Le Neveu de Rameau (édition Assézat)/Note

Le Neveu de Rameau (édition Assézat)
Le Neveu de Rameau, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierV (p. 488-489).


NOTE


On nous reprocherait, sans aucun doute, d’avoir réimprimé le Neveu de Rameau sans avoir dit un mot de la querelle musicale qui y tient une si grande place. Dans cette querelle, où Diderot a pris le parti de la musique italienne contre la musique française, il a suivi le principe qu’il a souvent préconisé : exagérer une opinion pour qu’il en reste au moins quelque chose : « faire bourdonner la ruche. » Il a réussi, puisque les qualités qu’il préconisait dans la musique italienne sont venues s’ajouter aux qualités qu’il ne pouvait s’empêcher de reconnaître dans la musique française.

Goethe, dans une note de sa traduction, dit à ce propos : « Diderot prit dans la querelle musicale une position singulière. Les œuvres de Lulli et de Rameau appartiennent plutôt à l’école qui cherche l’expression qu’à l’école qui ne cherche qu’à plaire à l’oreille. Cette dernière école était représentée par les Bouffons qui arrivaient d’Italie ; or, c’est cette école dont Diderot se déclare le partisan, lui qui insiste tant sur l’importance de l’expression, et il croit que ce sont les Bouffons qui rempliront le mieux ses vœux. — Ce qu’il cherchait surtout, c’était à renverser un vieil édifice qu’il détestait et à faire place nette pour du nouveau. C’est bien aussi ce que firent les compositeurs français, dès qu’ils eurent le champ libre. Ils conservèrent leur goût pour la musique expressive, mais elle fut dès lors plus mélodieuse, elle eut plus de vérité et elle sut, sous cette forme rajeunie, charmer les nouvelles générations. »

M. Adolphe Jullien (la Musique et les Philosophes au XVIIIe siècle, Paris, Baur, 1873) dit : « Si Diderot prit parti pour les Bouffons, ce fut, croyons-nous, bien moins par conviction que par mode… il serait difficile de définir mieux que ne le fait Diderot, l’expression dramatique que doit renfermer tout morceau pour être véritablement beau… Mais ne semble-t-il pas, à lire ces principes, que l’auteur avait en vue les grandes scènes des maîtres de la musique française, de Lulli, de Campra, de Rameau ?… C’est, au contraire, dans les opéras-comiques de Duni, de Philidor qu’il prétend en trouver l’application. Diderot offre les airs de l’Île des fous comme des modèles de déclamation. Or Duni était en France depuis trois ans, lorsqu’il fit représenter cet ouvrage le 27 décembre 1760. Il avait singulièrement corrigé son style depuis son arrivée. Le talent de Duni a subi deux influences très-distinctes, et Diderot n’en a reconnu qu’une… Il ressort clairement de la comparaison des ouvrages écrits par Duni en Italie avec ceux composés en France, qu’il doit précisément aux modèles de l’opéra français cette vérité, que Diderot regardait comme l’essence même de la musique. »

Nous n’en dirons pas davantage, mais nous croyons qu’on a peut-être trop considéré comme étant l’opinion de Diderot celle qu’il met dans la bouche de son interlocuteur. Nous le voyons, en effet, le plus souvent, ailleurs que dans cette satire, citer Rameau et Campra.