Librairie Fischbacher (p. 65-77).

Chapitre VIII

L’Histoire de Maman.

« Il pleut encore ce matin, » dit Jean : « Quel ennui ! »

— « Vilaine pluie ! » dit Louisette.

— « Je voudrais qu’il ne pleuve jamais, » dit Pierrot.

— « Je déteste la pluie, » dit Jeanne.

Mais Maman fait :

« Chut ! chut ! Vous êtes tous de mauvaise humeur ce matin, parce qu’il pleut. Pourtant, il y a beaucoup de gens qui sont bien contents de voir tomber la pluie. »

— « Oh ! Maman ! Personne n’est content de voir la pluie. »

— « En es-tu bien sûre, Jeanne ? »

— « Je le crois, Maman. »

— « Te rappelles-tu que Papa nous racontait l’autre jour, que les fermiers étaient désolés parce que leurs blés étaient si secs, et qu’ils disaient que si ce beau temps continuait, la moisson serait très mauvaise ; c’est-à-dire qu’il y aurait très peu de grain pour faire de la farine. Qu’est-ce qu’on fait avec la farine ? »

— « Le pain. »

— « Oui. Eh bien ! ces fermiers sont tous très heureux dans ce moment de voir tomber la pluie. Ils se disent sans doute : Enfin, nos blés sont sauvés, grâce à cette chère pluie !

« Les jardiniers aussi sont contents. Toutes leurs plantes se flétrissaient, et ils étaient obligés, matin et soir, de tirer beaucoup d’eau pour les arroser. La bonne pluie va leur éviter cette fatigue.

« Les petites fleurs dans les champs sont contentes quand il pleut, parce qu’il n’y a personne pour leur donner de l’eau quand elles ont soif, et c’est seulement la pluie que le bon Dieu leur envoie qui les rafraîchit.

« S’il ne pleuvait jamais, Pierrot, il n’y aurait pas de fleurs, pas d’herbe verte, pas d’arbres, pas de ruisseaux.

« Est-ce que quelqu’un est encore fâché de ce qu’il pleuve ? »

« Moi, j’en suis contente pour les pauvres petites fleurs, » dit Louisette.

— « Moi, j’en suis content pour les ruisseaux, » dit Pierrot, « parce que j’aime bien faire naviguer mon bateau sur le ruisseau qui passe dans le jardin. »

— « Moi, j’en suis content pour les arbres, » dit Jean, « parce que j’aime bien grimper sur les arbres. »

— « Moi, j’en suis contente pour les fermiers et les jardiniers, » dit Jeanne.

— « Et moi, » dit Maman, « je suis contente de voir que mes chéris sont raisonnables, et que leur bonne humeur est revenue. »

— « Voici Nounou avec Bébé, » dit Louisette : « Bébé, es-tu content qu’il pleuve ? »

Mais Bébé répond seulement :

« Ma-ma-ma-ma ! »

Après les leçons, comme tous les enfants ont bien travaillé, Maman dit :

« Puisque nous ne pourrons pas sortir encore aujourd’hui, voulez-vous que je vous raconte une histoire ? »

— « Oh ! oui, Maman ! » s’écrient tous les enfants à la fois. « Raconte-nous l’histoire du coucou, que tu nous as promise. »

Louisette s’assied sur les genoux de Maman ; les trois autres enfants avancent leurs petites chaises aussi près d’elle que possible, et s’asseyent pour mieux écouter, et Maman commence son histoire :

« Sur la lisière d’un grand bois, dans un buisson d’aubépine, deux fauvettes avaient construit leur nid.

Il était bien joli, ce nid, blotti dans le feuillage du buisson, et si doux, si moelleux, que tous les petits oiseaux du voisinage l’admiraient en passant et souhaitaient d’en faire de semblables.

