Le Père Duchesne (n°24)

Ce document est un des numéros du Père Duchesne.
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Je ſuis le véritable pere Ducheſne, foutre !


Grande Colère
DU
PERE DUCHESNE,
Au ſujet d’une nouvelle Fabrique de poignard à l’Italienne, pour égorger les patriotes.




Ah, foutre, je l’avois bien dit, que le fanatiſme n’étoit qu’abattu, & non pas anéanti, il fait tous ſes efforts pour ſe relever, & ſi nous n’y prenons garde, il nous égorgera ſans pitié. O monſtres, ſortis de l’enfer, puiſſiez-vous retourner ſervir votre maître, & eprouver des ſupplices qui ne ſeront jamais aſſez cruels pour punir les crimes que vous avez imaginé dans votre vengeance diabolique ! comment, foutre, dans un ſiecle de phyloſophie, il ſe trouvera encore des hommes aſſez barbares pour égorger leurs ſemblables au nom de la Religion. Non, je ſuis d’une colere a tout briſer. Qui pourroit jamais imaginer de pareils ruſes ? faire conſtruire des Cruſifix, y inſérer des poignards pour s’en ſervir, au premier ſignal, contre un peuple qui cherche tous les moyens d’épurer la religion, les ſcelérats !… Qui pourroit jamais les épargner s’ils étoient bien convaincus d’un crime auſſi abominable ? Voici le fait tel qu’il m’a été rapporté & qui prouve, s’il eſt vrai, que nous ne ſaurions trop nous tenir ſur nos gardes.

Un particulier ſe trouvant dans une extrême miſere, s’adreſſoit à tous ceux qu’il pouvoit connoître pour trouver du ſoulagement. Un inconnu vint le trouver chez lui, & lui dit, il ne tient qu’à vous d’avoir du pain à un ſols la livre, & de la viande à ſix ſols, c’eſt bien mieux, ſi vous n’avez pas d’argent on vous donnera tous ces alimens pour rien. Cet infortuné crut que c’étoit un ange deſcendu du ciel, qui lui apportoit des ſecours dans ſa triſte demeure. Il accepta l’offre généreux de ſon bienfaiteur, celui-ci le conduiſit dans un endroit, où on lui refuſoit jamais rien. Au bout d’un certain tems on lui donna un petit crucifix dans lequel on lui fit remarquer qu’il y avoit un poignard que l’on faiſoit ſortir par le moyen d’un reſſort, & on lui fit promettre de s’en ſervir contre les amis de la conſtitution au premier ſignal. Le malheureux craignant de retomber dans la miſere promit ce que l’on voulut, mais le pain qu’il mangeoit n’étoit pas moins arroſé de ſes larmes, car il étoit honnête homme.

Un de ſes voiſins qui le voyant vivre avec aiſance, & qui ſavoit qu’il n’avoit pas de reſſource par lui-même, lui en témoigna ſon étonnement. Hélas ! lui repondit le malheureux, je vis aſſez à mon aiſe, mais le pain que je mange eſt bien a- mer, on m’a impoſé des conditions qui me font tous les jours préférer la mort à la vie. Le voiſin le força de s’expliquer, celui-ci, après quelque réſiſtance lui avouât tout, & lui fit voir le funeſte préſent qu’on lui avoit fait. Vous devriez aller faire votre déclaration, lui dit le voiſin & ſi vous voulez je vous accompagnerez. On dit qu’ils allerent au Diſtrict & à la Ville, & qu’ils y dépoſerent le Crucifix.

