pourtant à la mode, et quand il se trouvait dans sa maison de campagne, près de la mer, il allait, comme les autres, attendre le sanglier dans les bois- ; mais il avait une façon particulière de chasser. « Vous allez rire, écrivait-il à son ami Tacite, et je vous le permets volontiers. Moi, ce héros, que vous connaissez, j’ai pris trois sangliers, et les plus gros de la forêt. Eh ! quoi ! Pline ? direz-vous. Oui, Pline lui-même. Mais je m’étais arrangé pour ne pas rompre avec mes goûts ordinaires et mon amour du repos. J’étais tranquillement assis près des filets ; j’avais sous la main, non pas une lance ou un épieu, mais ce qu’il fallait pour écrire. Je réfléchissais, je prenais des notes ; je voulais être sûr, si je revenais les mains vides, d’emporter au moins mes tablettes pleines. Ne méprisez pas cette façon de travailler. C’est merveille devoir comme l’esprit s’anime et s’excite par l’agitation du corps ; les forêts qui nous environnent, la solitude, le silence font éclore en nous les idées. Je vous conseille donc, quand vous irez à la chasse, d’apporter, avec vos provisions, des tablettes pour écrire. Vous reconnaîtrez par votre expérience que ce n’est pas seulement Diane qui se promène dans les bois et qu’on y rencontre quelquefois aussi Minerve. » Les choses n’ont pas beaucoup changé dans la selva Laurentina depuis le temps de Virgile et de Pline ; les sangliers y abondent toujours, et le roi d’Italie n’a pas de plus grande distraction que de quitter sa sévère résidence de Rome pour aller y chasser de temps en temps.

Le long du rivage, entre la forêt et la mer, s’étend une plaine sablonneuse, bordée par une rangée de dunes, que les gens du pays appellent tumoletti. Elle est complètement inhabitée ; de Castel-Fusano à Tor-Paterno, pendant près de 9 kilomètres, on n’y trouve pas une maison, et rarement on y rencontre une figure humaine. C’était pourtant autrefois un des lieux les plus peuplés et les plus agréables du monde ; nulle part peut-être on ne trouvait réunies et rapprochées tant de riches maisons de campagne. Pline nous dit « qu’elles se succédaient les unes aux autres, tantôt séparées, souvent contiguës, et qu’elles semblaient former autant de petites villes. » Est-ce à dire que la nature du sol ou les conditions du climat aient changé et qu’on y fût alors moins exposé au terrible fléau de la fièvre ? Il faut bien le croire, puisque ce pays qui était si peuplé est devenu un désert. Mais le changement n’a pas été si complet qu’on le prétend d’ordinaire, et l’on peut soupçonner que, même à cette époque, il n’était pas sans péril d’y habiter. Pline dit en propres termes « que la côte d’Etrurie, dans toute sa longueur, est dangereuse et empestée ; » et nous savons par Strabon que le pays de Terracine, de Setia, d’Ardée, et en général tout ce rivage était marécageux et peu salubre. Mais il est clair que le mal était beaucoup moins grave qu’aujourd’hui, car Strabon ajoute aussitôt « que le séjour en est cependant agréable et qu’on ne voit pas que la terre y soit moins bien cultivée. » C’était sans doute cette culture qui assainissait le sol, et sans vaincre tout à fait la malaria, la rendait plus inoffensive. Il est vraisemblable que, là aussi, comme à Rome, « la première figue amenait quelques fièvres et ouvrait quelques successions, » mais on ne s’en préoccupait guère, et nous verrons que les médecins eux-mêmes avaient fini par recommander à leurs malades le séjour de Laurente. Les Romains en avaient su faire un lieu de repos et de plaisir ; il avait pour eux cet avantage qu’ils s’y trouvaient assez loin de Rome pour échapper aux importuns, et qu’ils en étaient pourtant assez près pour s’y rendre en quelques heures : « Je puis, disait Pline, ne me mettre en route que quand j’ai achevé mes affaires et que ma journée est finie. » Aussi ce pays avait-il commencé de bonne heure à être à la mode. Scipion y venait déjà s’y reposer avec ses amis et y goûter ce plaisir, qui a tant de charme, de se faire jeune un moment quand on se sent à la veille de devenir tout à fait vieux ; la tradition aimait à montrer Lœlius et lui jouant comme des enfans avec des coquilles sur le bord de la mer. L’orateur Hortensius possédait aussi à Lauréate une villa célèbre dont Varron nous parle avec admiration. Elle comprenait un bois de plus de cinquante jugères (12 hectares), où l’on trouvait une grande abondance de bêtes que l’on avait habituées à se réunir au son de la trompe, ce qui permettait au propriétaire d’offrir à ses hôtes, pendant le repas, un divertissement fort curieux. Le dîner était servi sur une colline ; on faisait venir un artiste vêtu en Orphée, avec la longue robe et la cithare ; à un signal, pour compléter l’illusion, l’artiste sonnait de la trompette, et l’on voyait accourir de tous les côtés des cerfs, des sangliers, et tous les animaux de la forêt. « C’était, dit Varron, un spectacle aussi beau que celui qu’on a dans le grand cirque, pendant les jeux donnés par les édiles, ou que les chasses qui se font avec des bêtes d’Afrique. » Mais de toutes ces maisons de campagne où les grands seigneurs de Rome passaient une bonne moitié de leur vie, aucune ne nous est aussi bien connue que celle de Pline. Sous prétexte de persuader son ami Gallus de venir le voir, il lui en fait, dans une lettre célèbre, une description détaillée qui la met entièrement sous nos yeux. La lecture de cette lettre est du plus grand intérêt pour tous ceux qui veulent avoir quelque idée des magnifiques villas romaines. On voit à quel point tout y est ménagé pour la commodité de la vie. Il n’y manque, à notre gré, qu’un parc et des terres : une aussi belle maison aurait eu besoin d’être mieux entourée. Pourtant Pline la préfère à toutes ses autres villas, précisément parce qu’il n’y est pas occupé des soucis de la propriété, qu’il s’y trouve plus libre, plus à l’aise, et que n’étant distrait par rien, il y travaille mieux qu’ailleurs. « Ici, dit-il, je n’entends personne dire du mal des autres, et moi-même, je ne médis de personne, si ce n’est de moi, quand je ne suis pas content de ce que j’ai fait. Ici, j’échappe à la crainte et à l’espoir, je me moque de tout ce qu’on peut dire. Je ne m’entretiens qu’avec moi et avec mes livres. O la douce et la bonne vie ! L’agréable repos qui vaut bien mieux que ce qu’on honore du nom de travail et d’affaires ! O mer, ô rivages, mes vrais cabinets d’étude ! Quelle source d’inspiration vous êtes pour moi ! » Nous savons aussi sûrement que possible où devait être la villa de Pline, il a pris la peine de nous en indiquer l’emplacement avec tant de précision qu’il n’y a pas moyen de s’y tromper : il nous dit qu’elle est au bord de la mer, à 17 milles (25 kilomètres) de Rome ; qu’on peut s’y rendre par la via Ostiensis et la via Laurentina, mais qu’il faut quitter la première au onzième mille et la seconde an quatorzième. On peut donc, avec un compas, en marquer exactement la place sur une carte bien faite. C’est à quelque distance de Castel-Fusano, vers le lieu appelé la Palombara, qu’on la met ordinairement. Quant à croire qu’en fouillant le sol à cet endroit on pourra en retrouver quelques débris, c’est une illusion et une chimère. Les demeures des particuliers ne sont pas faites pour durer des siècles ; celle de Pline, depuis Trajan jusqu’à Théodose, a dû souvent changer de propriétaire ; et, comme chacun de ses nouveaux maîtres a voulu sans doute l’accommoder à ses goûts et à sa fortune, il est probable que, si elle existait encore à la fin de l’empire, ce n’était plus la même maison. Nibby a donc bien raison de dire qu’il ne reste plus rien d’elle que l’agréable description que Pline nous en a laissée.


VII

Après avoir parcouru ce désert pendant plusieurs kilomètres, nous apercevons enfin devant nous une vaste habitation, aux formes étranges el massives. C’est Torre di Paterno, ou, comme on dit ordinairement, Tor-Paterno, une très grande ferme, qui appartient au roi d’Italie. Elle est située à peu de distance de la mer, à laquelle conduit une allée d’arbres qui se termine par un petit pavillon construit au milieu des sables du rivage.

Ce qui fait pour nous l’importance de cette ferme, c’est que presque tous les savans prétendent qu’elle est bâtie sur l’emplacement de Laurente. L’illustre antiquaire Fabretti fut, je crois, le premier qui émit cette opinion. A propos d’une inscription qu’il étudiait, et qui avait été trouvée dans cette contrée, il raconta qu’il avait vu à Tor-Paterno des ruines considérables et qu’il ne doutait pas qu’elles ne fussent le dernier débris de la ville de Latinus. Il ajoutait que, comme il avait quatre-vingts ans, il craignait beaucoup de n’avoir ni la force ni le temps d’en donner la preuve. En effet, il ne l’a donnée nulle part, mais on l’a cru sur parole, et son opinion a fait fortune. Quand on arrive à Tor-Paterno, les yeux sont d’abord frappés par une belle inscription moderne, qui affirme que nous sommes bien à Laurente, dans le pays même qui a été le berceau de Rome ;

LAVRENTVM ROMANAE VRBIS INCVNABVLA.

