Le Mari embaumé/II/20. L’alcôve

E. Dentu (Tome 2p. 269-283).





XX

L’ALCÔVE


La comtesse Éliane regarda Saint-Venant en face.

— Vous me prendrez mon fils ! dit-elle d’une voix brève et basse.

— Il ne lui sera point fait de mal, répliqua le conseiller.

— Et vous me demandez ma fille ? ajouta la comtesse.

— Votre fille, madame, si elle devient ma femme, sera, un jour à venir, comtesse de Pardaillan. Songez que je sacrifie M. le baron de Gondrin, que j’ai le Parlement pour moi, et que Pol de Guezevern, qui vit pour vous, qui écrit par votre main, peut faire un testament avant de mourir pour tout de bon.

Éliane s’assit.

— Et si je vous abandonne de la sorte mon fils et ma fille, demanda-t-elle froidement, me délivrerez-vous l’ordre de la reine ?

— Oh que nenni ! répliqua le conseiller en riant. Vos beaux yeux ne savent point cacher votre pensée. Si vous teniez une fois l’ordre de la reine, je serais un bien petit compagnon. Réfléchissez, ma belle dame : au moment que vous acceptez mes conditions, je deviens plus intéressé que personne au bien de notre maison ; en conséquence, je dois rester dépositaire de l’arme qui est notre sauvegarde commune. Revenez à des pensées plus raisonnables, et stipulez plutôt en faveur de votre fils. Je ne suis point méchant, vous le savez, et, à cet égard, je suis prêt à vous concéder tout ce qui est compatible avec la prudence.

Renaud s’assit à son tour. Il croyait la bataille gagnée, d’autant mieux que madame Éliane avait mis ses deux mains convulsivement crispées sur son visage couvert de pâleur. C’est ainsi que les femmes capitulent d’ordinaire.

— Voyons, respectée dame, reprit Renaud, ce jeune garçon est mon filleul, après tout. Voulez-vous que je lui donne mon nom, au lieu de celui qu’il perd ? Chacun peut avoir commis un péché de jeunesse. Je lui assurerai dix mille livres de pension, je lui achèterai une lieutenance. Par la corbleu ! ce pauvre chevalier Gaëtan voudrait bien coucher dans de pareils draps ! Mais, pour celui-là, son compte est réglé. Voyons, belle dame, décidez-vous, j’ai hâte.

Il attendit un instant la réponse de la comtesse. Comme il allait reprendre la parole, madame Éliane répondit enfin très bas et d’une voix brisée :

— Monsieur de Saint-Venant, je vous prie de vous retirer.

— Comment ! s’écria le conseiller, demandez-vous à réfléchir à cette heure ?

Elle se découvrit le visage et Renaud recula devant son regard.

— Je ne demande pas à réfléchir, prononça-t-elle avec lenteur. Je vous refuse la main de ma fille, aujourd’hui comme hier, et je ne veux pas vous livrer mon fils.

— Ah ! ah ! fit le conseiller, qui se mit sur ses pieds, c’est la guerre alors ! Vous êtes brave, ma noble dame ! vous allez affronter la justice dans cette chambre où abondent si bien les preuves de votre mensonge… de votre crime ! vous allez paraître devant vos juges sans défense, sans excuse, sans espoir !

— Sans espoir ! répéta Éliane d’une voix morne. Car je n’espère plus même en Dieu ! J’ai péché, il faut que je sois punie. Je vois cela clairement par la folie de ma propre conduite. Si, tout à l’heure, j’avais gardé mon fils près de moi, si j’avais caché mon fils derrière une de ces draperies… Vous tressaillez… j’étais sauvée : il est brave comme un lion, aussi brave que vous êtes lâche ; il vous eût arraché cet ordre avec la vie… car vous avez mérité de mourir, Renaud de Saint-Venant, et à cette heure suprême où l’âme se détache des choses de ce monde, je vous le dis : vous ne jouirez pas longtemps du fruit de votre infamie.

— C’est affaire entre la Providence et moi, belle dame, répondit le conseiller en ricanant : j’aime mieux, à cette heure, la main de la Providence que l’épée de mon cher filleul. Une fois, deux fois, est-ce votre dernier mot ?… trois fois…

— Je vous ordonne de sortir ! commanda Éliane, qui se redressa de toute sa hauteur.