Voilà, foutre, une ſcélérateſſe ſortie de la tête des dévots qui fait frémir, & qui ne ſauroit trop nous perſuader combien la cauſe des ennemis de la révolution eſt mauvaiſe, puiſqu’ils ont recours à des forfaits inouis. Que prétendent-ils donc, ces bougres de fanatiques ? Que nous leur rendrons leurs Evêchés, leurs Abbayes, leurs Canonicats ; que nous rétablirons cette vie molle & oiſive dans laquelle ils aimoient tant à ſe repoſer. O folie ! ô extravagance ! nous aurions donc tenu les armes pendant dix huit mois, foutre, pour ne rien faire, mille bombes ; nous ſerions de beaux jean foutres. Ah ! bourgre, nous tiendrons bons, nous avons ſupprimé des abus, & jamais ils ne reviendront de nos jours. Qu’ils aiguiſent des poignards tant qu’ils voudront, nous ſaurons les émouſſer. Le François ne ſera point comme le Brabançon, il ne ſe deshonorera pas aux yeux des peuples de l’Univers. Qu’ils tremblent, foutre, les ſcélérats qui veulent allumer la guerre au nom d’un dieu de paix. Les torches de fanatiſme ſe tourneront contre eux-même, elles allumeront le feu qui doit les brûler éternellement ; juſqu’à présent, foutre, la vigilance des citoyens, la conſtance courageuſe de nos gardes nationales, l’attention inquiéte de tous les patriotes ſur tout ce qui ſe trouve a chaque inſtant, n’ont point convaincu nos ennemis, que leurs forces, leurs ruſes, leurs attentats, leurs complots, leur déſeſpoir, ne ſont que de vaines & foibles reſſources, & que ſans retour il faut foutre, qu’ils abaiſſent leurs têtes orgueilleuſes devant le peuple qui, à préſent, eſt éclairé & ne ſe laiſſe plus prendre aux ſimagrées de la dévotion & de la ſuperſtition.

Ne s’imaginent-ils pas tous ces bougres de caffards, qui veulent nous poignarder ſaintement que nous ne voyons dans leurs coupables tentatives que des efforts excuſables pour conſerver des prérogatives que l’habitude d’en jouir avoit convertis pour eux en propriété ſcandaleuſe, & que le peuple François dédaignera de les punir, comme un taureau vigoureux dédaigne d’écraſer les inſectes qui le tourmentent. Il eſt tems, foutre, que des exemples terribles mettent fin à une indulgence dangereuſe qui entretiendroit un incendie ſouterrain, lequel ſe manifeſteroit tout a coup par d’horribles ravages.

Il faut, foutre, punir une bonne fois pour n’avoir pas toujours à punir. Il faut épargner à cet Empire trente ou quarante ans de troubles, en ſachant profiter des troubles actuels. Il faut en rechercher avec ſoin tous les auteurs, toutes les cauſes afin de prévenir tous les malheurs qu’elles pourroient reproduire. Quand verrons nous tomber ſous le glaive des loix ces bougres des conjurés qui veulent nous plonger dans les horreurs d’une guerre civile. N’eſt-il pas néceſſaire de contenir par la rigueur les ariſtocrates fougeux qui veulent, à quelque prix que ce ſoit, enſanglanter cette terre que nous foulons d’un pied libre. Leur punition ſauvra la France, & foutre, aſſurera les baſes de notre conſtitution ¿

Et vous, mes concitoyens, vous allez bientôt voir s’établir cette cour nationale, qui vous tranquilliſera ſur les crimes que vous voyez commettre ſous vos yeux, mais, foutre, il faut auſſi que nous ne cherchions point à punir nous mêmes, la vangeance appartient aux lois que nous avons établies par les organes de nos repréſentans & tous ces jean-foutres de fabricateurs de petits crucifix à poignards ne peuvent échapper à ſes rigueurs, encore quelques tems, foutre, & vous ne vous plaindrez plus qu’on laiſſe le crime impuni. Il y a des raiſons de politique que vous ne connoiſſez, ni vous ni moi, qui peuvent avoir déterminé à apporter de la modération juſques à préſent ; mais, foutre, quand le jour des vengeances ſera arrivé, les malheurs de Metz, Nancy, la Chapelle ſeront punis dans les coupables qui les ont cauſés. Veillez, citoyens, veillez, le fanatiſme n’eſt qu’endormi, il peut ſe réveiller.




De l’Imprimerie de TREMBLAY, rue Baſſe du Rampart, porte ſaint Denis, No. 11