Le Marquis de Favras

Le Marquis de Favras
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 10 (p. 1091-1135).

LE


MARQUIS DE FAVRAS.




C’est une triste et sombre histoire que celle du marquis de Favras. Personne jusqu’à présent n’a voulu ou n’a osé l’écrire ; hors des pamphlets anonymes, devenus très rares, des pièces de procédure pénibles à lire, et quelques notes éparses et incomplètes dans les historiens de la révolution, rien n’a été publié sur cet infortuné. Sa vie n’a jamais été bien connue, même par ses contemporains ; sa mémoire, emportée dès le premier jour par la tempête révolutionnaire, perdue au milieu des malheurs de la France, n’arrive à nous qu’enveloppée d’incertitude et de mystère ; déjà son nom est presque oublié. Le marquis de Favras a eu cependant son jour en Europe ; soixante ans à peine nous séparent des événemens dont il fut une des premières victimes, il existe encore des hommes qui l’ont connu ; son procès a été public, et, chose étrange, à l’heure où nous sommes, personne n’a une opinion arrêtée sur son compte. Abandonné comme un aventurier par le parti de la cour, pour lequel il mourut, il fut traité de « héros de fidélité et de courage » par M. de Lafayette, qui le fit arrêter et le livra à la justice. Déclaré criminel de lèse-nation par le tribunal du Châtelet, des hommes de loi firent aux juges un crime de cette sentence, et portèrent contre eux une accusation formelle de faiblesse et de lâcheté. En un mot, le marquis de Favras a eu cette chance singulière en temps de révolution, de rencontrer les indifférens parmi ceux auxquels il sacrifia sa vie et de trouver des admirateurs dans les rangs de ceux-là seulement qui voulurent sa mort : aux uns et aux autres il a laissé des doutes ; il a légué, je crois, des remords à plusieurs.

Le marquis de Favras était-il aussi innocent qu’on l’a dit ? était-il aussi coupable qu’on l’a prétendu ? Telles sont les questions que je me suis posées et que je tâcherai de résoudre en interrogeant toutes les pièces qui subsistent encore dans la poudre des bibliothèques, et surtout quelques documens inédits qui jettent, ce me semble, un nouveau jour sur cette affaire. J’ai entrepris cette difficile étude sans esprit de parti, mais non pas sans scrupule. Il est délicat et malaisé de remuer en ce temps-ci ces souvenirs encore brûlans, ces calomnies mal éteintes, ces irritantes controverses : 1851 et 1790 se ressemblent.. hélas ! par plus d’un point. Quand on regarde avec soin ces premiers jours de la révolution, quand on pénètre un peu familièrement dans la coulisse de leur histoire, on se reporte involontairement à notre époque, et au milieu de dissemblances notables, Dieu merci, et consolantes, on est saisi par des rapprochemens bizarres et frappans. L’histoire même de M. de Favras a eu plus d’une fois son pendant de nos jours. Ces comparaisons, je ne les ai jamais recherchées ; je n’ai pas pu non plus les éviter toujours ; elles s’imposent d’elles-mêmes. Dans le langage actuel, M. de Favras serait nommé un réactionnaire ; il a été en effet le premier réactionnaire militant, et il est mort comme tel. À ce titre seul, il aurait droit peut-être de nos jours à une biographie ; mais ce que j’ai cherché surtout dans M. de Favras, ce n’est ni le réactionnaire, ni le conspirateur, ni le personnage politique : c’est l’homme, l’homme lui-même. Considéré à ce point de vue, dans son intimité, dans sa correspondance, comme individu, comme père de famille, M. de Favras offre, je crois, un intérêt dramatique et nouveau. Ses actes politiques, on peut les juger diversement ; mais il n’y a place que pour l’admiration et la pitié devant la grandeur de son courage et l’horreur de sa fin.


I

Thomas de Mahy, marquis de Favras, naquit à Blois le 26 mars 1744 ; sa famille était noble et assez ancienne. Les Mahy portaient dès le XIVe siècle le titre d’écuyer ; plusieurs d’entre eux avaient occupé à Blois les premières places de la municipalité et de la magistrature. Par lettres patentes du mois d’août 1747, la terre de Cormeré, qui leur appartenait, fut érigée en baronnie. En un mot, le marquis de Favras, sans avoir une origine illustre, était de ces bons gentilshommes de province qui avaient plus de titres que d’écus, et qui, à cette époque, quittaient fort jeunes la maison paternelle pour aller chercher fortune à la cour. Il entra, en 1755, aux mousquetaires. Il n’y avait pas d’enfance alors. Comme tous ses pareils, à un âge où l’on redoute pour nous le collège, il abordait la vie militaire avec cette gaieté, avec cette assurance que donnaient l’espoir de réussir et la certitude de ne rien perdre à ceux qui avaient pour tout bien un nom honorable, une jolie figure, une bonne épée et un grand courage. Il fit, en qualité de mousquetaire, la campagne de 1761, et fut nommé à cette époque capitaine de dragons au régiment de Chapt, qui prit depuis le nom de Belzunce. Deux ans plus tard, après la campagne de 1763, il passa au grade de capitaine aide-major. Le marquis de Favras avait alors dix-neuf ans et déjà huit années de service et deux campagnes ; mais le rang de capitaine ne suffisait déjà plus à ce jeune homme aventureux et hardi : il rêvait une destinée plus large, et, contre la coutume des officiers de son âge, il se préparait sérieusement à un plus grand rôle. C’était un de ces jeunes gens que la sève de la jeunesse enivre, et qui, sentant dans leur cœur une grande ambition, croient y sentir aussi une grande puissance et s’élancent résolûment vers l’avenir en se disant : « Il y a quelque chose là ! » Souvent il n’y a là que la fougue juvénile, mais cet élan profite presque toujours à ces ames ardentes ; lors même qu’elles n’atteignent pas leur but, elles puisent dans l’impulsion qu’elles ont suivie une force nouvelle. M. de Favras trouva dans ses songes l’amour du travail. Il entreprit de refaire son éducation incomplète, et s’appliqua à des études qui ne préoccupaient guère les officiers de son temps. Non-seulement il avait du goût pour la littérature, ainsi que nous l’apprendra plus tard son style, où l’on trouve sans peine une certaine recherche artistique, mais les finances, l’économie politique, le dessin, même l’architecture, furent tour à tour et peut-être tout à la fois l’objet de ses études. Il se livrait à ces travaux divers avec plus d’ardeur que de méthode. Son esprit plus entreprenant que profond, plus avide que pénétrant, s’attaquait à tout, se lassait vite, allait rarement au fond des choses et changeait aisément de direction et de mobile. Aussi ce travail, qu’un esprit plus calme et plus réfléchi eût aisément fécondé, fut-il plus nuisible qu’utile à M. de Favras. Il avait étudié ou entrevu beaucoup de choses : il crut tout savoir, et s’imagina que, le cas échéant, il pourrait être propre à tout. Son ambition prit au sérieux ces connaissances superficielles, et plus tard, lorsqu’elle s’exalta davantage au contact des nécessités de la vie et de certaines circonstances que nous allons raconter, M. de Favras devint un de ces hommes à projets, un de ces inventeurs inépuisables que tout excite, que rien n’arrête, et qui usent leur vie, sans profit pour eux ni pour personne, à poursuivre des idées chimériques, ou à tracer des plans irréalisables.

Dès le début cependant, un événement inattendu, oublié de tous aujourd’hui, dont il est impossible de découvrir la cause et dont les détails sont absolument inconnus, vint donner raison à l’ambition de M. de Favras. Il épousa tout à coup, en Allemagne, la princesse Caroline d’Anhalt, fille légitime du prince d’Anhalt-Bernbourg-Shaumbourg. Comment un jeune capitaine de dragons, obscur et sans fortune, parvint-il à contracter une alliance « qui n’eût pas, comme il l’a dit lui-même[1], déshonoré nos rois ? » C’est là un mystère étrange que rien n’explique, et sur lequel personne n’a jeté le moindre jour. M. de Favras était beau et jeune, spirituel et brave ; il avait la parole vive, le cœur entreprenant ; faut-il croire à un de ces épisodes romanesques dont les officiers de notre armée ont été plus d’une fois les héros, surtout en Allemagne ? Les hasards d’une garnison ou d’un billet de logement, qui ont noué tant d’intrigues passagères, furent-ils le début d’une liaison dont le dénoûment devait être si sérieux et si grave ? On l’ignore ; mais tout porte à le croire. Le soin que prennent M. et Mme de Favras de ne faire jamais allusion à cet événement de leur jeunesse, la discrète réserve de leurs amis, le silence absolu du prince d’Anhalt, que l’autorité de la justice put seule forcer à reconnaître le mariage de sa fille, et qui ne consentit à payer sa dot que sur un jugement du conseil aulique[2], enfin l’esprit indépendant et la vive imagination de la marquise de Favras qui se révèleront dans la suite, confirment cette conjecture. Ce qu’il y a de certain, c’est que la princesse Caroline d’Anhalt vivait dans une situation exceptionnelle et malheureuse ; elle avait embrassé, en dépit de sa famille, la religion catholique, et cet acte qui, chez une jeune fille, indique assurément un caractère résolu, avait été, suivant M. de Favras, l’origine « des adversités qui la tenaient éloignée de son père[3]. »

Nommé chevalier de Saint-Louis, le marquis de Favras avait acquis, en 1772, la charge de premier lieutenant des Suisses de Monsieur, qui donnait le rang de colonel.

Il s’était cru sans doute obligé de prendre, à cause de son mariage, un certain rang à la cour, et le comte de Provence dut remarquer très particulièrement ce simple officier aux gardes qui avait épousé une princesse. Ce qui le prouve, c’est que, connaissant sa gêne pécuniaire, il lui accorda sur sa fortune particulière une pension de 1,200 livres pour subvenir aux frais d’éducation de son fils. M. le comte de La Châtre, premier gentilhomme de la chambre de Monsieur, s’employa dans cette circonstance en faveur de M. de Favras avec un zèle et un intérêt qui ne se démentirent jamais. La destinée semblait donc lui sourire, tout lui réussissait. Un mariage inespéré, un grade important, la protection du frère du roi, l’amitié d’un grand seigneur, c’étaient assez de succès à trente ans. Il paya cher ces faveurs apparentes du sort ; il n’en est pas une qui n’ait plus tard tourné contre lui ; en contemplant de loin et dans son ensemble la vie de cet homme, on voit sous tous ses pas, sous toutes ses actions, sous tous ses bonheurs même, le doigt de la fatalité. Les honneurs donc manquaient moins à M. de Favras que l’argent. Une rente annuelle de 1,000 florins, une petite pension pour son fils et les appointemens assez minces de lieutenant aux Suisses, ce n’était pas de quoi faire une très grande figure à la cour. Il s’aperçut même bientôt que ce n’était pas assez pour y vivre convenablement, et il donna sa démission. Il lui paraissait sage de se réfugier dans une sphère plus modeste en attendant que son esprit, toujours en travail, découvrît la route de la fortune. Avoir un prince pour beau-père et ne pas pouvoir payer son carrosse, c’était, à vrai dire, surtout à cette époque, une absurde anomalie.

Ce fut en 1776 que le marquis de Favras quitta le service. Sans lui ôter son grade, on le mit en non-activité ; il fut, comme on le disait alors, attaché à la suite. Il prit à Paris un petit appartement Place-Royale, n° 21, en face de l’impasse de Guéméné[4], et vécut obscur pendant plusieurs années. C’était alors le moment des systèmes ; déjà l’on sentait passer en France le souffle de la révolution, et chacun proposait le moyen de la conjurer. On prenait parti pour Turgot ou pour Necker, pour M. de Calonne ou pour M. de Brienne ; on composait de tous côtés des plans de finance admirables. Alors comme aujourd’hui, on sentait qu’il y avait quelque chose à faire, on cherchait et l’on ne faisait rien. Il va sans dire que le marquis de Favras, l’homme à projets par excellence, ne restait pas inactif au milieu de cette excitation générale. « Je l’ai beaucoup connu à cette époque, me disait dernièrement un des hommes les plus illustres et les plus aimables de notre temps ; il venait assez souvent dîner chez mon père. Le pauvre diable n’était pas riche ; je le vois encore avec sa belle figure, sa haute taille et son habit noir un peu râpé. Il avait toujours quelque pancarte en poche, et nous expliquait le soir, avec beaucoup de chaleur et d’entrain, des plans qui étaient peut-être très bons, mais que nul ne songeait alors à exécuter. » Lorsque la guerre éclata en Hollande, il eut l’idée de lever une légion et d’aller offrir ses services au parti patriotique. Ce fut à cette occasion qu’il fit connaissance, pour son malheur, avec un officier recruteur, nommé Tourcaty, qui devait jouer, comme on le verra, un rôle terrible dans sa vie. La pensée d’aller combattre en Hollande pour le bon droit était assurément très louable, il était même d’une bonne politique de prêter main forte, à charge de revanche, à un pays dont l’alliance pouvait, dans l’occasion, n’être pas à dédaigner ; mais il n’a jamais été facile de lever une légion sans argent : aussi M. de Favras, malgré toute son activité, échoua-t-il complètement. Les publicistes qui ont prétendu le contraire et qui lui ont donné le commandement de cette légion se trompent ; il ne l’a jamais vue et commandée qu’en rêve. Il en convient lui-même dans un mémoire aujourd’hui fort rare, et daté de la prison du Châtelet[5].

La guerre ne lui réussissant pas, il se tourna vers l’administration. Il inventa, écrivit, publia et fit distribuer, en 1785, aux états-généraux des plans pour remplacer les barrières enlevées par les Autrichiens dans les Pays-Bas. Enfin il s’adonna tout-à-fait aux finances, c’était la question à l’ordre du jour. Un vaste projet d’administration économique fut élaboré par lui. Il cherchait, comme tant d’autres alors et depuis, le gouvernement à bon marché, et son travail n’était pas sans mérite. Mirabeau le lut, et il paraît constant qu’il l’approuva. D’autres députés encouragèrent aussi M. de Favras, qui put avoir l’espérance de voir enfin une de ses idées prise en considération par l’assemblée nationale. Pour mieux suivre cette affaire et pour tenir en haleine le zèle des représentans qu’il connaissait, il alla s’établir à Versailles au mois de juin 1789. C’est là qu’il devait rencontrer la politique pour la première fois ; à dater de ce jour, sa vie doit être étudiée de plus près, car son rôle appartient à l’histoire. Les opinions politiques de M. de Favras n’étaient pas douteuses, il n’en fit jamais mystère. Son origine, ses services, ses relations, la reconnaissance même, le rangeaient dans le parti de l’aristocratie et de la cour ; mais on se trompe étrangement quand on le classe un des premiers parmi les champions de la résistance absolue, de la noblesse à tout prix et du statu quo sans concession ; on s’abuse en le jugeant à la hâte et sur ses malheurs. Il était à la fois royaliste et libéral, très libéral même pour un officier de son temps. Sans doute, il n’avait qu’une confiance très limitée dans les idées américaines et dans les plans de M. de Lafayette ; il ne trouvait pas irréprochable la nouvelle constitution, et il a dit publiquement, sans s’être jamais rétracté, que, tant que les bourgeois ne quitteraient pas les armes, on ne serait ni tranquille, ni heureux en France. Quantité de gens émettent de nos jours des opinions équivalentes, on ne leur en fait pas un crime, et dès cette époque la prise de la Bastille, les massacres qui l’avaient suivie, les emportemens de quelques orateurs de l’assemblée, à travers lesquels on devinait déjà les violences de l’avenir, tenaient beaucoup d’hommes, même très intelligens, en garde contre les novateurs. Alors comme aujourd’hui, le progrès effrayait beaucoup de bons esprits, parce qu’il était mal défini ; on voulait connaître toutes les conditions du nouveau programme avant d’y souscrire, on se méfiait des codicilles et des articles sous-entendus ; l’avenir prouva que l’on n’avait pas tort et donna raison trop tard à ceux qui pensaient avec M. de Favras qu’il fallait réformer peu à peu, mais non détruire tout à coup. « Ce qui vous importe, messieurs, écrivait-il aux électeurs de la prévôté et de la vicomté de Paris avant la prestation des sermens[6], ce qui vous importe, l’objet contre lequel vous devez vous prémunir est de vous perdre dans un dédale d’innovations dont les suites pourraient porter atteinte aux droits de la couronne, à ceux du peuple français, à la sûreté individuelle, aux propriétés, à la liberté des suffrages… On ne pourrait substituer à une possession immémoriale des droits des Français et de son roi qu’une forme de gouvernement, soit aristocratique, soit démocratique, qui permettrait indubitablement une plus grande extension à l’arbitraire, et nous aurions la forme de gouvernement la plus oppressive pour les peuples, sous l’apparence trompeuse d’une liberté plus grande. » En vérité, si ce langage n’était pas celui d’un révolutionnaire, il n’était pas non plus celui d’un conspirateur ; le bon sens pouvait parler ainsi en 1789, et notre époque est là pour justifier toutes les opinions de ce genre. Il était nécessaire de planter ces jalons, de bien préciser, par ses paroles mêmes, les idées politiques du marquis de Favras avant de le montrer à l’œuvre, car, on ne saurait trop le répéter, une sorte de fatalité domine la vie de cet homme, et les événemens peuvent aisément donner le change sur son compte. La figure de l’acteur nous est maintenant connue ; il va entrer en scène le 6 octobre.