L’inscription rappelle ensuite que, le 18 octobre 1845, le pape Grégoire XVI, amateur zélé de l’antiquité, a visité ces lieux, et que « les campagnes elles-mêmes tressaillaient d’allégresse de l’honneur que leur faisait le souverain pontife. » Cette noble visite semblait consacrer officiellement le droit de Tor-Paterno à se confondre avec Laurente.

il est certain qu’on trouve à Tor-Paterno et dans les environs des ruines considérables, et qu’on est tout d’abord porté à croire qu’un lieu où l’antiquité a laissé tant de souvenirs a dû tenir une certaine place dans l’histoire. C’est là le fondement de l’opinion de Fabretti et ce qui lui a donné tant de crédit jusqu’à nos jours. Mais est-il possible un moment d’admettre que ces ruines soient celles d’une ville ? Voilà toute la question, et il me semble qu’un examen rapide permet de la résoudre.

C’est surtout autour de la ferme qu’elles sont accumulées ; la maison moderne s’est logée tant bien que mal au milieu d’elles, adossant ses petits murs crépis et blanchis à de grandes murailles de briques rouges qui la dominent de tous les côtés. Il faut faire le tour de l’habitation pour se rendre compte de l’étendue et de la grandeur du monument antique. La bâtisse actuelle n’a pu en utiliser qu’une partie. Par derrière, dans une sorte d’enclos attenant à la ferme, on voit se dresser des pans de murs plus hauts et plus massifs que ceux de la façade, soutenus quelquefois par des contreforts. Il n’est pas besoin d’une longue étude pour reconnaître à quel genre d’édifice appartenaient ces débris ; on ne peut les voir sans songer aux grandes bâtisses du Palatin, surtout à la villa qu’Hadrien avait construite à Tivoli. Quoiqu’on plus mauvais état et de dimensions plus modestes, ils sont de la même famille et presque du même temps. Nous avons devant les yeux un palais de l’époque impériale ; il est facile d’en distinguer les grandes salles, avec leurs portes cintrées et les absides qui en décoraient le fond. Au dehors de la ferme, dans les champs qui s’étendent vers la droite, on rencontre partout des ruines. Ce sont d’ordinaire des masses de béton et de brique qui proviennent de quelque mur ou de quelque voûte écroulées ; de temps en temps, des fragmens de murailles mieux conservées, et même des salles dont on devine le plan ; à chaque pas, des morceaux de marbre ou de stuc, des chapiteaux et des fûts de colonne d’un bon travail ; j’y ai même trouvé un buste sans tête, dont les draperies sont très soignées et qui paraît du temps des Antonins. De l’autre côté, on suit les restes d’un grand aqueduc qui s’avance dans la campagne. Pline fait remarquer que ce pays a le désavantage de ne pas posséder de sources jaillissantes ; de son temps, on se contentait d’y creuser des puits, qui, quoique très rapprochés de la mer, donnaient une eau limpide et pure. Il est donc vraisemblable que l’aqueduc qui amenait à grands frais l’eau des montagnes n’a été construit qu’après Trajan. Une fois notre promenade achevée, il nous devient aisé de résoudre le problème que nous nous posions tout à l’heure. Assurément, ce ne sont pas les ruines d’une ville que nous venons de visiter. Une ville, surtout quand elle est ancienne, comme Laurente, contient des monumens d’époques diverses ; de plus, il faut qu’on y trouve les habitations des pauvres à côté de celles des riches, Ici, tout paraît être du même temps ; ce qui domine presque partout, ce sont les constructions de brique du siècle des Antonins, et ces débris, tout mutilés qu’ils sont, conservent encore un air de puissance et de grandeur qui ne permet pas de croire que c’étaient des masures de pauvres gens. Nous avons donc devant les yeux la demeure d’un riche, probablement le palais d’un prince. Poussons plus loin nos conjectures et cherchons à connaître quel est l’empereur qui a pu faire ici sa résidence : il n’est pas difficile de le savoir. En 189, Rome fut ravagée par une peste qui causa aux habitans des frayeurs terribles. « On ne rencontrait plus, dit Hérodien, que des gens qui se remplissaient les narines et les oreilles des senteurs les plus fortes, ou qui brûlaient sans cesse des parfums. Les médecins prétendaient que ces senteurs, occupant les passages, empêchaient le mauvais air de pénétrer, que leur force neutralisait la sienne et arrêtait son effet. » Ces remèdes, on le comprend, étaient assez inutiles, et, comme ils n’empêchaient pas les gens de mourir, l’empereur Commode, qui était aussi lâche que cruel, chercha un moyen plus efficace de se soustraire au fléau : il quitta Rome. Ses médecins, parmi lesquels se trouvait peut-être Galien, lui conseillèrent de se réfugier à Laurente. La raison qu’ils avaient pour lui recommander cette ville, c’est « qu’elle était bâtie dans un pays très frais et entourée de bois de lauriers qui lui avaient donné le nom qu’elle portait. » Ils attribuaient sans doute au laurier quelques-unes des qualités que nous accordons à l’eucalyptus. Ce n’est certainement pas à la ville même de Laurente que l’empereur vint demander un asile ; il possédait probablement dans le pays quelque maison de campagne qu’il avait fait construire ou embellir et il vint y passer tout le temps que dura la maladie. Rien n’empêche donc de supposer que les grands murs de Tor-Paterno sont ce qui nous reste de la villa de Commode[5].

Mais le problème n’est pas encore tout à fait résolu. En supposant, ce qui me semble certain, que les ruines que nous venons de visiter soient celles d’un palais et non d’une ville, on peut admettre que la ville était voisine du palais, et persister à placer Laurente sinon à Tor-Paterno même, au moins dans les environs. Bonstetten se refuse tout à fait à le croire, et il lui semble que ce lieu ne convient aucunement au récit de Virgile. Tor-Paterno, dit-il, n’est qu’à 500 mètres du rivage : Laurente devait être beaucoup plus loin. Dans aucun des combats qui se livrent autour de la ville de Latinus, il n’est question de la mer, tandis que Virgile en parlait sans cesse quand on se battait devant le camp des Troyens. Ce raisonnement a tout à fait convaincu Nibby, et c’est ce qui l’a décidé à reculer Laurente au milieu des terres, jusqu’au casale di Capocotta, où il avait découvert quelques débris antiques. Reprenons à notre tour la question, et voyons s’ils ont bien interprété l’un et l’autre ce que nous dit Virgile.

Est-il vrai d’abord qu’il ne soit jamais fait aucune allusion au voisinage de la mer dans les deux derniers livres de l’Enéide ? Bonstetten l’affirme, et Nibby le répète après lui ; mais je crois qu’ils vont trop loin tous les deux. Le roi Latinus, dans le sacrifice qui précède le combat de Turnus et d’Énée, commence par attester la terre, la mer et le ciel qu’il sera fidèle à ses promesses : cœlum, mare, sidéra juro. Or nous savons que les Romains étaient des gens formalistes et minutieux, qui tenaient avant tout à être parfaitement bien compris de ceux auxquels ils avaient affaire. Aussi, dans les prières qu’ils adressaient aux dieux, avaient-ils l’habitude de toucher ou de montrer les objets dont ils prononçaient le nom, pour qu’il n’y eût aucune confusion possible. Je me figure donc que la mer devait être assez voisine du lieu d’où parlait Latinus, qu’on pouvait au moins l’apercevoir, et que sa main tournée vers elle, au moment où il la prenait pour témoin de sa sincérité, devait rendre son serment plus précis et plus solennel. Un peu plus loin, quand le combat est entamé, il est fait mention d’un olivier sauvage, dédié à Faunus, qui s’élève au milieu de la plaine. « C’était un arbre vénéré des matelots. Quand ils s’étaient sauvés d’un naufrage, ils venaient lui apporter leurs offrandes et suspendaient leurs vêtemens à ses branches. » J’avoue qu’il ne m’est pas possible de supposer que l’arbre « cher aux matelots » fût placé au milieu des terres. Catulle nous apprend que, dans leurs dangers, ils ont coutume de s’adresser « aux dieux du rivage ; » c’est aussi à quelque arbre du rivage que, délivrés du péril et en possession de la terre ferme, ils doivent venir suspendre leurs vêtemens humides. Il est naturel qu’ils soient pressés de rendre grâces aux dieux et qu’ils les remercient de leur protection en face même des flots où ils ont manqué périr. Aussi voyons-nous que, dans les paysages antiques qui représentent le bord de la mer, les artistes aiment à peindre de petites chapelles que la reconnaissance des matelots a parées de guirlandes et de festons.

