Le Parfum des prairies (le Jardin parfumé)/1


CHAPITRE PREMIER

DES BONNES QUALITÉS DES HOMMES


Chez les hommes les qualités qui sont goûtées des femmes, Grand Vizir, que Dieu vous accorde ses bénédictions, sont de différentes natures.

Les hommes ont plusieurs manières d’aimer ; les unes sont agréables, les autres mauvaises.

L’homme qui sera apprécié des femmes est celui dont le zeb sera de bonne dimension, d’une grosseur raisonnable, toujours ferme et solide, et qui restera plus longtemps à faire le doux jeu d’amour que ne le font d’habitude les coqs. Il y a des hommes dont le plaisir est si violent qu’ils se pâment en jouissant, ceux-là sont fort admirés des dames et font leur admiration.

Les femmes désirent un homme vigoureux, toujours en l’air, qui ait le talent de les attendre pour jouir, léger de poitrine et lourd de cuisses, caressant vigoureusement et renaissant bien vite après sa douce mort.

Quand ses forces s’épuisent, il doit promener légèrement sa main du tortouche au zemoucka jusqu’à ce que l’ardeur de la femme lui donne une vie nouvelle ; alors qu’il ferme à fond avec un bon tota l’ouverture de sa maîtresse. Oh ! celui-là sera vraiment chéri des femmes.

Les chanteurs disent ainsi :

J’ai vu des femmes qui apprécient chez l’homme
Les qualités solides et durables ;
Elles aiment celui qui est beau, jeune, riche et fidèle,
Dont la jouissance vient lentement,
Paresseux et doux près de la femme qu’il caresse,
Et dont le corps est léger dans le combat d’amour ;
Qui, à peine désarçonné, remonte en selle ;
Qui salue deux fois sans sortir de chez lui,
Et qui, après ces deux saluts, recouvre sa première vigueur.
Ô créature adorée, je suis l’homme que tu désires,
Je guéris les femmes qui souffrent d’amour
Et je les enchante par ma douce adresse.

Un jour entre les jours, Abd el Malek ben Merouar ayant rencontré la belle Lila, Lila la Sauvage, il lui demanda bien des choses et, entre autres, celle-ci :

— Quelles sont, gracieuse Lila, les distinctions que les femmes aiment à voir chez les hommes ?

— Mon Seigneur, répondit-elle, nous aimons les hommes qui ont les joues comme nos joues.

— Vraiment ! et encore ?

— Ceux qui ont les cheveux comme nos cheveux.

— Ah ! et puis ?

— Ceux qui sont sultans comme toi, les sultans ne sont jamais vieux ; mais les vieux qui ne sont pas sultans ne seront jamais aimés des femmes qui les dédaignent et n’en font aucun cas.

L’homme que la femme aura en considération est celui qui aura douze doigts de zeb, ou trois poignées de main. Le membre le plus mauvais et le dernier de tous n’a que six doigts ou un poing et demi ; il y en a de passables qui ont dix doigts, d’autres moindres qui n’en ont que huit ; mais celui qui a moins de six doigts ou une main et demie, n’est pas un tota, il ne vaut rien, n’en parlons jamais.

Il faut que les amoureux qui couchent ensemble se couvrent d’ambre et musc. Le musc aide à l’amour, donne des forces à l’homme, exalte la femme et fait ouvrir son zouque tout grand pour recevoir le bonheur ; de son côté, le tota est séduit par cette jolie porte qu’il va franchir.

Du reste, il est d’usage chez les amants de se couvrir de parfums.

Histoire de Meslem

Un homme qui s’appelait Meslem, un menteur, que le démon saisisse ! faisait semblant d’être prophète ; il avait même des sectaires parmi ses amis arabes, mais Dieu a puni plus tard lui et ses amis.

Meslem, fils de Kiss, disait que les différents chapitres du nouveau Coran qu’il avait composé lui avaient été dictés par l’Ange Gabriel et il ajoutait que ses pages étaient plus parfaites que celles du sublime Mahomet.