Le 6 octobre fut, on s’en souvient, la véritable préface de la terreur. La veille, à cinq heures du matin, Paris s’était réveillé aux tintemens lugubres du tocsin ; on se demandait avec effroi ce qui se préparait. Les trois partis qui s’agitaient à Paris, — celui de la cour ou les légitimistes, les orléanistes et ceux qui prirent plus tard le nom de jacobins, — se rejetèrent avec fureur, dans le premier moment, la responsabilité du désordre qu’annonçait le bourdon ; mais on apprit bientôt ce qui s’était passé. Une bande de femmes et d’hommes déguisés en femmes avait forcé tout à coup la porte de l’Hôtel-de-Ville : la garde résistait, une lutte avait lieu ; de nouvelles bandes, armées de piques, arrivaient de tous les faubourgs, et l’émeute couvrit bientôt la Grève, les quais et les rues adjacentes. La disette, factice ou réelle, qui régnait à Paris était le prétexte bien plus que la cause véritable de cette manifestation. Les passions haineuses criaient alors - du pain ! comme elles ont crié de nos jours - la réforme ! et cette multitude, que nous n’avons pas, hélas ! besoin de décrire, allait demander à l’assemblée nationale des vivres, comme une autre tourbe semblable lui a demandé récemment l’affranchissement de la Pologne. — A Versailles ! à Versailles ! hurlait-on de toutes parts, quand M. de Lafayette survint. Il déclara très courageusement qu’il n’irait point à Versailles, il défendit à la garde nationale de se mettre en mouvement, il chercha à calmer la foule ; mais sa voix ne fut point écoutée : il avait trop compté sur sa popularité. Pour toute réponse, on lui montra la lanterne, et il put s’apercevoir pour la seconde fois, car les massacres de Foulon et de Berthier avaient pu déjà l’éclairer à cet égard, que l’on n’est général du peuple qu’à la condition de servir ses passions et ses colères. Des milliers d’hommes survinrent encore, armés de fusils et traînant deux pièces de canon. Un misérable qui devait acquérir plus tard une certaine célébrité, Maillard, un des héros du sac de la Bastille, s’était mis, un tambour à la main, à la tête de cette manifestation imposante, qui se trouva bientôt réunie dans les Champs-Élysées. Dans l’espoir de modérer au moins cette multitude qu’il ne pouvait plus arrêter et de contenir la garde nationale qui méconnaissait sa voix, M. de Lafayette prit le parti de conspirer avec elle, « comme le paratonnerre conspire avec la foudre. » Il donna, au milieu d’un applaudissement général, le signal du départ, et partit pour Versailles à la tête de plusieurs bataillons de gardes nationaux que suivait la hideuse armée de Maillard. « Les révolutions, a dit un des tribuns de notre époque, ne disent jamais le mot pour lequel elles se font. » En effet, il ne s’agissait en apparence, au 5 octobre, que de quelques réclamations sur la boulangerie ; mais au fond, bien que le nom n’eût pas été prononcé, c’était la république qui marchait derrière M. de Lafayette, et qui allait avoir raison de la royauté. Un grand tumulte se fit à Versailles dès qu’on y apprit la marche de cette colonne, qu’on prétendait être de quarante mille hommes. Le roi était à la chasse, on l’envoya prévenir en toute hâte. L’assemblée était réunie, et Mirabeau le premier vint avertir le président Mounier des événemens qui se préparaient, l’engageant à lever la séance. « Quarante mille hommes marchent sur nous ! lui dit-il. — Tant mieux ! répondit le président, qu’ils nous tuent tous,… mais tous, entendez-vous bien, et la France sera plus tôt en république. — Le mot est joli ! » répliqua Mirabeau en se mordant les lèvres. Cependant la colonne des insurgés, qui avait devancé M. de Lafayette, défilait déjà dans l’avenue de Paris par une pluie battante. Maillard, vêtu d’un vieil habit noir, débraillé et couvert de boue, une épée nue à la main, excitait son monde de la voix et du geste. Au château, tout était dans la confusion ; les gentilshommes et les courtisans n’avaient pas d’ordre : ils se regardaient ne sachant que faire, et l’OEil-de-Boeuf retentissait de leurs altercations bruyantes. Parmi ces officiers, un seul eut de la présence d’esprit et fit tout à coup une proposition hardie dont les conséquences, si elle avait été mise à exécution, pouvaient être immenses : ce fut le marquis de Favras. « Il est honteux, s’écria-t-il tout à coup, de laisser de pareilles hordes s’avancer sans résistance vers le palais du roi ! » et il proposa aux courtisans qui l’entouraient de sortir l’épée à la main, d’appeler à leur aide quelques soldats fidèles et de se jeter sur la colonne de Maillard pour la disperser, ou tout au moins pour lui barrer passage. On lui objecta que cette colonne était trop nombreuse et qu’il faudrait des chevaux pour la charger avec quelque avantage. « Eh bien ! j’aurai des chevaux ! » s’écria M. de Favras avec sa résolution ordinaire, et il se rendit sur-le-champ chez M. le comte de Saint-Priest, alors ministre. Le ministre le fit long-temps attendre. Les événemens, si terribles qu’ils soient, n’ont pas aisément raison de l’étiquette des cours ; ce qui arrivait à M. de Favras en 1789 s’est reproduit à Rambouillet en 1830 : on fit faire antichambre au solliciteur. À la fin cependant il fut introduit ; M. le comte de Saint-Priest ne le connaissait pas, il l’accueillit très froidement.

— Monsieur le comte, lui dit le marquis de Favras, en mon nom et au nom de deux cents gentilshommes réunis en ce moment dans l’OEil-de-Boeuf, je viens vous demander la permission de disposer pendant une heure des chevaux du roi. Nous nous faisons fort, si vous le voulez bien, de disperser la horde qui vous arrive et de lui enlever ses canons.

M. de Saint-Priest lui répondit d’un ton glacé qu’il ne pouvait disposer des chevaux des écuries sans l’assentiment du roi ; puis, sur les instances de M. de Favras, il consentit à transmettre la demande qui lui était faite à Louis XVI, qui venait de rentrer, et il passa dans son cabinet. Il revint une heure après. La cour avait appris, disait-il, que M. de Lafayette et plusieurs bataillons de la garde nationale se trouvaient avec le peuple de Paris. Il n’y avait donc qu’à attendre. — Attendre ! s’écria M. de Favras ; mais c’est une honte, et le château sera envahi dans deux heures par ces brigands !

Le comte de Saint-Priest ne répondit rien.

— En un mot, vous ne voulez rien faire, dit encore M. de Favras.

— Non, monsieur, répliqua le ministre.

Le marquis de Favras s’inclina et sortit désespéré. Cette conversation, que je transcris textuellement d’après la déposition de M. de Saint-Priest lui-même, dont j’ai sous les yeux l’original signé et paraphé par lui, prouve que, le 5 octobre, M. de Favras eut le premier à Versailles l’idée de la résistance. Les conseils énergiques et même les hommes d’action n’ont jamais manqué aux gouvernemens dans les momens de crise, ce sont les gouvernemens qui ont toujours fait défaut à leurs plus fermes amis, et ne leur ont laissé que la liberté et l’honneur de mourir inutilement pour eux. À de pareilles heures, on ne se met pas impunément en scène, et l’on ne se mêle pas à de telles parties sans y risquer sa tête. En un coup de dé, on conquiert la gloire ou l’on perd la vie, c’est le hasard qui décide. Écouté par le comte de Saint-Priest, M. de Favras pouvait réussir et devenir en un instant un de ces héros que l’histoire déifie ; éconduit par le ministre, il crut peut-être rentrer dans son obscurité, mais il se trompait. Il était pour toujours sorti de l’ombre ; la révolution l’avait inscrit déjà parmi ses victimes, et cette démarche honorable fut, sous la royauté même, son premier pas vers l’échafaud.

Dans la nuit du 5 au 6 octobre, vers minuit, la proposition qu’avait faite M. de Favras de disperser, à l’aide de quelques centaines de chevaux, la horde venue de Paris, fut reprise, s’il faut en croire Bertrand de Malleville, par d’autres gentilshommes. Ils s’adressèrent à la reine, qui signa l’ordre de mettre à la disposition de M. de Luxembourg deux cents chevaux, à la condition toutefois qu’ils ne seraient employés que dans le cas où il y aurait danger pour les jours du roi, et la reine déclarait formellement que, s’il n’y avait péril que pour elle, on ne se servirait de son ordre sous aucun prétexte. Il n’en fut fait aucun usage ; il était déjà trop tard. La manifestation triomphait partout. Les soldats du régiment de Flandre faisaient sonner leurs baguettes dans leurs fusils pour montrer qu’ils n’étaient point chargés ; la milice de Versailles avait braqué ses canons entre l’hôtel des gardes-du-corps et le château. Suivant l’usage constant des milices bourgeoises, elle s’interposait entre la révolte et l’autorité. Maillard et sa bande avinée s’étaient fait jour jusqu’au pied de la tribune nationale, et là, tandis que les femmes qui le suivaient appelaient à grands cris « leur comte de Mirabeau, » la salle se remplissait de piques et de pistolets. Chaque député fut bientôt entouré et menacé. Les femmes, excitées par plusieurs représentans, notamment par un jeune homme encore peu connu, qui se nommait Robespierre, brandissaient des poignards et poussaient des cris de mort.

À trois heures du matin, il fallut lever la séance. Ne sachant comment employer le reste de la nuit, la horde de Maillard, qui n’avait plus rien à faire à l’assemblée, songea à piller le château et à assassiner le roi. Elle força les grilles, et l’on sait quelles horribles scènes eurent lieu cette nuit-là malgré les efforts de M. de Lafayette, qui fit des prodiges de courage. Bien que la calomnie ne l’ait point épargné, il n’en est pas moins vrai qu’il sauva Versailles le 6 octobre. La reine dut la vie au garde-du-corps Miomandre, qui se fit assommer à la porte de sa chambre, et à un jeune sergent, nommé Hoche, qui devait en peu d’années rendre ce nom, alors inconnu, un des plus justement célèbres de l’histoire contemporaine. Le pacificateur de la Vendée n’oublia jamais cette nuit mémorable où il défendit si courageusement la reine, et il conserva toujours pour elle une profonde vénération. La Providence prenait pitié de notre histoire, et accordait cette compensation à la France, à l’humanité et même à la révolution, de montrer la noble figure de Hoche au fond de la scène où apparaissaient, à la même heure, les personnages honteux de Maillard et de Théroigne de Méricourt, qui fut une des héroïnes du 6 octobre. M. de Lafayette, qui note dans ses mémoires la belle conduite du sergent Hoche, rapporte que, lorsqu’il entra lui-même au château et qu’il traversa dans l’OEil-de-Beeuf la foule des courtisans et des officiers exaspérés, l’un d’eux s’écria : Voilà Cromwel ! Cette apostrophe, qui est restée anonyme, je l’attribuerais volontiers à M. de Favras, qui se trouvait là, plus indigné que tous les autres, et qui ne pardonna jamais au commandant de la milice de Paris de s’être mêlé le 5 octobre, fût-ce même pour la modérer, à la populace insurgée. — Cromwel ne serait pas venu seul, lui répondit fièrement M. de Lafayette, et il passa. Tout le monde connaît la petite réconciliation théâtrale qui mit fin pour quelques heures au désordre. Au point du jour, le marquis de Lafayette parut sur le balcon du château avec la reine ; aux yeux de la foule immense qui hurlait dans les jardins, il baisa respectueusement la main de Marie-Antoinette, et remit avec ostentation sa cocarde à un garde-du-corps. On ne manqua pas d’applaudir, car le peuple de Paris applaudit tout ce qui ressemble à une scène de théâtre. La paix semblait faite entre la révolution et la monarchie, entre la garde nationale et l’armée ; mais au fond rien n’avait changé, seulement l’insurrection avait audacieusement violé la majesté royale au palais, et la souveraineté nationale à l’assemblée : elle était victorieuse sur tous les points, et le roi, qu’elle eut la fantaisie de ramener pompeusement à Paris, servit de trophée à ce triomphe. M. de Favras, avec quelques officiers courageux et dévoués, escorta Louis XVI. Il revint à Paris avec cette colonne hideuse qui ramenait son souverain comme un captif. Les gardes-du-corps désarmés marchèrent à pied, entourés de brigands le sabre nu à la main ; des femmes, couvertes de cocardes et de rubans tricolores, entouraient la voiture du roi, chantaient des chansons grossières, se mettaient à califourchon sur les pièces d’artillerie. On faisait de toutes parts, en manière de fantasia, un feu roulant de mousqueterie, pendant qu’à la même heure on promenait sur des piques, au Palais-Royal, les têtes de MM. des Huttes et de Varicourt, qui s’étaient fait tuer au château. Cet affreux cortége arriva la nuit à l’Hôtel-de-Ville, où Bailly déclara aux représentans de la commune que le roi et la reine revenaient avec une entière confiance dans leur bonne ville de Paris. Cette confiance, quelle qu’elle fût, n’était point partagée par les amis du roi ; M. de Favras notamment, et il ne s’en est jamais défendu, était indigné de la tranquillité des autorités nouvelles ; il trouvait absurde que, dans des circonstances aussi terribles, sur une pente aussi fatale, on se payât de quelques mots affectés, et que l’on se contentât de cacher sous les apparences d’une fausse sérénité de mortelles angoisses. Il aurait voulu réunir autour du roi un parti d’amis dévoués et prêts à tout pour sa défense. Entraîné tout à la fois par son esprit entreprenant, par son ardeur aventureuse et par son dévouement, gêné par son obscurité et par son manque de ressources, il cherchait de tous côtés les moyens de recruter cette phalange royaliste qu’il rêvait pour la première fois. Durant le funeste voyage de Versailles à Paris, il avait remarqué auprès de la portière du carrosse royal un jeune officier de la garde nationale, qui pleurait en voyant le roi et la reine dans une situation aussi affreuse. Il avait demandé le nom de cet officier ; on lui avait appris qu’il se nommait Pierre Marquier, qu’il était sous-lieutenant d’une compagnie de grenadiers du faubourg Saint-Antoine, et qu’il sortait des gardes françaises. Il avait noté ce nom sur ses tablettes et compté Marquier parmi ceux dont les sentimens pouvaient se rapprocher des siens : on verra quelle fatale conséquence eut cette observation fort naturelle en ce moment. M. de Favras, on le devine, était à la fois un trop mince gentilhomme et un personnage trop peu en évidence pour pouvoir s’adresser, avec quelques chances d’être écouté, aux courtisans de haut parage. Il aimait d’ailleurs à primer en toutes choses, et les hommes d’une position secondaire lui convenaient mieux peut-être en ce qu’il espérait avoir vis-à-vis d’eux un certain prestige ; il tenait à l’autorité, et si, sous son inspiration, un parti audacieux et résolu s’organisait, il en voulait être le chef.


II

C’est au lendemain de la rentrée du roi dans ce château des Tuileries désert depuis tant d’années qu’il faut placer ce qu’on a nommé la conspiration de Favras. En étudiant avec soin les pièces de la procédure, en commentant avec bon sens les témoignages, on peut aisément, sinon expliquer tous les mystères de cet événement, au moins les deviner, et raconter jour par jour la vie de l’accusé. L’instruction a été faite minutieusement et en toute connaissance de cause, car, à dater du 6 octobre, M. de Favras fut plus que suspect aux représentans de la commune ; il fut surveillé de près, on épia toutes ses démarches. Il a été établi qu’un agent secret du comité des recherches, nommé Joffroy, ne l’avait pas perdu de vue pendant deux mois entiers, et cet espion, auquel s’adjoignait quelquefois M. Masson de Neuville, aide-de-camp de M. de Lafayette, nous révèlera en grand détail la conduite de M. de Favras. On a vu quel homme il était, on connaît ses opinions, ses intentions même ; étudions ses actes.