— Vous allez vous tuer ! balbutia Saint-Venant ; je vous devine.

— Vous l’avez dit, répliqua Éliane, je vais me tuer ; sortez !

Saint-Venant se dirigea vers la porte en murmurant :

— J’ai fait ce que j’ai pu. Chacun pour soi en ce monde. Voici vingt ans que je travaille, et je ne puis tout perdre pour une lubie de femme. Par la messe ! je n’ai que le temps d’arranger mes affaires d’un autre côté. Respectée dame, vous n’avez à accuser que vous-même ; j’avais pour vous un dévouement chevaleresque…

Sa phrase s’acheva de l’autre côté de la porte.

Les bras de la comtesse tombèrent le long de son corps.

Elle resta longtemps ainsi, immobile, anéantie.

En vérité, il y avait du vrai dans ce qu’Éliane avait dit : Dieu l’abandonnait moins qu’elle ne s’abandonnait elle-même. Sa force d’âme d’autrefois succombait sous le poids d’un sentiment qui ressemblait à un remords. Elle avait menti. Le mensonge l’écrasait à cette heure où elle aurait eu besoin de toute sa vaillance.

Il ne lui eût fallu qu’une épée contre cet homme qui était fort et hardi seulement devant les femmes. Elle était entourée d’épées. Un cri, un simple cri eût appelé Mitraille, qui rôdait, indécis et inquiet, dans le couloir intérieur, et Gaëtan, toujours placé en sentinelle dans l’autre galerie.

Elle n’avait point poussé de cri ; elle ne savait plus : elle était morte.

Un seul être au monde aurait pu venir à son secours, car celui-là n’avait pas besoin d’être averti : il était témoin, — mais celui-là ne voulait pas.

En sortant de l’oratoire, le conseiller heurta ce coquin de Mitraille, appuyé contre le mur et creusant sa cervelle vide pour savoir s’il avait bien ou mal fait d’introduire Saint-Venant auprès de sa dame. Celui-ci l’entraîna, disant :

— Que faites-vous là, capitaine ? À votre poste, malheureux ! Ne quittez pas la garde de la porte avant l’heure fixée pour la capitulation ; et que personne n’entre, surtout !

— J’étais resté là, répondit Mitraille, pour être à portée si madame Éliane appelait. Vertubleu ! monsieur le conseiller, ce n’est pas la confiance que j’ai en vous qui m’étouffe ; et au moindre mot de madame la comtesse, je vous aurais saigné comme un chapon !

— Capitaine, répliqua gravement Renaud, dans quelques heures, madame la comtesse vous dira elle-même ce que j’ai fait pour elle, et vous vous repentirez de ces paroles que je vous pardonne de bon cœur. Allez à votre devoir et veillez. Moi, je n’ai pas encore achevé ma besogne de cette nuit.

À ces derniers mots, il s’éloigna brusquement, laissant ce coquin de Mitraille l’homme du monde le plus embarrassé.

— J’ai la tête froide ! se dit le bon garçon en grattant tour à tour ses deux oreilles jusqu’au sang. Je n’ai bu que de l’eau claire, ce qui est une condition excellente pour réfléchir avec fruit. Réfléchissons ! Du diable s’il y a seulement un quart d’idée dans ma cervelle ! Pourquoi ce damné conseiller reste-t-il au château ? Dois-je aller prendre les ordres de madame Éliane ? Et s’il arrivait malheur au poste de la grande porte pendant cela ? Sarpejeu, la soif que j’ai ! J’étrangle !

Il redescendit les escaliers la tête basse.

Nous savons que le conseiller Renaud de Saint-Venant avait ses entrées au château de Pardaillan depuis le jour où madame Éliane en avait pris possession. La veuve de Pol de Guezevern avait subi pendant quinze ans la domination de cet homme. Il connaissait parfaitement les corridors, les galeries, les passages secrets de l’immense et féodale demeure.

En quittant Mitraille, il reprit à grands pas le chemin qu’il venait de parcourir, traversa toute une longue suite de chambres inhabitées, et franchit en dernier lieu une porte donnant sur l’escalier en colimaçon qui conduisait à la poterne par où Mélise avait introduit ses trois fameuses épées : Roger, Gaëtan et le More.

