Le Parnasse contemporain/1876/En Dordogne

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 108-112).
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ALCIDE DUSOLIER





POËMES D’AUTOMNE

EN DORDOGNE

I


En Dordogne, au bas d’un coteau
Et sur le bord d’une rivière,
J’habite un semblant de château,
A peine une gentilhommière.

Rien n’est paisible et retiré
Comme cette chère demeure
Où mes aïeux ont expiré :
Mon destin veuille que j’y meure !

Il est vrai, le toit affaissé
A plus de cent tuiles brisées,
Les créneaux, roulés au fossé,
Ne couronnent plus les croisées,


Et l’on remarque tout d’abord,
Coupant la façade éventrée,
Une lézarde, dont le bord
Verse sur la porte d’entrée

Un flot charmant de ces buissons
Mêlés de fleurs, qui réjouissent
Les vieux murs des nobles maisons
Que les hirondelles choisissent.

Dedans, les meubles vermoulus
Sont piquetés comme écumoires,
Les serrures ne ferment plus,
Il faut étayer les armoires ;

Filant sous les portes, le vent
Fait trembler les tapisseries…
Et les souris montrent souvent
Leur nez aux trous des boiseries.


II


Aussi, les farauds de Paris
Diront le manoir peu sortable,
Et, le lorgnant avec mépris :
« Quel pauvre gîte en cette étable ? »


Qu’ils disent ! Leurs hôtels nouveaux,
Dont on a sculpté chaque pierre,
Qu’on lave, pour les faire beaux,
Quand vient la saison printanière,

N’ont pas l’air accueillant et frais
De nos castels, de nos églises,
Qui sentent des brins de forêts
Pousser dans leurs façades grises !


III


Si mon gîte est peu recherché,
J’ai bon cheval à l’écurie
Pour aller jouer au marché
Ou voir danser à la frairie,

Escorté de mes chiens d’arrêt, —
Qu’on cite à table, après la chasse,
Car, pour le nez et le jarret,
Nul chien au monde ne les passe !

Et qu’ils sont dignes, sérieux,
Quand je leur fais une harangue,
Me répondant avec leurs yeux
Mieux qu’un plaideur avec sa langue !


Qu’on me plaigne ! Dans mes fourrés
J’ai lièvres et lapins ; des bandes
De cailles chantent dans mes prés,
Les perdrix courent dans mes brandes ;

De ma terrasse, s’il fait beau,
Je vois sauter dans la rivière
Les perches roses, à fleur d’eau
Baîllant pour boire la lumière ;

Parfois des touffes de roseaux
Partent sarcelle et bécassine…
Et maintenant, les damoiseaux,
Prenez en pitié ma cuisine !


IV


Je chasse, je pêche, je vais
Tout le jour parmi la verdure,
Ivre de bien-être et de paix,
Me livrant tout à la nature ;

Et las, mais content, à la nuit
J’arrose ma chasse et ma pêche
D’un vin de mes vignes, qui luit
A travers la carafe fraîche ;


Puis, après dîner, m’abîmant
Dans un haut fauteuil à ramages,
Fumant ma pipe lentement,
Comme doivent fumer les sages,

Je rêve… Enfin le hobereau
Monte en son lit à la duchesse,
Où sont peintes sur le rideau
Les amours de quelque déesse.