Chants révolutionnairesAu bureau du Comité Pottier (p. 139-141).


LE MUR VOILÉ



À Séverine, qui a eu la première idée de cette pièce.


Ton histoire, Bourgeoisie,
Est écrite sur ce mur.
Ce n’est pas un texte obscur…
Ta féroce hypocrisie
Est écrite sur ce mur !

Le voici, ce mur de Charonne,
Ce charnier des vaincus de Mai ;
Tous les ans, Paris désarmé
Y vient déposer sa couronne.
Là, les travailleurs dépouillés
Peuvent énumérer tes crimes,
Devant le trou des anonymes,
Devant le champ des fusillés !

Par Thiers et sa hideuse clique
Ce vieux mur fut tigré de sang.
Le massacre, en l’éclaboussant,
En fit une page historique.
Tu ranges devant ce coin noir
Où rejaillirent les cervelles,
Un rideau de tombes nouvelles ;
Crois-tu masquer ton abattoir ?


Drapés dans leur linceul de marbre,
Tes sépulcres, fleuris d’orgueil,
Insultent nos haillons de deuil,
Sur ce sol sans herbe et sans arbre !
Formant un contraste moqueur
Blanches, de perles scintillées,
Tes tombes sont là, maquillées :
La mort y fait la bouche en cœur !

Eh quoi ! n’es-tu pas assouvie,
Toi qui lampas leur sang vermeil !
Aux morts tu voles le soleil
Tout comme s’ils étaient en vie !
Toi qui bâtis sur nos douleurs
Tes palais et ta grandeur fausse,
Vas-tu jalouser à leur fosse,
Un peu de lumière et de fleurs ?

Parmi la classe travailleuse
Combien, femme, enfants, vieillards,
Livrés à tes patrons pillards,
Qui regrettent la mitrailleuse ?
Lequel vaut mieux : courber le dos
Dans l’esclavage où l’on s’agite
Sans dignité, sans pain, sans gîte,
Ou reposer ici ses os ?…

Mais l’indignation s’élève,
Le peuple n’est plus aveuglé
Il sait qu’au pied du mur voilé
Tu voudrais enterrer la grève
Un frisson nous court sous la peau,
La foule qui sent sa détresse

Bientôt, Commune vengeresse,
Prendra ton linceul pour drapeau !

Ton histoire, Bourgeoisie,
Est écrite sur ce mur.
Ce n’est pas un texte obscur…
Ta féroce hypocrisie
Est écrite sur ce mur !


Paris, mai 1886.