Et de quoi parle-t-il dans son Coran, ce Meslem ? Il y raconte l’histoire d’un éléphant. Que le Seigneur confonde ce misérable ! Il dit qu’il est facile de reconnaître la créature de dieu, que l’on appelle ainsi, à sa queue et à sa grande trompe ; qu’Allah comble de mal ce menteur ! Il nous certifie qu’il changea des pierres en perles fines et qu’il nous fera choisir celles qui tenteront nos yeux ; il dit — l’hypocrite ! — Amenez-moi un homme sans cheveux et je les ferai repousser bien vite en posant mes mains sur sa tête.

Il prétend encore faire venir de l’eau dans un puits sec en y crachant, rendre la vue aux aveugles et faire vivre 500 ans un enfant malade sur lequel il fera des signes.

Il y a des malheureux qui ont vu ce Meslem, qui l’ont entendu parler, qui l’ont cru et qui l’ont suivi.

— Voyez ce que le prophète Mahomet a fait, lui dit un de ses disciples, pourriez-vous le faire aussi ?

— Ma puissance est plus grande encore, répondit le fourbe.

Cet homme a de la haine contre Dieu ; malheur à lui ! S’il met la main sur une tête chevelue, les cheveux tomberont ; s’il crache dans un puits plein d’eau, le puits sèchera ; s’il crache dans un bassin d’eau douce, l’eau deviendra salée ; s’il approche le doigt d’un œil malade, l’œil gonflera et crèvera ; s’il fait des gestes sur un enfant souffrant, l’enfant mourra.

Il y a des hommes qui ont des yeux et qui ne voient pas, ils ont le cœur noir ; c’est la destinée faite par Dieu.

Une femme de distinction, Banny Tzamime, avait écouté toutes les paroles dites sur Meslem.

— Il n’y a pas deux prophètes, s’écria-t-elle devant les gens de la tribu qu’elle commandait. Je veux m’assurer par moi-même des faits que l’on raconte ; j’irai trouver Meslem avec une escorte nombreuse et je verrai bien s’il est imposteur ou réellement prophète.

Cela se passait peu de temps après la mort de Sidna Mahomet.

Banny Tzamime écrit aussitôt une lettre dans laquelle elle grave ces mots : Dieu n’envoie pas deux prophètes dans la même année ; je vais à ta rencontre pour distinguer le vrai du faux. S’il a raison, dit-elle à ceux qui l’entouraient, nous le suivrons.

Alors elle ferma sa missive, la donna à un cavalier et lui dit : Va vite, précède-moi près de celui qu’on nomme le menteur, et remets-lui ceci ; dans peu de temps je te rejoindrai avec ma suite.

Le messager arriva aux tentes de Meslem après un jour et une nuit de marche.

Cependant Banny Tzamime était montée sur un merveilleux cheval, une foule nombreuse et richement équipée l’entourait et tous suivaient le chemin qu’avait pris l’ambassadeur.

Quand le cavalier fut conduit près de Meslem, il le salua jusqu’à terre et lui remit la lettre qui lui avait été confiée.

Meslem la prit, la lut et son trouble montrait l’embarras dans lequel le plongeait la nouvelle qu’il venait de recevoir.

Aussitôt il fit venir devant lui ses disciples un à un et leur demanda un bon conseil ; mais aucun ne put l’aider d’un avis consolant, ce qui le plongea dans une profonde tristesse.

Cependant, un vieillard à barbe blanche fit entendre sa voix parmi la foule. On le fit approcher, alors il dit :

— Meslem, je te veux du bien, Calme-toi, ne sois pas interdit ; je vais, selon ton désir, te tirer du mauvais pas où tu te trouves ; je te donnerai les conseils qu’un père donne à son fils.

— Parle donc, dit le faux prophète.

