Le Père Duchesne (n°94)

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Je ſuis le véritable pere Ducheſne, foutre !


Grande Joie
DU
PERE DUCHESNE,
De voir reſter les Gardes-Françaiſes & la Troupe ; du Centre dans Paris, ſa grande diſpute & ſon grand combat avec le bougre d’épicier de malheur qui étoit la cauſe de leur départ.
Déſolation des Miniſtres d’être obligés de rengaîner leurs projets de contre-révolution, & de ne pouvoir pas envoyer nos braves Camarades à la gueule du canon des émigrans.



Il en aura menti, le bougre de marchand de poivre, malgré lui, malgré ſon foutu coq, les braves gardes françaiſes, reſteront au milieu de nous. Déjà la clique des endormeurs triomphoit, ils avoient précipité l’organiſation des régiments où nos lurons doivent être incorporés. Déjà, foutre, une partie alloit être envoyée aux frontières, puis, va t’en voir s’ils viennent jean, on vous les auroit foutu à la gueullé du canon des émigrans ; & crac, un beau matin un courrier dépêché tout exprès par Mirabeau Tonneau ſeroit venu annoncer à la femme du Roi cette bonne nouvelle, en apportant les mouſtaches de ces bougres à poil. C’eſt alors, foutre, qu’elle auroit pris ſon café, & qu’elle ſe ſeroit félicité d’être vengée de ceux qui ſont la cauſe qu’elle a mis les pouces.

Ce n’eſt pas, foutre, que nos camarades de la troupe du centre aient peur ; perſonne, foutre, ne ſaura mieux qu’eux, s’il le faut, ſe donner un coup de peigne ; mais s’ils doivent combattre pour la liberté, ce ſera dans le lieu même où ils l’ont conquiſe au milieu de leurs freres de Paris.

L’infernale cabale des quatre jean-foutres qui ont réſolu d’anéantir la conſtitution, ne s’attendoit pas à ce coup de tems. L’aſſemblée nationale a reluqué ſon jeu, elle a vu les cartes, &, foutre, elle a dit : quatorze de valets en vaut pas une pipe de tabac. Quelle joie ! quel plaiſir ! j’aurai donc encore le plaiſir de voir ces ſoldats citoyens qui ont marché à notre tête à la conquête de la baſtille ; quand je me foutrai en ribotte, & que je recontrerai à Vaugirard ou à la nouvelle france un de ces gardes-françoiſes, je lui dirai, foutre, camarade soyez de notre écot. Nous nous en foutrons encore des pilles, en buvant à la santé de la Nation. Nous racontrons tout ce qui s’eſt paſſé, la prise de la Baſtille, les travaux du Champ-de-Mars, la Fédération. Ah, foutre, comme de pareils souvenir trémouſſent l’ame.

Quel infernal jean-foutre avoit donc formé le projet de nous separer de nos amis ? Quel tems encore choiſiſſoit-t-on ? Celui, foutre, de la plus grande secouſſe. Car, foutre, ne nous y fions pas, le plus grand danger n’eſt pas encore paſſé. La guerre civile eſt alumée preſque dans tous ſes départemens ; des milliers de scélérats ſont cachés dans Paris, pour fondre au ſignal, comme des chiens de combat sur les bons citoyens & on attendoit pour ce coup de jarnac, que le départ de la troupe du centre.

Quoique ça, foutre, ce décret la n’eſt pas encore tel que je l’aurois deſiré ; j’aurois voulu que la garde nationale fut toujours reſtée telle qu’elle a été formée au commencement de la révolution & qu’il n’y eut point de difference entre l’habit des citoyens & celui de la garde soldée. ça jurera, suivant-moi devoir vêtus en cul blancs ceux qui ont tant honoré l’habit bleue ; mais le tu autem étoit de les empêcher de foutre le camp. Ce n’eſt pas ſans beaucoup de peine, foutre, & que j’ai vu le moment où le brave Couthon qui avoit fait la motion à l’aſſemblée de les conſerver alloit être obligé de rengainer ſon décret. C’eſt un brave bougre celui-là. Oui, foutre, c’eſt Péthion tout craché ; il lui manque des jambes, mais, foutre il a une ame, un cœur & un eſprit qui comptent !

Voilà-t-il pas que déjà le petit foutriquet de Lameth veut commencer ſes fredaines. Il a eu beau remuer de cul & de tête pour empêcher le décret de paſſer, il s’eſt battu la tête contre un mur, le décret a paſſé malgré lui & les endormeurs, & Madame Capet aura beau dire que la vue d’un Garde-Françaiſes lui fout la colique, on paſſera à l’ordre du jour ſur ſa motion.