Les deux fauvettes étaient enchantées de leur ouvrage ; elles venaient de le terminer, et elles s’arrêtèrent un moment en contemplation devant leur petit chef-d’œuvre :

« Bjie, bjie, bjie ! » fit la femelle, ce qui signifiait :

« Il est bien joli, n’est-ce pas ? »

Et le mâle répondit :

« Bjie, bjie, bjie ! oui, je crois que nos petits y seront très heureux. »

Puis, il entonna une chanson bien gaie, bien vive, que sa petite compagne écouta avec ravissement.

Tout entiers à leur joie, les gentils oiseaux ne virent pas deux vilains yeux qui les regardaient à travers la feuillée. Ils ne savaient pas qu’un gros oiseau venait de se poser sur une branche d’arbre, juste au-dessus du buisson d’aubépine, et ils ne se doutaient guère du regard méchant que ce gros oiseau plongeait dans leur joli petit nid.

Lorsque le gros oiseau eut bien regardé le doux berceau destiné à abriter les petits des fauvettes, il se retira doucement, d’un air satisfait, puis s’envola à tire d'aile, et, dans le lointain, retentit son cri répété : « coucou ! coucou ! »

— « Ah ! le gros oiseau était un coucou, Maman ? » demande Jeanne.

— « Bien sûr ! » dit Jean. « Pourquoi interromps-tu Maman ? »

— « Ne sois pas si impatient, Jean. Tu comprends mieux que les autres, parce que tu es plus grand, mais il faut les laisser me poser des questions de temps en temps… Je continue :

Bientôt, dans le nid si doux, si moelleux, se trouvèrent quatre œufs mignons, verdâtres et pointillés de brun. Avec quel amour les deux fauvettes contemplèrent ces œufs, d’où sortiraient quatre chers petits oisillons qui feraient leur bonheur !

La femelle se mit aussitôt à les couver. Elle ne les quittait guère, craignant toujours que quelque accident ne leur arrivât pendant ses absences, bien courtes, cependant.

Un jour, les deux fauvettes s’étaient éloignées ensemble du nid. Elles ne devaient pas être longtemps absentes, oh ! non : deux ou trois minutes seulement ; le temps d’avaler à la hâte quelques insectes pour leur déjeuner, et elles reviendraient aussi vite qu’elles étaient parties.

À peine eurent-elles disparu qu’un gros oiseau se précipita sur leur nid. Il jeta sur les jolis œufs un regard de mépris, puis il déposa lui-même dans le nid un œuf qui n’était guère plus gros que ceux des fauvettes ; après quoi il s’éloigna rapidement, et, dans le lointain, retentit son cri moqueur : coucou ! coucou !

Les fauvettes arrivèrent au nid une demi-minute après le départ du coucou, et la femelle se remit sur ses œufs, sans s’apercevoir qu’il y en avait un de plus.

Cependant, le moment approchait où les jeunes fauvettes devaient sortir de leurs jolies prisons. La mère ne quittait plus ses œufs : nuit et jour, elle les couvait avec patience, avec amour. Son compagnon lui apportait de la nourriture, et lui chantait ses plus jolies chansons pour la désennuyer.

Enfin, un beau jour, un petit bec jaune cassa la coque d’un des œufs, et un tout petit oisillon, à peine couvert d’un duvet très fin, en sortit ; un deuxième suivit son exemple ; puis un troisième, puis un quatrième, et, enfin, en dernier lieu, naquit le jeune coucou.

Imaginez, si vous le pouvez, la joie des parents. Ils pensaient qu’il n’y avait pas de si jolis oisillons que les leurs dans le monde entier.

Mais ils ne pouvaient pas rester à les admirer. À peine sortis de leurs œufs, les petits gourmands ouvrirent de larges becs et se mirent à crier la faim.

Il fallut que les parents se missent tout de suite à la recherche des insectes qui devaient nourrir leurs chers petits.

À partir de ce moment, les fauvettes ne se donnèrent plus de repos.

Depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, elles allaient et venaient, cherchant la nourriture que leurs petits réclamaient, et la mettant dans leurs becs avides, se donnant à peine le temps d’avaler à la hâte une chenille ou un hanneton pour leur propre repas.