Le marquis de Favras, au milieu de beaucoup d’autres entreprises, avait imaginé quelques mois auparavant, avons-nous dit, de lever une légion pour le Brabant. Il avait à cette époque connu, on s’en souvient, un sieur Tourcaty, qui se disait officier d’infanterie, qui l’était peut-être, mais qui faisait surtout métier de recruter au cabaret les jeunes gens de belle venue. M. de Favras était resté en relation avec Tourcaty ; il le rencontrait au théâtre ; quelquefois aussi Tourcaty venait le voir, et il lui avait un jour présenté un de ses amis, nommé Morel, autre racoleur de son espèce et comme lui officier de la garde nationale. M. de Favras était à la fois oisif à Paris et très inquiet de l’état des esprits. N’ayant rien de mieux à faire, il courait beaucoup dans les rues, et chaque soir il rentrait consterné de ce qu’il avait vu ou entendu : l’anarchie était partout ; dans les groupes, dans les cafés, dans tous les lieux publics, on tenait des propos affreux ; il n’était question que de vengeances et d’assassinats : le massacre du roi et de sa famille était projeté, à voix basse encore, mais presque sans mystère. Le théâtre même participait, comme il arrive toujours en France, aux excitations de la rue ; on y jouait ouvertement des pièces de circonstance, et la fièvre révolutionnaire s’y dissimulait à peine sous des allusions perfides. Séduits par le grand mot de liberté et par l’apparence généreuse des idées qui s’agitaient à l’assemblée, de vrais poètes, tels que Joseph Chénier, ennoblissaient, en les traduisant en un beau langage, les déclamations populaires. On sentait gronder partout, en France, le volcan souterrain qui devait bientôt faire irruption ; le 6 octobre était passé, mais le 10 août était dans l’air. M. de Favras dirigeait souvent ses promenades vers le faubourg Saint-Antoine, qui était le principal foyer de la démagogie. Il se mêlait aux rassemblemens et écoutait avec stupeur les menaces qu’on y proférait. Un jour, dans un de ces groupes, il entendit un orateur aux bras nus exposer avec un tel luxe de détails, avec une si stratégique précision, un plan d’attaque contre les Tuileries, qu’il en fut épouvanté. Il crut devoir en aller faire part sur-le-champ, afin qu’on avisât, à M. de Luxembourg, qui remplissait alors auprès du roi les fonctions de capitaine des gardes. M. de Luxembourg connaissait un peu le marquis de Favras ; il avait entendu parler de sa démarche auprès de M. de Saint-Priest, à Versailles. Sa persévérance et son dévouement le touchèrent, son intelligence le frappa ; il l’écouta très attentivement, le remercia de l’attachement qu’il montrait à la famille royale, lui avoua qu’il pensait, comme lui, que le péril était imminent, si les hommes de cœur ne se jetaient pas à la traverse. Il le pria ensuite, puisqu’il était voisin du quartier Saint-Antoine, de continuer à observer tous les mouvemens de ce faubourg, l’assurant que les rapports qu’il pourrait faire seraient infiniment précieux. Il ajoutait que, le sachant peu riche, il lui demanderait la permission de mettre à sa disposition les fonds qui pourraient lui être nécessaires pour rendre cette surveillance suffisamment active. À cette proposition, M. de Favras rougit de déplaisir. M. de Luxembourg lui adressa des excuses, lui dit que sa délicatesse lui était connue, mais que cet argent il pourrait l’accepter hautement, et qu’il lui serait remis en un lieu propre à lever tous ses scrupules. Il l’engageait en même temps à se rendre le soir même au cabinet du roi. M. de Favras y vint ; M. de Luxembourg, qu’il y trouva, lui remit cent louis, lui faisant comprendre que c’était de la part du roi, et le ramena dans son cabriolet jusqu’à la rue Vivienne, l’entretenant, comme le matin, des dangers que courait la famille royale. Selon lui, la meilleure sauvegarde qu’on pût imaginer eût été de trouver dans la garde nationale, ou parmi les anciens gardes françaises, une compagnie de braves gens résolus, prêts à se rendre aux Tuileries au premier signal, et à s’y faire tuer, s’il le fallait, devant la porte du roi, comme plusieurs avaient fait à Versailles.

Resté seul, le marquis de Favras sentit l’idée qui venait de lui être communiquée s’enflammer dans son cerveau. Il refondit, il compléta dans son imagination le plan d’une héroïque résistance ; il se vit à l’avance le sauveur de la famille royale ; il se crut cette fois destiné à jouer le rôle qu’il avait inutilement réclamé dans la nuit du 5 octobre. Une troupe de braves soldats prêts à tout, c’était une grande ressource en effet ; mais où les trouver ? Ce lieutenant de grenadiers nommé Marquier, qu’il avait vu pleurer auprès du carrosse du roi au retour de Versailles, lui revint en mémoire ; il se souvint que ses soldats s’étaient courageusement montrés au château. Il avait appris d’ailleurs que, peu de jours auparavant, Marquier, se trouvant de service aux Tuileries, avait parlé très nettement de son dévouement pour la reine. C’était bien l’homme qu’il fallait ; mais comment le découvrir ? Par quel intermédiaire pouvait-il, sans trop se mettre en évidence et sans compromettre ouvertement le château, faire sonder les dispositions de cet officier ? Il arriva chez lui indécis et agité. Par une de ces coïncidences bizarres qui jouent un si grand rôle dans la vie des hommes, il reçut dans la soirée la visite de MM. Morel et Tourcaty, qui revenaient de la Comédie-Française ; ils avaient assisté à la troisième représentation de Charles IX. C’était, disaient-ils, une pièce écrite dans le plus mauvais esprit, qui soulevait dans la salle des discussions orageuses, et qu’il serait aisé, moyennant quelque argent, de faire tomber. Ils proposèrent à M. de Favras de se charger de faire siffler la pièce de M. de Chénier. Charmé des sentimens que témoignaient ces deux hommes, M. de Favras réfléchit qu’ils pouvaient mieux que personne le seconder dans le projet qu’il méditait. Racoleurs par métier, obscurs de condition, adroits et rusés tous les deux, ils semblaient créés tout exprès pour la circonstance. Il s’était servi d’eux, peu de mois auparavant, pour recruter la légion qu’il voulait conduire en Hollande, pourquoi ne les emploierait-il pas à mettre en œuvre le plan que M. de Luxembourg lui avait inspiré ? Il était d’ailleurs dans un de ces momens d’excitation et d’entraînement où tout semble facile. — Eh ! messieurs, s’écria-t-il imprudemment, ce n’est pas d’une tragédie qu’il s’agit ; on veut assassiner le roi ! C’est là ce qu’il faut empêcher[7] ! Les deux racoleurs partirent très surpris ; ils pressèrent le marquis de Favras de s’expliquer, l’engagèrent à tenir grand compte de ce qu’il avait entendu, et se mirent à sa disposition. Celui-ci, qui ne perdait pas de vue son plan, leur demanda s’ils connaissaient Marquier ; sur leur réponse négative, il pria Morel de s’informer de lui et de découvrir son adresse. Morel revint le lendemain ; il avait trouvé le jeune lieutenant de la compagnie de Banks à la Porte Saint-Antoine. Alors le marquis de Favras, lui laissant entrevoir ce qu’il comptait lui proposer, le chargea de trouver les moyens de le mettre en rapport, sans le nommer cependant, avec Marquier. Morel y consentit volontiers, et le soir même le jeune lieutenant se rencontrait, à la nuit tombante, sous les arcades de la Place-Royale, avec M. de Favras, dont il ignorait à la fois le nom et les intentions. Morel se trouva aussi à ce rendez-vous, dans lequel il ne fut question que des gardes françaises, d’où sortait Marquier, de leur dévouement bien connu à la famille royale. M. de Favras rappela au jeune lieutenant qu’ils s’étaient vus le 6 octobre à Versailles, il lui dit qu’il avait remarqué son émotion, et lui demanda si, dans le cas où des hordes se porteraient aux Tuileries, les amis du roi pourraient compter sur ses grenadiers et sur lui, qui s’étaient conduits si vigoureusement à Versailles. Marquier était un homme circonspect. Il répondit d’une manière évasive, et promit de revenir à la même heure, sous les mêmes arcades, huit jours plus tard. On se sépara ; mais cette conférence, dont l’apparence au moins pouvait avoir quelque chose de suspect, avait eu un témoin invisible. Caché derrière un des piliers de la place, l’espion Joffroy, il l’a révélé lui-même, avait tout vu, sinon tout entendu. À dater de ce moment, M. de Favras fut perdu.

La semaine suivante, Marquier fut exact au rendez-vous. Il revint plusieurs fois sous les arcades de la Place-Royale. La conversation y roula toujours sur le même sujet. M. de Favras insistait pour savoir dans quelle proportion les anciens gardes françaises se trouvaient dans la compagnie de Banks, si leurs dispositions étaient favorables au roi, et s’ils désireraient reprendre leur ancien nom et leur ancienne organisation. Marquier, sans rien rejeter, continuait de rester sur la réserve. Enfin M. de Favras un soir, et ce fut là le principal élément du procès qui s’ensuivit, lui remit un pamphlet dont il était fort question à Paris et qui était intitulé : Ouvrez donc les yeux.

Ce pamphlet, qui est passé à l’état de curiosité bibliographique, on ne le lit pas sans la plus profonde surprise aujourd’hui. Eh quoi ! cette pauvre brochure a causé la mort d’un homme ! Depuis vingt ans, il n’est pas un seul journal qui ne publie chaque matin un premier-Paris plus violent mille fois, et personne ne s’en émeut. Il faut ajouter que l’on pourrait reproduire ce pamphlet lui-même ; il semble fait d’hier et pour la polémique de demain. Oui, notre époque ressemble par plus d’un point au temps qu’il nous rappelle. Les problèmes qui s’agitaient en 89 n’étaient pas plus formidables que ceux qui sont posés devant la société actuelle, et la solution des difficultés d’alors ne renfermait pas des menaces ni plus terribles, ni plus prochaines ; mais, disons-le à l’honneur de notre temps, la liberté de discussion, contre laquelle on est trop souvent prêt à s’insurger, rend au fond bien différentes deux situations presque semblables en apparence. Aujourd’hui du moins on livre la tribune et la presse à toutes les opinions, à tous les systèmes, à tous les songes. On écoute dans nos assemblées, avec une patience qui coûte beaucoup quelquefois, mais qui nous sauvera peut-être, les plus irritantes théories. Loin de repousser les novateurs, on les invite à parler, on leur demande leur secret, on publie leurs discours ; on ne combat leurs idées qu’en les mettant en lumière, et déjà le bon sens public a réduit les plus fameux d’entre eux au silence. La raison continuera, il faut l’espérer, cette pacifique croisade. Bien des malentendus qui ne pouvaient, il y a soixante ans, s’expliquer que le sabre à la main, se résoudront à l’amiable ; on transigera, on parlera avec ceux qui parlent et qui transigent, et quand le traité sera conclu avec les philosophes sincères et les philanthropes convaincus, quand la question sera posée nettement, à la face du ciel, entre les honnêtes gens et les bandits, la solution, qu’on se le persuade, ne se fera pas long-temps attendre. À la fin de 1789, sous la royauté, on ne pouvait dire qu’au péril de sa vie qu’on aimait le roi et qu’on préférait la monarchie qui existait à la république que d’autres voyaient en songe.

En remettant cette brochure à Marquier, le marquis de Favras ; cela paraît prouvé par la procédure, avait marqué la page 51. Il lui en avait recommandé particulièrement la lecture, et le tribunal y vit un crime. Ouvrons donc cette page formidable, qui s’adresse aux gardes françaises. — « Les gardes françaises ont été trompés, ils en conviennent, et leur repentir se manifeste chaque jour ; ils sont prêts à rentrer dans le devoir pour n’en jamais sortir. Il ne leur manque qu’un homme qui sache les ramener dans les voies qu’ils suivaient autrefois… Eh bien ! soldats, c’est à vous gardes françaises que je parle, vous en trouverez un, c’est moi. Je me lie à vous ; je sais les risques que je cours, mais vous me défendrez, et, si l’on m’assassine, vous vengerez ma mort ; j’aurai sauvé la patrie, et je mourrai content. (Je me ferai connaître dès que vous le désirerez.) »

En fin de compte, on proposait aux gardes françaises de reprendre leur uniforme, leur nom, leur service auprès du roi et tous les avantages d’un corps privilégié. C’en était assez pour qu’on vît dans cette publication anonyme une tentative d’embauchage. Le lieutenant Marquier lui-même, malgré ses bonnes dispositions pour le roi, fut effrayé de la violence de ce pamphlet, qu’on lui remettait avec des précautions mystérieuses. Il ne vint plus à la Place-Royale et ne revit pas le marquis de Favras, dont il ignorait toujours le nom. Qui avait écrit cette fameuse brochure ? On l’attribuait en général à M. de Biron, et M. de Favras fut déclaré coupable seulement de l’avoir approuvée et propagée. On pouvait aller plus loin, et il semble fort probable, bien que cette idée ne soit encore venue à personne, que le marquis de Favras fut l’auteur d’Ouvrez donc les yeux ! Pour peu que l’on étudie avec soin cet écrit, on y retrouve les sentimens qu’il exprimait à tout propos, ses procédés de style et jusqu’à ses expressions favorites. M. de Favras avait, entre autres manies, la manie d’écrire ; il aimait à se mettre en avant, et il se dévoile complètement dans l’offre qu’il fait aux gardes françaises de les commander, dans son rêve éternel d’être le sauveur de son pays, et surtout dans un post-scriptum final où il prend soin d’attaquer avec violence le Charles IX de Joseph Chénier, cette pâle et ennuyeuse tragédie qu’il détestait particulièrement. Il est surprenant que les juges ne s’en soient pas doutés, et que pas une question n’ait été posée à cet égard dans les interrogatoires. Morel seul parut en avoir quelque soupçon. Il dit dans sa déposition : « Quand le marquis de Favras me remit cette brochure, je lui demandai s’il en était l’auteur ; il me répondit en riant que non, et qu’on l’attribuait à M. de Biron. »Toujours est-il que M. de Favras avait donné le libelle à Marquier en présence de Morel ; ce fait, qui devait être plus tard le motif de son arrestation, inspira dès le jour même à cet homme et à son acolyte Tourcaty une infernale machination.

Joseph Chénier était de mauvaise foi, ou il ne savait pas ce qu’il disait lorsque, dans la préface de Charles IX, il parlait, avec son emphase habituelle, de la vertu de son temps, qui avait eu raison « du fanatisme et de la Bastille, » et de « la pureté des mœurs publiques, qui ne se modelaient plus sur les mœurs dépravées des cours. » A aucune époque du monde, au contraire, la dépravation des mœurs et l’immoralité politique n’ont été poussées plus loin qu’en ces jours où M. de Sade publiait ses œuvres et où le comité des recherches, nouvelle chambre ardente, payait ouvertement, au prix de 24,000 francs par dénonciation, les agens provocateurs qu’il employait. Une infinité de preuves pourraient être invoquées à l’appui de ce dernier fait ; mais le procès du marquis de Favras suffit pour établir, sans contestation possible, qu’à dater du 21 octobre, le comité des recherches promit une somme de mille louis à quiconque dénoncerait un ennemi de la révolution. C’était une prime d’encouragement accordée à la fourberie et à l’imposture sous le prétexte du patriotisme. Morel et Tourcaty, racoleurs sans ressources, n’étaient pas hommes à résister à un tel appât. Ils avaient entre les mains une victime, il ne s’agissait que d’en tirer parti. Pour commencer, ils se mirent en relation avec le comité des recherches, lui dévoilèrent, en les présentant sous un jour odieux, les menées secrètes du marquis de Favras ; ils parlèrent de ses rapports avec Marquier ; ils confondirent habilement les plans qu’il avait formés autrefois pour la Hollande, et dont ils avaient été les instrumens eux-mêmes, avec ses projets actuels ; les chevaux qu’il avait demandés à Versailles, le 6 octobre, à M. de Saint-Priest, pour dissiper les hordes parisiennes, ils les convertirent en une tentative d’enrôlement pour commencer la guerre civile en France. Le comité des recherches fut frappé de ces renseignemens, qui concordaient à merveille, en ce qui touchait les conversations du marquis de Favras et de Marquier, avec les rapports de l’espion Joffroy, qui avait été, comme on sait, témoin des conférences de la Place-Royale. En outre, ces documens nouveaux, qui donnaient aux fantaisies peu dangereuses d’un contre-révolutionnaire obscur les proportions d’une conspiration véritable, répondaient trop bien aux secrets désirs du comité, ils justifiaient trop à point par la nécessité ses moyens d’action et ses scrupules, pour qu’il ne s’empressât pas d’exciter le zèle de ceux qui les apportaient. Morel et Tourcaty furent donc encouragés à diverses reprises, ceci est incontestable. On fit plus que de les encourager, on leur insinua, et ils comprirent qu’il fallait livrer mieux que des soupçons, qu’il fallait surprendre et saisir en flagrant délit la conspiration et le conspirateur. La remise d’une brochure ne constituait pas un corps de délit suffisant ; il importait que M. de Favras se compromît plus gravement ; un piège pouvait aisément lui être tendu ; ils le lui tendirent aussitôt.