— Je te dirai la vérité, reprit le vieillard, mais fais exactement ce que tu vas entendre. Demain tu feras dresser une tente superbe à la limite de notre tribu ; mais une tente magnifique, étincelante de mille couleurs ; l’intérieur en sera orné d’étoffes de soie chatoyantes et resplendissant d’or. Ensuite tu y feras brûler les parfums les plus rares et tu t’introduiras à l’intérieur ; continue encore à brûler l’ambre et à répandre les essences ; fais couler à profusion l’eau de rose et de jasmin ; ferme les ouvertures afin que les odeurs se concentrent ; étends-toi sur les coussins et fais entrer la femme qui veut te voir. Alors reste seul avec elle et éloigne les yeux de ta retraite. Quand vous serez ainsi tous deux ensemble, les odeurs délicieuses que tu auras répandues montant au cerveau de la curieuse, elle ne tardera pas à perdre l’esprit, ses os craqueront et le plus grand désir de jouissance s’emparera d’elle. Lorsque tu la verras dans cet état, dis-lui que tu l’aimes, que tu veux la posséder. Si elle te laisse faire, ne crains plus rien d’elle : tu seras éloigné du mal qu’elle te veut et de la haine de ceux qui la suivent.

— Merci, dit alors le menteur, je profiterai de tes avis, et si je réussis, sois assuré de ma reconnaissance éternelle.

Il fit faire tout suivant les conseils du vieux rusé et lorsque Banny Tzamime arriva avec sa troupe, elle fut seule admise en présence de Meslem.

Aux premières paroles de sa visiteuse, il répondit avec des mots doux et bienveillants ; ils causèrent ainsi quelque temps, mais bientôt la belle orgueilleuse se sentit toute tremblante et intimidée devant lui. Et Meslem, pensant que le moment était venu d’agir amoureusement, lui dit alors :

Lève-toi, viens vers moi et ne crains plus,
Je me donne à toi tout entier.
Viens que je te couche à la renverse sur ces coussins,
Ou bien, si tu l’aimes mieux, sur mon lit brillant ;
Si tu le veux, mets-toi sur le ventre,
Ou bien incline ta tête et tes bras vers la terre, comme les Musulmans,
Veux-tu que nous soyons à côté l’un de l’autre, jambes contre jambes,
Viens, et je te rendrai heureuse de toutes ces manières ensemble.

— Ah ! mon prophète ! mon dieu ! s’écria tout à coup Banny Tzamime ; prends-moi, fais de mon corps ce que tu voudras, je t’appartiens.

Meslem se précipite aussitôt dans ses bras ouverts et jouit d’elle quatre fois de suite. Après elle sort de la tente, elle va trouver ses serviteurs qui lui demandent ce qu’elle a vu et ce qu’elle pense.

— Je l’ai lu tout entier, comme il m’a lue lui-même, dit-elle. Je jure que sa manière est bonne et je me déclare de sa religion.

Cependant Meslem vint la demander en mariage aux seigneurs qui formaient son escorte, ce que ceux-ci se gardèrent bien de refuser, mais ils réclamèrent son trésor, comme compensation d’une perte aussi sensible.

— Pour mériter cette fortune, dit le méchant, faites-vous, comme moi, la prière de quatre heures ? Si vous n’en êtes point capables ne réclamez rien, car à celui-là seul qui fait la prière de quatre heures doivent appartenir les richesses de toute nature. Mais savez-vous seulement ce que c’est que cette dévotion-là ?

— Hélas ! oui, répondirent consternés et en se retirant, les anciens amis de Banny Tzamime.

Banny Tzamime est la seule femme prophète citée par notre histoire. Deux vers anciens parlent d’elle, nous les rapportons ici :

Elle s’est faite un matin prophète et nous l’avons entourée ;
Elle était la prophétesse de notre tribu qui l’admirait.

Cependant Meslem, irrité contre les partisans de Sidna Mahomet, le seul grand, voulut faire mettre à mort tous ceux qui habitaient le pays qu’il commandait en souverain. Il remit à Sid ben Retab, un misérable, de grands biens pour assassiner un Marabout nommé Amezah ben Abda Moutalib, qui était le meilleur des hommes.

Mais, plus tard, ce Sid ben Retab occit Meslem à son tour et il attend que Dieu lui pardonne son premier crime. S’il a fait du mal en tuant Amezah ben Abda Moutalib, il a fait du bien en mettant à mort Meslem. Du reste, Sid ben Retab n’était pas musulman lorsqu’il accomplit son premier meurtre, mais il s’est converti après avoir puni le faux prophète de son imposture.

