Le Mari embaumé/II/5. Le More

E. Dentu (Tome 2p. 54-68).





V

LE MORE


Le temps passait. Nos deux jolies filles étaient trop occupées pour compter les minutes. La messe de sept heures devait être loin déjà, et dame Honorée aurait dû trottiner déjà dans le clos Pardaillan, en quête de sa nièce, coupable de chapelle-buissonnière. Mais la bonne béguine appartenait un peu à la cabale des Importants, et la moisson des cancans politiques était, en ce temps-là, chaque matin si touffue que c’était plaisir de glaner.

Ce qui sauva nos deux jeunes fillettes c’est que dame Honorée, après sa messe entendue, était en train de nommer l’évêque de Beauvais premier ministre, celui-là même qui disait : « Il est plus facile de gouverner la France qu’une sacristie. »

On ne donna pas à ce bonhomme l’occasion sérieuse d’exercer ses talents.

Mélise poursuivait, sans voir que le soleil montait rapidement et courbait déjà, dans le parterre, les tiges des fleurs pâmées.

— Mon cœur, dit-elle, tu attends toujours que j’arrive à ton chevalier Gaëtan, mais c’est que j’en ai si long à t’apprendre ! Sois tranquille, cependant, ton chevalier viendra.

Et pendant que j’y songe, laisse-moi te faire remarquer une circonstance ; l’histoire de la reine, là-bas, au manoir de Rivière-le-Duc, qui a révolté ton ombrageux orgueil, a pris, depuis la mort du roi, une singulière importance. Anne d’Autriche a la régence maintenant, et M. de Mazarin est, dit-on, bien plus puissant qu’il n’en a l’air. Il y a là, je l’espère, une planche de salut.

— Ma mère est-elle donc si fort menacée ? interrompit Pola.

— Elle était menacée déjà, répondit Mélise ; elle devait être menacée quand elle répondit à la reine : « Il y a un cruel malheur dans ma vie. Il se peut que j’aie besoin tôt ou tard de la protection royale. »

Elle était menacée, mais elle te gardait près d’elle. La menace doit être aujourd’hui plus sérieuse, puisqu’elle t’a éloignée du logis paternel.

C’est un cœur vaillant. Elle a dû t’éloigner pour mieux combattre. Et c’est pour combattre qu’elle est maintenant incognito à Paris.

— Combattre ! répéta mademoiselle de Pardaillan ; toujours combattre ! Es-tu donc sûre qu’elle soit à Paris ?

— J’en suis sûre.

— Qui te l’a dit ?

— Personne.

— L’aurais-tu vue ?

— Non, mais je perce à jour le silence de mon père, et don Estéban qui suit sans cesse sa piste mystérieuse, m’éclaire par ses questions. Je donnerais de mon sang pour savoir la pensée secrète de cet homme !

Pola tressaillit et murmura :

— Je suis comme toi ; cet homme me fait peur.

— J’ai peur, c’est vrai, pensa tout haut Mélise, mais j’ai espoir aussi… car voici ce qu’il fit le jour du duel : je ne te l’ai pas dit encore. Le duel avait lieu derrière les Célestins, le long de l’eau. Chacun des adversaires avait un second, et ceux-là se battaient pour la montre, mais Gaëtan et M. de Gondrin besognaient pour tout de bon. Ils étaient armés de l’épée et du pistolet. M. de Gondrin avait reçu le feu de Gaëtan dans son pourpoint et son sang coulait par une estocade qu’il avait à l’épaule droite, quand il a pu passer sous le fer du chevalier et le renverser d’une poussée à l’italienne. La pointe de son épée était déjà sur la gorge de Gaëtan ; une main nue a saisi la lame et l’a brisée…

Le croirais-tu ? c’est Gaëtan qui s’est fâché le plus fort !

— Oui, murmura Pola dont le souffle s’embarrassa dans sa poitrine, je le crois !

Mélise haussa les épaules franchement.

— Que Dieu vous bénisse, vous autres gentilshommes et nobles demoiselles, dit-elle. Vous n’avez pas le sens commun ! Quand il faudrait remercier, vous vous mettez en colère. La main nue qui avait brisée l’épée était au More. Il fit comme toi, apparemment ; il comprit la colère du chevalier Gaëtan, car il lui promit de le rencontrer où et quand il voudrait, puis il prit à part M. le baron de Gondrin et lui parla bas pendant quelques minutes.

