LE NAUFRAGEUR


 

Si ce n’était pas vrai — Que je crève !
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J’ai vu dans mes yeux, dans mon rêve,
La Notre-Dame des brisans
Qui jetait à ses pauvres gens
Un gros navire sur leur grève…
Sur la grève des Kerlouans
Aussi goélands que les goélands.

Le sort est dans l’eau : le cormoran nage,
Le vent bat en côte, et c’est le Mois Noir
Oh ! moi je sens bien de loin le naufrage !
Moi j’entends là-haut chasser le nuage !
Moi je vois profond dans la nuit, sans voir !

Moi je siffle quand la mer gronde,
Oiseau de malheur à poil roux !…


J’ai promis aux douaniers de ronde,
Leur part, pour rester dans leurs trous…
Que je sois seul ! — oiseau d’épave
Sur les brisans que la mer lave…
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Oiseau de malheur à poil roux !

— Et qu’il vente la peau du diable !
Je sens ça déjà sous ma peau.
La mer moutonne !… — Ho, mon troupeau !
— C’est moi le berger, sur le sable…

L’enfer fait l’amour. — Je ris comme un mort —
Sautez sous le Hû !… le des rafales,
Sur les noirs taureaux sourds, blanches cavales !
Votre écume à moi, cavales d’Armor !
Et vos crins au vent !… — Je ris comme un mort —

Mon père était un vieux saltin[1],
Ma mère une vieille morgate[2]
Une nuit, sonna le tocsin :
— Vite à la côte : une frégate ! —
… Et dans la nuit, jusqu’au matin,
Ils ont tout rincé la frégate…


— Mais il dort mort le vieux saltin,
Et morte la vieille morgate
Là-haut, dans le paradis saint
Ils n’ont plus besoin de frégate.


(Banc de Kerlouan. — Novembre.)


  1. Saltin : pilleur d’épaves.
  2. Morgate : pieuvre.