Quand le menteur eut disparu de la terre, Banny Tzamime se repentit. Elle demanda pardon à Dieu, redevint bonne musulmane et se remaria plus tard à un homme de bien.


Histoire du bouffon Baloul

Nous disons d’abord, que pour qu’un homme soit aimé des femmes, il faut que sa mise soit élégante et d’une exquise propreté ; que sa taille ait de la distinction ; qu’il ne mente jamais à sa maîtresse ; qu’il soit franc, généreux ; que son cœur soit ouvert, plein de loyauté et de courage ; il doit être d’une stature élancée, mais forte. Il faut que sa parole soit une, qu’il tienne les promesses qu’il a faites ; qu’il soit constant et fidèle, mais jamais coureur d’aventures.

Nous verrons, dans un instant, l’histoire d’un homme mauvais et rusé.

Du temps que Mahmoud était sultan, ce prince avait un bouffon qui s’appelait Baloul ; ce bouffon avait une grande réputation de drôlerie parmi les hauts seigneurs de la cour.

Un jour que le Sultan, vêtu magnifiquement, était dans la grande salle du palais, il commanda à Baloul de venir s’asseoir à ses côtés, ce que le bouffon s’empressa de faire. Mais Mahmoud, l’injuriant, lui dit :

— Hé ! Baloul, que viens-tu faire ici, fils de cahaba ?

— Je suis venu me prosterner à tes pieds, Sultan que Dieu bénisse !

Le prince reprit :

— L’on m’a dit que tu as deux femmes ; à quoi bon ce luxe ? Préfères-tu la dernière à la première ?

— J’aime mieux l’ancienne, dit Baloul, avec elle seule j’ai du bonheur ; la nouvelle ne me procure aucun plaisir :

— Eh ! pourquoi ?

— Parce qu’elle n’est pas riche.

— Tu crains donc la pauvreté, bouffon ? Dis-nous cela.

Alors Baloul chanta :

Je suis pauvre et je serai toujours pauvre,
Je suis pauvre à faire pitié ;
Je suis pauvre et le monde fuit ma misère,
Je suis pauvre et n’ai plus d’amis.
Je suis pauvre et prie Dieu d’être seul aussi malheureux ;
Je suis pauvre et honteux de mon dénûment,
Je suis pauvre et m’y habitue comme ma chemise fait à ma peau ;
Je suis pauvre et vais abandonner ma maison et la laisser seule.

— Tu veux quitter ta maison, reprit le Sultan, et où veux-tu donc aller ?

— Je veux aller chez Dieu, chez le prophète, ou chez toi, Sultan.

— Bien répondu, Baloul, celui qui demandera l’hospitalité à Dieu, au prophète ou au Sultan, sera toujours le bienvenu. Mais tu parlais tout à l’heure de tes femmes ; raconte-nous ce que tu as dit aux juges qui te demandaient des explications sur ce double mariage. Il me semble que nous avons entendu dire quelques mots de cette histoire.

Alors Baloul :

J’ai épousé deux femmes parce que je suis un grand sot ;
Un homme qui prend deux femmes a vraiment trop à faire.
J’étais entre elles comme un agneau,
Je fus d’abord très heureux entre ces deux brebis ;
Mais les brebis ont bientôt parlé et agi.
Alors j’ai souffert comme un mouton entre les griffes d’un chacal,
Donnant à chacune tour à tour une nuit
Où de dépit j’aurais voulu que le diable m’emportât.
J’aime assez l’une, mais l’autre… que le tonnerre l’écrase !
Quand finira cette fatigante comédie,
Je serai libre et prince de ma tête
Et j’aurai mon cœur à moi dans mes deux mains ;
Je vivrai seul et mourrai tranquille.
Une seule femme suffit pour damner une armée !