Pendant ce voyage, le conseiller avait médité profondément et s’était dit à plusieurs reprises :

— Après tout, je retomberai toujours sur mes pieds, et certainement M. le baron ne pourra se refuser à doubler la somme.

Nous nous souvenons que la poterne s’ouvrait au fond même du ravin, servant de douve, qui séparait le château des bois de Pardaillan.

Renaud enleva les barres à tâtons, réfléchissant toujours, et fit tourner le massif battant, armé de fer, sur la rouille de ses gonds.

Il faisait encore nuit noire au fond du ravin, mais l’étroite bande de ciel qu’on apercevait entre les arbres et le rempart prenait déjà des teintes irisées.

Renaud approcha de ses lèvres un appeau de braconnier qui rendit à son souffle une note courte et basse.

Quelques secondes s’écoulèrent, puis, dans le silence, un son pareil retentit faiblement au haut de la rampe.

On entendit, sur le rempart, le pas des sentinelles. L’une d’elles s’arrêta dans sa marche et dit :

— Les perdreaux chantent au mois de juillet cette année.

Puis le silence régna de nouveau.

Après une minute, on aurait pu voir un mouvement parmi les broussailles qui tapissaient la rampe, et un caillou, brusquement dérangé, roula au fond du ravin.

— Qui vive ! cria la sentinelle.

Il ne lui fut point répondu.

— Par la mort Dieu ! gronda le soldat, une perdrix ne buterait pas ainsi contre les roches. C’est au moins un lièvre !

Et il épaula son arbalète à chaîne.

Le carreau siffla. Un juron s’étouffa dans les buissons. L’instant d’après, M. le baron de Gondrin était auprès de Saint-Venant, qui le fit entrer par la poterne et referma le battant derrière lui.

— Sang du Christ ! gronda le lieutenant de roi, le drôle m’a enlevé un lopin de chair à l’épaule : un pouce plus bas, j’étais mort !

— Louons donc Dieu, dit Saint-Venant, et parlez bas, monsieur mon ami : j’ai ouï des pas tout à l’heure en passant au bout de la grande galerie.

Gondrin s’assit sur une des marches de l’escalier tournant.

— Le cœur me manque… murmura-t-il.

— Il n’est pourtant pas l’heure de se reposer, monsieur mon ami, répliqua Renaud. Voici le jour qui va poindre. Si vous aviez eu confiance en moi, si vous aviez accepté pour vrai tout ce que je vous ai dit, cette mésaventure ne vous serait point arrivée.

— Par la morbleu ! s’écria Gondrin en se levant, j’ai voulu voir par moi-même, et j’ai bien fait. Toute cette histoire est aussi invraisemblable qu’un conte à dormir debout. Quand on a l’honneur d’occuper la haute dignité que madame la régente a bien voulu me confier, il ne faut point donner à rire de soi, mon camarade !

Il faisait noir comme dans un four, c’est pourquoi M. le baron ne vit point l’effort que fit le conseiller pour réprimer un accès de moqueuse hilarité ; il poursuivit :

— Ce cadavre empaillé, ce comte endormi comme une momie, depuis quinze ans, dans sa chambre close… certes, l’audace des femmes n’a point de bornes ; mais, pourtant, l’aventure me paraît un peu forte, et avant de convoquer cent témoins, hommes de guerre, magistrats, gentilshommes et gens du roi, j’ai voulu m’assurer par moi-même de la réalité du fait. Quand j’aurai vu par mes yeux, quand j’aurai touché de mon doigt, je serai plus à mon aise.

— Vous verrez donc par vos yeux, monsieur mon ami, dit Saint-Venant, et vous toucherez de votre doigt. Marchons !

Ils montèrent. Quand ils eurent franchi la dernière marche de l’escalier et qu’ils furent arrivés à l’embouchure de la grande galerie, Saint-Venant serra vivement le bras du baron.

— Écoutez, dit-il, et voyez !

Un pas se faisait entendre à l’autre bout de la galerie et bientôt on put voir, aux premières lueurs de l’aube, une fière et svelte silhouette passer devant une croisée.

— Qu’est cela ? demanda le baron.

— Je ne sais, repartit Renaud. Il se passe cette nuit, au château, des choses que je ne peux point m’expliquer. Il faut se hâter et jouer serré. Venez, monsieur mon ami.