Morel et Tourcaty commencèrent par abonder dans le sens du marquis de Favras ; ils se montrèrent plus épouvantés qu’il ne l’était lui-même du sens que prenaient les agitations du faubourg Saint-Antoine ; ils lui firent chaque jour les rapports les plus alarmans. L’important selon eux, c’était de mettre le roi à l’abri d’un coup de main, et rien, à les entendre, n’était plus facile. Ayant des relations journalières avec les soldats de fortune, ils pouvaient mieux que personne recruter cette phalange secrète dont M. de Favras avait eu l’idée, et qui, au jour du danger seulement, devait se montrer tout à coup, tenir tête au premier orage et former le noyau d’une armée de résistance à laquelle, le cas échéant, se rallieraient les royalistes de toute la France ; mais, pour mener à bien ces enrôlemens mystérieux, il fallait avant tout de l’argent. Morel et Tourcaty n’ignoraient pas les relations du marquis de Favras avec M. de La Châtre ; ils savaient que, par son entremise, il avait obtenu de M. le comte de Provence une pension pour son fils. Ils insinuèrent habilement que, pour réaliser un emprunt dont la pensée n’avait rien que d’honorable et dont le résultat pouvait être si important, le comte de Provence ne refuserait sans doute pas un consentement tacite et l’offre de son crédit. Ils connaissaient un banquier qui prêterait volontiers une somme de 2 millions, s’il le fallait, sur une simple assurance des gens d’affaires de Monsieur. Excité par ces deux hommes dont il ne connaissait pas la fourberie et par l’espoir d’une réussite presque certaine, M. de Favras consentit à se laisser conduire par Morel chez M. Pomaret, banquier de Lyon, qui se trouvait alors à Paris. Il n’avait pas encore d’intention bien arrêtée. Il voulait s’assurer uniquement de la possibilité d’un emprunt et connaître les conditions du banquier avant de mêler, même indirectement, le comte de Provence à cette affaire. M. Pomaret, qui s’est montré dans le procès un homme très loyal et très honnête, offrit en effet de trouver une somme de 2 millions, pourvu que l’on offrît des sûretés convenables aux prêteurs. M. de Favras, dans une seconde visite, parla vaguement de délégations qui pourraient être fournies par un personnage très considérable sur la terre de Sainte-Assises, ou sur le trésor royal ; il mentionna également une vaisselle d’argent d’une valeur de 4 ou 500,000 francs, mais sans rien articuler de précis, sans nommer personne et sans prétendre être autorisé à conclure. M. Pomaret, soit qu’il soupçonnât cette affaire de n’être pas exclusivement financière, soit qu’il n’eût pas grande confiance dans ceux qui la proposaient, ne parut pas se soucier de s’en mêler, il l’ajourna ; M. de Favras n’insista point, et il n’en fut plus question.

Morel cependant n’était pas homme à lâcher sa proie. M. de Favras avait donné déjà dans le panneau, il fallait l’y pousser complètement. Une affaire de banque ne se conclut pas sans laisser de traces. Saisir un gentilhomme pauvre, déjà suspect, en flagrant délit d’un emprunt de 2 millions ; compromettre avec lui le prince qui le protégeait, c’était, pour un homme pareil, un coup de maître, c’était surtout un moyen assuré de gagner la récompense de 24,000 livres publiquement promise par le comité des recherches, et de payer une dette de 8,000 francs pour laquelle il allait être poursuivi. Il s’agissait de découvrir un banquier moins scrupuleux et plus accommodant que M. Pomaret, et l’on trouva dans M. Chomel l’homme que l’on cherchait. Sans aller aussi loin que le baron de Cormeré, frère de M. de Favras, qui prétend, dans un livre[8] écrit avec une passion très excusable, que M. Chomel ne fut que le prête-nom du comité des recherches et son agent direct, il est à croire qu’il fut au moins désigné par un membre de ce comité comme étant très propre à mener à bonne fin l’affaire en question. M. Chomel était Hollandais ; c’était un grand point, car M. de Favras, dont on connaît les anciens projets sur le Brabant, pouvait s’en servir comme d’un prétexte pour traiter avec lui. À ce titre, l’emprunt n’avait rien de suspect ; M. Chomel faisait au contraire acte de patriotisme en le fournissant, et le comte de Provence pouvait être nommé sans crainte et y souscrire sans scrupule. Plusieurs conférences eurent lieu. M. de Favras discuta lui-même les conditions de l’emprunt de 2 millions. Ces conditions furent définitivement arrêtées, sauf la ratification de Monsieur, et le comte de Provence les ratifia : cela ne peut être sérieusement contesté.

Nous arrivons ici à la partie la plus délicate de cette mystérieuse affaire. La complicité présumée du comte de Provence a seule donné une grande importance au complot véritablement fantasmagorique imputé au marquis de Favras. Monsieur conspirait-il avec Favras ? l’a-t-il poussé secrètement pour le désavouer plus tard ? Favras n’était-il, comme on l’a dit, qu’un instrument obscur qui fut brisé, au jour du danger, par la main puissante qui l’employait ? Ces questions ont agité long-temps la ville et la cour ; elles ont été résolues en sens divers, et la passion des partis y a trouvé un long sujet d’attaques calomnieuses et de récriminations virulentes. Tandis que les amis du comte de Provence reniaient M. de Favras, le traitaient d’aventurier inconnu, dont les projets même n’étaient jamais arrivés jusqu’à l’oreille du prince, les partisans de la révolution affichèrent tout à coup une grande commisération pour celui qu’ils avaient fait périr, et accusèrent Monsieur d’être le vrai coupable. Le général en chef de l’armée de Paris, qui s’exagéra toujours l’importance de cette prétendue conspiration, qui la suivit du regard dès le début, M. de Lafayette, dont l’aide-de-camp se trouve mêlé dans toutes les pièces de la procédure à toutes les menées du comité de recherches, s’explique très formellement à cet égard dans ses mémoires : « Favras, dit-il, est mort en héros de fidélité et de courage. Monsieur, son auguste complice, a manqué de l’un et de l’autre… Ce prince ne fut pas étranger au projet de renverser Bailly et Lafayette… Le projet de les assassiner n’est pas douteux, quoiqu’il ait été nié par Favras. Il avait été question aussi de levées secrètes déjà commencées, de l’emprunt secret de Monsieur, de l’enlèvement du roi à l’aide des chevaux de sa maison ; mais tout fut déjoué par les mesures de l’Hôtel-de-Ville[9]. » Plus loin, il ajoute que la conspiration, d’après ce que lui aurait dit plus tard M. de Cormeré, « pourrait avoir été différente de celle qu’on a publiée, et que les papiers du vrai complot, recueillis par M. Talon, ont été remis à Louis XVIII par sa fille, et sont devenus l’occasion de ses relations avec lui. »

Il ne faut admettre qu’avec une grande réserve cette dernière supposition, bien que M. Droz soit venu l’appuyer dans son Histoire du règne de Louis XVI par un témoignage qui serait très frappant, s’il n’était anonyme. Il est bon toutefois de remarquer en passant que M. de Lafayette admet que la conspiration de Favras pourrait avoir caché d’autres projets que ceux qui ont motivé son arrestation. Dans tous les cas, le commandant-général croyait le comte de Provence coupable, et peut-être n’en était-il pas très fâché. Outre la déclaration que nous avons citée, il semble avoir fait à un Américain de ses amis, le lendemain de l’arrestation de Favras, une confidence fort grave que l’on s’étonne de ne point trouver dans ses mémoires. Voici ce que Gouverneur Morris raconte dans son mémorial écrit jour par jour : « 27 décembre… Après dîner, Lafayette nous conduit, Short et moi, dans son cabinet. Là, il nous dit que depuis long-temps il avait connaissance d’un complot ; qu’il l’a suivi à la trace, qu’il a enfin arrêté M. de Favras, qu’on a trouvé sur lui une lettre de Monsieur, laquelle semblait prouver que Monsieur n’y était que trop impliqué ; qu’il s’était rendu, muni de cette lettre, chez Monsieur, et la lui avait remise en lui disant qu’elle n’était connue que de lui et de M. Bailly ; qu’en conséquence Monsieur ne serait pas compromis ; que Monsieur avait été enchanté de cette assurance… que cependant il était allé ce matin à la commune prononcer un discours conseillé sans doute par Mirabeau, que lui, Lafayette, considère comme un misérable[10]. »

Voilà donc, d’un côté, M. le comte de Provence mis en cause par M. de Lafayette et jugé criminel de lèse-nation, au même degré que Favras, par les journaux de son parti ; de l’autre, il est déclaré complètement étranger à l’intrigue qui se fomentait à l’aide de son nom. La vérité est entre ces deux extrêmes. Monsieur n’a pas été le complice d’une grande conspiration contre l’état, parce que cette conspiration n’a jamais existé que dans l’imagination de M. de Lafayette et de ses amis ; il a été, indirectement peut-être, mais il a été mêlé très certainement au projet fort peu criminel que M. de Favras ourdissait secrètement, et dans tous les cas il a autorisé l’emprunt de 2 millions chez M. Chomel ; il en a connu les conditions et il les a ratifiées. Les preuves abondent. Il suffit d’écouter la déposition de M. de La Ferté, son trésorier-général. « Le 17 décembre, je reçus ordre de Monsieur de me rendre chez lui le lendemain matin. J’y fus. Monsieur me fit l’honneur de me dire qu’on lui proposait une somme de deux millions à emprunter pour les arrangemens de sa maison, de voir quelles pourraient être les conditions dudit emprunt, et que j’en fisse part à M. de La Châtre. J’allai en conséquence chez M. le comte de La Châtre, où je trouvai un chevalier de Saint-Louis (qu’on m’apprit se nommer M. le marquis de Favras). Il me fit part qu’il était assez heureux pour pouvoir être de quelque utilité à Monsieur en lui procurant un prêt de 2 millions chez un banquier hollandais de sa connaissance. Ledit sieur marquis de Favras me fit alors connaître les conditions de cet emprunt, dont le versement devait se faire en mes mains : savoir, 100,000 écus tant en argent qu’en bons de caisse, etc., etc., l’intérêt à 5 pour 100 et 2 pour 100 de commission, les 2 millions devant être remboursés en six années. Ces conditions ne m’ayant paru contenir rien que de raisonnable, je priai M. Morel de Chedeville (intendant de la maison de Monsieur) de dresser l’acte de soumission du banquier. M. de Favras revint chez moi le 22 décembre, et me remit la soumission de M. Chomel, banquier à moi inconnu. J’eus l’honneur de la porter le lendemain à Monsieur, qui, n’y ayant rien trouvé que de légal, écrivit de sa main son acceptation[11]. »

Cette déposition est formelle ; aucun doute ne peut subsister. M. le comte de La Châtre, premier gentilhomme de Monsieur, va la confirmer encore. Nous ne citerons qu’un court passage de sa déposition au Châtelet, copié sur la pièce originale signée et paraphée qui se trouve dans les archives de la préfecture de police : « M. de Favras me dit un jour qu’il avait appris que Monsieur avait besoin d’argent ; qu’il se trouvait heureux de donner, dans cette occasion, à Monsieur des preuves de son respect ; qu’il connaissait des banquiers hollandais qui prêteraient volontiers jusqu’à la concurrence de 2 millions, et que par zèle il avait fait vis-à-vis d’eux des démarches préliminaires. Je le priai de les revoir de nouveau. Il revint m’apporter de nouvelles assurances dont je fus rendre compte aussitôt à Monsieur, qui me fit l’honneur de me répondre positivement : — Je prendrai volontiers les 2 millions. Traitez cette affaire avec M. de Fatras. A quoi j’ai eu l’honneur de répondre que je demandais à ne m’en point mêler, et que je suppliais Monsieur de faire cette opération par ses gens d’affaires ; sur quoi Monsieur écrivit devant moi à son trésorier de venir prendre ses ordres le lendemain matin, ce qui fut exécuté. »

Au reste, le comte de Provence lui-même, dans le discours qu’il prononça à la commune, ne désavoue pas sa participation à l’emprunt. « M. de Favras, dit-il, m’a été indiqué, il y a quinze jours, par M. de La Châtre comme pouvant effectuer par deux banquiers un emprunt de 2 millions. J’ai souscrit une obligation pour cette somme qui m’était nécessaire pour payer ma maison[12]. » Le comte de Provence, on le voit, ne pouvait pas nier et ne niait pas l’emprunt. Il se contentait de l’expliquer. Il s’agissait uniquement, selon lui, de couvrir les dépenses de sa maison, et, quant à M. de Favras, il ne lui avait pas parlé, il ne l’avait point vu depuis onze ans qu’il était sorti des Suisses. Les représentans de la commune se seraient payés en ce moment de raisons moins bonnes encore ; ils étaient au fond extrêmement flattés de voir un prince du sang venir s’excuser à leur barre, prendre le titre de citoyen et faire devant leur juridiction encore récente une démarche que beaucoup de gens nommèrent « une platitude. » On s’aperçoit, en y réfléchissant, que la déclaration du prince n’était guère acceptable. Comment ! le comte de Provence, un des plus riches particuliers de France, a besoin de 2 millions pour les dépenses de sa maison, et il ne peut négocier cet emprunt que par l’entremise d’un gentilhomme obscur, sans fortune, sans crédit, qu’il connaît à peine, et qu’il n’a pas vu depuis plus de dix ans ! Le comte de Provence a des trésoriers-généraux, des intendans, des régisseurs, des hommes d’affaires de tous grades et de toutes qualités, et pour une négociation financière toute simple, tout ordinaire, il a recours à un certain M. de Favras qui demeure à un troisième étage au fond du Marais ! Quoi de plus invraisemblable ? Monsieur aimait les intrigues ; il s’en nouait beaucoup autour de lui ; il les excitait par goût et par ambition ; l’emprunt négocié par le marquis de Favras ne lui parut certainement pas aussi naturel qu’il le déclara avec ce ton de bonhomie que son esprit rusé savait prendre. Le comte de La Châtre, comme on l’a vu par sa déposition, ne s’y était pas laissé tromper. Il connaissait son maître, il connaissait aussi M. de Favras, et il soupçonnait sans doute la vérité quand il demandait comme une grace de n’être point mêlé à cette affaire. Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut délivrer à Monsieur un brevet d’innocence ; il eut certainement des relations avec le marquis de Favras ; il l’encouragea probablement ou le fit encourager de loin. Le doute semble impossible, bien que M. de Favras ait protesté noblement jusqu’au dernier soupir contre les soupçons qui remontaient jusqu’à son protecteur, contre une délation qui lui était tacitement demandée, et qui lui eût peut-être sauvé la vie ; mais, il ne faut pas se lasser de le répéter, le comte de Provence pouvait parfaitement connaître et même encourager le projet très innocent au fond et même très honorable de M. de Favras sans être le moins du monde coupable envers son pays. Le mensonge et la passion, les faux témoignages et les préjugés, la peur, l’envie, la cupidité et l’esprit de parti ont seuls pu donner les proportions d’un coup d’état chimérique, d’une contre-révolution imaginaire, à une simple tentative de résistance aux fureurs éventuelles de l’émeute et à l’assassinat. Seulement, lorsque l’opinion générale, égarée par de faux rapports, excitée par l’atmosphère de la révolution qui embrasait la France, eut pris parti contre Favras et accepté aveuglément l’accusation portée contre lui, le comte de Provence ne se sentit pas la force de lutter contre le sentiment populaire et de le ramener à la vérité. Il se mit en dehors de l’accusation et nia une complicité fort excusable, disons-le encore, alors même qu’on admettrait avec M. Droz le projet bien arrêté d’enlever le roi, pour lui rendre sa liberté d’action. Sans doute, ce ne fut point là de l’héroïsme ; mais cette habileté, si elle n’a rien qui enthousiasme, est tolérée, à ce qu’il semble, comme une nécessité en politique, et la circonspection ne passe point pour un crime. Il en fallut beaucoup au comte de Provence pour éviter de laisser sa trace dans cette affaire, car, si l’on ne put jamais produire de preuves contre lui, on ne négligea rien pour en acquérir. Le banquier Chomel, habilement conseillé par Morel et par le comité des recherches, mit tout en œuvre pour attirer dans le piège tendu à M. de Favras le prince dont ils soupçonnaient la secrète intervention.