J’ai voulu me procurer le plaiſir de voir la mine de certains bougres à cette occaſion, j’ai été en conſéquence demander un poiſſon de rogôme chez l’épicier de la rue de la Verrerie : c’eſt pour le pere Duheſne, foutre, je dis à pleine voix, donnez-moi du bon. À ce mot, foutre, je vois s’ouvrir les deux battans de l’arriere boutique, & un bougre de camard s’avance vers moi, me prend par le bras, & me conduit au coin de ſon feu. C’eſt donc vous, me dit-il qu’on nomme le pere Ducheſne ? oui, foutre, c’eſt moi eſt-ce que cela vous fout des empoules au derrière ? parbleu, je ſuis charmé de vous connoître, je lis ſouvent vos feuilles, il y a du bon mais elles ſont par trop incendiaires… qui dit cela, foutre, tous les honnêtes gens, pere Ducheſne. Moi, foutre, je dis qu’il n’y a que des coquins qui penſent ainſi. Pere Ducheſne, ſeriez-vous charmé de faire votre fortune, à ce mot, foutre, je dis en moi-même, il faut ſavoir ce que ce bougre-là a dans l’ame, diſſimulons. Pourquoi pas, lui répondis-je ? Eh bien, pere Ducheſne, rien n’eſt plus facile, mais de la discrétion. Ah, foutre, ſoyez tranquile ; écoutez-moi, pere Ducheſne, vos joies, vos coleres, ſont lues de tous les citoyens, particulierement de ce que nous appelons le peuple ; il vous eſt facile d’y donner une tournure là…… Un peu ariſtocratique, vous m’entendez, plus d’un de vos confreres n’a pas eu à ſe repentir d’avoir ſuivi mes conſeils, l’aſſemblée nationale vient de rendre un décret qui m’indigne & qui détruiront l’ouvrage que j’avois fait, que j’avois promis a Sa Majeſté à monſeigneur le miniſtre, de les débaraſſer de cette maudite troupe du centre, qui n’a pas voulu tirer un ſeul coup de fuſil au champ de Mars. je voudrois que vous me faſſiez une grande colere contre ce décret ; mais une colere capable de ſoulevez le fauxbourg S. Antoine, en diſant par exemple, que les Gardes Françaiſes ſont des factieux qui veulent détruite la conſtitution, alors nous payerions quelques mouchards pour leur jetter des pierres, ils ſe défendroient on crieroit à la révolte, auſſi-tôt le drapeau rouge déployé puis, la mouſquetterie & le canon chargé a misraille. Vous m’entendez bien…. Oui, foutre, je te reconnois bien là, foutu marchand de loi martiale, à qui crois-tu donc avoir à faire, infâme coquin ? Pere Ducheſne ne vous fâchez pas, nous allons boire un coup emſemble. Nenni pas, tu me foutrois de t’on opiom national ; apprends, foutre, que je ne suis venu ici que pour me foutre de toi, que pour te donner cent moules de gand fier ta face de tartare. J’ai voulu connoître t’on ame de bouc. Vas, fourbe, tu es démaſqué, c’eſt envain que ta foutue caballe veut te faire Maire on procureur-ſyndic, prie le ciel de n’être pas élevé à ces dignités. Le tems de la juſtice n’eſt pas éloigné, & tu pourrois bientôt faire le ſaut au coin de la rue du Mouton. Nous connoiſſons toutes les manigances, nous ſavons que la nouvelle des colonies eſt de ta fabrique, & que tu l’a répandue pour faire renchérir ton ſucre & ton épice. Nous ſavons, foutre, que vous êtes une compagnie de filoux qui occaparez toutes les denrées & toutes les marchandiſes pour nous les vendre au poids de l’or, frémiſſez, coquins ; à ce mot, foutre, le marchand de beure appele tous ſes commis, tous ſes pileurs, & dit que je l’inſulte, & ſi je n’avois pas eu une bonne paire de piſtolets dans ma ceinture, j’étois foutu. A coups de ſouliers, à coup de poing je foutis en déroute toute cette canaille, je renverſai les paſtilles à la reine, les bonbons au dauphin & l’élexir-royal, & je m’en allai au cabaret voiſin m’en foutre une pille en réjouiſſance de ce que nos braves bougres de la troupe du centre reſtent dans Paris.




De l’Imprimerie de TREMBLAY, rue Basse S. Denis, n. 11