Voilà quelques raisons de croire que Laurente ne devait pas être loin de la mer ; il est vrai qu’il y en a d’autres qui nous empochent de penser qu’elle en était trop rapprochée. Le XIe chant de l’Enéide contient le récit d’un incident militaire qui mérite d’être étudié de près. Je viens de dire tout à l’heure que les batailles de Virgile ressemblent tout à fait à celles d’Homère ; il y a cependant à faire une réserve. La guerre, dans l’Enéide, paraît moins primitive, plus compliquée, plus savante que dans l’Iliade. Chez Homère, chacun combat pour soi et ne suit d’autre inspiration que son courage ; il y a plus de discipline et de concert parmi les soldats d’Énée et de Turnus. La mêlée reste toujours assez confuse ; mais, à l’exception de ces rencontres furieuses où tout le monde marche en avant et n’a d’autre dessein arrêté que d’aller le plus loin et de frapper le plus fort qu’il peut, on sent, dans la manière ordinaire dont ils combattent, un peu plus d’art et de tactique. Par exemple, Turnus conduit le siège du camp troyen avec une certaine habileté. Messapus, qu’il choisit pour bloquer l’ennemi, commande à quatorze chefs rutules, et chacun d’eux a cent soldats sous ses ordres. On monte la garde, on se relève, on allume des feux de bivouac. Avant d’en venir à l’assaut, ou commence par battre la muraille avec le bélier, puis les troupes s’avancent en faisant la tortue, c’est-à-dire en élevant leurs boucliers au-dessus de leur tête pour se mettre à l’abri des projectiles de l’ennemi. Voilà des artifices dont les héros d’Homère ne se sont jamais avisés. Mais ce qui est plus remarquable que tout le reste, c’est la manière dont s’y prend Énée pour emporter Laurente. Les Latins, vaincus sur les bords du Tibre, viennent de s’enfuir ; ils se sont réfugiés dans la ville de Latinus, qui va devenir le centre des derniers combats. Énée se décide à les suivre. Oserai-e dire ici que, pour être plus sûr du succès, il imagine un mouvement tournant ? Le mot est bien moderne ; il n’y en a point cependant qui rende avec plus d’exactitude le procédé dont il va se servir. Placé comme il l’est, à Ostie, ayant devant lui le grand étang qu’on appelle stagno di Levante, il peut arriver dans le pays qui lui fait face par les deux rives de l’étang. Il divise son armée en deux corps, auxquels il fait prendre les deux routes différentes. La cavalerie, sous la conduite de Tarchon, s’avance le long du rivage ; les fantassins et le gros de l’armée tournent de l’autre côté ; mais, au lieu de suivre le bord de l’étang et de ne pas quitter la plaine, ils s’élèvent vers la gauche et s’enfoncent dans les collines. Le poète ne nous dit pas quelle est la raison qui engage Énée à entreprendre cette opération délicate. Craint-il que les routes sablonneuses de la plaine ne soient mal commodes pour des gens pesamment armés ? On peut le croire ; mais il est plus probable qu’en débouchant sur Laurente par un chemin qui n’est pas le plus court et le plus naturel, il espère qu’il a plus de chance d’être moins attendu et de surprendre l’ennemi. En ce cas, il se trompe, car Turnus, qui possède des éclaireurs, a découvert ses desseins et se prépare à les déjouer. « Il y a, dit Virgile, dans les replis de la montagne, une vallée profonde, propre aux surprises et aux ruses de la guerre, et qu’entourent de tous côtés des hauteurs couvertes de bois épais ; on n’y arrive que par un étroit sentier et par une gorge resserrée, d’un accès difficile. Au-dessus, vers la cime la plus élevée, se cache un plateau qu’on ne connaît pas, poste sûr et commode, soit qu’on veuille de là fondre sur l’ennemi, soit qu’on préfère rester sur la hauteur et rouler d’énormes rochers. C’est là que le chef rutule se rend par des routes ignorées. Il s’empare de la position et s’établit le premier dans la forêt perfide. » Mais tous ses projets sont traversés par des événemens imprévus. Tandis qu’il attend son ennemi, et qu’il espère l’écraser au passage, on vient en toute hâte lui annoncer que la cavalerie de Tarchon a vaincu la sienne et que, ne rencontrant plus aucune résistance sérieuse, elle approche de Laurente et va s’en emparer. Il faut bien qu’il accoure au plus vite pour défendre ses alliés. « Il s’éloigne de la colline qu’il occupait et quitte les bois impénétrables. A peine était-il hors de la vue et entrait-il dans la plaine, qu’Énée, pénétrant dans le défilé, libre désormais, franchit les hauteurs et sort de l’épaisse forêt. Ainsi tous deux marchent rapidement vers la ville et ne sont plus séparés que par un court intervalle. »

Il me semble que, de ce récit, on peut déduire avec quelque probabilité l’emplacement de Laurente. La ville était située dans la plaine, mais adossée à la montagne ; assez rapprochée du rivage pour que de là on pût voir la mer, assez près des collines pour qu’en sortant des bois et des hauteurs on tombât sur elle. Ni Tor-Paterno ni Capocotta ne me paraissent remplir entièrement ces conditions. Le premier de ces deux endroits est trop voisin de la mer et trop éloigné des collines ; s’il tient la place de Laurente, on ne comprend plus rien à la manœuvre d’Énée, et c’est un détour tout à fait ridicule que d’aller passer par la montagne pour y arriver. L’autre, étant engagé dans la montagne même et situé-au-dessus de Pratica, se trouve un peu trop loin du rivage. Strabon, en racontant qu’Énée quitta Laurente pour Lavinium, dit a qu’il s’enfonça dans les terres. » Si l’on place Laurente à Capocotta, l’expression n’est plus juste, puisqu’au contraire de Capocotta à Lavinium, c’est-à-dire à Pratica, on descend pendant plusieurs milles[6]. Ainsi, Capocotta ne satisfait pas plus que Tor-Paterno ceux qui essaient de retrouver la vieille ville de Latinus.

Mais alors où donc pouvait-elle être ? — Il ne s’agit pas ici, on le comprend, d’en désigner exactement la place et d’en montrer les ruines. Il est très vraisemblable que, selon l’expression du poète, « ces ruines même ont péri ; » et, dans tous les cas, si elles se cachent encore sous quelque amas de décombres, un voyageur qui passe ne peut pas se flatter de les découvrir. Mais il lui est possible au moins de s’en rapprocher. Essayons de le faire ; remettons-nous encore en route, au risque de fatiguer le lecteur, pour tenter d’établir d’une manière approximative la situation de la ville.

