Le Monument de Marceline Desbordes-Valmore/09



Discours de Madame Demont-Breton


Après les éloquentes paroles des maîtres que nous venons d’entendre avec tant d’émotion, qu’il me soit permis de prononcer quelques mots de la part des femmes artistes en l’honneur de la muse douaisienne, une des plus chères gloires de notre contrée.

C’est un bien modeste témoignage après tous ceux qui déjà lui ont été offerts, ce sont de bien modestes fleurettes que j’apporte sur son piédestal, de ces fleurettes sans culture que l’on cueille au bord des champs, mais que Marceline aimait pour leur simplicité même, elle qui écrivait à sa fille Ondine :

« Amour tendre de ta mère, chère cueilleuse d’herbes et de fleurs, tout est arrivé embaumé et frais. »

Je viens au nom de mes collègues de l’Union des femmes peintres et sculpteurs apporter à sa mémoire le tribut d’admiration dû à ce génie si essentiellement, si profondément féminin dans l’expression de ses tendresses et de ses cruelles douleurs. Partout dans son œuvre, dans le charme exquis de ses inspirations poëtiques, on sent vibrer l’amour maternel.

C’est avant tout la mère qui, en elle, inspira le poète, c’est pourquoi les femmes, les mères la comprennent et l’admirent et celles qui se sont particulièrement adonnées aux arts, sont heureuses de saisir cette occasion de lui rendre un bien sincère hommage.

Pour nous, ses compatriotes, cette admiration remonte bien loin : nous nous rappelons quand nous étions tout petits avoir entendu prononcer un nom sonore et doux, un nom euphonique comme un verset et que nos parents nous ont appris à dire à notre tour : Marceline Desbordes-Valmore. Plus tard on nous a initiés à la poésie qui avait rendu ce nom harmonieux si célèbre et nous avons tous balbutié ses vers. Parmi ceux que j’appris en ce temps-là, il en est un qui m’est toujours resté dans le souvenir comme empreint d’un charme indicible. C’est dans son « Écolier » pour la paresse duquel elle a des trésors d’indulgence et ce vers le voici :

« Un frais lilas sortait d’un vieux mur entr’ouvert »

Qu’y avait-il de si particulièrement touchant dans ce « lilas qui saluait l’aurore » et que je voyais en esprit tout couvert de gouttes de rosée comme ceux du jardin le matin, bien que le mot rosée n’y fût point prononcé, car les vrais poétes évoquent plus encore qu’ils ne disent. Pourquoi ce vers m’était-il resté présent à la mémoire au milieu de tant d’autres appris et oubliés ? J’ai cru le comprendre depuis, c’est que ce lilas tout frais et perlé de larmes attendries, sortant du creux d’un vieux mur entr’ouvert, était le symbole de la poésie de Marceline Desbordes-Valmore, poésie douce et sereine dans la tristesse même, éclose sur les ruines de tous ses bonheurs perdus.

Elle a aimé, elle a souffert, elle a pleuré. Elle a eu pour sa chère ville de Douai une affection pleine de reconnaissance. Elle est morte, mais son œuvre vit immortelle ; car pour les êtres qui comme elle ont vibré à tous les sentiments bons et charitables, il est une aurore qui se lève après toutes les douloureuses épreuves traversées, après la mort matérielle et brutale, et pour eux, cette aurore charmée comme celle que saluait les frais lilas,

« Se montre sans nuage et se rit de l’hiver »