Ce baron de Gondrin est presque un vieillard, mais il a gardé les façons d’un raffiné de la jeunesse du feu roi. Mon père, qui arrivait en ce moment, crut que don Estéban s’était mis sur les bras une fort méchante affaire et se préparait à lui servir de second quand il le vit échanger une poignée de main avec le baron de Gondrin.

Celui-ci s’écria :

— Si vous accomplissez votre promesse, mon camarade, votre fortune est faite !

Le More s’inclina froidement comme toujours, et ils se séparèrent après quelques paroles échangées encore à voix basse, qui étaient, selon toute apparence, un rendez-vous convenu.

— Que dis-tu de cela, chérie ?

Pola restait toute pensive.

— Je dis, répliqua-t-elle après un silence, que, de plus en plus, cet homme me fait peur.

— Moi, reprit Mélise avec un gros soupir, je dis que si ces trois-là s’entendaient : Roger, qui est un peu fou, mais brave comme son épée ; le chevalier Gaëtan, ce preux de la table ronde, et don Estéban, que je regarde comme une moitié de sorcier, nous aurions là, pour la bonne comtesse, une garde du corps qui vaudrait tout un escadron de mousquetaires. Seulement, ils ne s’entendront pas, à moins que ce ne soit pour se couper la gorge.

Et pendant cela, les choses marchent ; la guerre est déclarée, cette guerre sourde, invisible, dont je ne puis suivre la marche, malgré toute ma bonne volonté.

Veux-tu des symptômes ? J’en ai à revendre. Mais des faits, néant.

Premier symptôme : mon père a dû recevoir des ordres nouveaux, puisque la porte de communication est condamnée et qu’il m’a défendu de te voir. On nous craint. Ce doit être ta mère, qui voudrait enfouir à cent pieds sous le sol sa Pola, son dernier trésor.

Second symptôme : mon père est muet et craint le vin comme si les vendanges de l’an passé étaient empoisonnées.

Troisième symptôme : don Estéban, malgré la fièvre qui brûle dans ses yeux, semble avoir mis un bâillon sur sa bouche. Il n’interroge plus, de peur qu’une réponse ne se glisse dans ses propres questions. Il cherche, il travaille, il souffre.

Le baron de Gondrin cabale, le doux Renaud de Saint-Venant s’agite, et je sais bien ceci, du moins, car le sourire triomphant de mon père me l’a dit. Ces deux-là, qui sont vos plus mortels ennemis, ont une épine au pied : c’est l’aventure de Rivière-le-Duc. Il y a là promesse de reine. L’idée que madame Éliane est à Paris, l’idée qu’elle pourrait pénétrer au Palais-Royal les déconcerte et les terrifie.

— Mais, dit Pola, le conseiller Renaud de Saint-Venant et M. de Gondrin sont opposés l’un à l’autre ?

— Ils l’étaient hier, répliqua Mélise. Aujourd’hui que le baron de Gondrin a des protecteurs puissants, aujourd’hui… Mais n’as-tu donc pas su que M. de Saint-Venant avait demandé ta main ?

— Lui ! fit Pola stupéfaite, je l’ai toujours regardé comme un père.

— Le mien, mon père à moi, murmura Mélise, qui avait l’air songeur, disait un jour qu’il devait y avoir un secret, un grand secret, entre la comtesse et le conseiller de Saint-Venant. Ne fronce pas les sourcils, chérie. De ce qui vient de mon père ou de moi, rien ne doit t’offenser. Il y a des secrets partagés qui sont criminels d’un côté, honorables de l’autre. À chacun selon son cœur. Je sais que le More entretient des relations suivies avec Mathieu Barnabi, qui est un personnage maintenant et l’âme damnée du conseiller de Saint-Venant.

Pola passa ses doigts effilés sur son front.

— Ma tête me fait mal, dit-elle ; on s’y perd !

— On s’y perd, répéta Mélise, c’est vrai ; mais quand on a bonne volonté et bon courage, on s’y retrouve, mon cœur. Il y a un fil qui vous guide : c’est l’ardent désir de sauver ceux qu’on aime. À quoi penses-tu ?

Pola hésita avant de répondre. Elle avait des larmes dans les yeux.

— Je pense à mon pauvre père, dit-elle enfin. Ou plutôt je pense à ma mère par rapport à lui. Que se passe-t-il pendant l’absence de ma mère, si ma mère est absente du château de Pardaillan comme tu l’affirmes, dans cette chambre triste et où nul n’entre jamais ?

Les sourcils de Mélise se froncèrent.

— Quelqu’un y entre, voilà tout, répliqua-t-elle d’un ton résolu. Si Dieu m’avait laissé une mère, une mère semblable à la tienne, surtout, je ne la soupçonnerais pas si aisément que cela.