Tout à l’heure, on s’en souvient, nous sommes partis d’Ostie et nous avons longé la côte. Prenons cette fois un chemin nouveau. Le récit de Virgile, que nous venons d’analyser, nous prouve que nous ne ferons pas mal de remonter un peu vers les hauteurs. Quand on va de Rome à Tor-Paterno, on traverse successivement trois régions qui n’ont pas le même caractère : c’est d’abord cette vaste plaine ondulée qu’on appelle la campagna et qui entoure Rome de tous les côtés ; puis une suite de collines couvertes de bois ; enfin, la plaine qui recommence et s’étend sans interruption jusqu’à la mer. La zone intermédiaire est celle qui frappe le plus le voyageur ; elle commence à Decimo, sorte de ferme fortifiée qui rappelle le temps où, dans toute cette contrée, on ne pouvait dormir que derrière de fortes murailles. Là, le terrain s’élève et l’aspect du pays change ; on entre dans ce qui reste de la forêt de Lau-rente. Je l’ai traversée au mois de mai, quand tous les buissons étaient en fleur, et, ce qui achevait de rendre pour moi ce voyage charmant, c’est qu’à presque tous les pas les incidens de la route réveillaient dans ma mémoire quelques souvenirs de l’Énéide. En passant sous l’ombre des grands arbres, je me rappelais que, dans ces lieux, les Troyens et les Latins étaient venus, après la bataille, couper le bois pour les bûchers funèbres : « A la faveur de la trêve, dit le poète, ils partent pour la forêt et parcourent ensemble la montagne. Sous les coups de la hache le frêne retentit ; on abat les pins, dont la tête touchait la nue ; les coins ne cessent de fendre le chêne et le genévrier odorant, et les chars gémissent sous le poids des ormeaux. » Ce sont encore, comme au temps de Virgile, des frênes, des ormeaux, des chênes et des pins qui bordent la route. Les bûcherons, les charbonniers à la mine sauvage, que je voyais de temps en temps sortir de quelque allée sombre, me faisaient songer qu’Énée y rencontrait déjà de robustes paysans armés de bâtons noueux, et il me semblait que j’allais apercevoir, à quelque détour du chemin, le terrible Tyrrhus, « poussant des cris de fureur et brandissant sa hache contre les passans. » A mesure qu’on s’enfonce dans la forêt, la route devient plus accidentée ; elle ne cesse de monter et de descendre et les collines se succèdent, coupées brusquement par des vallées assez profondes. C’est le seul endroit où l’on puisse placer avec quelque vraisemblance l’embuscade de Turnus. Énée arrivait sans doute en suivant le fond des vallées, et, sur une de ces cimes couvertes de bois, son ennemi l’attendait en silence. Le paysage, je l’avoue, est moins sombre et moins terrible que Virgile ne le représente, mais il faut bien passer quelques exagérations aux poètes ; d’ailleurs, il est naturel qu’au sortir des plaines monotones de la campagna, les moindres collines paraissent des montagnes et que les plus petites vallées prennent les proportions de véritables précipices. Nous voilà enfin près de quitter ce que Virgile appelle « les profondes forêts. » À ce moment, se présente à nous Castel-Porziano, un château de belle apparence, qui appartenait autrefois à une noble famille romaine et que le roi d’Italie a réparé et fort embelli pour en faire un rendez-vous de chasse. Ce château, en son état actuel, ressemble à un petit village. Outre la maison du roi, qui paraît modeste, il contient des habitations pour les fermiers, une caserne pour les soldats, avec une osteria et un entrepôt de sali e tabacchi. Il est placé de façon à offrir de tous les côtés de fort beaux points de vue. Quelques minutes avant d’y arriver, pendant que l’on suit l’avenue de pins qui y mène, si l’on se retourne, on a devant soi le massif des monts Albains, et, dans l’immense plaine que bornent le Soracte et les montagnes de la Sabine, Rome, avec une multitude de villes et de villages qui portent des noms glorieux. Immédiatement après l’avoir quitté, on aperçoit la mer et l’on embrasse une vaste étendue de rivages. Pendant que je m’arrête à jouir de ce spectacle, un souvenir de Virgile me revient encore à l’esprit. C’est ici sans doute, le long de ces dernières cimes, que dut se réfugier la reine Amata, quand, pour dérober sa fille à Énée, elle appela les femmes de Laurente à célébrer avec elle les orgies de Bacchus. D’en bas, on devait entendre leurs hurlemens féroces et les voir passer à travers les arbres, les épaules nues, les cheveux flottans, agitant leurs thyrses couronnés de pampres ou secouant avec fureur leurs torches enflammées. — A partir de Castel-Porziano, la descente devient rapide, et l’on arrive bientôt dans la plaine.

C’est vers l’endroit où l’on y débouche, aux pieds des collines, à 2 ou 3 kilomètres de la mer, un peu plus bas que Capocotta, un peu plus haut que Tor-Paterno, à peu près à mi-chemin entre Ostie et Pratica que je mettrais volontiers Laurente. Le lieu convient tout à fait aux descriptions de l’Enéide et il semble que Virgile nous y conduise par la main.


VIII

Ce n’est pas le seul service qu’il nous rende : après nous avoir indiqué l’emplacement de la ville, il aide notre imagination à la reconstruire. Il la représente, non pas, comme elle était de son temps, à moitié déserte et ruinée, mais comme il suppose qu’elle devait être à l’époque du bon roi Latinus.

On se souvient qu’Énée, à peine débarqué en Italie, envoie des députés pour solliciter l’amitié des Latins ; nous les avons suivis quelque temps dans le début de leur voyage. Après avoir marché le long de la mer, ils se dirigent vers la gauche et arrivent à Laurente. Ici Virgile nous dépeint le spectacle qu’ils ont sous les yeux. Dans une grande plaine, devant les remparts, toute la jeunesse est réunie. « Les enfans et ceux qui sont à la fleur de l’âge s’exercent à dompter un cheval et guident un char dans la poussière ; d’autres travaillent à courber un arc qui résiste, lancent d’un bras nerveux des javelots flexibles ou luttent entre eux de vitesse ou de force. » La ville est située près d’un grand marais et défendue par de fortes murailles. Sur une hauteur s’élève le palais du roi. Cet édifice auguste, immense, est soutenu par cent colonnes et entouré d’un bois sombre qui a de tout temps inspiré aux Latins un respect religieux. C’est un temple autant qu’un palais. On y tient les assemblées du sénat, et les chefs de la nation y viennent, les jours de fête, s’asseoir à des repas solennels. C’est là qu’à leur avènement, les rois reçoivent le sceptre et que, pour la première fois, les faisceaux marchent devant eux. « Dans le vestibule, de riches statues en bois de cèdre représentant les aïeux du roi. Chacun y est à sa place : Italus, le vénérable Sabinus, qui planta la vigne, tenant encore sa serpe recourbée, et Saturne, et Janus au double visage, et tous les rois, depuis l’origine de la nation, et ceux qui ont reçu de glorieuses blessures en combattant pour la patrie. On y voit aussi, pendant aux voûtes des portiques sacrés, les armes et lies chars des vaincus, des haches, des casques, les portes des villes prises, des dards, des boucliers, des éperons enlevés aux navires. Picus lui-même, le roi Picus, dompteur de chevaux, est assis, couvert de la trabée, portant d’une main le bâton augural, de l’autre, le bouclier échancré des prêtres saliens. »

Voilà l’idée que Virgile nous donne du palais de Latinus. Est-ce bien ainsi qu’il devait être, et la description qu’en fait le poète est-elle de nature à satisfaire entièrement un historien et un antiquaire rigoureux ? Pour le savoir, consultons le livre curieux que M. Helbig vient de publier et dans lequel il cherche à éclairer par les monumens l’épopée d’Homère[7]. Nous avons, en effet, aujourd’hui, deux moyens pour remonter à ces temps reculés : le premier consiste dans le tableau fidèle qu’en ont tracé les poèmes homériques : l’antiquité y est vivante, et nous pouvons nous contenter de les lire pour la connaître ; mais les fouilles qui ont été entreprises dans ces dernières années en Italie et en Grèce nous fournissent un supplément d’information qui n’est pas à mépriser. Après avoir épuisé les premières couches du sol, les explorateurs se sont décidés de nos jours à descendre plus bas. Il n’est guère probable que ces profondeurs où ils pénètrent nous donnent jamais beaucoup de chefs-d’œuvre, mais elles conservent le souvenir d’époques fort anciennes et de temps en temps elles nous en rendent quelques débris. Ce sont des armes de pierre, de bronze ou de fer, des poteries avec des dessins grossiers, et, quelquefois, dans des tombes d’un âge un peu plus moderne, des bijoux, des coffrets de métal, des peintures grossières qui représentent des batailles ou des festins, ces deux plaisirs des peuples jeunes. M. Helbig pense que ces restes, qui sont à peu près contemporains d’Homère, peuvent servir de commentaire et d’illustration à ses vers. Ils font mieux ressortir ce que dissimule souvent pour nous le charme de sa poésie : c’est qu’après tout il vivait au milieu d’une société barbare. Du premier coup, cette société avait atteint en Grèce la perfection dans la poésie, mais les autres, arts ne marchèrent pas aussi vite. Nous sommes tentés de croire, quand nous lisons l’Iliade ou l’Odyssée, qu’il ne lui restait plus de progrès à faire ; mais, en voyant les armes et les ustensiles dont elle se servait, nous reconnaissons très bien qu’elle en était encore à ses premiers pas.

Virgile, en composant l’Énéide, se trouvait dans un embarras qu’Homère n’avait pas connu. Il ne pouvait pas, comme son prédécesseur, donner aux héros de son poème les mœurs des personnes de son temps. On se serait moqué de lui si les Troyens d’Énée et les Latins de Turnus avaient tout à fait ressemblé aux gens de la cour d’Auguste. Il lui fallait donc les vieillir, et, autant que possible, les ramener à leur époque. Il pouvait rendre, à la vérité, ce travail facile en se contentant de copier Homère, et c’est ce qu’il a fait très souvent ; mais souvent aussi il s’est écarté de son modèle. Il est visible, par exemple, que le palais des Latinus, dont on vient de voir la description, a plus de majesté, qu’il est plus somptueux que les demeures des rois de l’Iliade ou de l’Odyssée. Homère, parlant de la maison d’Ulysse, nous dit qu’elle est la plus belle d’Ithaque et qu’elle attire d’abord tous les regards, parce qu’elle possède une cour entourée de murs, avec des portes à deux battans, qui ferment bien. Voilà par quelle magnificence elle se distingue des autres ! Dans les maisons royales, il n’est pas question, comme chez Latinus, de statues qui remplissent le vestibule, de colonnes qui soutiennent le toit. C’est à peine si la façade est ornée de grandes pierres polies et brillantes sur lesquelles le roi vient s’asseoir pour rendre la justice à son peuple. Les mœurs, comme on voit, sont très simples, et nous sommes au début d’une civilisation. Ce qui le prouve encore mieux, ce sont certains détails que M. Helbig a tirés des poèmes homériques et qui peignent le temps. Dans ces grands appartemens, où les prétendans de Pénélope et la fleur de la noblesse achéenne festinent toute la journée, les restes du repas traînent sur le parquet : on y voit des os de mouton ou de bœuf que les convives se jettent quelquefois à la tête. La salle où l’on mange est celle même où l’on apprête le festin : c’est à peine si l’on a ménagé dans le toit une petite ouverture pour laisser passer la fumée. Du reste, il ne semble pas que l’odeur de la viande grillée parût alors désagréable ; au contraire, une bonne maison pour les gens de cette époque était celle où l’on sentait la graisse ϰνισσῆεν δῶμα (knissêen dôma), et c’est à l’intensité même de ce parfum qu’on mesurait son opulence. Ajoutons que devant le palais d’Ulysse s’étale un tas de fumier qui sert de couche au pauvre chien Argus, et qu’il y en a aussi dans la cour de la maison de Priam : « En voilà bien assez, dit M. Helbig, pour conclure que l’atmosphère qu’on respirait alors dans les demeures royales aurait singulièrement agacé les nerfs de nos délicats. »

