Le Passage de Vénus. Résultats des expéditions françaises/1

LE PASSAGE DE VÉNUS

résultats des expéditions françaises.

Les différentes missions astronomiques envoyées par les corps savants des diverses nations du monde pour observer le passage de la planète Vénus devant l’astre du jour ont accompli leur œuvre. Les unes ont été favorisées du ciel, et ont pu prendre leurs mesures au sein d’une atmosphère calme et pure. Les autres ont eu sur leur tête un ciel nuageux qui ne leur a permis d’observer le soleil en temps utile qu’à travers des éclaircies. D’autres, moins favorisés encore, se sont trouvés justement ce jour-là sous un ciel absolument couvert, et même au milieu de la pluie et de la tempête. Mais, en somme, les deux tiers des stations ont été dans de bonnes conditions de réussite, et, grâce surtout à la photographie, ont vu réaliser le but de leur établissement.

On se souvient que les missions françaises étaient au nombre de six, distribuées par moitié sur chaque hémisphère. Nous avons signalé dans un article précédent les dix sept observateurs envoyés dans les différentes stations.

Avant d’arriver à Yokohama, M. et madame Janssen ont failli être victimes d’un épouvantable typhon. Nos lecteurs savent que l’on a eu un instant sur leur sort de vives inquiétudes.

Fig 1.Fig 2.Fig. 3
Appareil photographique de M. Janssen (revolver).

Fig 1. Plaque photographique P. — Fig 2. Coupe et profil. — Fig 3. Détail des pièces séparées.

Dès son arrivée, M. Janssen s’installa rapidement et recommença les essais qu’il avait déjà faits à Paris l’été dernier en vue de l’observation précise des contacts et de la photographie du passage. La journée du 8 décembre se leva, non pas absolument radieuse, car bien des nuages couraient dans le ciel, mais enfin pleine d’espérance pour le résultat du voyage. En effet, l’observation du passage fut complète, et voici les deux premiers télégrammes que M. Janssen envoya immédiatement en France.

1o « Passage observé et contacts obtenus. Belles images avec le télescope sans ligaments. Vénus observée sur la couronne du Soleil. Photographies et plaques. Nuages par intervalles.

« Deux membres de la mission ont fait l’observation avec succès à Kobe. »

2o « Télégramme envoyé hier, passage observé à Nangasaki et Kobe, contacts intérieurs sans ligaments au revolver photographique, quelques nuages pendant le passage. Vénus observée sur la couronne avant le contact, donnant la démonstration de l’existence de l’atmosphère coronale ! »

Cette observation du passage de Vénus devant la couronne solaire qui environne l’astre du jour et qui n’est visible que pendant les éclipses totales de soleil est très-importante, car elle prouve définitivement que cette couronne n’est pas due à un effet de réfraction dans l’atmosphère terrestre, mais appartient au soleil lui-même. L’ingénieux astronome s’était préparé dès l’année dernière à cette constatation. Il y a réussi, et c’est le seul qui y soit parvenu.

La dépêche que nous venons de reproduire parle du revolver photographique. Quel est ce nouvel appareil, dont le nom rappelle peut-être un peu trop l’art funeste et brutal de la balistique. Cet instrument, inventé par M. Janssen et construit par M. Rédier, a pour but de surprendre sur le fait et d’enregistrer, au moment même où elles se produisent, les phases successives et utiles du phénomène. Il se fixe au moyen de la pièce (fig. 1) à l’extrémité oculaire d’une longue lunette en bois servant de chambre noire. Celle-ci est montée sur un chevalet et braquée sur un héliostat ou miroir mû par un mouvement d’horlogerie, afin de suivre le soleil dans sa course.

Nous représentons dans ses détails, de face et de coupe, cet appareil, que son inventeur a appelé revolver photographique.

Fig. 4. — Schéma de l’épreuve photographique du passage de Vénus

Sur un axe commun sont montés :

1o Un disque de cuivre C (fig. 1 et 3), fixé lui-même sur une roue s’engrenant avec le pignon d’un mouvement d’horlogerie M ;

2o Une grande roue R portant une plaque daguerrienne P ou plaque de cuivre argenté, destinée à recevoir les images.