Les pleurs jaillirent plus abondants des beaux yeux de Pola.

— Tu es bonne et je t’aime, murmura-t-elle en effleurant de ses lèvres le front de sa compagne. Tout mon cœur est à ma mère. Si je cessais à croire à ma mère, je mourrais.

— Et pourquoi cesserais-tu de croire à ta mère ? s’écria la fille de Mitraille avec un véritable courroux.

Pola demeura silencieuse. Ses larmes étaient séchées ; ses joues et ses paupières brûlaient.

— C’est vrai, fit-elle d’une voix changée. Tu as raison. Il y a des choses qui sont impossibles !

Puis, emportée par un élan soudain, elle se jeta dans les bras de Mélise qu’elle pressa convulsivement contre son cœur, disant :

— Si tu savais !…

— Si je savais quoi ? demanda la fillette, voyant que Pola s’arrêtait.

Il y avait de l’égarement dans les yeux de mademoiselle de Pardaillan.

— Si tu savais comme j’aime ma mère ! acheva-t-elle avec un accent de désespoir.

— Tu l’aimes bien, dit Mélise, je le crois ; jamais tu ne pourras l’aimer assez. Mais tu as un doute, ajouta-t-elle, pendant que son regard perçant descendait jusqu’au fond de la conscience de Pola ; tu as un secret peut-être. Garde ton secret, s’il accuse ta mère. Je n’en veux pas. Tu l’as dit : il y a des choses impossibles. J’en sais une, la plus impossible de toutes, c’est que la bonne comtesse ait fait le mal.

Mademoiselle de Pardaillan se redressa de toute sa hauteur.

— Le mal, répéta-t-elle. Ma mère !

— C’est bon ! dit Mélise en secouant brusquement sa tête mutine. Peut-être que je ne suis pas assez demoiselle pour te bien comprendre, mon cœur. Si c’est une charade, je n’ai pas le temps d’en chercher le mot. Il faut désormais nous presser : mon père m’attend et me cherche peut-être. Qui sait quand je pourrai te voir de nouveau ? Je t’ai appris tout ce que j’avais à t’apprendre ; il me reste, pour accomplir toute ma promesse, à te dire pourquoi je te l’ai appris. M’écoutes-tu ?

Pola redevint attentive.

— Et d’abord, reprit Mélise d’un ton presque solennel, aimes-tu le chevalier Gaëtan ?

— Pourquoi cette question ? balbutia mademoiselle de Pardaillan.

— Parce que, répliqua Mélise péremptoirement, il faut aimer l’homme à qui l’on va demander son temps, son repos, sa sûreté, sa vie peut-être.

— Certes, répartit Pola, je ne demanderai rien de tout cela à M. le chevalier.

— Tu te trompes, chérie. Peut-être que quelqu’un le lui a déjà demandé pour toi.

— Qui donc aurait osé ?

— Oh ! quelqu’un qui n’est pas timide, et qui ose toujours.

— C’est toi ?

— C’est moi.

— Tu auras commis quelque imprudence ?

— Juges-en. Le chevalier t’aime du plus profond de son âme. Mon Dieu, oui ! sans t’avoir jamais parlé et seulement pour avoir vu parfois ton sourire, sous le grand voile que la brise soulevait, là-bas, quand tu chevauchais dans la forêt de Pardaillan ; pour t’avoir suivie de loin dans ton voyage, pour… sur ma foi, je ne sais pas pourquoi. Les romans de chevalerie sont bourrés de pareilles aventures et je commence à croire qu’ils ne méritent pas si bien qu’on le pense leur réputation d’imposteurs. À ces choses-là, le pourquoi manque. On aime parce qu’on aime. Il t’aime, il t’adore plutôt, car c’est un culte.

Le cœur de Pola battait violemment sous sa collerette, malgré l’effort qu’elle faisait pour garder une contenance sévère et digne.

— C’est bon ! dit pour la seconde fois Mélise. Tu ne l’aimes pas, toi !

Son regard moqueur pesait sur les paupières de Pola qui n’osaient plus se rouvrir.

— Si tu l’aimais, poursuivit la fillette, tu te serais déjà jetée à mon cou, malgré tes grands airs. Que veux-tu, je me suis trompée. Et conviens qu’il y avait lieu de se tromper. Chaque fois que je venais, ta première question était pour Gaétan, et ce matin encore…

Pola lui tendit sa main qui était froide et prononça lentement :

— Ne joue pas avec cela, ma fille !