Le Sultan ayant entendu cette singulière poésie, se prit à rire et tomba de joie à la renverse. Quand il eut repris ses sens il donna à Baloul une bourse bien garnie et une robe en étoffe d’or si brillante qu’il était impossible de la fixer. Il le nomma, en même temps, non seulement Vizir, mais Grand Vizir, tant sa satisfaction était grande. Puis ayant été congédié, le bouffon rentra dans sa maison portant sur ses épaules son cadeau magnifique.

La femme du ministre, qui se trouvait par hasard à sa fenêtre, fut éblouie à la vue de Baloul, étincelant comme le soleil, et se tournant du côté de sa négresse, qui se tenait debout derrière elle, elle lui dit :

— Est-ce bien le bouffon du Sultan, que j’aperçois si splendidement vêtu ? Comment a-t-il fait pour avoir cette merveille ?

— Voulez-vous me permettre, Madame, dit la négresse, de lui demander pour vous sa robe ?

— J’y consens, mais emploie avec lui des paroles de miel pour le séduire en ma faveur.

— Je ferai ce que je pourrai, mais cet homme est fin et habile, il est savant à se venger en se moquant de ceux qui rient de lui. Nous ferions peut-être bien de le laisser tranquille, à moins que vous ne vous chargiez vous-même de la séduction.

— Va le chercher, répondit la dame.

La négresse partit et ayant trouvé Baloul :

— Ma dame te demande, lui dit-elle.

— Réponds à ta maîtresse que je vais immédiatement me rendre à ses ordres.

Le bouffon se leva et se rendit bien vite chez la dame, à laquelle il baisa les mains en arrivant.

— Ah ! te voilà donc enfin ! Ne veux-tu pas entendre une chanson ? dit la femme du ministre, dont la réputation de chanteuse s’étendait dans tout l’empire.

— Certes, avec bonheur, dit Baloul.

— Je vais donc te satisfaire, mais après les chansons tu voudras peut-être encore autre chose ?

— C’est possible, dit le bouffon.

Alors elle chanta avec une voix admirable de fraîcheur et de jeunesse. Quand elle eut terminé elle fit apporter à Baloul des gâteaux sucrés, des confitures et d’excellent vin ; et le gourmand se mit à manger comme un glouton.

— Baloul, lui disait la dame, plus je te regarde, plus je suis sûre d’avoir compris ta pensée ; je gage que tu veux m’offrir la robe que tu as sur toi.

— Peut-être, mais viens près de moi du côté droit. Maintenant je te préviens que je ne donnerai ma robe qu’à la femme à laquelle je ferai çà.

— Qu’est-ce que tu lui feras, Baloul ?

— Je lui ferai ce qu’un homme fait à sa femme.

— Est-ce que tu sauras le faire, Baloul ?

— Comment, si je saurais le faire ? Depuis mes jeunes ans je connais les femmes et je fais l’amour avec elles ; je sais très bien comment elles sont faites, je les connais dans leurs détails les plus intimes ; je sais leurs baisers brûlants et jusqu’à la façon dont arrive leur dem. Nul mieux que moi ne les apprécie à leur juste valeur et je l’ai payée largement ce qu’elles valent.

Et cette femme était l’épouse chérie d’un ministre, elle était charmante et pleine d’esprit ; elle avait une taille mince et élancée, une grâce infinie. Aucune n’était aussi blanche et aussi belle. Un grand de la terre serait devenu son esclave et l’aurait servie à genoux. En la regardant les yeux éblouis se remplissaient de larmes et ceux qui la voyaient perdaient la raison ; la seule vue d’une de ses mains en avait rendu plusieurs fous d’amour. Et Baloul ne l’aimait pas.

Il sortit dédaigneusement sans rien dire, laissant la dame, qui ne se sentant pas encore vaincue, l’envoya chercher quelques jours après ; mais il refusa de venir, il craignait de perdre son cœur comme les autres.

Cependant à un nouvel appel, il ne résiste plus, il se rend auprès d’elle, s’assied à son côté et commence à causer.

Quelquefois ses yeux s’arrêtent sur son doux visage ; puis son regard s’abaisse vers la terre ; il sent son cœur lui échapper. Elle voit son trouble et lui demande enfin la robe d’or ; mais lui, de son côté, la prie pour son zouque.