Prendre Monsieur en flagrant délit de conspiration, à la fin de 1789, quelle aubaine ! Aussi rien ne fut-il négligé. La négociation financière commencée, on pressait M. de Favras, on le harcelait sans relâche ; on lui écrivait sans cesse pour l’obliger à répondre, on manquait à tous les rendez-vous pour le forcer à mettre sur le papier des réponses compromettantes à des questions insidieusement posées. Toutes ces lettres existent, et nous pouvons copier sur les textes mêmes[13]. À dater du 8 décembre, M. Chomel ouvre la correspondance. « J’attends en vain depuis deux jours, monsieur le marquis, votre réponse à la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire avant-hier. Les personnes avec qui je traite sont surprises de ce retard. Il faudrait conclure sans délai. » Le 14, il ajoute : « Je vous supplie, monsieur le marquis, de vouloir bien avoir la complaisance de me faire savoir où nous en sommes ; mes commettans sont surpris de ce retard. » Le 16, il revient à la charge, et cette fois il se montre plus explicite. « J’ai pensé, monsieur le marquis, qu’au cas où vous trouveriez encore quelques difficultés à faire approuver le projet de soumission par la personne principale, il serait suffisant qu’il fût approuvé par quelques personnes connues attachées à la personne principale ; mais il faut surtout se hâter. » Quatre jours après, on regrette cette concession ; on paraît craindre que ce moyen terme ne soit accepté et que le comte de Provence ne se dérobe par cette issue maladroitement ouverte, et M. Chomel écrit le 20 décembre : « Je n’ai pu réussir à lever la difficulté principale. Mes amis (on devine quels étaient ces amis anonymes), mes amis sont très mécontens que j’insiste auprès d’eux pour les engager à se relâcher davantage. Ils disent, et j’avoue que je ne sais quelle réponse valable leur faire, qu’assurément leur objet ne peut avoir été de faire une simple opération de finances ; que, sous ce point de vue, ils se seraient exposés de gaieté de cœur à perdre 4 ou 500,000 francs. Ils ne se sont pas fait d’illusion à cet égard dès le principe, et il ne peut y avoir que le désir ardent de rétablir les affaires dans leur patrie qui puisse engager des particuliers, même opulens, à s’exposer à de tels risques. » Il va sans dire que, sous le nom de patrie, on désigne ici la Hollande, qui était la patrie de M. Chomel, mais on a soin de ne pas la nommer. On parle au figuré et l’on invite à répondre sur le même ton. Puis on ajoute « Il ne peut exister de sûreté à l’égard de mes amis qu’autant qu’ils pourront se convaincre que les deux personnes distinguées dont vous nous avez parlé s’intéressent véritablement à eux, surtout la première, qui seule peut assurer les opérations et les récompenses. On se croit en droit de solliciter à cet égard des assurances positives, par écrit, et l’on estime avoir poussé les égards aussi loin qu’il est possible en ne demandant que d’avoir de telles assurances sans prétendre les garder en main. » Le sens de ces lettres est clair. Si le comte de Provence faisait un emprunt ordinaire pour ses propres dépenses, pourquoi donc aurait-il refusé de donner les sûretés convenables ? Rien de plus naturel et de plus simple ; mais ce n’était pas une opération de finances, les banquiers prenaient soin de le dire, et ils ne se trompaient pas, puisque Monsieur y regardait de si près avant de s’engager, et refusait même, s’il faut en croire la lettre suivante, datée du lendemain, les garanties exigées. « Tous mes efforts ont été inutiles, monsieur le marquis ; mes amis ne conçoivent pas qu’on puisse trouver étrange qu’ils demandent des sûretés, et comment quelqu’un serait compromis en leur donnant quelque assurance à cet égard. Ils observent avec fondement que, comme il ne s’agit que d’eux et de leur patrie uniquement, il ne saurait y avoir de danger à confirmer les promesses de protection qui leur ont été faites. » Leur patrie ! toujours cette fabuleuse Hollande ! Et qu’importait alors au comte de Provence que M. de Favras recrutât une légion pour le Brabant ? S’il consentait, ce qui est peu probable, à emprunter dans cette intention bizarre, pourquoi n’en pas convenir plus tard, et déclarer au contraire qu’il ne s’agissait que des affaires de sa maison ? Là est tout le mystère, et la vérité s’entrevoit sous ces images.

MM. de Lafayette et Bailly suivaient de loin ces négociations, sans se douter apparemment des supercheries et des ruses que l’on mettait en jeu. Trompés par les rapports exagérés de certains agens qui flattaient sciemment leur désir et leur orgueil, ils donnaient par erreur à ce complot une importance qu’il était loin d’avoir, mais qu’ils lui eussent désirée. Les attaques injustes dont ils se croyaient l’objet, les menaces de mort auxquelles, pensaient-ils, ils étaient en butte, grandissaient aux yeux de leurs partisans leur cause et surtout leur rôle. Le danger qui semblait les environner ravivait le zèle de leurs amis. Ils entretenaient sans déplaisir l’excitation que causait autour d’eux l’intrigue éventée de Favras, dans laquelle des témoins calomnieux devaient bientôt signaler la préméditation d’un assassinat. M. de Lafayette lui-même, qui était si grand alors par ses campagnes d’Amérique, par sa foi inébranlable dans les idées nouvelles et par son ascendant immense sur la bourgeoisie, n’était pas insensible à ces recrudescences de dévouement que mille petits faits, grossis à plaisir, produisaient autour de lui. Dans le commandant-général, chevaleresque comme un gentilhomme et enthousiaste comme un croisé, il y avait place pour l’homme politique, devenu rusé au contact des partis et astucieux dans le maniement des affaires : pour arriver à de grandes choses, il ne dédaignait pas les petits moyens. Les hommes éminens, à toutes les époques, ont été sujets à cette faiblesse[14]. Mirabeau, qui ne doit être consulté, à la vérité, que sous toutes réserves, à l’égard de M. de Lafayette, Mirabeau, dans sa correspondance récemment publiée[15], s’exprime très violemment, à cette même date, sur le compte du commandant-général, qu’il nomme tour à tour « le sous-grand homme ou Gilles César. » - « L’intrigue, écrit-il quelques jours après l’arrestation de Favras, a redoublé d’activité et d’indifférence de moyens, au point qu’on a trouvé dans la rue une sentinelle de la garde nationale assassinée avec cet écriteau : Va dans l’autre monde attendre Lafayette. Or, vous noterez qu’aujourd’hui cette sentinelle se porte fort bien. » Le lendemain, il ajoute : « Je vous ai parlé de la scélérate facétie du garde national assassiné. Il se porte aussi bien que vous et moi. Paris n’en retentit pas moins de cris de fureur et de rage sur cet attentat imaginaire, et les bandes nationales disent tout haut que, si leur général éprouve un malheur quelconque, les nobles, les prélats, le clergé, etc., etc., serviront d’hécatombe à cette grande victime. Vous voyez que cet homme, qui du moins a le talent de tenir ses gens en haleine, a su se faire beaucoup de capitaines des gardes. » Il va sans dire que Mirabeau, qui détestait Lafayette, pousse beaucoup trop loin l’accusation en le désignant comme l’auteur même de ces événemens. M. de Lafayette, habile sans doute, mais loyal avant tout, était incapable de pareilles menées ; seulement son entourage préparait la pièce, il la prenait aisément au sérieux, et il en profitait sans trop de scrupules.

Ce fut ce qui advint dans l’affaire de Favras. Cependant les négociations avec le banquier Chomel semblaient avoir réussi ; l’emprunt devait être conclu le 24 décembre, et l’on devait toucher le soir même un premier à-compte de 300,000 francs. Il semblerait que M. de Favras conçut des soupçons le dernier jour, et fut près de tout abandonner. Il existe de lui, car rien ne se perd, un petit billet[16] adressé à M. Chomel dans la matinée, et qui le prouve. Ce billet n’est pas signé, mais il est facile, sans être expert en cette matière, de reconnaître l’écriture ferme et courante de M. de Favras, son papier bleuâtre et jusqu’au sable d’or qu’il employait. Il écrivait : « Tout est disposé pour conclure aujourd’hui ; dans ce cas, M. Chomel, sur l’avis de ces messieurs, pourra y procéder. Si on y trouve quelque empêchement, il devient inutile de s’occuper davantage de l’emprunt en question. »

Ainsi donc une objection de plus, et M. de Favras renonçait à cette affaire si péniblement poursuivie. Enfin il ne croyait pas devoir signer sa lettre, ce qu’il n’eût pas manqué de faire sans doute, si l’emprunt eût été une négociation aussi simple que Monsieur le disait, et que Favras lui-même l’a prétendu. Maintenant qu’arriva-t-il dans cette journée où le marquis de Favras perdit pour toujours sa liberté. La déposition de M. de La Ferté va nous l’apprendre. « M. le marquis de Favras, déclare-t-il, se rendit le 24 sur les six heures du soir chez moi, et me présenta M. Chomel. Je lui fis voir l’acceptation de la soumission. M. Chomel, trouvant l’affaire en règle, me pria de lui donner quelqu’un pour l’accompagner et faire mettre dans son fiacre 40,000 fr. en espèces, qu’il disait être tout prêts chez M. Sertorius, autre banquier à moi inconnu, le surplus devant être payé en billets de la caisse d’escompte. Je crus devoir faire quelques représentations sur ce que la nuit il pouvait y avoir quelques dangers à transporter dans un fiacre une somme aussi considérable en espèces ; mais, M. Chomel ayant témoigné le désir que l’affaire se terminât le soir même (il avait pour cela de bonnes raisons, comme on va voir), je fis descendre le caissier du trésor de Monsieur, on fit avancer une voiture, et ces messieurs partirent ensemble. M. le marquis de Favras les attendit dans mon cabinet, et, l’avant prié de me permettre d’écrire plusieurs lettres qui devaient partir le même soir, il voulut bien y consentir, et se mit à lire les papiers publics et journaux qui se trouvaient sur ma cheminée. M. de Chedeville (le caissier) revint seul et nous apprit que le premier paiement n’avait pu se terminer le soir, M. Sertorius lui ayant dit qu’ayant été prévenu trop tard, son caissier n’y était plus… M. de Favras se retira en me faisant l’honneur de me dire qu’il reviendrait voir l’affaire se terminer le lendemain, s’il pouvait[17]. »

Cinq minutes plus tard, on arrêtait M. de Favras ; M. Chomel n’avait eu garde de reparaître le soir. Le tour était joué ; on avait habilement laissé l’affaire se consommer, et le comité des recherches tenait sa proie ; ses agens attendaient depuis l’entrée de la nuit, à la porte même de M. de La Ferté, la sortie du marquis de Favras. L’espion Joffroy les conduisait ; il s’était blotti dans la loge du suisse, ainsi qu’il le raconte lui-même[18]. Les officiers d’état-major qui devaient lui prêter main-forte étaient cachés dans des voitures. Lorsque, à neuf heures moins un quart, M. de Favras sortit, Joffroy appela un des officiers, suivit M. de Favras jusqu’à la rue Beaurepaire ; là, il lui sauta au collet et l’arrêta, suivant les ordres qu’il venait de recevoir. Le même jour, dans le même instant, à neuf heures du soir, on arrêtait, Place-Royale n° 21, Mme la marquise de Favras, et on saisissait les papiers de son mari. Là, ce n’étaient point seulement des officiers d’état-major qui opéraient : c’était l’aide-de-camp même de M. de Lafayette, M. Masson de Neuville, qui en a déposé publiquement et qui a signé le procès-verbal de cette arrestation[19]. M. et Mme de Favras, amenés d’abord à l’Hôtel-de-Ville, où ils subirent pendant la nuit un premier interrogatoire et conduits ensuite à la prison de l’Abbaye-Saint-Germain, furent enfermés séparément et mis au secret. Le soir même, on parla vaguement dans les cafés et dans les rues de l’arrestation de plusieurs aristocrates ; mais, dès le lendemain, un billet ainsi conçu et tiré à des milliers d’exemplaires courut dans tout Paris et fut reproduit par plusieurs journaux : « Le marquis de Favras et la dame son épouse ont été arrêtés hier pour un plan qu’ils avaient fait de soulever trente mille hommes pour assassiner M. de Lafayette et le maire de Paris, et ensuite nous couper les vivres… Monsieur, frère du roi, était à la tête[20]. » Cet écrit, signé Barauz, colporté dans les clubs, lu à haute voix sur les bornes, commenté dans les groupes, donna la fièvre à toute la ville. L’opinion publique s’exalta sur-le-champ jusqu’au délire, se réjouit du drame qui lui était promis, en esquissa d’avance les principales scènes, en arrangea le dénoûment. La vérité, si elle était simple, n’avait plus aucune chance d’être acceptée par la foule, dont la curiosité était affriandée. Enfin ce fut à l’occasion de cet écrit et pour lui répondre, que Monsieur alla le lendemain, sur le conseil de Mirabeau, faire à la commune le discours dont nous avons parlé. Cette démarche justifia jusqu’à un certain point l’émotion de la veille, et assura l’importance du complot. Quel qu’il fût, celui qui avait lancé ce billet perfide sous forme d’annonce et de préface avait réussi. La mise en scène était habile, et le public était préparé. Cet homme, qui avait pris le nom de Barauz et qu’on ne put pas découvrir, bien que 500 louis eussent été promis publiquement par le comte de Provence à qui le dénoncerait, quel était-il ? C’était, à ce qu’il semble résulter de quelques dépositions inédites[21], un tailleur du nom de Posel, aidé d’un coiffeur nommé Brichemier. Ils avaient fait, dirent-ils, la chose par plaisanterie, et l’on feignit de le croire. C’était se montrer de bonne composition ; mais, à distance, les plaisanteries qui ont de pareils résultats sont jugées différemment, et il semble probable que ce billet n’émanait pas simplement de ces inconnus, et se rattachait étroitement à la sombre machination de Morel.


III

Aussitôt après son arrestation, M. de Favras avait été conduit, à l’Hôtel-de-Ville, devant le comité des recherches. Avant de répondre un seul mot aux questions qui lui étaient adressées, il avait demandé formellement que le commandant-général et le maire de Paris fussent présens à son interrogatoire. On les fit appeler, et ils vinrent aussitôt. C’était la première fois que M. de La Fayette voyait Favras. Il répondit dans ce premier interrogatoire avec beaucoup de sang-froid et de fermeté, sans faire mystère de son royalisme et de son dévouement au comte de Provence. Quand il fut question de l’emprunt, il en parla avec un peu d’hésitation, avec quelques réticences, et avec la crainte évidente de compromettre malgré lui le frère du roi.