Ils profitèrent du moment où le chevalier Gaëtan tournait le dos dans sa promenade périodique et traversèrent la galerie à pas de loup, reprenant ensemble le chemin que le conseiller venait de parcourir tout seul.

Le conseiller s’arrêta dans l’une des chambres et battit le briquet. Une bougie allumée montra un lit, des sièges et une table où se trouvait tout ce qu’il faut pour écrire.

— Ceci était ma retraite, dit Renaud, au temps où j’étais l’ami de la maison. Veuillez prendre un siège, monsieur le baron. Il faut que nous ayons ici tous deux un entretien qui sera court, je l’espère, mais qui est indispensable. Voici votre place.

Il montra un siège au lieutenant de roi, et en prit un autre qui laissait entre eux toute la largeur de la table.

— Pourquoi ce retard ? demanda Gondrin, qui, néanmoins, s’assit, et approcha le flambeau de son épaule pour examiner sa blessure.

— La plaie n’est, Dieu merci, qu’une bagatelle, monsieur mon ami, reprit Saint-Venant. Parlons de choses plus graves. Il est arrivé cette nuit des nouvelles de Paris.

— Ah ! fit le baron. Bonnes ?

— Pour les uns, oui ; pour les autres, mauvaises. J’estime qu’il vous reste à peu près douze heures d’autorité.

— Comment ! s’écria le baron qui voulut se lever.

— Restez assis, je vous supplie, dit froidement le conseiller en ouvrant les revers de son pourpoint pour prendre un pistolet de grande taille qu’il arma et qu’il déposa sur la table.

M. de Gondrin le regarda, étonné, mais non pas effrayé. Il se rassit, disant :

— C’est donc une conversation sérieuse ?

— Du tout point, monsieur mon ami, répondit Saint-Venant. J’ai un trésor et je le garde, voilà tout. Mais je suis sûr qu’aucune difficulté ne peut surgir entre nous. Voilà le trésor.

Il déplia le parchemin signé par la reine et le présenta ouvert au regard de Gondrin.

— Pouvez-vous lire d’où vous êtes ? demanda-t-il.

— J’ai de bons yeux, répondit le baron. Qu’est-ce que ce diplôme ? Ah ! ah ! s’interrompit-il, c’est le prix de la comédie de Rivière-le-Duc. Très bien, et comment est-il en votre pouvoir ?

— Il y est, dit seulement Saint-Venant.

— C’est juste. Après ?

— Avec cela, madame la comtesse de Pardaillan pouvait nous fermer à toute éternité les portes de sa maison.

— C’est juste, répéta Gondrin ; vous avez essayé de le lui vendre ; elle n’a pas voulu racheter !…

— Je proteste… commença Renaud.

— Moi aussi, l’interrompit Gondrin ; je proteste que vous êtes un très habile maraud, mon compère. Combien demandez-vous de cet ordre ?

— Il me semble qu’en triplant notre marché ?…

— Je double, c’est assez !

Renaud lui montra du doigt l’écritoire.

— Nous n’avons pas le loisir de marchander, dit-il. Écrivez, signez, et que ce soit chose faite.

Sans hésiter aucunement, M. de Gondrin écrivit et signa. Saint-Venant serra la cédule, remit son pistolet sous les revers de son pourpoint qu’il agrafa et dit :

— Monsieur le comte de Pardaillan, achevons notre œuvre.

Ayant mis ce titre et ce nom comme un double rempart entre lui et la colère possible de Gondrin, il reprit sa route en marchant le premier.

La route n’était pas longue désormais. En sortant de la chambre de Saint-Venant, ils s’engagèrent dans le corridor intérieur où naguère attendait et veillait ce coquin de Mitraille. La porte de l’oratoire donnait sur ce corridor. Le lieutenant de roi et le conseiller s’arrêtèrent à la porte suivante, dans la serrure de laquelle Saint-Venant introduisit une clef. Il entra, suivi de son compagnon, et tous deux se trouvèrent dans la chambre à coucher de madame Éliane — la chambre du deuil. Ils s’étaient introduits par l’issue dérobée dont nous avons parlé déjà et qui s’ouvrait entre les deux lits, au fond de l’alcôve.