— Que me demandes-tu là, s’écria-t-elle ?

— Te niquer, Mahima.

— Comment, Baloul, mais tu ne saurais pas t’y prendre.

— Moi, ma dame, mais je croyais vous avoir dit déjà que je connais l’amour depuis que Dieu m’a mis au monde, et je pense même qu’il a créé les femmes un peu pour moi, car personne n’est plus sensible à leurs charmes. Il y a des hommes qui ne s’inquiètent durant leur existence que des soucis de leur triste vie, tandis que moi je ne m’occupe que de la passion de mon âme qui est tout entière aux dames qui sont brillantes et belles comme des autruches. Mon esprit songe sans cesse à soulager les cœurs souffrants et à guérir les zouques malades qui font éprouver des démangeaisons à leurs maîtresses et j’ai justement, pour cet usage, un instrument gros et long qui leur sied à ravir.

— Que dis-tu, Baloul ? Je ne te comprends guère ; parle-tu folie ou raison ?

— Je parle sagement, dit Baloul.

— Alors répète afin que j’entende mieux.

Baloul chanta :

Le monde n’est pour moi que fumée,
Le plaisir ne peut venir que de toi !
Mon âme est folle de joie quand mes yeux ont l’orgueil de te voir
Et de mon être ne s’exhale que joie et chansons.
Maintenant tout ne m’est plus rien ;
Les gerbes d’étoiles d’or dans le ciel, les terres immenses de l’Arabie,
S’évanouissent devant mon ardent amour.
Je t’aime, ô la plus belle créature de Dieu !
Il y a si longtemps que je suis privé de l’étreinte d’une femme,
Et que mon cœur souffre du vide qui l’entoure.
Le moment d’être heureux est-il enfin arrivé ?
Je sens mon zeb qui se lève bouillant d’ardeur,
Et le désir qui s’empare de mes sens lui donne un balancement nerveux ;

Tayny (mes yeux), toi qui es sublime de beauté et de grâce,
Guéris mon cœur de la torture qui l’obsède,
Et cesse de me cacher les trésors de ton corps.
Regarde comme je tremble devant toi,
Ne me chasse pas, mais partage mon délire ;
Fais de moi ton esclave et rends-moi heureux.
Je ne suis pas trompeur, lis dans mon âme ;
Approche-toi de moi, ne t’éloignes pas ainsi,
Viens calmer la fièvre qui me tue ;
Viens et restons seuls dans l’immensité des mondes,
Viens, que je te fasse vivre et laisse là la honte.
Que crains-tu ? Je suis discret comme la mort,
Je serai tout à toi comme toi toute à moi ;
Je te suivrai partout, tu seras ma maîtresse souveraine ;
Et laisse là de vaines frayeurs.
Ma bouche sera à jamais close,
Et Dieu seul connaîtra nos amours.
Viens ! Viens ! Je t’aime, je meurs !

À peine la femme du ministre eut-elle entendu cette chanson qu’elle se sentit toute émue. Elle vit le membre de Baloul dressé comme une colonne, alors elle se mit à réfléchir se disant à elle-même : Ferai-je cela, ou ne le ferai-je pas ?… Mais un désir passionné se glissant entre ses deux cuisses et le diable s’introduisant dans son pertuis, elle se sentit mûre et trouva délicieux de se livrer à lui ; pensant du reste que si Baloul racontait son aventure, personne ne le croirait. Alors elle lui dit :

— Ôte tes habits et entre dans ma chambre, je vais me parer pour toi.

Mais Baloul impatient s’écrie :

— Quand mon zeb se rassasiera-t-il donc de toi, ô femme divine ?

À ces mots elle se lève, frémissante de désirs, et dénouant sa ceinture, elle s’avance vers son appartement réservé, suivie du bouffon étonné qui se dit : Grand dieu ! Est-ce un rêve ou une réalité ?