L’accusation, au reste, était encore fort indécise. Hors l’emprunt, les conférences avec Marquier et les indices vagues du projet d’enlever Louis XVI pour le mettre à l’abri d’un nouveau 6 octobre, elle avait peu à dire. C’était Morel, Morel seul, qui allait, quelques jours après, devant les juges du Châtelet, donner par sa déposition un caractère nouveau et odieux au marquis de Favras et à son complot. Ce n’était pas tout que de l’avoir livré, il fallait prouver que la prise était bonne. Il en fit donc un assassin et un traître. Avec une habileté singulière, il développa le plan fantasmagorique d’une conspiration immense qui mettait sur pied deux cent mille hommes de Strasbourg à Péronne et de Montargis à la frontière du Brabant. À ce projet imaginaire il rattacha adroitement l’épisode de la demande des chevaux à M. de Saint-Priest, les conversations avec le lieutenant Marquier, la levée pour la Hollande et l’emprunt de 2 millions. Il déclara que dans la pensée de M. de Favras, dont il s’avouait le complice, le meurtre de M. de Lafayette devait être le signal de cette contre-révolution terrible. Il fit plus, il déclara avec le plus révoltant cynisme qu’il avait demandé, lui Morel, et obtenu le rôle d’assassin dans cette tragédie. « Craignant, dit-il, qu’une main moins sûre ne fût choisie, je m’étais chargé de faire le coup moi-même[22]. » Il entrait à ce sujet dans les plus grands détails. « Le soir de l’enlèvement du roi, quatre hommes bien montés devaient se porter dans un endroit convenu pour attendre la voiture de M. de Lafayette. Dès qu’on l’aurait vue, deux des quatre cavaliers devaient aller au-devant au petit pas, faire signe au cocher d’arrêter en disant qu’on avait un avis très important à donner au général, qui n’aurait pas manqué de mettre la tête à la portière, et dans ce moment je lui aurais lâché à bout portant un coup de pistolet. »

Telle fut la fable indigne, l’accusation sans preuve et sans vraisemblance qui donna tout à coup une physionomie nouvelle au procès. Tourcaty lui-même, le collègue de Morel, n’osa pas tenir un pareil langage, et cette déclaration formidable ne fut jetée dans le débat que par un seul homme qui était à la fois dénonciateur et témoin. M. de Favras y répondit avec une hauteur et une fierté qui déconcertèrent un instant les juges et le public. « Sa vie entière, s’écria-t-il, et son honneur de gentilhomme protestaient suffisamment contre des infamies de ce genre. Sans doute il était dévoué au roi et prêt à mourir pour sa cause ; mais il y avait loin des sentimens d’un royaliste qui souffrait de voir son souverain prisonnier dans son palais - aux plans de coupe-jarret qui lui étaient attribués par un espion patenté qui vivait d’escroquerie. Il n’avait rien de plus à répondre, et il plaindrait des juges qui, sur le témoignage d’un tel coquin, pourraient condamner un honnête homme ! » M. de Favras parlait avec facilité. Son attitude pendant ce procès, qui dura près de deux mois, en imposa souvent, même à ses plus ardens ennemis. Quand, en face de ces témoins mal famés, on voyait se lever ce chevalier de Saint-Louis, remarquable par la hauteur de sa taille, par la beauté de sa figure, par l’énergie de son regard et par la mâle simplicité de son langage, un frémissement parcourait l’auditoire. Les journaux les moins suspects de partialité envers la cour prenaient parti pour l’accusé. La feuille de Prudhomme, qui avait d’abord demandé la mort de l’accusé comme un exemple salutaire de la sévérité nationale, s’écriait peu de jours après : « Il faut être juste même pour M. de Favras… Avant de le condamner, il faut épuiser tous les moyens par lesquels il serait possible de découvrir s’il est innocent… C’est une chose si bornée, si vague, si incomplète que l’échelle de nos certitudes… Plus une accusation est invraisemblable, plus il faut être difficile sur les preuves… Or, que le sieur Favras soit un aristocrate, enragé, c’est ce dont on ne saurait douter ; mais rien n’est moins prouvé que le plan dont on l’accuse, et quant aux témoins qui l’inculpent, quels hommes sont-ils ?… » Ainsi, bien que le parti de la cour fût sur le banc de l’accusation dans la personne de M. de Favras, les républicains modérés avaient des scrupules, et les démagogues les plus furieux n’acceptaient pas eux-mêmes les autorités de l’Hôtel-de-Ville. Marat, dans son journal l’Ami du Peuple, les apostrophait en style de carrefour : « Vous poussez l’effronterie, s’écriait-il, jusqu’à vous constituer nos maîtres contre notre volonté… Il faudra donc vous chasser ;… oui, vous chasser… Mais vous tenez à votre Hôtel-de-Ville comme les poux tiennent à la teigne. »

De leur côté, M. de Lafayette et M. Bailly, dégoûtés peut-être par le cynisme de Morel et voulant mettre leur conscience à l’abri du remords, écrivaient au lieutenant civil la fameuse lettre dans laquelle ils déclaraient que Morel avait été le dénonciateur de toute l’affaire[23]. Les amis de M. de Favras avaient donc bon espoir. Ni l’instruction, ni les témoins, ni les débats n’avaient produit à sa charge un nouveau fait de quelque importance. On se donna beaucoup de peine pour établir, sur la déposition de Mme Savournin, que M. de Favras avait mis à son chapeau une cocarde blanche, quelques jours avant le 6 octobre, au moment sans doute où les officiers du régiment de Flandre avaient eu la folie d’en faire autant. On interpréta péniblement quelques lettres écrites à M. de Foucault, son ami, afin de leur donner un sens inconstitutionnel ; bref, pour tout homme impartial et de sang-froid, il résulte de cette procédure que M. de Favras, bien qu’il s’en soit toujours défendu, avait réellement un projet, le projet de répondre à un coup de main contre le roi par un coup de main contre les agresseurs ; mais il paraît également démontré que le nec plus ultra de son plan eût été de soustraire le souverain à la domination de Paris en le conduisant à Péronne ou à Metz, d’où il eût pu gouverner librement. Ce projet était de nature à trouver place dans son rêve, et, s’il l’eût exécuté, la postérité aurait sûrement amnistié sa mémoire ; mais comment songer autrement qu’en rêve à une pareille tentative ? Il ne s’agissait de rien moins, disait-on, que d’assassiner MM. de Lafayette et Bailly, d’enlever de vive force, en plein jour, le roi et la famille royale à trente-six mille hommes armés et à trois cent mille citoyens qu’un coup de cloche pouvait faire mettre sous les armes. De quelle puissante armée disposait donc ce pauvre gentilhomme pour qu’il osât tenter un pareil coup de main ? On a dit qu’il était parvenu à rassembler douze cents cavaliers : c’était bien peu pour une telle entreprise ; c’était vouloir renouveler les faits les plus héroïques de l’antiquité. Et d’où vient qu’après les investigations judiciaires les plus minutieuses, il a été impossible de découvrir le dépôt de ces douze cents chevaux, de produire même un seul cheval ou un seul de ces cavaliers ? Évidemment on a fait à M. de Favras un rôle trop grand pour sa taille ; ou a vu des actes où il n’y avait encore que des songes, on a confondu la préméditation avec l’accomplissement. Au reste, cette idée que M. de Favras eut le premier d’enlever le roi et de le conduire à Metz pendant que l’on débattrait à Paris ce qu’Henri IV appelait « les questions de ménage » fut adoptée trois mois plus tard par Mirabeau. « La première pensée de Mirabeau, dit M. de Lamarck, était de sauver le roi dans le bouleversement général, de l’arracher aux mains des anarchistes, qui ne pouvaient pas manquer de devenir bientôt ses bourreaux[24]. » Mirabeau voulait encore ménager au roi une garde particulière et le faire sortir de Paris. Il pensa aussi à Metz comme lieu de refuge : en un mot, Mirabeau, qui avait été témoin dans l’affaire qui nous occupe, reproduisit le plan de M. de Favras et le proposa deux mois plus tard à la cour ; mais il ne devait être mis à exécution que lorsqu’il devint d’une réussite impossible. Le départ pour Montmédy en 1791 et l’arrestation de Varennes furent le dénoûment fatal de ces projets que les amis du roi avaient conçus tour à tour dans des circonstances plus favorables.

Cependant le procès se continuait. Séparé de sa femme depuis le jour de son arrestation, M. de Favras lui écrivait après les audiences des lettres qui ont été publiées, et qui peignent admirablement son caractère. Ces lettres, qui étaient remises décachetées à Mme de Favras, sont assez rares, et il nous sera permis d’en reproduire quelques fragmens. « Je serai transféré ce soir au Châtelet, ma chère Caroline, écrivait-il le 7 janvier 1790 ; mais toi, tu restes encore à l’Abbaye, je n’entends pas bien pourquoi… En m’éloignant du lieu où je te laisse, je sens un vif regret : c’était toujours quelque chose de vivre sous le même toit et d’apprendre de tes nouvelles plusieurs fois par jour ! Mais songe que l’honneur va avant toutes choses ; si, à tes yeux, le mien n’est pas entaché, il l’est aux yeux d’une multitude abusée, et je n’en serai que plus digne de toi, lorsque je serai parvenu à me justifier auprès d’elle. Je finis par t’assurer, ma chère enfant, que ton image me suivra partout, et que mon ame ira toujours au-devant de la tienne… » D’autres fois il lui parlait avec plus de détails de son procès, bien que ses billets eussent été plusieurs fois interceptés à cause de ces confidences. «… Réjouis-toi, lui disait-il, en pensant qu’il serait encore préférable d’être coupable aux yeux des hommes que de l’être vis-à-vis de sa conscience. Je ferai tout ce qui sera en moi pour mettre mes actions à découvert, et je défie, quoi qu’on puisse entreprendre, d’être long-temps inculpé d’attentats prémédités contre la nation ou de violence contre mon roi. Le surplus de ce qu’on met à ma charge est trop grossier pour que je puisse même supposer que j’ai besoin de défense. O mon amie, mon amie, que de perversité, que de méchanceté dans les hommes, et quelle fatalité dans les circonstances !… Il faut se résigner à la grace divine. » Les consolations qu’il adresse à Mme de Favras sont nobles et touchantes. « Quelle satisfaction pour moi, chère bien-aimée, de voir que mes lettres font une distraction à tes peines ! tu m’es si chère, et j’ai tant de raisons de t’aimer !… Tu ne verras jamais en moi aucun changement au titre précieux d’un homme qui se respecte dans celle qui a toutes ses affections. Sois sûre de mon courage, de ma résignation ; n’importe le sort qu’on me prépare, ton cœur n’aura pas à rougir de m’avoir choisi. Je ne démentirai point le sang auquel je me suis allié… Caresse bien pour moi mes deux pauvres enfans, montre-leur souvent mon portrait[25] ; ils me reconnaîtront plus facilement quand je les verrai. À un âge si tendre, il est si facile d’oublier, et cela me ferait tant de peine ! Je me rappellerai toujours le moment de joie que m’a donné mon fils[26] un soir, lorsqu’à mon retour de Hollande, après quatorze mois d’absence, il m’a reconnu sur-le-champ et s’est écrié : — Ah ! papa, te voilà !… » Il ajoute plus loin : « C’est fort bien d’aimer ses enfans, mais il faut leur éviter autant que possible l’amertume de ses chagrins. Mon fils n’a jamais vu de prison ; je crains que ces soldats, ces guichets, ces verrous, tout cet appareil, ne l’émeuvent beaucoup au-delà de ce que tu peux en penser, et cette émotion pourrait avoir à son âge de grands dangers. » On accorda plus tard à M. de Favras la permission de voir cet enfant. Il raconte cette entrevue dans une longue lettre. « Sa vue m’a fait à la fois peine et plaisir. Le pauvre enfant avait le cœur bien gros, les larmes roulaient dans ses yeux. J’ai fait semblant de ne pas les voir pour ne pas les augmenter, et je lui ai parlé de goûter, ce qui m’a réussi… Puis on m’a amené ma fille ; cette jolie petite créature ne sent pas la position de son père… Heureux âge ! comme elle m’a caressé ! comme elle m’a dit des choses charmantes en bégayant ! Que j’aime ces enfans ! Au sentiment paternel se joint pour eux ce sentiment si tendre que m’a inspiré leur mère, et auquel ils participent sans qu’elle y perde rien… Tu fais toujours du noir, ma chère Caroline ; ah ! bannis-le, bannis-le ! » La confiance qu’il commandait, M. de Favras ne la partageait guère, et, à mesure que le procès avançait, des appréhensions sinistres traversaient son esprit et éclataient dans ses lettres. « Il est des momens, chère Caroline, écrit-il le 2 février, où le courage cède aux faiblesses de la nature ; mais il reprend toujours le dessus, quand le for intérieur ne reproche rien. Le sort s’est déchaîné bien cruellement contre moi : quelle aventure compliquée et extraordinaire que la mienne ! N’importe ce qui m’est réservé, mon ame ne m’abandonnera pas. On est toujours fort, on est toujours fier, quand on est honnête… Pourtant, quand je songe à mes pauvres enfans, tout mon corps frissonne ; je les aime trop, ils ont si grand besoin de moi ! »

L’idée d’une fin prochaine semble percer dans ces dernières paroles, et bientôt elle se retrouve dans toutes les lettres de M. de Favras. C’est que, vers la fin de janvier, le procès était entré dans une phase nouvelle. On avait promis à la multitude une victime, et elle la voulait. Le revirement d’opinion de quelques journaux d’abord très hostiles à Favras, l’incertitude des témoignages, l’hésitation présumée des juges, exaspéraient la foule, qui se réunit bientôt furieuse et menaçante autour du Châtelet. Il lui fallait son spectacle, et elle le demandait le poignard à la main. On venait d’acquitter M. de Besenval, mis en jugement à propos de la défense de la Bastille et dans des circonstances assez analogues. Tous les aristocrates pourraient donc conspirer impunément contre le peuple ! disait-on ; la justice était donc partiale pour les nobles ! Cela ne pouvait continuer ainsi, et, si Favras n’était pas condamné, le peuple jugerait ses juges ! Telles étaient les clameurs odieuses qui retentissaient tout le jour autour du Châtelet. Des lettres anonymes pleines de menaces étaient adressées à tout instant aux membres du tribunal ; ce devint bientôt une émeute permanente et redoutable. Dans la nuit du 26 janvier, il y eut une vive alerte autour de la prison ; on put croire à une tentative d’assaut, à un projet d’enlever M. de Favras de vive force. Cette évidente pression que la fureur démagogique voulait exercer sur les juges, ce levier de la terreur que la populace commençait à mettre en mouvement, eurent sur l’issue du procès une influence malheureusement incontestable. M. de Lafayette lui-même n’en disconvient pas ; seulement, qui le croira ? il a la naïveté d’attribuer ces mouvemens aux complices de M. de Favras, aux amis de la cour, qui étaient, dit-il, impatiens de voir périr le dépositaire de leurs secrets[27]. En vérité, c’est pousser un peu loin le souci d’excuser les passions révolutionnaires. Quel intérêt si grand avaient donc les amis du roi à précipiter la mort du marquis de Favras ! S’il connaissait leurs secrets, et s’il voulait les révéler, n’avait-il pas le temps de le faire durant les deux longs mois que les débats durèrent ? Non ; ceux qui demandaient la tête de l’accusé, ceux qui tentaient d’intimider les juges, c’étaient bien plutôt les Morel et les Tourcaty, ces délateurs et ces espions tant zélés, c’étaient surtout ces misérables qui apparaissent au lendemain des révolutions, comme les reptiles après les orages, ces bandits à qui le massacre de MM. Delaunay et Flesselles avait donné le goût du carnage. Ceux-là mêmes qui, tout en appartenant au parti de la révolution, n’avaient pas un intérêt aussi direct à défendre leur œuvre dans la juridiction du Châtelet et son entourage, ne s’y laissèrent pas tromper. « Les juges du Châtelet, dit formellement Prudhomme dans les Révolutions de Paris, s’étaient arrangé de manière à ce que la haine du peuple eût un aliment au moment où l’élargissement de Besenval éclaterait. Il ne sortit du Châtelet que dans la nuit du 29 au 30, et dès le matin, ce même jour, on annonçait partout que les juges étaient assemblés pour juger le sieur Favras, qui serait infailliblement condamné à perdre la tête… A onze heures du soir, on répandit que le jugement était prononcé, et dès le lendemain des colporteurs privilégiés crièrent d’une manière si lugubre le grand jugement qui condamnait à mort le sieur Favras, qu’on ne pouvait guère réfléchir à l’élargissement de Besenval, qu’ils annonçaient en même temps. C’est une remarque qui a été faite dans toutes les classes que Favras était victime de Besenval. » L’avocat Thilorier, qui défendit le marquis de Favras avec beaucoup de chaleur, bien qu’il fût un patriote très ardent, fit la même remarque, et il accusa courageusement les agens du comité des recherches. « Le sieur Morel, s’écria-t-il, avoue lui-même s’être proposé pour être l’assassin de M. de Lafayette. Il faut de deux choses l’une, ou que Morel se soit en effet rendu coupable de la préméditation de cet assassinat, ou qu’il se soit accusé faussement d’un crime imaginaire dans la vue de donner plus de poids à son accusation. Dans l’un et dans l’autre cas, Morel est un homme infâme… vous devez repousser de pareils témoignages. » Il ajoutait : « Je suis aussi bon patriote, aussi zélé partisan de la révolution que qui que ce soit ; on le sait. J’ai parlé liberté sous les verrous de la Bastille, et je ne crois pas devoir, pour les besoins de ma cause, désavouer les principes que j’ai hautement professés. Étranger à la personne de M. de Favras, j’ai dû surmonter pour le défendre bien des répugnances ; mais la vérité que j’entrevois me force à parler avec cette chaleur que vous excuserez. Le marquis de Favras jouit du funeste honneur d’être le premier accusé sur la tête duquel se trouve suspendu le nouveau glaive dont le pouvoir législatif vient d’armer vos mains[28]. S’il a désiré de voir rétablir en France le despotisme antique, qu’il soit rangé, j’y consens, dans la classe des mauvais citoyens ; mais, s’il s’en est tenu là, il échappe à la censure des lois, qui ne punissent ni les folles ambitions, ni les vains désirs des hommes. »

Dans une péroraison très éloquente, M. Thilorier signala si vivement les influences sous lesquelles se débattait le tribunal, que le président lui ôta la parole. « Au moment de conclure, disait-il, j’éprouve ces angoisses inexprimables que cause nécessairement l’incertitude des jugemens humains. Je crois entendre une voix formidable… Oui, messieurs, je l’entends, et je la reconnais, c’est la voix du peuple ! elle pénètre jusque dans cette enceinte ; la multitude veut une victime. Ah ! prenez garde » Ici le président interrompit brusquement l’avocat ; mais il avait dit le mot de la situation, et toutes les consciences l’avaient entendu. Cela n’empêcha pas M. de Brunville, procureur du roi, de lire ses terribles conclusions. L’impression qu’elles produisaient sur l’auditoire se communiqua jusqu’à lui. Il hésita, il pâlit : on espéra qu’il n’irait pas jusqu’au bout ; mais enfin d’une voix tremblante (le mot est au Moniteur du 1er février), il requit la peine de mort. Le tribunal, très ému, ajourna son jugement, et décida que de nouveaux témoins seraient entendus. Ce fut au sortir de cette audience qu’une discussion, qui fit un certain bruit dans Paris, éclata entre M. de Brunville, le procureur du roi, et M. Thilorier.