Aujourd’hui que nous aimons les couleurs crues et les détails expressifs, ces traits sont peut-être ceux qu’un auteur choisirait de préférence pour donner une idée de la vie antique. Si Virgile les a négligés, il ne faut pas en accuser uniquement la timidité de son goût. Il a quelquefois hasardé des peintures hardies et qui ont paru grossières à quelques critiques timorés. On s’est plaint, dans la description des batailles, de le voir insister avec trop de complaisance sur les cervelles qui jaillissent, sur le sang et le pus qui coulent des blessures, et quand il nous dépeint les hoquets d’un vieux pilote qui vient de tomber à la mer et vomit l’eau salée. Heyne se fâche contre lui et reproche à ses exécuteurs testamentaires, Varius et Tucca, de n’avoir pas eu le courage de supprimer ces vers déplaisans. Il ne faut pas croire non plus que, si Virgile donne ordinairement à ses vers un air plus moderne, c’est qu’il n’avait pas l’intelligence ou l’amour de l’antiquité. Parmi ses contemporains, personne ne l’a plus aimée ni mieux comprise. Non-seulement il ne lui répugnait pas de reproduire exactement les mœurs des temps homériques, mais il lui est arrivé de remonter plus haut. Il y a chez lui quelques vestiges d’un passé plus lointain que l’époque de l’Iliade. Quand Énée va visiter le roi Evandre dans sa petite bourgade du Palatin, on lui montre, sur les flancs du Janicule et du Capitole, des pans de mur renversés et des débris qui couvrent le sol : ce sont les restes de la ville de Janus et de celle de Saturne. Il y avait donc déjà des ruines du temps de la guerre de Troie ! Dans ces villes détruites vivait une génération d’hommes disparue dont Virgile nous entretient : il nous parle de cette race primitive, née du tronc des chênes et dure comme eux, qui n’avait ni mœurs ni lois ; il nous dit qu’elle ne savait ni atteler les bœufs pour cultiver les champs, ni recueillir les biens de la terre, ni songer au lendemain, qu’elle vivait au jour le jour, secouant les arbres pour en cueillir les fruits ou poursuivant les bêtes dans les forêts. Ces premiers habitans de l’Italie, nous en avons aujourd’hui retrouvé la trace. Les profondeurs du sol, les eaux des lacs, nous ont rendu leurs armes de pierre ou de bronze, leurs ustensiles de terre ou de bois, et jusqu’aux débris de leurs alimens ; mais on peut dire que Virgile, qui ne les connaissait pas, les a devinés et entrevus. Il faut voir, dans l’étude de M. Bréal sur la légende de Cacus, comme cette vieille fable a repris chez lui son air antique. Il a su la faire revivre et lui restituer son premier aspect ; « semblable à ces sources qui rendent un instant aux fleurs desséchées l’éclat et la fraîcheur, il l’a rajeunie non pas pour un moment, mais pour tous les siècles. » C’est surtout dans la courte invocation des prêtres saliens, par laquelle se termine le récit, qu’il semble avoir retrouvé le ton de la poésie des premiers âges. M. Bréal montre que rien ne peut donner une idée plus exacte des poèmes védiques que ce morceau, et qu’il ne s’y trouve pas un vers qu’on ne puisse commenter avec des centaines de vers tirés des Védas. « N’est-il pas intéressant, ajoute-t-il, de trouver dans le chef-d’œuvre de la poésie savante un fragment qui tiendrait sa place parmi les créations de la poésie la plus spontanée qui ait jamais été ? C’est le privilège du génie : il peut réveiller des échos endormis depuis des siècles. »

Il est donc certain que Virgile était capable de s’enfoncer par moment dans l’antiquité la plus reculée ; mais le dessein qu’il se proposait dans son œuvre ne lui permettait pas d’y séjourner longtemps. Souvenons-nous qu’il n’écrivait pas seulement pour le plaisir des curieux ; il avait d’autres prétentions que de satisfaire quelques pédans qui lui auraient volontiers fait une loi de ne jamais s’écarter d’Homère. Il s’adressait à tout le monde ; aussi bas que les lettres pouvaient descendre, il voulait trouver des lecteurs pour qui son poème fût une œuvre vivante. Au lieu de se perdre dans le lointain des âges, où peu de personnes l’auraient suivi, et de construire à grand’peine une création d’archéologue qui n’aurait intéressé que quelques savans, il essaya de mettre sous les yeux, de ses contemporains un monde où ils pouvaient se reconnaître. Si l’on étudie avec soin ses derniers livres dans lesquels l’action se passe sur le sol italique, on verra qu’il y a presque partout introduit les usages de son pays et de son temps[8]. Ceux qui lisaient l’Enéide étaient charmés d’y retrouver des coutumes qui leur étaient familières ; ils se sentaient rapprochés de ces personnages qu’ils voyaient agir comme on agissait autour d’eux. De cette façon, le poète se trouvait atteindre cette masse profonde de lecteurs qui ne prennent intérêt qu’à ce qui les touche et qui ne se hasarderaient pas facilement dans un pays où tout leur serait nouveau. L’œuvre de Virgile n’est donc pas une de ces constructions en l’air qui flottent dans le vide. Le récit du passé y repose sur le présent et l’imagination s’appuie sur la réalité. Ces fables qui, à tout moment, prennent pied dans l’histoire donnent au lecteur l’illusion de la vérité et de la vie.

A cet avantage il s’en joignait un autre, qui n’était pas moins précieux pour Virgile. Comme Horace, son ami, comme tous les autres poètes de ce temps, il s’était fait le collaborateur d’Auguste ; il travaillait avec passion à l’affermissement de sa dynastie, à la durée de ses réformes, pensant que c’était le meilleur moyen de servir son pays. Auguste poursuivait en ce moment une entreprise difficile : il cherchait à concilier autant que possible le présent avec le passé ; il tenait à garder du gouvernement qu’il venait de détruire tout ce qui pouvait convenir au régime qu’il avait fondé. Pour sauver les institutions anciennes de la ruine dont elles étaient menacées, il était utile de montrer qu’elles dataient de loin. Chez un peuple conservateur par nature, comme les Romains, avoir existé longtemps était une raison pour exister toujours. En les vieillissant, Virgile les rendait plus vénérables et plus sacrées. C’était notamment son intention quand il représentait les jeunes gens de Laurente s’exerçant à conduire des chars, à lancer des javelots, à courir, à lutter ensemble autour de la ville. La coutume imposait ces occupations à la jeunesse romaine, et les gens sages y attachaient une grande importance : il leur semblait qu’on ne pouvait les négliger sans s’exposer à perdre la vigueur du corps et l’énergie de l’âme. Horace, qui, dans ses vers, se met toujours du parti de la vertu et des vieilles mœurs, reproche durement à Lydie d’inspirer à un jeune homme une folle passion qui lui fait oublier ses devoirs : « Dis-moi, au nom des dieux, Lydie, pourquoi tu es si ardente à causer sa perte ? D’où vient qu’il évite les travaux du Champ de Mars et qu’il ne peut plus supporter la poussière et le soleil ? Pourquoi s’éloigne-t-il de ses camarades quand ils domptent un cheval rebelle ? Pourquoi craint-il de se jeter dans les eaux jaunes du Tibre et ne nous montre-t-il plus avec fierté ses bras tout noircis des meurtrissures du disque ? » Évidemment, il y avait alors beaucoup de jeunes Romains qui, au lieu d’aller au Champ de Mars, passaient la matinée chez Lydie. Horace veut leur faire honte de leur mollesse. Virgile arrive au même résultat par un détour : il vieillit ces usages pour leur donner plus d’autorité et rendre ceux qui les abandonnent plus criminels : le moyen qu’on ose déserter des exercices que tant de siècles ont respectés et qui se pratiquaient déjà du temps du roi Latinus !