Cependant la femme du ministre arriva près de son lit de soie, ruisselante de sueur, elle se retourna vers Baloul, l’entoura de ses bras, et se renversa sur les tapis comme un palmier qui tombe. Ses vêtements étaient relevés sur ses jambes, le sang coulait comme du feu sous sa peau nacrée et le bouffon eut bientôt dans ses mains tout ce que Dieu peut donner à une créature humaine.

Il se mit alors à examiner ce chef-d’œuvre, et il vit un ventre blanc comme un dôme de mosquée, un nombril bombé comme une coupe élégante ; puis il regarda plus bas et se trouva en face d’une créature terrible qui, tout d’abord, lui causa une grande frayeur. Mais peu à peu il reprit courage et, subjugué par cette figure qu’il redoutait quelques instants auparavant, il se prit à l’embrasser jusqu’à ce que sa maîtresse perdît ses sens.

Cependant un léger balancement de son corps et des soubresauts nerveux montraient que la vie ne s’était pas retirée de ses chairs d’ivoire.

Baboul l’appelle :

— Qu’as-tu, dit-il, ma bien-aimée ? Reviens à toi.

— Va-t-en, méchant ! (bon cahaba), répondit-elle, je suis comme un cavalier démonté par un cheval fougueux ; tes paroles m’ont séduite, comme elles séduiraient toutes les femmes, même les plus honnêtes. Tes chansons m’ont rendue folle, j’ai soif d’amour. Prends-moi, je veux être à toi ; mais dépêche, le soir va venir, je crains la rentrée de mon mari ; et pourtant le moment de jouir est arrivé.

— Hélas ! reprit Baloul, qui avait son projet, je crains bien de n’avoir plus d’eau pour faire l’amour avec toi ; mais viens sur ma poitrine et fais ce que tu voudras.

Il était couché sur le dos dans la position que prend la femme avec un homme, et son tota debout était raide comme un bâton. Alors elle se jeta sur lui, le saisit dans sa main, l’examina avec bonheur ; et elle était toute surprise de le voir si long, si gros, si large et si solide.

— Voilà donc, disait-elle dans son cœur, l’objet qui séduit tant de femmes et qu’elles convoitent si ardemment. Ô Baloul, qu’ai-je vu de plus magnifique que ce zeb !

Puis s’étendant sur le bouffon, elle plaça elle-même son membre dans son zouque, et, avec ses doigts, elle sentit si tout était bien entré. Alors éprouvant un bonheur immense dans tout son corps, elle s’écria :

— Oh ! ce sont de méchantes femmes, celles qui résistent à de pareilles joies !

En disant cela elle se soulève et s’abaisse sur Baloul, elle balance son corps de droite à gauche, monte et redescend en collant sa chair à celle de son amant, jusqu’à l’instant où, tous deux perdant l’esprit, restent pâmés dans une jouissance infinie.

Puis, après un instant, elle se leva, prit dans sa main le tota toujours raide de Baloul, et le regardant, elle disait :

— C’est ainsi que devraient être faits tous les hommes.

Alors elle l’essuya avec un linge fin. Mais le bouffon, se levant, déclara qu’il se retirait, la nuit était venue.

— Vous me laissez votre habit ? dit la dame.

— Je m’en garderais bien, dit le rusé, car ce n’est pas moi qui vous ai prise, mais bien vous qui m’avez séduit.

— C’est pourtant toi qui m’as entraînée, dit-elle ; et n’as-tu pas choisi la position, étendu sur ton dos, refusant de venir sur moi ?

— C’est possible, répondit Baloul, mais c’est toi qui as demandé à faire l’amour et qui as bien voulu te charger du soin de mon bonheur. Mais laisse-moi à mon tour te posséder et je laisserai ma robe de tes mains.

— Qu’il soit fait suivant ton désir, pensa la femme du Vizir, et cette fois l’étoffe brillante sera bien à moi.

