Chansons de Gustave NadaudHenri Plon (p. 313-315).


LE NID ABANDONNÉ.


Dans un jardin du voisinage
Deux merles avaient fait leur nid ;
Trois œufs furent le témoignage
Du doux serment qui les unit.

Je les ai vus sous ma fenêtre,
De la pointe à la fin du jour,
Couver, trois semaines peut-être,
L’espoir tardif de leur amour.

Les petits ont vu la lumière ;
J’entends leurs cris ; il faut nourrir
Cette jeunesse printanière
Qu’on craint toujours de voir mourir.


Que de soucis et que de joie !
On ne peut rester endormi :
Sans cesse il faut guetter la proie ;
Il faut éviter l’ennemi.

Ô vertu, tendresse immuable,
Ô soins constants, travaux passés,
Par quel amour insatiable
Serez-vous donc récompensés ?

Ce matin, des cris de détresse
Dans le jardin ont résonné :
Les merles voletaient sans cesse
Autour du nid abandonné.

Sans doute, un épervier rapide,
Une couleuvre aux yeux perçants,
Ou des enfants, troupe perfide,
Auront surpris les innocents ?

Non, dès qu’ils ont senti leurs ailes,
Les ingrats ont fui pour toujours,
Avides d’amitiés nouvelles,
Oublieux des vieilles amours.

Ils vont étaler leur plumage,
Voler et chanter dans le ciel,
Sans entendre le cri de rage
Qui sort du buisson paternel.

À quelles cruelles épreuves
Seront soumis les fils ingrats !
L’affection, comme les fleuves,
Descend et ne remonte pas.


Allez, enfants, douces chimères,
Rêves menteurs qui nous charmez,
Vous n’aimerez jamais vos mères
Autant qu’elles vous ont aimés.