Par malheur, ce n’était pas une entreprise aisée de rapprocher ainsi le présent et le passé. En plaçant dans l’Enéide les usages de son temps, Virgile se créait de grandes difficultés. Quelle figure allaient faire ces coutumes d’une époque récente transportées dans des siècles aussi antiques ? Ne s’exposait-il pas, en les y introduisant, à des disparates choquantes, et pouvait-il trouver quelque moyen de donner à une œuvre aussi bigarrée une apparence d’unité ? Il y a réussi par un procédé très simple : voulant mêler ensemble l’ancien et le moderne, il rajeunit l’un et vieillit l’autre, de façon qu’ils finissent par se rencontrer à mi-chemin. C’est ainsi qu’il a su créer une sorte d’antiquité moyenne où la fable et la réalité, la légende et l’histoire, l’ancien et le moderne peuvent vivre côte à côte sans qu’on soit choqué du mélange.

Pour être frappé comme il convient de l’habileté du poète et lui rendre justice, il faut regarder son œuvre de très près ; à quelque distance une teinte uniforme enveloppe ses récits ; tout semble d’abord fait d’une pièce et coulé d’un jet ; mais, quand on s’approche, ou aperçoit les retouches ; on distingue, on peut compter les détails et les incidens divers dont ce bel ensemble est formé. C’est un travail de critique qui parait quelquefois minutieux, mais qui a l’avantage de nous faire mieux apprécier l’art divin de Virgile. Pour ne pas sortir de la ville de Lamente et du palais de Latinus, qui nous occupent en ce moment, de combien d’élémens distincts ne se compose pas cette savante peinture ! Que d’âges différens y sont réunis ! Le palais est soutenu par des colonnes, comme un édifice romain de l’époque impériale ; mais, en même temps, il est entouré d’un bois épais, comme un dolmen druidique. Le vestibule est décoré de statues en bois de cèdre ; grave anachronisme, puisque nous savons par Varron que Rome est restée plus de deux siècles sans en élever dans ses temples. Est-il croyable qu’il y en eût à Laurente, trois cents ans avant la fondation de Rome ? Il est vrai que Virgile essaie de donner aux siennes une apparence romaine et un air antique : c’est Janus avec ses deux visages, c’est Picus en costume d’augure, le bâton recourbé à la main, comme on représentait Romulus. Sous ce costume, on est moins choqué de les voir dans la maison de Latinus. Mais voici que nous remontons bien plus haut encore : au milieu de l’atrium, à quelques pas de ces statues, on trouve ce qui a précédé les statues même dans la vénération des peuples, un de ces grands arbres qui étaient honorés comme l’image des dieux avant qu’on eût appris à donner à la divinité une figure humaine. C’est un laurier, au feuillage sacré, que tout le monde respecte, et qui cause une sorte de terreur superstitieuse à ceux qui passent sous son ombre.

La religion de Latinus est un peu comme son palais ; elle se compose de pratiques empruntées à des époques et à des contrées diverses. Quand il veut consulter l’oracle au sujet du mariage de sa fille, il s’en va près de la source albunéenne, « d’où s’exhalent des vapeurs empestées, » immole cent brebis et, couché sur leur toison, attend que, pendant la nuit, le dieu fasse savoir sa volonté. C’est un genre de divination fort célèbre chez les Grecs et dont on usait encore du temps d’Aristophane. Mais Latinus emploie aussi les plus anciens rites de la religion romaine. Il a sa fille qui le sert à l’autel, lorsqu’il sacrifie, comme la vestale sert le pontife, et c’est une voix sortie de la profondeur des forêts qui lui apprend ce qu’il doit faire, la Voix qui parle (Aius Locutius), comme l’appelaient les vieux Romains. La figure du roi parait d’abord tout à fait dessinée sur celle de Nestor ; il aime, comme lui, les vieilles histoires et les raconte volontiers. Virgile lui a pourtant donné une physionomie qui lui est propre. On sent à certains traits que c’est un Latin et qu’il régné sur cette nation « vertueuse par nature et qui n’a pas besoin que les lois la contraignent à être juste. » Son caractère a quelque chose de plus honnête, de plus doux, de plus pacifique. Ce n’est pas un despote qui se décide seul et ne prend l’avis de personne : il a son conseil, qu’il réunit dans les occasions graves. Ainsi fait du reste Agamemnon, qui ne manque pas non plus de consulter les chefs grecs toutes les fois qu’il faut prendre quelque décision importante. Dans ces assemblées, on parle beaucoup : les héros grecs et latins, comme ceux de nos chansons de geste, sont déjà des orateurs intarissables ; on les a élevés pour être, selon le mot d’Homère, « diseurs de paroles et faiseurs d’actions. » Il y en a, parmi eux, qui soutiennent l’autorité, d’autres qui la combattent. Celui qui représente l’opposition, dans l’Iliade, c’est Thersite. Homère, qui aime les rois, fils des dieux, a fait de ce rebelle un portrait peu flatté. « De tous les guerriers réunis sous les murs de Troie, il n’y en avait pas de plus affreux. Il était bancal et boitait d’un pied. Ses épaules relevées resserraient sa poitrine, et sur sa tête en pointe flottaient quelques cheveux épars. » Il est clair qu’un homme ainsi fait doit en vouloir de sa laideur au genre humain tout entier. Le Thersite de Virgile, Drancès, a une tout autre apparence ; c’est un homme riche, important, beau parleur, qu’on écoute volontiers et qui sait couvrir des plus beaux prétextes ses ressentimens personnels. De même que Thersite déteste Agamemnon, il est le mortel ennemi de Turnus. Les motifs qu’il a de lui en vouloir sont de ceux qui ne se pardonnent pas : il est vieux et l’autre est jeune ; on l’accuse de manquer de cœur dans les combats et, naturellement, il en veut à tous ceux qui ont la réputation d’être braves ; il possède la fortune et n’a pas la considération ; il appartient par sa mère aux plus grandes maisons, la famille de son père est inconnue. Il fait donc partie de cette catégorie de gens que nous appelons aujourd’hui des déclassés, parmi lesquels se recrutent d’ordinaire les mécontens. Je ne puis m’empêcher de trouver que ce portrait a une apparence bien moderne. On ne peut guère imaginer un personnage comme Drancès et le faire bien parler que lorsqu’on a vécu sous un régime libre, que l’on connaît, pour l’avoir éprouvé, l’importance qu’y peuvent prendre les médiocrités jalouses et les moyens dont elles se servent pour rabaisser le mérite éclatant. En créant ce type, Virgile songeait certainement aux luttes obscures et aux basses discordes dans lesquelles s’étaient usées les dernières années de la république.

On voit qu’il y a là beaucoup d’emprunts faits à des époques et à des sociétés différentes, mais on les devine plus qu’on ne les aperçoit clairement. Pour faire ressortir les nuances diverses dont est formé ce morceau, j’ai été forcé de les exagérer. En réalité, elles se fondent dans une couleur uniforme. La merveille est d’avoir su si bien les unir qu’on ait peine à les distinguer. Presque partout Virgile y a réussi, et, si l’on excepte quelques passages où le mélange est moins habile et la soudure plus apparente, on peut dire qu’à prendre le poème dans son ensemble, les pièces de rapport sont si industrieusement rapprochées qu’elles finissent par faire un tout harmonieux. Les élémens qui composent l’œuvre sont pris un peu partout, mais le poète ne doit qu’à lui le lien qui les rattache et le milieu dans lequel il les a placés. C’est son originalité véritable ; pour encadrer ses récits et grouper ses personnages, il a créé une antiquité de convention, à la fois large et souple, une sorte d’âge crépusculaire, où les hommes et les choses de tous les temps peuvent se rencontrer sans surprise, et il a su donner à sa création une apparence étonnante de vérité et de vie. Voilà ce que les autres écrivains de son temps n’ont pas toujours su faire. Beaucoup de ceux qui, autour de lui, faisaient profession d’aimer l’antiquité ne la comprenaient guère ; il est presque le seul qui en ait eu l’intelligence autant que le goût. Le vieux Varron, si amoureux du passé, Tite Live, dont l’esprit, comme il le dit lui-même, avait tant de plaisir à se faire antique, quand ils ont voulu écrire l’histoire de ces temps primitifs, n’ont pas pu les faire revivre. Au contraire, les tableaux que Virgile en a tracés, quoiqu’ils soient souvent de fantaisie, se sont imposés à toutes les mémoires, et quelques découvertes que l’archéologie nous ménage, je crois qu’on peut résolument affirmer que l’imagination des lettrés se figurera toujours Laurente et le palais de Latinus comme il nous les a représentés.


IX

Il nous faut sortir de Laurente et quitter ce palais, où l’on trouvera peut-être que nous sommes trop longtemps restés, si nous voulons assister à la dernière scène de l’Enéide. C’est en dehors de la ville, dans la plaine qui s’étend des montagnes à la mer, que va se passer le drame par lequel s’achève le poème.

