LE MIRACLE RATÉ

Monologue
par Eugène LEMERCIER




 
C’était le curé du hameau,
C’était même un berger modèle,
Mais il comptait, dans son troupeau,
Plus d’une brebis infidèle ;

Et, dans le saint lieu déserté,
Il murmurait : « C’est la débâcle !
Pour ranimer leur piété,
Il me faudrait un bon miracle ! ».

Or, un jour, à son bedeau Jean,
Il dit : « Vous allez me promettre
De suivre, en homme intelligent,
Mes instructions à la lettre.

Vous, qui vivez dans le saint lieu,
Vous avez remarqué, sans doute,
En élevant votre âme à Dieu,
Des trous perforés dans la voûte ?

De ces trous, tout là-haut perchés,
Pendent d’interminables câbles
Au bout desquels sont attachés
Autant de lustres remarquables.

Ceci dit, écoutez-moi bien :
(Pour ne pas faire de boulettes,
Prenez d’abord — n’oubliez rien —
Cette étoupe et ces allumettes).


Dimanche, à dix heures tapant,
Vous, chétif de votre nature,
Vous vous glissez, tel un serpent,
Entre la voûte et la toiture,

Et, sur mes coupables athés,
Pour que leur foi soit ranimée,
D’en haut, par les trous, vous jetez
Des flocons d’étoupe enflammée ».

Enfin le dimanche arriva.
Notre bon curé, dans son prêche,
Contre ses ouailles s’éleva
En s’écriant, d’une voix rêche :

« Tremblez ! misérables mortels !
Qui ne venez plus à confesse,
De fleurs, n’ornez plus mes autels
Et sommeillez pendant la messe.

Craignez-vous pas, qu’en son courroux,
Dieu, comme dans l’Histoire Sainte,
Ne fasse descendre sur vous
Le feu du ciel dans cette enceinte ? ».

Juste à ces mots, Dieu ! quel effroi !
La voûte fit pleuvoir des flammes,
Et ce feu, qui jetait un froid,
Sema la terreur dans les âmes.

Notre orateur pensait : « Je vois
Que mon désir se réalise ! ».
Quand, soudain, une grosse voix
Fit vibrer l’écho de l’église :

Le bedeau, malin peu ou prou,
Lui qui tenait tout sous sa coupe,
De là-haut, criait, par un trou :
« Mossieu l’curé, j’ai pus d’étoupe ! ».



Eugène LEMERCIER.