— À la bonne heure ! fit Mélise. Nous y venons donc enfin ! Alors, je n’ai pas commis une trop lourde maladresse en lui avouant franchement que tu l’aimais ?

— Malheureuse ! s’écria Pola épouvantée, as-tu fait cela ?

— Pas tout à fait, répliqua la fillette en baissant ses grands yeux sournois. Ne te fâche pas. Certes, je n’ai pas été lui raconter toutes nos petites affaires. Qu’aurait-il pensé de nous, bon Dieu, s’il avait su le temps que nous dépensons chaque matin à bavarder touchant sa précieuse personne, à déplorer les malheurs de sa famille, à maudire M. le maréchal de la Meilleraye, et la mémoire de feu M. le cardinal, à constater qu’il porte son pourpoint de drap modeste, mieux, oh ! bien mieux que nos muguets à la douzaine ne portent leur soie et leur velours… et à soupirer… et à sourire… et à répéter sur tous les tons des choses qui, mises en vers, se chanteraient si doucement, surtout si on les accompagnait avec la mandoline !

Pola retira sa main et dit :

— Tu es méchante, Mélise.

— Mais pas du tout, mon cœur… à moins qu’il n’y ait méchanceté à priver ce beau Gaëtan du récit de nos chères extravagances. Comme tout cela l’aurait rendu heureux ! Je me suis bien gardée de lui rapporter tout cela, d’autant que ç’eût été fort long et que maître Roger fait bonne garde autour de moi. C’est à peine si j’ai le loisir de glisser un mot à Gaëtan, qui me suit comme une âme en peine. Je lui ai donc dit, tout bonnement : Pola pense à vous, Pola sait que vous l’aimez, et cela ne la met point trop en colère.

— Mais pourquoi, l’interrompit mademoiselle de Pardaillan, dont la joue était écarlate, pourquoi as-tu parlé ainsi ?

Mélise était redevenue sérieuse.

— Parce que j’ai mon idée, répondit-elle, ma grande idée que je te laissais voir tout à l’heure. Mon raisonnement est bien clair. Je ne sais pas quel est le danger, je ne sais pas où est le danger, mais je sais qu’il y a danger, ou plutôt je le sens : un danger terrible sur ta mère et par conséquent sur toi. Ta mère s’efforce, je la sens combattre, je ne sais pas quelles sont ses armes. Le service rendu à la reine me donne de l’espoir, mais on dit que la reconnaissance n’est pas une vertu de cour. Hier, sais-tu quelle était la nouvelle ? Ce baron de Gondrin va partir pour le Rouergue, en qualité de lieutenant du roi. Là-bas, dans ces provinces reculées, un lieutenant de roi est un maître absolu. Eh bien ! moi, je connais trois hommes qui ne sont rien en apparence : l’un ne sait pas même le nom de son père : c’est Roger ; l’autre est le fils proscrit d’un père supplicié : c’est Gaëtan ; le troisième enfin est un étranger, isolé à Paris, sans alliances et sans influence, don Estéban, qu’on appelle le More. Ces hommes sont séparés, je dis trop peu, ils sont sur le point peut-être de s’entre-haïr. Je ne veux pas qu’ils se haïssent. J’ai confiance en chacun d’eux pris séparément, et il me semble que si je pouvais faire un faisceau de ces trois vaillantes épées…

— Projet d’enfant ! murmura Pola.

— J’ai quinze grands mois de plus que toi, chérie ! fit observer Mélise avec quelque orgueil.

— Que peuvent trois hommes ?

— Trois lions ! répliqua la fillette, trois ! dont un vrai lion du désert ! D’abord, dis tout ce que tu voudras, j’ai mis dans ma tête qu’il en serait ainsi. Pour cela il faut qu’aucun doute ne reste entre eux et que les situations soient bien nettes. Je suppose, par exemple, qu’on ait besoin de t’enlever…

— M’enlever ! répéta mademoiselle de Pardaillan, épouvantée cette fois.

— J’ai dit : je suppose… et s’il fallait en arriver là, même malgré toi, penses-tu que je reculerais ? En ce cas-là, vois-tu, ce ne serait pas trop de mes trois épées. Mais si Gaëtan a défiance de Roger, si Roger est jaloux de Gaëtan, qu’il voit rôder autour de moi, sans savoir que tu es là derrière ; si don Estéban, enfin…

— Quel lien pourrait nous attacher celui-là ?

— C’est un peu mon secret, repartit Mélise en retrouvant son sourire. Mais ta question me prouve que tu as compris. Donc à tout seigneur tout honneur : j’ai commencé par ton beau Gaëtan… et il me semble qu’il tarde bien à venir.

