Le Parnasse contemporain/1876/Les Deux Îles

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 100).



LES DEUX ILES


J’étais un naufragé qui malgré lui surnage.
Sur une mer de nacre errant comme deux sœurs,
Deux îles m’ont offert leurs abris caresseurs ;
En deux yeux verdoyants j’ai vu ma double image.

Loin des vieux continents par l’angoisse habités,
J’ai vécu tout un soir dans deux mouvantes îles ;
Tout près des ports fleuris de deux chastes asiles,
En deux miroirs j’ai bu comme en deux clairs Léthés.

Tout un soir j’ai goûté dans deux îles désertes
Le calme enchantement des pays ignorés ;
J’ai connu la fraîcheur des repos savourés
Dans deux vierges Édens aux mêmes découvertes.

Tranquille ordonnateur d’un loisir inventif,
J’étais le Robinson de deux îles limpides,
Et j’ai longtemps peuplé de mes œuvres candides
Deux prisons dont j’étais le bienheureux captif.

Les yeux tournés un soir vers deux jeunes prunelles,
Je me suis rajeuni dans leurs berceaux lointains,
Vivant dans deux reflets aux fraternels destins
Comme le double roi de deux îles jumelles.