Le Parnasse contemporain/1869/Cœnis

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 323-324).


CŒNIS


Dans les bois ténébreux de l’infernal empire
Cœnis traîne à pas lents le poids de ses douleurs ;
Elle passe, revient, & jamais un sourire
De son front abattu n’anime les pâleurs.

Vivante, elle eut l’amour du roi des eaux marines,
Puis trahie, elle obtint de son divin amant
La faveur d’échanger ses grâces féminines
Contre un sexe moins doux & plus fort au tourment.


Jeune homme elle devint, mais, hélas ! son cœur tendre
N’en fut pas plus heureux ; il battit de nouveau
Pour une belle enfant qui ne put point l’entendre,
Adorant elle-même un autre jouvenceau.

Cœnis au désespoir abhorra la lumière
Et résolut de fuir dans la nuit du trépas ;
Et ce fut sous les traits de sa forme première
Que Cœnis descendit aux lieux sombres & bas.

Là, le cœur abreuvé d’amertume profonde,
Elle erre isolément & ne fait que gémir,
Maudissant le destin qui ne la mit au monde
Que pour toujours aimer & toujours en souffrir.

Elle évite toute ombre, &, lorsqu’on la contemple,
Son regard semble dire aux gens du noir séjour :
Laissez en paix Cœnis, le plus complet exemple
Des effroyables jeux du tout-puissant Amour !

Inspiré de Virgile.