Tout d’abord, le jeune coucou n’était guère différent des jeunes fauvettes ; mais, bientôt, il se fit remarquer par sa gourmandise et son mauvais caractère.

Souvent, lorsque le père ou la mère apportait à l’un de ses propres enfants une grasse chenille, le petit étranger sautait dessus et l’avalait, avant que la fauvette, surprise, eût eu le temps de l’en empêcher ; et plus d’une fois les pauvres petites fauvettes jeûnèrent, à cause de la gourmandise du coucou.

Les parents étaient fort surpris de voir un de leurs enfants si différent des autres ; ils n’y comprenaient rien. Mais, malgré la méchanceté du jeune coucou, ils le traitaient avec bonté, espérant qu’il deviendrait plus sage en grandissant.

Le jeune coucou devenait très gros.

Il trouvait qu’il n’avait pas assez de place dans le nid, et il disait que c’était de la faute des petites fauvettes, et il leur donnait des coups de bec.

Un jour, pendant l’absence des parents, le coucou dit à une des fauvettes :

« Retire-toi ; tu me gênes. »

— « C’est toi qui me gênes, » répondit la petite fauvette : « pourquoi es-tu si gros ? »

Le coucou ne répondit pas, mais étendant un peu ses ailes, qui étaient déjà fortes, il en passa une sous la petite fauvette, et, malgré ses cris, il la poussa par-dessus le bord du nid. La pauvre petite tomba sur le sol où elle mourut.

Une deuxième fauvette subit le même sort, et lorsque les parents revinrent au nid, ils n’y trouvèrent plus que trois oisillons.

Ils en eurent beaucoup de chagrin ; mais ils ne pouvaient négliger les trois enfants qui leur restaient, pour pleurer ceux qui étaient morts, et ils continuèrent à les soigner avec autant d’amour que par le passé.

Mais le méchant coucou trouva bientôt que les deux fauvettes qui restaient, étaient encore de trop dans le nid ; et, l’une après l’autre, il les en expulsa pendant l’absence des parents.

Jugez de l’effroi des pauvres fauvettes, lorsqu’en revenant au nid, elles n’y trouvèrent plus qu’un oiseau.

Elles poussèrent des cris désespérés. Elles continuèrent à soigner le vilain coucou, mais leur bonheur était perdu.

Lorsque le jeune coucou, devenu grand et fort, grâce à leurs bons soins, se fut envolé, en leur jetant, comme adieu, son cri moqueur, les fauvettes comprirent, mais trop tard, quel ennemi elles avaient nourri et élevé, et elles quittèrent, pleines de tristesse, le buisson d’aubépine où elles avaient été si heureuses pendant si peu de temps. »

— « Oh ! les pauvres petites fauvettes ! » s’écrie Louisette en pleurant, « et le vilain coucou ! »

— « Ce n’est pas une histoire vraie, n’est-ce pas ? » demande Jeanne.

— « Elle est vraie, » répond Maman, « parce que cela arrive tous les ans. Le coucou est un oiseau paresseux ; il ne fait pas de nid, et il ne voudrait pas se donner la peine de couver ses œufs. Alors il choisit les nids d’autres oiseaux pour y déposer ses œufs, sachant bien que les petits oiseaux qui ont fait les nids soigneront ses œufs aussi bien que les leurs. »

— « Mais, est-ce qu’un jeune coucou chasse toujours les autres oiseaux du nid ? » demande Jean.

— « Oui, parce qu’il devient si gros qu’il n’y a pas de place pour les autres petits oiseaux dans le nid avec lui, et il les en chasse. »

Louisette pleure toujours à la pensée du chagrin des pauvres fauvettes.

Maman lui dit :

« Ne pleure plus, Louisette ; les petites fauvettes ont construit un autre nid, et elles ont eu d’autres petits oisillons, qui ont grandi et qui les ont rendues très heureuses. »

Louisette est consolée, et elle sourit à travers ses larmes.