Le Parnasse contemporain/1869/Le Lion

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 85-86).


IV

LE LION


Comme elle était chrétienne & n’avait pas voulu,
Pour de vains dieux d’argile & de bois vermoulu,
Allumer de l’encens ni célébrer des fêtes,
Le préteur ordonna de la livrer aux bêtes ;
Et comme elle était jeune & vierge, & rougissait
Quand l’œil du juge impur sur elle se fixait,
Une clause formelle en l’édit contenue
Précisa qu’au supplice on la livrerait nue.

Nue, & le sein voilé de ses chastes cheveux,
Elle entra dans le cirque.

Elle entra dans le cirque. En quatre bonds nerveux

Un lion, famélique & rugissant de joie,
Jaillit de la carcère & vint flairer la proie.
Le peuple regardait, étrangement jaloux,
Palpiter ce corps blanc près de ce muffle roux,
Et montrait, allumé d’une affreuse luxure,
Des rictus de baiser, peut-être de morsure.
Elle, chaste, tirait ses cheveux sur son sein.

Cependant le lion, instinctif assassin,
Entre-bâillait déjà sa gueule carnassière.

« Lion ! » dit la chrétienne.

« Lion ! » dit la chrétienne. Alors, dans la poussière
On le vit se coucher, doux & silencieux ;
Et, comme elle était nue, il ferma les deux yeux.