Sur le disque C sont pratiquées douze ouvertures ou guichets F (fig. 1 et 3), également espacés. Ce disque fait son tour complet en dix-huit secondes, tandis que la roue porte-plaque daguerrienne P, bien que recevant, elle aussi, son mouvement circulaire du même mécanisme d’horlogerie, tourne quatre fois moins vite, c’est-à-dire qu’elle opère son tour complet en soixante-douze secondes.

Fig. 5. — Revolver photographique de M. Janssen. — Vue de l’appareil en fonctionnement pendant le passage de Vénus.

Dans une opération photographique, on distingue trois manœuvres : l’ouverture du guichet, la pose et la fermeture du guichet. Les dispositions adoptées par M. Janssen ont pour but d’opérer ces manœuvres automatiquement, rapidement et uniformément. Le disque C est l’obturateur qui ouvre et ferme le guichet, tandis que la plaque P opère la pose, ces trois manœuvres exigent une durée d’une seconde et demie.

La roue porte-plaque R est commandée par un engrenage dit à croix de Malte, qui lui laisse opérer une certaine quantité de sa révolution, puis l’arrête pendant un instant très-court. Cet arrêt se produit au moment où l’une des échancrures F du disque C arrive se placer au foyer de la lunette-chambre noire.

Les autres détails de l’instrument sont les suivants :

Q, carré pour remonter le mouvement d’horlogerie.

F, passage du rayon lumineux et foyer de la lunette.

M, figure 2, embrayage du mouvement d horlogerie avec les roues portant la plaque et l’obturateur photographiques.

T et D, tambours et plaques destinés à clore exactement la chambre photographique.

L, tube de la lunette.

B, axe commun aux principaux organes.

L’appareil fonctionne ou à la main par une manivelle, et dans ce cas on fait désembroyer le mouvement d’horlogerie, ou par le mouvement d’horlogerie disposé lui-même pour communiquer des vitesses différentes.

Un accessoire important, qui n’est pas indiqué dans la figure, fait pointer sur un compteur à secondes et automatiquement le moment précis où se produisent chacune des images.

Quant à la manœuvre de l’appareil, elle est des plus simples. La plaque sensibilisée dans le cabinet noir de l’opérateur est mise en place dans le revolver, et, au signal donné par l’observateur qui, l’œil à la lunette à pied parallactique, est juge du moment favorable, le photographe agit sur un bouton K pour dégager une cheville d’arrêt et, avec elle, le mécanisme d’horlogerie ; celui-ci fonctionne, entraînant tout l’ensemble mobile du revolver. Lorsque la roue R a terminé sa révolution, l’appareil s’arrête de lui même. Pendant cette course d’un tour entier, la plaque sensibilisée a fait quarante-huit poses, a conservé quarante-huit images affectant la forme d’une couronne dentelée.

L’un des bords de la dentelure est droit, tandis que l’autre est légèrement courbe. La ligne droite est produite par l’arête du guichet, la ligne courbe est une portion du disque solaire ; le petit cercle voisin est la planète Vénus, suivant ses différentes positions, soit un peu avant, soit pendant, soit un peu après le contact, comme on peut en suivre les détails sur la figure 4. Comme il se produit dans le passage quatre phases utiles à l’observation du phénomène, c’est-à-dire quatre contacts, l’opération recommence quatre fois, de telle sorte que, le passage terminé, l’opérateur se trouve posséder quatre séries d’images.

Connaissant l’heure exacte du commencement de l’opération photographique, celle de sa fin, par conséquent le temps employé pour obtenir les quarante-huit images, on arrive à se rendre compte de l’heure absolue à laquelle chacune d’elles s’est formée. L’examen attentif de la série de ces images fait reconnaître celle qui représente les deux astres au moment de leur contact.

Le revolver photographique a été adopté par plusieurs stations anglaises. M. Janssen a préféré le procédé Daguerre à la photographie sur papier, à cause de la plus grande netteté de l’image sur plaque argentée. Le résultat a justifié ses préférences, puisque les images obtenues l’ont été sans la production du ligament. N’oublions pas non plus que la seule invention vraiment originale faite à propos de l’observation du passage de Vénus est due à un savant français.

C. Flammarion.

— La fin prochainement. —