Le combat de Turnus et d’Énée est annoncé d’avance et préparé avec soin. Énée, le premier, suggère aux envoyés des Latins, qui viennent lui demander une trêve, ce moyen facile de terminer tout à fait le différend. L’un d’eux, Drancès, s’empresse de rapporter à Turnus la provocation de son ennemi, et Turnus a trop de cœur pour ne pas l’accepter du premier coup. Mais les dieux qui veillent sur ses jours ont soin de retarder tant qu’ils le peuvent une lutte dans laquelle il doit succomber et le protègent plus qu’il ne le voudrait. Dans le premier combat qui se livre autour du camp troyen, comme Turnus cherche Énée avec fureur et que celui-ci ne le fuit pas, il semble que leur rencontre soit inévitable. Junon trouve pourtant un moyen de les séparer. « Elle forme d’une vapeur légère une ombre sans consistance qui ressemble à Énée, la revêt d’armes troyennes, lui prête de vaines paroles, des sons sans idées et lui donne la démarche du héros. Tels sont les fantômes qui voltigent, dit-on, après la mort ; tels les songes qui se jouent de nos sens assoupis. » Turnus, trompé par la ressemblance, se met à poursuivre le faux Énée jusque dans une barque où il se réfugie. Dès qu’il y est entré, la déesse rompt le câble qui attachait la barque au rivage et le malheureux, malgré ses supplications, est emporté par les vagues loin du champ de bataille, où ses compagnons le cherchent, où son ennemi l’attend. Une autre fois, les circonstances semblent plus graves et plus pressantes encore. Tout est prêt pour le combat singulier ; on est en train d’en régler les dernières conditions ; un autel se dresse au milieu de la plaine, devant lequel Énée et le roi Latinus s’engagent, par des sermens solennels, à respecter ce qui a été convenu ; les deux armées sont réunies pour assister à la lutte suprême de leurs chefs. À ce moment, la sœur de Turnus, Juturna, qui a été aimée de Jupiter et qui, en échange de cet amour, a reçu l’immortalité, excite les Rutules à ne pas laisser leur roi s’exposer pour eux. La pitié les saisit quand ils voient ce jeune homme se mesurer à un adversaire qui leur paraît plus redoutable : l’idée leur vient d’éviter à toute force une lutte dont ils prévoient l’issue. Un trait, qui part tout à coup de leurs rangs, va frapper un des chefs de l’armée troyenne et voilà la mêlée qui recommence. Ce combat imprévu et improvisé est assurément un des plus originaux de toute l’Enéide. La fureur transporte les deux partis et ils font arme de tout. On se bat autour de l’autel où l’on vient de jurer que l’on ne se battra plus ; il arrive même qu’un des combattans saisit un tison enflammé, qui a servi au sacrifice, et le jette au visage d’un ennemi qui s’avance ; « Sa longue barbe prend feu, dit le poète, et l’on sent au loin l’odeur qu’elle exhale en brûlant. » Ces divers incidens ne servent pas seulement à reculer la fin du poème et à lui permettre d’atteindre une juste étendue, ils sont fort habilement ménagés pour accroître notre impatience. Quand enfin s’accomplira ce combat, tant de fois prévu et tant de fois différé, tous les esprits excités par l’attente en suivront les péripéties avec un intérêt plus passionné.

Virgile donne à cette grande lutte une scène digne d’elle. Figurons-nous, dans cette plaine aujourd’hui déserte, d’un côté Lauréate et ses hautes murailles, de l’autre le camp troyen avec ses portes et ses retranchemens. Sur les remparts de la ville, au sommet des tours, se pressent les femmes, les gens du peuple, les enfans, qui regardent. Les deux armées entourent le champ de bataille, chacune conservant son rang, comme si, d’un moment à l’autre, on allait voir à reprendre la latte interrompue ; en attendant, les lances, qui vont être un moment inutiles, sont enfoncées en terre et les boucliers reposent contre elles. Les chefs voltigent au milieu des soldats, brillans d’or et de pourpre. Tous les yeux sont tendus vers cet espace vide, où va se jouer le sort des deux peuples. Le ciel n’est pas moins attentif que la terre à ce grand spectacle ; Junon, pour en être plus rapprochée, s’est arrêtée sur les hauteurs du Mont Albaia, d’où l’on aperçoit nettement la ville de Latinus et les deux armées, tandis que Jupiter, dans sa demeure céleste, tient en ses mains les balances dans lesquelles il pèse les destinées des mortels.

Le récit de ce combat est un des morceaux les plus dramatiques et les plus saisissans de l’Enéide. On voit bien, en le lisant, que le poète n’était pas épuisé par la longue course qu’il avait faite ; il arrivait sans fatigue à la fin de son œuvre, l’esprit aussi vif, le talent aussi jeune que lorsqu’il l’avait entreprise. La mort le surprit à cinquante et un ans en pleine possession de son génie. S’il avait continué de vivre, non-seulement il aurait mis la dernière main à l’Enéide et nous l’aurait laissée plus parfaite, mais nous posséderions sans doute aussi ce poème philosophique auquel il pensait, dit-on, pendant les loisirs que lui laissait la composition de son épopée et qui devait être l’œuvre mûrie et sereine de ses dernières années.

Je crois inutile de reprendre ici et d’analyser ce beau récit : tous les lecteurs de Virgile l’ont devant les yeux ; qu’il me suffise de marquer en quelques mots ce qui me parait en être le caractère distinctif. Le dernier combat d’Achille et d’Hector dans l’Iliade a certes une très grande importance : on sent bien qu’il va décider du sort de Troie ; mais enfin la chute de la ville n’en est pas la conséquence immédiate et elle doit survivre quelque temps encore à la mort de son plus ferme défenseur. On ne peut dire non plus que le combat soit prémédité ; les deux adversaires ne se cherchaient pas, et c’est le hasard qui les met aux prises. Après une défaite des siens, Hector n’a pas voulu s’enfuir comme eux ; il s’est arrêté devant les portes Scées et attend l’ennemi. En réalité, il est si peu résolu à se battre avec Achille qu’il s’enfuit dès qu’il l’aperçoit. Chez Virgile, au contraire, tout est parfaitement réglé et décidé d’avance. Turnus a pris congé d’Amata et de Lavinia ; Énée a dit adieu à son fils. Des maîtres du camp ont choisi et préparé le lieu où ils doivent se rencontrer. C’est une grande plaine unie et nue, et, pour n’y laisser aucun avantage dont l’un des combattans puisse se prévaloir au détriment de l’autre, on a rasé les quelques arbres qui pouvaient y pousser. Un sacrifice solennel a précédé le signal de la lutte. Tandis que les prêtres immolaient un jeune porc et une brebis blanche, les chefs des deux armées, tournés vers le soleil qui se levait et dont les premiers rayons coloraient la cime des montagnes, tenant dans la main des gâteaux de farine salée, ont invoqué tous les dieux et pris l’engagement d’accepter l’issue du combat comme un arrêt du destin. Selon qu’Énée ou Turnus remportera la victoire, les Troyens ou les Latins seront définitivement les maîtres, et le sort des deux peuples est attaché à la fortune de leurs champions. C’est donc une sorte de jugement de Dieu qui se prépare, et il est impossible de suivre dans Virgile tous les détails de ce combat en champ clos sans songer à des récits semblables qui se trouvent dans nos chansons de geste. Là aussi des chevaliers en viennent aux mains en présence d’un peuple réuni, et on nous les montre, avant de combattre, adorant des reliques, prêtant des sermens solennels, donnant des gages de bataille. Ce qui complote l’illusion, c’est qu’ici, comme dans beaucoup de tournois chevaleresques, une femme est le prétexte et le prix de la lutte. « Dans cette arène, dit fièrement Turnus, il nous faut conquérir la main de Lavinia. »


Illo quæratur conjux Lavinia campo.


