Louis-Michaud (p. 157-159).

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Une Lettre — Un Câblogramme


Lettre du duc d’Agnès à M. Le Tellier.
( pièce 397)
9 juin 1912.
40, Avenue Montaigne.

Cher Monsieur,


Il y a aujourd’hui un mois, jour pour jour, que j’ai quitté Mirastel, vous laissant tous si désolés. J’ai beaucoup travaillé depuis lors ; mais ce n’est que d’hier que j’éprouve assez d’espérance pour avoir enfin le courage de vous le confier.

Assurément, je ne suis pas sans inquiétude au sujet de ce dirigeable légendaire que Maxime a vu dans le brouillard, me dites-vous, et qui semble se passer d’aéronautes. Votre description m’a fait penser tout de suite aux torpilles télémécaniques, ces petits véhicules de catastrophes qu’on est parvenu à diriger de loin, sans fil. Pourquoi, en effet, n’y aurait-il pas des ballons analogues, dont les différents mécanismes seraient commandés à distance, par un capitaine insoupçonnable ?… Voilà qui compliquerait notre tâche ! Car, en admettant que nous puissions nous emparer de ce ballon désert, quelles indications résulteraient pour nous d’une telle prise quant au domicile et à la personnalité des Sarvants ?

Heureusement, rien n’est sûr. Et d’ailleurs, l’engin que nous allons fabriquer — notre aéroplane de chasse — sera, j’espère, des plus remarquables.

Hélas ! ce n’est encore qu’une espérance ! Cependant, voici :

Hier, mon chef de construction, le pilote Bachmès, s’est abouché avec un ingénieur qui prétend avoir découvert un moteur fonctionnant par l’électricité atmosphérique… Capter le potentiel de la nature, puiser la toute-puissance des volts à même sa grande source, c’est la chimère depuis longtemps poursuivie, vous le savez ; c’est la dépense abaissée à presque zéro ; c’est la machinerie réduite à un poids négligeable ; c’est surtout la vitesse miraculeuse.

Si l’invention n’est pas une flibusterie, si vraiment il suffit, pour faire tourner une hélice, de caler sur son axe un transformateur de courant, — nous achetons le brevet. Et nous construisons sur-le-champ.

Ce sera vite fait, je pense… Mais « vite » ! Qu’est-ce qui est vite lorsqu’on est anxieux !… Que deviennent les disparus ?… Trente-quatre Jours !… Où est Mademoiselle Marie-Thérèse ?… Ah ! cher Monsieur, comme je voudrais être à mon poste de vedette aérienne, et savoir où, comment, qui et pourquoi !

L’attente : quelle chose terrible ! Je passe mes journées aux ateliers de Bois-Colombes… En ai-je fait d’inutiles expériences !… Et rester là ! piétiner, avec la conscience du temps perdu !… Le croirez-vous ? j’envie parfois le sort de Tiburce ! Lui, au moins, possède un but précis, pour vain que soit ce but, et s’emploie sans cesse à l’atteindre. Il a le soulagement de l’action… Mais la cruelle déconvenue qu’il se prépare, l’entêté ! — Je vous adresse ci-inclus un câblogramme de lui, que je viens de recevoir. Ce n’est pas les premières nouvelles qu’il m’envoie. Il m’a déjà expédié un marconigramme, en plein Océan, le lendemain de son départ et simplement pour me l’annoncer. Depuis, je n’avais rien reçu. Tant de niaiseries en si peu de mots, peut-être cela vous plongera-t-il dans un étonnement qui vous fera oublier, une seconde, la précarité de notre situation. C’est, par malheur, le seul avantage que nous puissions retirer de la dépêche ci-jointe.

Je vous prie, cher Monsieur, de vouloir bien faire agréer à Madame Le Tellier et à… Etc.

François d’Agnès.

P.-S. — Une effervescence considérable règne dans tous les chantiers de constructions aériennes. Dans ceux de l’État notamment. On y cherche l’appareil approprié à cette nouvelle destination : la poursuite d’aviateurs insaisissables par leur rapidité. Cependant, on prête à certains le projet insensé de partir en reconnaissance au-dessus du Bugey avec les appareils actuels, tout à fait insuffisants. On cite Santos-Dumont en dirigeable, de la Vaulx en sphérique, Farman sur son biplan, Latham sur Antoinette et Beaumont sur Blériot. On en cite bien d’autres encore…

Nous ferons mieux que tout cela. Patience et bon courage.

F. A.
Câblogramme de Tiburce au duc d’Agnès.
(pièce 398)
San-Francisco — 6 juin 1912.

Tout bien. — Pas encore rattrapé H[atkins]. Mais suis certain M[arie] T[hérèse] avec lui. Car ai appris H. accompagné seulement par hommes. Travestissement. Stratagème grossier, prévu. — D’ailleurs, calculs indiscutables prouvent M.-T. avec H. ainsi que les H[enri] M[onbardeau]. — Fait nouveau : évidemment ils le suivent de bon gré. Pourquoi ? Mystère. L’éclaircirai bientôt. — Sont partis pour Nagasaki. M’embarque ce soir pour Japon. — Leur précipitation suspecte. — Vos stupides histoires Sarvants venues jusqu’ici. Font sourire San-Francisco. — Respectueux hommages sœur. — Tiburce.