La lampe brûlait encore, mais elle était presque épuisée, et ses lueurs vacillantes communiquaient d’étranges mouvements aux objets. Ainsi, au moment où M. de Gondrin passait le seuil, il crut voir la draperie qui lui faisait face s’agiter et se refermer. Cette draperie séparait la chambre du deuil de la pièce d’entrée où Mélise avait amené d’abord don Estéban, le More.

La première pensée du lieutenant de roi fut qu’un homme venait de s’esquiver par cette issue. Il se retourna vers Saint-Venant, qui le suivait, pour lui exprimer cette crainte, mais Saint-Venant mit un doigt sur sa bouche.

— Madame Éliane est là, prononça-t-il très bas en montrant la cloison de l’oratoire. Elle est seule. Elle entendrait le moindre bruit.

M. de Gondrin garda le silence. Ses yeux étonnés firent à deux ou trois reprises le tour de cette chambre lugubre comme un tombeau, et un frisson parcourut ses veines.

— Où est le comte ? balbutia-t-il.

Son regard venait de tomber sur le lit de droite, qui était vide.

— Ici, répondit Saint-Venant, qui montra le lit de gauche.

Le baron ramena ses yeux vers la couche où le cadavre était étendu. Il tressaillit et recula d’un pas. La couverture laissait deviner les formes rigides du mort, dont le voile noir cachait le visage.

La lampe jeta un éclat fugitif.

Le voile noir dessina des traits vagues, et les membres immobiles eurent un fantastique balancement.

— Dieu vivant ! pensa tout bas le lieutenant de roi, cette femme est brave !

— Toutes les femmes sont braves, répondit Saint-Venant. Voulez-vous toucher ?

M. de Gondrin ne répondit point.

— Voulez-vous voir ? ajouta Renaud.

Et comme le baron restait muet encore, Saint-Venant alla prendre sur la table la lampe mourante et l’apporta dans l’alcôve où il la tint élevée au-dessus du lit du mort. — Le baron regarda — et le baron toucha.

Saint-Venant dit :

— Maintenant avez-vous encore des doutes ? Ai-je bien gagné mon salaire ? Oserez-vous, devant tous, mettre la main sur cette épaule inerte et défier ce cadavre de témoigner contre nous ?

— Sortons ! murmura M. de Gondrin au lieu de répliquer, je sais ce que je voulais savoir.

Il repassa le seuil précipitamment.

La lampe jeta une grande lueur, pendant que Saint-Venant la replaçait sur la table, puis elle s’éteignit.

Au moment même où elle s’éteignait, Saint-Venant eut comme une vision. Il crut apercevoir entre les deux pans de la draperie qui fermait la chambre voisine une haute et pâle figure dont les yeux le regardaient avec d’ardentes prunelles.

Il s’enfuit. La chambre à coucher resta vide et plongée dans d’épaisses ténèbres, car les faibles rayons de l’aube ne pouvaient point encore percer la sombre étoffe des rideaux, pendant au-devant des fenêtres.

Au milieu du silence qui régnait dans ces ténèbres, on put entendre à travers la cloison de l’oratoire la voix navrée de madame Éliane qui sanglotait et qui priait.

Puis, après quelques minutes, un œil habitué à l’obscurité décroissante, car le crépuscule se faisait peu à peu, aurait deviné un mouvement de la draperie tombant en face de l’alcôve. Elle s’entr’ouvrit. Une ombre de haute taille, drapée dans un vêtement blanc, traversa la chambre mortuaire sans bruit. Aux lueurs indécises qui combattaient les ténèbres, un objet mince et brillant comme un rasoir scintillait vaguement dans sa main.

L’ombre disparut dans l’alcôve d’où partirent des bruits étranges. On eût dit qu’une main sacrilège violait le repos du lit funéraire.

Quand le jour vainqueur, cependant, pénétra dans cette tombe, rien n’était changé dans l’apparence de l’alcôve, et le mort, voilé de noir, s’étendait toujours à la même place.

La septième heure avait tinté depuis longtemps. Il faisait grand jour. Quand la demie tinta, madame Éliane appela ses serviteurs.

— Huit heures sonnant, dit-elle à Mitraille qui se présenta le premier, que les portes de mon château de Pardaillan soient grandes ouvertes. Neuf heures sonnant, que cette lettre soit remise à ma fille, celle-ci à mon fils, cette dernière à Sa Majesté la reine. Allez ! et qu’il ne soit fait aucune résistance à M. le lieutenant de roi.