Le Parnasse contemporain/1869/Le Meurtre du reptile

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 322-323).
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LE MEURTRE DU REPTILE


Un matin, le long d’une bruyère
A l’éclat tout vermeil,
J’aperçus une noire vipère
Qui dormait au soleil.
L’animal, entendant mon approche,
Loin de moi se posa ;
Mais soudain de mes doigts une roche
Partit & l’écrasa.
Ah ! me dis-je après le coup terrible,
Fallait-il mettre à mort
Ce serpent qui, bien que très-nuisible,
Ne m’avait fait nul tort ?
Il était capable de morsures
Cruelles, mais sa dent
N’eût usé de ses forces impures
Qu’à son corps défendant.

Je connais des vipères humaines
D’un penchant plus malin :
Celles-là, sans offenses ni peines,
Mordent soir & matin.
Qu’on soit près, qu’on soit loin, hors du monde
Et dans l’ombre perdu,
Faut toujours que leur venin immonde
Sur vous soit répandu.
O serpents, ô gueules malfaisantes,
Vous valez encor mieux
Que ma race & les lèvres pensantes
Du chef-d’œuvre des cieux !