Le Parnasse contemporain/1869/Rosaire d’amour

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 235-236).




ANDRÉ LEMOYNE

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ROSAIRE D’AMOUR


J’aime tes belles mains longues & paresseuses,
Qui, pareilles au lis, n’ont jamais travaillé,
Mais savent le secret des musiques berceuses
Qui parlent à voix lente au cœur émerveillé. —
J’aime tes belles mains longues & paresseuses.

J’aime tes petits pieds vifs & spirituels,
Petits pieds éloquents de la cheville aux pointes,
Que les saints, oubliant leurs graves rituels,
Pliés sur deux genoux, baiseraient à mains jointes. —
J’aime tes petits pieds vifs & spirituels.

J’aime ta chevelure abondante & houleuse,
Flots noirs en harmonie avec ton cou bistré.
Je crois bien que jamais une main de fileuse
Ne tria d’écheveau si fin & si lustré. —
J’aime ta chevelure abondante & houleuse.


J’aime tes yeux vert-d’eau, j’aime tes yeux songeurs.
Quand je regarde en eux, je pense aux mers profondes
Dont le mystère échappe aux plus hardis plongeurs ;
Je rêve d’un abîme où s’égarent les sondes. —
J’aime tes yeux vert-d’eau, j’aime tes yeux songeurs.

J’aime ta bouche en fleur dont la corolle s’ouvre,
Pur carmin sur un fond de neige éblouissant.
C’est à prendre en pitié tous les trésors du Louvre.
J’aime ta bouche en fleur, fleur de chair, fleur de sang. —
J’aime ta bouche en fleur dont la corolle s’ouvre.



Vous, la belle de nuit & la belle de jour,
Me pardonnerez-vous cette ingrate analyse ?
Si j’ai mal égrené le rosaire d’amour,
C’est qu’un cher souvenir trop capiteux me grise. —
Grâce, belle de nuit ; grâce, belle de jour.