Le Parnasse contemporain/1876/Pendant le siège (1)

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 197).



PENDANT LE SIÉGE


Minuit. — La bise mord comme sur l’esplanade
Du château d’Elseneur, pendant la promenade
Que je fais, l’arme au bras, bizarre, dans mon coin.
Je veille sur six cent trente bottes de foin.
Telle est ma fonction à l’heure des doux rêves.
Un petillement sourd de fusillades brèves
Succède, par moments, au silence profond.
Bon. Ce sont nos amis de là-bas qui nous font
Savoir qu’on ne dort pas non plus aux avant-postes
Et que l’on a la langue assez prompte aux ripostes.
Très-bien ! — Pour amuser les descendants des Goths,
Jouez leur donc souvent un air de vos flingots,
Camarades ! — Bravo ! — moi, j’attends la patrouille.
Je porte mon fusil (à piston !) qui se rouille,
Comme un bedeau son Christ oxydé par l’encens.
Je vais de long en large, et je songe, et je sens,
Tandis qu’au loin la guerre à chaque instant fait rage,
La pacifique odeur des meules de fourrage.