Depuis quelques minutes elles avaient quitté le banc de pierre pour marcher côte à côte sous le couvert dans la direction de l’angle, formé par le mur des jardins de Vendôme et l’hôtel.

Mademoiselle de Pardaillan s’arrêta court aux derniers mots de Mélise. Elle ne trouva point de paroles. Ce fut son regard stupéfait qui répondit et protesta.

— Ma foi, dit Mélise, le voilà ! J’ai fait de mon mieux. Honni soit qui mal y pense !

Pendant qu’elle parlait, un beau jeune homme, enjambant le faîte du mur, atteignit d’un seul bond le sol du bosquet. L’instant d’après, il était aux genoux de Pola.

— Mademoiselle, dit-il, je ne vous demande rien, sinon le droit de vous protéger et de mourir pour vous.

Pola restait pétrifiée. Mais tout à coup un cri sortit de sa poitrine et son doigt convulsif montra une fenêtre de l’hôtel de Vendôme, ouverte sous les arbres mêmes et aux carreaux de laquelle une figure étrange se montrait ; des traits de bronze, éclairés par un regard de feu.

— Le More ! murmura-t-elle, celui-là doit être le More !

Mélise et Gaëtan suivirent son geste du regard, mais il n’y avait plus rien derrière les vitres de la croisée. Le More avait disparu.

Un grand bruit, cependant, se faisait dans le clos Pardaillan. On entendait la voix irritée de dame Honorée qui appelait sa nièce et d’autres voix disant :

— Un homme a été vu escaladant le mur du couvent. Ce doit être lui ! cherchez !

À l’endroit où nos jeunes gens se trouvaient réunis, un pan de charmille les protégeait contre le regard, ce qui, joint à l’ombrage épais des tilleuls, formait une sorte de cachette, mais on était en plein jour, et il n’y avait nul espoir d’échapper longtemps aux recherches.

— Fuyez ! dit Mélise à Gaëtan en lui montrant le mur.

Celui-ci répondit :

— J’étais venu chercher l’espoir ou la mort.

Le bruit et les pas se rapprochaient.

Pola restait immobile et comme pétrifiée.

— Fouillez le bosquet ! ordonna-t-on dans le clos.

Et, de l’autre côté du mur, une voix dit :

— Le camarade ne pourra toujours pas s’en retourner par où il est venu : nous sommes là !

Toutes les issues étaient désormais fermées. On entendait les cris chevrotants de la bonne béguine qui gémissait :

— Pola ! malheureuse enfant ! c’est un criminel d’État. Seigneur Jésus ! l’aurait-il enlevée !

Mélise, qui s’était glissée jusqu’à une ouverture de la charmille, revint, la pâleur au front, et dit tout bas :

— Ce ne sont pas les serviteurs du couvent. Vous avez été reconnu, suivi ; il y a là des gens du roi.

— J’aurai le sort de mon père, murmura Gaëtan avec un triste sourire.

Puis, se tournant vers mademoiselle de Pardaillan, il ajouta :

— Éloignez-vous, madame, je dois rester seul ici… et ne me plaignez pas : je ne regrette rien sur la terre.

Deux larmes jaillirent des yeux de Pola qui lui tendit la main en murmurant :

— Vivez ! je vous en prie !

Gaëtan porta la main de la jeune fille à ses lèvres, puis il se redressa transfiguré. Ses yeux étincelaient ; ce fut d’elle-même en quelque sorte que son épée sauta hors du fourreau.

Mélise n’avait point vu, n’avait point entendu cela. Éperdue, elle s’était élancée vers l’hôtel, secouant avec folie la porte condamnée.

Et sans savoir qu’elle parlait, peut-être, elle avait dit :

— Estéban ! bon Estéban ! êtes-vous là, au nom de Dieu ?

Il se fit un bruit à l’intérieur comme si la serrure arrachée sautait en brisant ses écrous.

La porte s’ouvrit, mais personne ne se montra sur le seuil.

Mélise saisit Gaëtan à bras-le-corps et l’entraîna, disant :

— Bon Estéban, merci !

Quand les gens du roi se ruèrent de l’autre côté de la charmille, précédant dame Honorée, il n’y avait plus personne sous les tilleuls, sinon mademoiselle de Pardaillan qui était évanouie au pied d’un arbre.

La petite porte par où Guezevern sortait autrefois de l’hôtel de Vendôme pour venir au rendez-vous de son Éliane était de nouveau fermée.