— Monsieur Thilorier, dit le premier avec une morgue insultante, il faut que vous ayez une étrange idée de vos fonctions et des miennes pour vous être permis des sorties aussi indécentes !

— Monsieur ! répondit l’avocat, la postérité décidera qui de vous ou de moi a le mieux connu aujourd’hui les devoirs de son état.

M. de Brunville perdit tout son sang-froid.

— Je vous méprise trop pour vous répondre, dit-il.

À quoi M. Thilorier répliqua avec toute l’énergie de l’indignation :

— Monsieur, vous m’honorez par vos mépris !

Atterré par cette réponse, M. de Brunville se rendit dans la chambre du conseil et demanda une satisfaction que sa compagnie ne put pas refuser à la place qu’il occupait. M. Thilorier fut rappelé et publiquement admonesté ; mais il ne se tint pas pour battu, et, dans une brochure[29] qu’il publia peu de jours après, il cita de nouveau M. de Brunville au tribunal de l’opinion.

Le lendemain matin, Mme de Favras écrivait à son mari : « Quelle affreuse soirée, cher ami, que celle d’hier, et quelle nuit l’a suivie ! Grand Dieu ! quelles conclusions ! Je ne sais où j’en suis ! Toute la nuit, j’ai été occupée de ces trois gouttes de sang que tu as trouvées sur toi quinze jours avant que l’on nous arrêtât, et cela sans que tu aies pu savoir pour quelle cause ni d’où elles venaient sur toi ! Mais, mon ami, ton ame forte doit se soutenir. N’oublie pas ce que tu te dois. Après cela, la volonté du ciel. Implore aussi, mon ami, implore la mère de ce Dieu tout-puissant. Tu sais qu’au retour de Pologne, au moment où tu étais prêt à périr au bord de la Vistule, j’eus recours à elle et lui adressai mes prières. Tu ne peux douter que tu ne fus sauvé miraculeusement. J’ai toute mon espérance dans cette protection sainte… »

Par cette lettre, dont nous ne citons, pour abréger ce récit, qu’un fragment, on voit que Mme de Favras ne manquait, de son côté, ni de force, ni de courage. Quant à M. de Favras, il reste jusqu’au bout inébranlable et fier. Seulement une teinte religieuse est répandue sur ses dernières lettres. « Je suivrai tes conseils, ma chère amie, et je prierai comme tu le veux. Ne crains pas que je me démente. D’une part, je ne fais que remplir le devoir d’un chrétien ; de l’autre, je ne voudrais pas, par une imposture sacrilège, te donner la promesse d’employer ce moyen pour y manquer. Cette consolation, qui me paraît si grande pour toi, ne sera pas négligée, ne l’a pas été depuis que je te l’ai promis. Tu peux compter que c’est avec ferveur que j’y ai recours… J’ai reçu les sermons du père Massillon ; je t’en remercie : je les lirai avec attention. Tu es fâchée, me dis-tu, que je n’aie pas vu hier mes enfans, et tu m’invites à les voir demain. De grace, ne me presse pas. Ce n’est pas manque de désir, crois-le bien ; ce n’est pas manque de tendresse pour eux, mais c’est au-dessus de mes forces. Qu’ils viennent me voir avec mes parens, quand cela sera permis : ce ne sera jamais assez souvent ; mais que j’aie sous les yeux ces deux créatures si chères à mon cœur, que je sois chargé de les distraire, de détourner leur regard du chagrin que leur position cause à leur père infortuné… ah ! chère Caroline, ne l’exige pas… » La fin de cette correspondance présente une particularité très frappante qui n’a pas encore été relevée. Dans cette ténébreuse affaire, c’est un mystère et peut-être une iniquité de plus. Il existe deux éditions différentes de la correspondance du marquis et de la marquise de Favras. Ces deux éditions, que nous avons sous les yeux, sont imprimées sur du papier pareil et avec les mêmes caractères. Jusqu’à la page 49, c’est-à-dire jusqu’au milieu de la dix-septième lettre de M. de Favras, il est impossible de noter entre les deux exemplaires la moindre dissemblance ; mais là tout à coup le style change, et, à partir de cet endroit, les deux brochures n’ont plus ensemble aucun rapport : ce sont d’autres lettres, d’autres faits et d’autres sentimens. Dans l’édition falsifiée, qu’il est aisé de reconnaître pour peu que l’on ait l’habitude du style de M. de Favras, on lui prête trois dernières épîtres emphatiques, pleines de violences contre ses juges, de fureur contre MM. de Lafayette et Bailly, trois dithyrambes qui ne ressemblent en rien à ces pages que l’autre édition publie, et où respirent comme toujours cette sérénité chrétienne et cette paternelle tendresse que nous avons notées.

Quelle est donc la main perfide qui s’est interposée entre le malheureux Favras et la postérité ? quel mystérieux faussaire a cru devoir prendre tant de soin pour tromper le public, pour inculper l’accusé, pour justifier dans l’avenir son jugement et ses ennemis ? C’est là certainement la plus monstrueuse machination de ce sombre procès. Quant à l’intention du faussaire, elle n’est point difficile à saisir. M. de Favras avait préparé, pendant sa détention, un mémoire justificatif qu’il voulait publier et répandre dans le public. Il attendait le meilleur résultat de cette explication de sa conduite donnée loyalement en langage militaire et non plus en style d’avocat. Il en parle dans toutes ses lettres ; il prie ses amis d’en presser l’impression. « J’y attache, écrit-il, la plus grande importance. M. Thilorier prétend que mon style, ma forme de mémoire n’est pas suivant l’usage ; mais que me fait tout cela ? Si mes moyens sont bons pour le plaidoyer, ils valent encore mieux pour l’instruction du public. » Or, par une fatalité singulière, ce mémoire tant attendu, tant désiré, où M. de Favras voyait, à tort ou à raison, sa justification complète ou sa consolation suprême, ce mémoire ne parut pas ou ne parut qu’après sa mort. Cela semble prouvé par la vingt-cinquième lettre de M. de Favras, écrite la veille du jugement et publiée dans la véritable édition de sa correspondance. « A la veille d’un jugement désiré, écrit-il, et lorsque le cœur ni la conscience ne reprochent rien, ce n’est pas le cas de s’inquiéter, puisque l’événement le plus extrême ne serait qu’une erreur de l’humanité ; tu dois, ma chère Caroline, trouver là ta consolation, comme j’y trouve la mienne. Ce qui seul me chagrine, c’est que mon mémoire ne sera pas prêt. L’imprimeur, après m’avoir toujours promis qu’il le serait, est venu hier au soir me parler d’une espèce d’insurrection de ses ouvriers, qui, m’a-t-il dit, n’ont rien voulu faire ni le dimanche, ni le lundi, etc., etc. » Enfin, le lendemain 18 février 1790, le jour même de son jugement, la veille de sa mort, tandis que Mme de Favras, à bout de forces, s’écrie : «… Toute la vigueur de mon ame cède à la faiblesse de la nature ; ô mon ami ! mon ami ! que deviendront nos pauvres enfans ! » Le marquis de Favras, toujours calme, écrit : « Cet imprimeur est un cruel homme, ma chère Caroline ; il me joue le tour le plus perfide. Je n’ai pas encore mon mémoire, maintenant jeudi, à neuf heures du matin. Il a encore deux feuilles pleines en arrière. Cet homme, à coup sûr, a été gagné par quelqu’un, car visiblement je n’aurai pas ce mémoire. » Ces dernières lignes sont formelles. Eh bien ! que dit au contraire l’édition falsifiée, et falsifiée évidemment pour parer à cette accusation dernière ? Dès le 12 février, six jours auparavant, elle fait écrire à M. de Favras cette phrase toute différente : « Je reçois à l’instant, ma chère Caroline, la première épreuve de mon mémoire, et l’on m’assure qu’immanquablement il paraîtra ce soir à huit heures. Je ne l’ai pas lue… je l’ai dévorée. » Ainsi, d’après cette version, il aurait reçu cette épreuve à une époque où, suivant l’autre édition, il est prouvé, par une lettre de Mme de Favras, qu’il n’avait pas trouvé d’imprimeur ; plus tard, on lui fait dire encore : « Il a enfin paru ce mémoire, ma Caroline ; il a généralement été lu. » Que conclure d’un pareil fait ? comment expliquer cette contradiction étrange ? qui accuser de cette supercherie, si facile à constater, et qui ressemble tant à un crime ? Qui en accuser, sinon ces misérables agens dont nous avons entrevu partout l’intervention perfide et souterraine ? Mme de Favras signala plus tard dans les journaux cette inexplicable falsification. Elle déclara que l’édition Gattey était la seule véritable ; mais le coup alors était porté, le tour avait réussi, et le public avait pu croire que le marquis de Favras s’était servi de tous les moyens de défense.

Le 18 février fut le jour du jugement suprême. Dès le matin, une foule immense se répandit autour du Châtelet ; la place tout entière et les rues aboutissantes étaient tellement encombrées, que toute circulation devint impossible. Des vociférations effroyables retentirent dès le début de l’audience : Mort à Favras ! l’aristocrate à la lanterne ! le traître ou ses juges ! Ces cris servirent tout le jour d’accompagnement lugubre aux plaidoiries et aux réquisitoires. On a reproché à M. de Lafayette d’avoir déclaré publiquement qu’il ne répondait pas de la garde nationale, ni de la tranquillité de Paris, si M. de Favras était acquitté ; ce reproche est injuste. M. de Lafayette au contraire dit hautement au lieutenant civil et au procureur du roi de juger sans crainte, et que la sentence, quelle qu’elle fût, serait exécutée. Il prit, pour la sûreté du tribunal et de l’accusé, des mesures militaires très imposantes. Ce fut entre cet appareil de guerre et le grondement lointain de l’émeute que le marquis de Favras entendit les derniers discours de ses défenseurs. M. de Cormeré, son frère, parla avec plus de courage que de talent, et M. Thilorier, sans souci de son républicanisme et du blâme qu’il avait encouru, fit un long plaidoyer où respirent à chaque ligne l’audace et la colère d’un homme convaincu. L’accusé lui-même prit la parole deux ou trois fois et déclara de nouveau, la main sur le cœur, que personne au monde ne devait être mêlé aux soupçons qu’il avait eu le malheur d’inspirer à la justice. Il jura sur l’honneur qu’il n’avait reçu aucune mission de personne, ni pour quoi que ce fût. Les nouveaux témoins entendus dans les derniers jours n’avaient révélé aucun fait nouveau, les conclusions du ministère public devaient donc être les mêmes. Pendant ces débats, la nuit était venue ; on avait allumé quelques quinquets fumeux dans la salle du Châtelet. Les juges, épuisés de fatigue, étaient pâles et défaits. Un profond silence régnait à cette heure solennelle dans l’auditoire, dont on apercevait à peine la masse sombre et mouvante. Devant le banc de l’accusé, Mme de Cormeré et Mme de Chitenay, ses belles-sœurs, étouffaient leurs sanglots avec leurs mouchoirs. Tel était l’aspect de cette salle, lorsqu’à minuit, M. de Favras ayant été emmené par ses gardes, on lut à haute voix le jugement qui le condamnait à faire amende honorable devant Notre-Dame[30], nu-pieds, nu-tête, en chemise, la corde au cou, une torche ardente à la main, et à être ensuite conduit dans un tombereau à la place de Grève pour y être « pendu et étranglé jusqu’à ce que mort s’en suive. »

L’exécution à cette époque devait avoir lieu dans les vingt-quatre heures. M. de Favras avait été conduit à la chambre de la question. Le rapporteur, M. Quatremère, quand il vint lui lire son jugement, le trouva assis devant une petite table, éclairée par une chandelle, et la tête appuyée sur sa main. Il se leva respectueusement à l’entrée du magistrat, et écouta son arrêt avec beaucoup de tranquillité. Deux ou trois fois seulement il interrompit la lecture en disant : Tous ces faits sont faux ; je suis incapable d’attenter aux jours des chefs de l’état ; pour qui donc me prend-on ? Après la lecture, le rapporteur ajouta fort naïvement : « Monsieur, votre vie est un grand sacrifice que vous devez à la sûreté et à la tranquillité publiques. » Le marquis de Favras alors, lui jetant un regard plein de dédain, lui dit : « Monsieur, puisqu’il était besoin, pour la tranquillité de ce pays, de la vie d’un honnête homme, il vaut mieux que votre choix soit tombé sur moi que sur un autre, car je montrerai à vos Parisiens comment un gentilhomme sait mourir. » M. Quatremère, un peu embarrassé et ne sachant plus que dire, ajouta en manière d’adieu : « Je n’ai d’autre consolation à vous donner que celles que vous offre la religion, je vous invite à en profiter. — Monsieur, répondit le marquis de Favras, mes plus grandes consolations sont celles que me donne mon innocence. Je suis la victime de deux scélérats, et c’est vous, messieurs, que je plains. Je demande M. le curé de Saint-Paul pour confesseur. »

Le lendemain, il passa toute la matinée avec ce prêtre. Vers onze heures, le greffier Drié se présenta dans la prison et demanda au condamné, par ordre du tribunal, la croix de Saint-Louis, dont il était décoré : « Un soldat, monsieur, répondit le marquis de Favras, ne peut pas être dégradé par un greffier ; » puis, s’adressant à un sergent-major, nommé Jacques Bruyant : « Tenez, camarade, lui dit-il avec beaucoup d’émotion, voilà ma croix ; elle avait été, croyez-le bien, loyalement conquise, et je l’ai loyalement portée. » Il s’entretint ensuite jusqu’à deux heures avec son confesseur. En le quittant, il fit appeler de nouveau le greffier et lui demanda avec inquiétude si on lui détacherait les mains, et à qui il pourrait demander cette faveur. Le greffier répondit que cela était impossible, et cette grace en effet lui fut refusée. Il donna ensuite à M. Drié une somme de vingt louis « C’est tout ce que j’ai, lui dit-il ; vous voudrez bien remettre, après ma mort, cette somme à ma malheureuse femme, qui en aura grand besoin. » Le cortége devait partir à trois heures précises. On avait commandé, pour maintenir la foule, une garde très nombreuse : une double haie de soldats qui garnissait les rues et les quais disputait le terrain pouce à pouce à une multitude immense. Au coup de trois heures, on entendit un roulement de tambours ; la porte du Châtelet s’ouvrit tout à coup : une escorte nombreuse en sortit, et, au milieu des baïonnettes et des uniformes, M. de Favras, vêtu de blanc, parut. À cette vue, la multitude, ivre de joie, battit des mains. On remarqua que le condamné avait la figure calme et sereine. Les cris du peuple, ses injures et ses outrages ne parurent ni l’irriter, ni l’affliger. Il portait sur ses habits une longue chemise blanche, et sur cette chemise un double écriteau avec ces mots : Conspirateur contre l’état. La hauteur de sa taille, aussi bien que la couleur de son vêtement, le rendait visible à tous. Sa tête nue s’élevait au-dessus du chapeau des soldats, et ses longs cheveux, dénoués et à demi dépoudrés, pendaient sur ses épaules. Au bas de l’escalier du Châtelet stationnait, entouré de soldats, un tombereau découvert attelé d’un petit cheval blanc et conduit par un homme en blouse. M. de Favras y prit place avec le curé de Saint-Paul. Le cortége se mit en marche lentement. Arrivé près du pont de Notre-Dame, le condamné se trouva rapproché davantage de la foule, et les cris redoublèrent. Il regarda froidement la multitude sans s’émouvoir et sans rien dire. La place que l’on atteignit bientôt offrait un spectacle imposant et bizarre. Plusieurs bataillons de la garde nationale en ordre de bataille formaient devant la cathédrale un grand carré dont le centre était vide. Autour s’agitait une foule impatiente ; les croisées étaient encombrées de spectateurs. À différens endroits, on avait allumé de grands feux autour desquels on se pressait. Les traiteurs ambulans y avaient établi leurs boutiques ; ils y vendaient à la foule transie des beignets et de l’eau-de-vie. Un grand silence se fit quand le tombereau eut pénétré dans le carré formé par les soldats. M. de Favras en descendit. Il prit d’une main ferme la torche ardente, de l’autre son arrêt de mort, s’avança vers la grande porte de l’église, et d’une voix sonore : « Peuple, dit-il, écoutez l’arrêt que je vais lire. Je suis innocent, comme il est vrai que je vais paraître devant Dieu ; je ne fais qu’obéir à la justice des hommes. »