Quelque émotion qu’on éprouve à lire, dans l’Iliade, le combat d’Hector et d’Achille, il contient certains incidens dont nous ne pouvons nous empêcher d’être un peu surpris. Par exemple, il nous déplaît qu’à la vue d’Achille Hector se sauve « comme une colombe tremblante devant l’épervier, » et qu’il ne se décide au combat que quand il n’a plus aucun moyen d’y échapper. Nous avons tort assurément, et il n’y a rien de plus naturel et de plus vrai que ces timidités subites et ces hésitations momentanées en face d’un grand péril ; mais nous avons beau faire, elles nous semblent aujourd’hui déplacées chez un héros. Aussi sommes-nous reconnaissans à Virgile de nous les avoir épargnées. Sans doute, Turnus s’enfuit, comme Hector, mais seulement quand l’arme dont il se sert s’est brisée dans sa main et qu’il reste sans défense. « Il court alors ça et là et décrit mille tours incertains ; » il se rapproche de ses soldats, que la frayeur rend immobiles ; il les appelle par leur nom, il les prie avec instance de lui donner son épée, et, dès qu’il l’a reçue, il recommence bravement la lutte. Ce qui nous choque aussi dans le récit d’Homère, c’est la part que les dieux prennent au combat. En réalité, la victoire leur appartient. Minerve ne cesse pas d’aider Achille, qui est le plus fort, et lui rapporte son javelot, qu’il a lancé sans succès ; elle trompe indignement Hector, qui est le plus faible, en lui faisant croire que son frère Déiphobe va combattre à ses côtés ; ce n’est que lorsque la lutte est engagée et qu’Hector a besoin du secours de son frère qu’il s’aperçoit qu’il est seul et que le faux Déiphobe a disparu. Chez Virgile, les dieux s’annulent en se partageant : si Juturna rend à Turnus son épée, Vénus permet à Énée de retirer son javelot, qui s’est enfoncé dans le tronc d’un olivier sauvage. De cette façon, l’intervention de la divinité n’efface pas le mérite des hommes ; la victoire est bien leur œuvre personnelle, et c’est leur valeur propre qui décide du succès final. Il est curieux de constater qu’entre les deux poètes, le sentiment de l’honneur s’est raffiné, et que Virgile connaît déjà et respecte certaines délicatesses, ou, si l’on veut, certains préjugés que nous subissons encore aujourd’hui.

Ses personnages, quand on les compare à ceux d’Homère, donnent lieu aux mêmes observations. Quoiqu’Énée joue à peu près le rôle d’Achille et que le poète ait voulu par momens lui en prêter le caractère, il en diffère autant que possible. Dans son combat avec Turnus, il pousse jusqu’à l’excès le respect de la foi jurée. Quand les Latins, rompant violemment la trêve, recommencent la lutte, il ne croit pas d’abord que leur parjure l’autorise à violer son serment. Sans armes, la tête nue, il veut arrêter les siens qui essaient de se défendre ; et, pendant qu’il les empêche de répondre aux coups de l’ennemi, il est lui-même blessé. Ce qui est encore plus remarquable, c’est que le poète a su lui conserver son humanité et sa douceur jusque dans la scène sanglante de la fin. Là surtout se marque la différence de son caractère et de celui d’Achille. Nous avons le cœur serré, en lisant l’Iliade, des dernières violences du héros grec. Non-seulement il tue Hector sans miséricorde, mais il ne répond à ses touchantes prières qu’en regrettant « de ne pas pouvoir manger sa chair palpitante. » Le pieux Énée, au contraire, se laisse attendrir par les paroles de Turnus. Il allait même lui pardonner lorsqu’il aperçoit le baudrier de Pallas, son jeune ami, que Turnus n’a pas épargné, majoré son âge, et dont il s’est approprié les dépouilles. On comprend qu’à cette vue sa colère se ranime et on lui pardonne de n’écouter qu’un juste ressentiment. Ce n’est pas Énée, c’est Pallas qui se venge et frappe Turnus par la main d’un ami :


Pallas te hoc vulnere, Pallas
Immolat.


Turnus ressemble davantage aux héros d’Homère et c’est sur leur modèle qu’il est fait. Il a pourtant aussi quelques traits qui lui appartiennent et où se marque l’époque de Virgile. Il me semble surtout plus sensible à ce que nous appelons le point d’honneur. Lorsque, trompé par sa sœur qui veut le sauver à tout prix, il a suivi le faux Énée et que la barque où il s’est imprudemment et l’emporte loin de la bataille, sa douleur est vive et il n’y a rien de plus touchant que ses plaintes. « Puissant Jupiter, s’écrie-t-il, m’avez-vous donc jugé digne d’une telle infamie ? Que vont dire de moi tous ces braves gens qui m’ont suivi et que je livre à la mort sans les y accompagner ? Que faire ? Quel abîme assez profond s’ouvrira sous mes pas ? Vous du moins, ô vents, ayez pitié de moi. Entraînez cette barque contre les rochers ; Turnus lui-même vous en conjure. Brisez-la sur ces écueils, où ne puissent jamais plus m’arriver les reproches de mes amis et le cri de mes remords ! » Ne semble-t-il pas qu’on entend certains héros de nos chansons de geste ? C’est le même accent de générosité, la même ardeur chevaleresque, le même souci scrupuleux de l’honneur. Turnus est avant tout occupé de sa réputation ; il ne veut pas que personne puisse l’accuser de félonie, et il aurait pris volontiers pour sa devise ces mots de notre Roland :


Que mauvaise chançun de nus chantet ne seit !


Si j’ai tenu à signaler ces rapports qu’on entrevoit entre l’Enéide et les poèmes du moyen âge, c’est qu’ils me semblent avoir quelque importance. Il est utile de faire voir comment Virgile, qui se rattache si volontiers au passé, donne aussi quelquefois la main à l’avenir ; quand nous savons ce qu’il y a d’ancien et de nouveau chez lui, nous comprenons mieux le rôle qu’il a joué dans l’histoire des lettres. Placé sur la limite de deux âges, et, par une chance heureuse, participant de l’un et de l’autre, il a servi d’intermédiaire entr’eux. C’est par lui que nous abordons l’antiquité ; il nous en donne l’accès, il nous conduit et nous guide vers elle. Entre elle et nous, il forme une sorte de trait d’union ; et, en ce sens, Baillet avait raison de dire « qu’il est le centre de tous les poètes qui ont paru avant et après lui. »

Voilà les réflexions dont je ne pouvais me défendre pendant que j’essayais de me figurer le combat d’Énée et de Turnus dans la plaine de Laurente. Je crains qu’elles ne m’aient entraîné bien loin. Les lecteurs trouveront sans doute que je les ai trop longtemps retenus sur cette plage déserte, à la recherche de villes ignorées dont il ne reste plus de débris. Mais on risque de s’attarder en route quand on voyage avec Virgile, et c’est un compagnon dont on a grand’peine à se séparer.


GASTON BOISSIER.

  1. Voyez la Revue du 1er décembre.
  2. Le seul résultat positif de cette assemblée de l’Olympe, c’est, dans le premier discours de Jupiter, la défense qu’il fait à tous les dieux de s’occuper de la querelle des Troyens et des Latins, et l’engagement qu’il prend, dans le dernier, de ne pas s’en mêler lui-même. Or, dans la suite, ni les dieux, ni Jupiter ne s’interdisent de prendre part, au combat. Je suis donc fort tenté de croire que ce brillant hors-d’œuvre a été composé à part et ajouté par Virgile, en sorte qu’il n’a pas eu le temps de le bien raccorder au reste.
  3. Cette circonstance parait fort invraisemblable à Bonstetten. « Le Tibre, dit-il, n’a jamais roulé de rochers. » J’ajoute que la cavalerie arcadienne ne combat pas sur les bords du Tibre, mais un peu plus loin. De l’endroit où elle se trouve les montagnes sont fort éloignées, et l’eau qui pourrait en couler tomberait dans le stagno di Levante, qui barre la route. Il est donc très difficile de savoir ce que Virgile veut dire dans ce passage.
  4. La conduite que tinrent en cette occasion les gens de Lavinium est racontée par Tite Live d’une manière très piquante. Ils avaient hésité longtemps entre les deux partis. Enfin ils venaient de se décider à envoyer des troupes au secours des Latins ; mais à peine les premiers soldats avaient-ils dépassé la porte qu’on apprit que les Latins avaient été vaincus. Le général, en s’empressant de faire rentrer son monde, ne put s’empêcher de dire : « Voilà un petit voyage qui nous coûtera cher : Pro paulula via magnam mercedem esse Romanis solvendam. » En effet, les Romains punirent durement Lavinium pour l’intention que la ville avait eue de leur nuire.
  5. Gell, dans sa Topography of Rome, fait remarquer certaines analogies de construction entre les ruines de Tor-Paterno et celles qui se trouvent sur la voie Appienne et auxquelles on donne le nom de Roma vecchia. Ces dernières appartiennent à une villa que Commode a possédée et qu’il a fait réparer. L’architecture des deux édifices lui parait être du même temps.
  6. La carte que Gell a placée dans sa Topography of Rome donne à Capocotta une situation tout à fait inexacte.
  7. Voici le titre exact du livre de M. Helblg : das Homerische Epos aus den Denkmälem erläutert.
  8. C’est ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, qu’ayant d’entamer la guerre contre Énée, les Latins ouvrent solennellement le temple de Janus, et qu’ils ont soin de dresser un grand étendard, comme on le faisait à Rome sur le Capitole, dans des circonstances semblables. Ils ne manquent pas non plus de faire prêter serment à ceux qui se présentent pour prendre les armes, tandis que les nouveaux soldats, pour se donner du cœur, frappent de leurs épées sur leurs boucliers. C’est un usage qui était encore pratiqué dans l’armée romaine du temps d’Ammien Marcellin.