Alors elle s’étendit sur son lit aux mille couleurs, comme un étendard déployé ; mais le méchant, se mettant près d’elle, lui déclara qu’il n’entreprendrait rien jusqu’à ce qu’elle fût complètement deshabillée et mise à nu, ce qu’elle fit aussitôt. Et le bouffon resta tout ébloui des beautés de ce corps de marbre ; il regarda avec passion tant de perfections, détaillant chaque contour avec complaisance ; mais arrivé un peu bas et vers l’endroit où se trouve le zouque, il se mit à embrasser et à mordre avec tant d’ardeur que la pauvre femme poussait tout à la fois des cris de douleur et de plaisir ; enfin lorsqu’elle fut arrivée au paroxysme de la jouissance ; Baloul se jeta sur elle, la serrant de toute sa force ; tous deux s’agitèrent en formant des courbes harmonieuses, puis ils crurent trouver le ciel.

Après un moment le fou se leva pour se retirer.

— Tu me laisses la robe ? demanda la femme du ministre.

— Pas encore, répondit son amant, tu ne l’as pas payée.

Alors la malheureuse s’écria :

— Je croyais avoir trop fait déjà pour la mériter.

— Écoute, dit le bouffon ; la première fois tu m’as pris, la seconde tu as été à moi, nous sommes quittes. Mais si tu consens à une troisième épreuve, t’ayant possédée deux fois contre une, je n’aurai plus rien à dire et je laisserai mon royal cadeau entre tes mains.

Alors elle se coucha tristement, en disant :

— Prends-moi.

Et Baloul revint à un furieux assaut ; puis abîmé de fatigue et de plaisir, il quitta la pauvre femme du Vizir, gisante sur les coussins, laissant à ses pieds la robe d’or qu’elle avait si chèrement payée.

À peine le bouffon fut-il parti que la négresse entra dans la chambre de sa maîtresse :

— Ne t’avais-je pas dit, ma dame, que ce fol est plus rusé que nous tous et qu’il se moque de ceux qui croient rire de lui ? Je te jure qu’il connaît le monde et qu’il le méprise.

— Tais-toi, interrompit la femme du ministre, laisse-moi en repos ; la chose est accomplie. Sur tous les zouques sont écrits les noms de ceux qui doivent les niquer, qu’ils veuillent ou qu’ils ne veuillent pas. Si le nom de Baloul n’était pas sur moi, il ne m’aurait jamais eue ; il en est ainsi de tous. Un homme bien plus beau que ce bouffon, possesseur des trésors les plus rares, me prierait en vain à genoux si son nom n’est pas sur mon zouque. La fatalité est forte !

Pendant qu’elles parlaient ensemble, elles entendirent frapper à la porte.

— Qui est là ? cria la négresse.

— Baboul, répondit-on.

La femme du Vizir pâlit et chancela.

— Que veux-tu ? demanda-t-elle, par le petit trou rond qui sert de croisée.

— Je veux boire un peu d’eau.

Alors la négresse porta au bouffon de l’eau dans une tasse de terre.

Il but et lâcha le vase qui se brisa sur le seuil de la porte que l’esclave referma bien vite. Mais le fol, restant assis à l’extérieur, se mit à pleurer jusqu’au moment où le Vizir vint pour rentrer chez lui.

— Que fais tu là, bouffon ? lui dit-il.

— Écoute ma peine, grand Vizir, que dieu t’accorde ses bienfaits ! Je passais devant ta maison hospitalière ; altéré d’une soif fièvreuse, je frappe et demande à boire ; ton esclave est venue m’ouvrir et m’a donné de l’eau dans une tasse dont tu vois là les débris : la coupe s’est échappée de ma main. Ta femme est venue, furieuse, et elle s’est emparée de la robe du Sultan en disant : Cela paiera ma tasse !

La malheureuse, entendant ce qui se disait à la porte, s’approcha, ne pouvant croire à tant d’audace.

— Méchante ! lui dit son mari, pourquoi prends-tu une robe d’or pour le paiement d’un vase de terre ?

Et la pauvre femme, tordant ses deux mains, disait à Baloul :

— Est-ce ainsi que tu agis avec moi ?

— Chez toi, j’étais fol, lui dit le misérable, mais à ta porte je suis sage.

La femme désolée du ministre ayant rendu au bouffon l’étoffe étincelante, chacun rentra chez soi.

Ainsi finit l’histoire de Baloul.