Ensuite il se mit à genoux, et lut à haute voix le prononcé du jugement ; puis il remonta dans le tombereau et demanda à être conduit à l’Hôtel-de-Ville, où l’on arriva à quatre heures. M. Quatremère lui ayant demandé s’il avait quelques déclarations à faire pour l’acquit de sa conscience : « Oui, messieurs, répondit-il, écrivez les derniers sentimens et les derniers aveux d’un innocent qui va périr. »

On remarqua que M. de Favras avait pâli. Il n’en dicta pas moins mot pour mot, d’une voix assurée, son testament, qui fut publié le lendemain et lu avec une telle avidité, que l’imprimeur déclare dans une note qu’il lui est matériellement impossible de satisfaire à toutes les demandes. Ce testament, qui est assez connu et que l’on rencontre encore chez les étalagistes des quais, il serait trop long de le reproduire en entier, bien qu’il soit extrêmement remarquable, et qu’il témoigne d’une rare élévation de pensée. Il commençait ainsi :

« Le malheureux condamné ici présent déclare qu’en ce moment terrible, prêt à paraître devant Dieu, il atteste en sa présence, à ses juges et à tous les citoyens qui l’entendent, d’abord qu’il pardonne aux hommes qui l’ont inculpé si grièvement, et contre leur conscience, de projets criminels qui n’ont jamais été dans son ame et qui ont induit la justice à erreur. » Après ce pardon solennel, il rentre dans les détails de sa conduite, l’explique de nouveau, et, tout en proclamant son dévouement pour le roi, il repousse énergiquement toute idée de complot. Il parla d’une main invisible qui avait tramé sa perte. Sommé de déclarer le nom d’un grand seigneur auquel il semblait avoir fait allusion dans le cours de ses interrogatoires, il répondit que ce seigneur ne lui ayant jamais rien témoigné qui pût faire suspecter ses intentions, ni donner à croire qu’il fût un conspirateur, son nom ne lui paraissait d’aucune utilité à déclarer. Après ces explications, il termina ainsi : « Ce n’est qu’une vie que je rendrai un peu plus tôt à l’Être éternel qui me l’a donnée, et qui, s’il me fait grace, m’accordera peut-être un dédommagement. Je recommande ma mémoire à l’estime des honorables citoyens qui m’entendent. Je recommande mon épouse trop infortunée, mes deux malheureux enfans… Une grande consolation pour moi sont les soins généreux de M. le curé de Saint-Paul. Je demande à la justice de permettre que mon corps lui soit remis, pour qu’il reçoive la sépulture de tous les catholiques, apostoliques et romains, Dieu me faisant la grace de mourir dans les sentimens d’un vrai chrétien et de la fidélité que j’ai jurée à mon roi. »

La dictée de ce long testament de mort ne dura pas moins de quatre heures. M. de Favras s’attachait beaucoup au style de son récit. Il substituait souvent une expression choisie à une autre qui lui paraissait moins juste. Il se faisait relire ce qu’il dictait et corrigeait des fautes avec beaucoup de présence d’esprit. On a prétendu qu’il cherchait en ce moment suprême à gagner du temps, et qu’il attendait quelque secours inespéré. On en a conclu que M. le comte de Provence aurait pu le sauver et qu’il y comptait. Cela n’est guère probable. Si Monsieur avait été son complice à un degré quelconque, il ne pouvait que se perdre avec lui, sans profit pour personne ; s’il était étranger à cette affaire, quelles déclarations devait-il faire et quelle en eût été la valeur ?

Cependant la nuit était venue, et le public s’impatientait d’autant plus sur la place, qu’une pluie fine et froide rendait, par cette soirée d’hiver, l’attente fort pénible. Des vociférations retentirent ; elles devinrent si violentes, qu’un officier de la garde nationale crut devoir entrer dans la salle et déclarer à haute voix que le peuple était en fureur, et qu’il y avait imprudence à le faire attendre davantage. M. de Favras avait corrigé la copie de son testament. Il écrivait une lettre, probablement un adieu à sa femme et à ses enfans. Les observations de l’officier ne parurent faire aucune impression sur lui ; il continua paisiblement sa lettre, la plia, et, se levant : — Messieurs, dit-il, je suis prêt.

Aussitôt il passa comme un frisson dans l’auditoire, et le silence gagna bientôt les spectateurs même du dehors. Pourtant, lorsqu’au milieu des armes et des torches M. de Favras parut sur le perron de l’Hôtel-de-Ville, les applaudissemens se renouvelèrent. On avait pris sur la place de Grève les mêmes précautions qu’à Notre-Dame. Le gibet se dressait au milieu d’un bataillon carré. Des lampions avaient été disposés sur le pavé, sur les bornes, sur les croisées. On en avait même placé sur le bras de la potence et autour de l’échelle. Le pavé mouillé était reluisant comme un miroir. M. de Favras, suivi de l’exécuteur, marcha d’un pas rapide vers le gibet. Le bourreau avait orné son chapeau d’une cocarde nationale ; quelques jours auparavant, à l’occasion de l’exécution des frère Agasse, on l’avait accusé de sentimens rétrogrades contre lesquels il crut devoir protester en arborant les couleurs patriotiques. Arrivé au pied de la potence, M. de Favras monta trois échelons, et, faisant un geste de la main :

« Arrêtez un moment, dit-il, et priez ceux qui m’entourent de se taire. » Le plus grand silence s’étant fait sur la place : « Braves citoyens, s’écria-t-il, je vais paraître devant Dieu, je ne suis point suspect de mensonge en cet instant affreux ; eh bien ! je vous jure à la face du ciel que je ne suis point coupable et que vous versez le sang de l’innocent ! » Il monta jusqu’au dernier échelon et répéta une seconde fois d’une voix éclatante : « Devant Dieu, je suis innocent ; » puis, se tournant vers l’exécuteur : « Faites votre office, » lui dit-il.

Le bourreau attacha la corde et poussa le condamné hors de l’échelle. Un instant, il fut balancé au-dessus des têtes ; une convulsion suprême l’agita, puis cette longue silhouette blanche apparut immobile à la lueur rougeâtre des lampions que la pluie faisait grésiller. Un silence de mort régnait sur la place ; mais tout à coup un enfant, qui était grimpé, pour mieux voir, sur une borne, cria en s’élançant à terre : Saute, marquis ! Ce cri fut comme un signal. Toutes les poitrines éclatèrent à la fois ; toutes les voix retentirent : « Saute, marquis ! saute, marquis ! » cria-t-on d’un côté pendant que l’on hurlait de l’autre bis ! bis ! Ce devint un hurrah général, et la foule, enivrée de ses clameurs, se jeta sur la troupe pour lui disputer le corps du supplicié qu’elle voulait traîner par les rues. Les soldats durent croiser la baïonnette ; ils eurent grand’peine à n’être point débordés. Le corps de Favras fut respecté cependant. On le donna à sa famille en échange d’un reçu, et il fut inhumé le soir même à Saint-Jean-en-Grève.

Mme de Favras n’apprit que le lendemain, par la voix d’un crieur public qui passait sous la fenêtre de sa prison, le jugement de son mari et son exécution. Elle tomba à la renverse et s’évanouit. On la mit en liberté. On l’avait arrêtée sans cause, on la rendit à sa famille sans jugement, et sa détention n’a jamais été expliquée. Pendant plusieurs jours, il ne fut question dans Paris que du procès de M. de Favras ; il servit de prétexte à des récriminations violentes dans tous les journaux. Les partis opposés se rejetèrent réciproquement la responsabilité de cet événement ; aucun ne l’accepta. Les amis de la victime publièrent des pamphlets où ils mirent plus de courage que de mesure, plus de dévouement que de savoir-faire. Puis la révolution grandit, et emporta dans son tourbillon jusqu’au souvenir de cet épisode.

Il nous a semblé qu’en ces jours où l’on fait si facilement des héros, où l’on conquiert la gloire à si bon compte, où il suffit de prononcer le mot de liberté et d’ajuster un soldat qui défend les lois pour laisser un nom qui sera gravé sur les tables du Panthéon ou de la colonne de la Bastille, il pouvait être utile d’évoquer la mémoire de l’un de ces hommes qui avaient gardé la religion du passé. Le mot de Brennus doit être odieux à tout le monde, et peut-être s’est-on trop pressé d’ailleurs de jeter l’anathème aux vaincus. Qui sait où aboutira la pente sur laquelle la France est emportée depuis 1789 ? Notre temps a démenti bien des espérances, justifié bien des craintes, autorisé toutes les appréhensions. Nul ne connaît le mot de l’avenir, et le spectacle auquel nous assistons doit rendre au moins très indulgent pour ceux que la révolution ne laissait pas sans méfiance et sans arrière-pensée. Toute conviction sincère est d’ailleurs respectable, la justice est due à tous les dévouemens, et, à côté des hommes qui ont voué généreusement leur vie au culte des idées nouvelles, l’histoire impartiale doit une place à ceux qui, ayant au contraire foi dans les traditions de leurs pères, leur restèrent fidèles et moururent pour les défendre.


ALEXIS DE VALON.

  1. Testament du marquis de Favras.
  2. Voici le texte de ce jugement du 21 novembre 1776 : « On décerne rescript contre M. le prince d’Anhalt Bernbourg-Shaumbourg, de la teneur suivante :
    « L’impétrante ayant suffisamment prouvé qu’elle est issue d’un mariage légitime, et ayant affirmé qu’elle n’avait reçu aucune dot jusqu’à présent, sa majesté impériale ordonne à M. le prince d’Anhalt de payer à l’impétrante une somme annuelle de mille florins, et cela par anticipation de six mois en six mois, à commencer de la date de la présente ordonnance, jusqu’à ce que ledit prince ait accordé une dot suffisante, ou qu’en justice on aura déterminé une dot convenable à la suppliante. Sa majesté ordonne en outre à M. le prince de prouver, dans le terme de deux mois, de quelle manière il a satisfait à cette ordonnance, et comment il pense la remplir à l’avenir. »
  3. Testament de Favras. — Il existe dans les archives de la police, où il nous a été permis de puiser, une lettre anonyme datée du 23 décembre et adressée au chevalier de Pio, qui explique tout différemment ce mariage. À vrai dire, cette lettre sans signature, écrite deux jours après l’arrestation de M. de Favras, ne mérite aucune confiance. Elle est pleine de mensonges lâches et de calomnies que rien ne justifie, mais elle donne sur le mariage de M. de Favras une version qui semble assez vraisemblable. D’après cette pièce, Mme de Favras était fille du prince d’Anhalt et de la fille d’un major de place hollandais. Comme son père était mineur, et que sa mère se conduisit mal, leur mariage fut cassé juridiquement en Hollande. Le prince de Soubise avait donné asile au Luxembourg à cette jeune mère abandonnée, et sa fille, qu’elle gardait avec elle, lui avait fait, à sa majorité, des sommations respectueuses pour épouser M. de Favras.
  4. Cet hôtel, dont les croisées donnent, du côté opposé à la Place-Royale, sur l’impasse de Guéméné, porte aujourd’hui le n° 4.
  5. Mémoire pour Thomas de Mahi, marquis de Favras – Prix 36 sols ; chez Briand 1790. – Il en existe un exemplaire à la Bibliothèque nationale.
  6. Cette brochure est de 1789. Il en existe un exemplaire à la bibliothèque du Louvre.
  7. Déposition de Morel.
  8. Justification de M. de Favras, Paris, 1791.
  9. Mémoires du général Lafayette, tome II, p. 392.
  10. Voyez le Mémorial de Gouverneur Morris, ministre plénipotentiaire des États-Unis en France, publié en 1842.
  11. Déposition et récolement de Denis-Pierre-Jean Papillon de La Ferté, au Châtelet, le 4 février 1790. (Archives de la préfecture de police.)
  12. Moniteur, 29 décembre 1789.
  13. Affaire Favras. Pièce 6. (Archives de la préfecture de police.)
  14. Il est impossible, en présence de cette situation et de ce complot, de ne pas faire un retour sur les choses de notre temps et sur des événemens trop récens pour qu’on en puisse parler à l’aise. Faut-il le dire ? l’affaire Favras ressemble par plus d’un point à l’affaire Allais. Cette fois encore il s’agissait, disait-on, d’assassiner le général en chef et le président de l’assemblée nationale ; ce devait être aussi le début d’un coup d’état, d’une contre-révolution, et la phalange secrète que voulait organiser Favras peut être comparée à la société du 10 décembre. Elle devait également se composer en grande partie de Corses, et son but était de protéger la vie du chef de l’état dans un jour d’émeute. Les mêmes accusations d’embauchage, de complicité, de corruption, d’argent prêté, se sont reproduites ; mais en 89 on a pendu, et de nos jours on a ri. La différence mérite d’être notée.
  15. Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, publiée par M. de Bacourt ; Paris, 1851.
  16. Archives de la préfecture de police. Affaire Favras, pièce 32.
  17. Déposition de M. de La Ferté (Archives de la préfecture de police.)
  18. Déposition de Casimir Joffroy (Archives de la préfecture.)
  19. Affaire Favras. Interrogatoires et procès-verbaux. (Archives de la préfecture, pièce 5.)
  20. Moniteur, 29 décembre 1789.
  21. Archives de la préfecture, pièce 8.
  22. Déposition de Morel, affaire Favras (Archives de la préfecture de police.)
  23. La lettre est aux archives de la préfecture de police.
  24. Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de Lamarck.
  25. Ce portrait est probablement celui qui a été gravé par Mayliaud. C’est le meilleur que nous connaissions. Il rend bien le profil sévère et beau de M. de Favras, son œil fier, ses sourcils noirs, son front élevé et son grand air de hardiesse et de résolution. Un autre portrait a été publié en tête du livre de M. de Cormeré, Justification de M. de Favras.
  26. Le marquis de Favras avait un fils et une fille. Son fils vit peut-être encore, bien qu’il m’ait été impossible, malgré beaucoup de recherches, de le découvrir. Avant 1830, il touchait une petite pension de la liste civile, et vivait très obscur et très retiré dans la commune de Lamotte-Tilly, près de Nogent-sur-Seine (Aube). Après les événemens de juillet, il quitta ce village. Vainement je me suis adressé à toutes les autorités du département, je n’ai pu découvrir sa trace.
  27. Mémoires de Lafayette, vol. II, p. 394.
  28. Le tribunal du Châtelet, sorte de haute cour appelée à juger les procès politiques, avait été institué en septembre 1789 par un décret de l’assemblée, rendu sur la demande de M. de Lafayette.
  29. Récit de ce qui s’est passé à l’audience du 30 janvier, par M. Thilorier ; imp. de Lottin. — Il existe un exemplaire de cette brochure à la bibliothèque du Louvre.
  30. Étrange contradiction ! En 1790, il y a soixante et un ans, on maintenait ces cérémonies du passé ; le peuple trouvait bon que le condamné demandât pardon à Dieu, qu’on allait supprimer et, dont on insultait les temples chaque jour, — au roi, qui était prisonnier, et pour lequel précisément mourait M. de Favras.