Revue des Deux Mondes2e période, tome 29 (p. 5-38).

LE MARQUIS DE VILLEMER



QUATRIÈME PARTIE.[1]




XVIII.


La marquise ne dormit guère. Elle étouffait d’impatience d’être au lendemain. L’insomnie l’attrista. Elle vit tout en noir et s’attendit à une déception ; mais lorsque Caroline lui apporta sa correspondance, il y avait une lettre de la duchesse qui la transporta de joie. « Mon amie, disait Mme de Dunières, voilà un changement à vue comme à l’Opéra. C’est de votre fils aîné qu’il faut s’occuper. Je viens de causer avec Diane à son réveil. Je ne lui ai point noirci le duc, mais ma religion m’obligeait de ne lui rien cacher de la vérité. Elle m’a répondu que je lui avais déjà dit tout cela en lui parlant du marquis, que je n’avais plus rien à lui apprendre à quoi elle n’eût réfléchi, et que, tout en réfléchissant, elle en était venue à s’intéresser également aux deux frères, dont l’amitié était une si belle chose, que même, en songeant à la situation du duc, elle avait trouvé plus de mérite à bien porter le fardeau de la reconnaissance qu’à rendre le service exigé par le devoir. Elle a ajouté que, puisque je lui avais conseillé de faire le bonheur et la fortune d’un homme de mérite, elle se sentait attirée vers celui qui lui en saurait le plus de gré. Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/10 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/11 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/12 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/13 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/14 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/15 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/16 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/17 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/18 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/19 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/20 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/21 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/22 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/23 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/24 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/25 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/26 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/27 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/28 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/29 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/30 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/31 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/32 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/33 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/34 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/35 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/36 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/37 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/38 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/39 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/40 Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/41 Il est sans doute calme à présent. Il a tant de force morale, et il doit si bien comprendre que je ne peux jamais le revoir ! Cependant sois sur tes gardes. Il est très pénétrant. Dis-lui que je suis un esprit très froid… Non, pas cela, il ne le croirait pas… Parle-lui de ma fierté, qui est invincible. Oh ! pour cela, oui, je suis fière, je le sens ! Et si je ne l’étais pas, serais-je digne de son affection ?

« On eût peut-être voulu que je me rendisse en effet indigne de son respect, non pas la mère : oh ! elle, non, jamais ! Elle a trop de loyauté, de religion et de chasteté dans l’âme ; mais le duc ! A présent je me souviens de bien des choses que je n’avais pas comprises, et qui se présentent sous un nouveau jour. Le duc est excellent, il adore son frère : je crois que sa femme, qui est un ange, va purifier sa vie et ses pensées ; mais à Séval, quand il me disait de sauver son frère à tout prix… J’y songe aujourd’hui, et la rougeur me monte au front !

« Ah ! qu’on me laisse disparaître, qu’on me laisse oublier tout cela ! Je me suis crue bien calme, bien digne et bien heureuse pendant un an ! Un jour, une heure ont tout gâté. D’un mot, M""" de Villemer a empoisonné tous les souvenirs que j’aurais voulu emporter pu^s, et que je n’ose plus interroger maintenant. Vraiment, Camille, tu avais raison quelquefois quand tu me disais qu’il ne fallait pas avoir l’esprit trop candide, et que je m’aventurais trop en don Quichotte dans la vie ! Ceci me servira de leçon, et je me défendrai de l’amitié comme de l’amour. Je me demande pourquoi je ne romprais pas dès à présent tout lien avec ce monde plein de périls et de déceptions, pourquoi je n’accepterais pas ma misère encore plus bravement que je ne l’ai fait. Je pourrais me créer des ressources dans cette province encore très reculée comme civilisation. Je ne pourrais pas y être maîtresse d’école, comme Justine se le figurait l’année dernière : le clergé a tout envahi, et les bonnes sœurs ne me permettraient pas d’enseigner, même à Lantriac ; mais je trouverais des leçons dans une ville, ou bien je pourrais être comptable dans quelque maison de commerce.

« Avant tout, il faut que je sois sûre d’être oubliée là-bas ; mais quand cet oubli sera consommé, il faudra bien que je pense à nos enfans, et je m’en préoccupe par avance. Sois tranquille après tout. Je trouverai ; je saurai triompher de la mauvaise destinée. Tu sais bien que je ne m’endors pas, et que je ne peux pas faiblir. Tu as de quoi aller pendant deux mois, et je n’ai absolument besoin de rien ici. Ne te tourmente pas, comptons toujours sur le bon Dieu, comme tu dois compter, toi, sur la sœur qui t’aime. »

George Sand.

(La dernière partie au prochain n°.)

  1. Voyez les livraisons du 15 juillet, du 1er et du 15 août.