Le Parnasse contemporain/1869/À Danton

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 249-250).
◄  Dieu


A DANTON


Chaînes qu’on rompt, prisons qu’on démantelle, grilles
Qu’on arrache ; palais qui s’effondrent, soldats
Et prêtres châtiés ; églises & bastilles
Croulant dans la fumée horrible des combats !

Effarement, clameurs furieuses des lâches
Accroupis sous le pied des tyrans consternés !
Cris des hommes nouveaux se ruant à leurs tâches !
Magnanime rumeur des peuples nouveau-nés !

Au milieu de ces bruits sombres & magnifiques,
Soulevant tout à coup son antique sommeil,
L’esprit ressuscité des grandes républiques
Surgit à l’horizon comme un nouveau soleil.

Et l’espace doré des lueurs qu’il épanche,
Montre, resplendissante en d’étranges clartés,
La Justice, debout, terrible & toute blanche,
Appuyant sur ses flancs ses poings ensanglantés.

Ah ! nous tous, citoyens de la cité future,
Isolés & proscrits dans ces temps abhorrés ;
Nous qui voulons tenter la suprême aventure
De la liberté sainte & des espoirs sacrés ;


Nous, vaincus & raillés, pouvons-nous nous promettre
D’obtenir quelque jour la revanche du sort ?
Ce n’est pas aujourd’hui que nous aurions dû naître :
Notre vie est manquée, & nos destins ont tort.

Nous sommes condamnés, fils des races nouvelles.
Les orgueils du vainqueur ont piétiné nos fronts.
— Plusieurs ont oublié les haines paternelles ;
Nous qui voulons lutter, nous nous en souviendrons !

Nos âmes, renaissant aux audaces sublimes,
Secoûront les langueurs qui nous ont avilis :
Danton, mâle ouvrier des œuvres magnanimes,
Sois le témoin prochain des serments accomplis.

Toi qui tonnais parmi les sections épiques
Roulant les lourds canons dans les bruits des tambours,
Et, du fourmillement formidable des piques,
Hérissais tout à coup les pavés des faubourgs,

Sois présent, comme un dieu terrible, à nos orages !
Ensanglante d’éclairs vengeurs ces vils troupeaux
De lâches qui, l’œil clos & repus de carnages
Lèchent le sang des forts qui rougit leurs couteaux.