Le Mari embaumé/I/17. Où maître Pol saute le pas

Hachette (Tome 1p. 252-253-266-267).





XVII

OÙ MAÎTRE POL SAUTE LE PAS.


Entre huit et neuf heures, ce soir-là, M. le duc de Vendôme rentra dans Paris par la porte Saint-Honoré. Il portait le deuil de son frère, M. le grand-prieur, et jurait contre sa colique que le bon air de Dampierre ni le spirituel entretien de madame la duchesse de Chevreuse n’avaient point guérie.

Le diable rouge était plus fort que cela, et les coliques qu’il donnait tenaient ferme.

M. le duc de Vendôme s’introduisit dans son hôtel de Mercœur incognito et avec des précautions infinies par une poterne de derrière, ouvrant sur le chemin des Percherons ; ceci afin d’éviter les embûches de M. le cardinal qui ne songeait guère à lui en ce moment, occupé qu’il était à prendre la Rochelle.

Aussitôt installé dans son appartement, M. le duc se mit au lit entouré de serviettes chaudes, et annonça qu’après une heure de repos il recevrait le Breton bretonnant Tête-de-bœuf, autrement dit maître Pol de Guezevern, le seul intendant honnête homme qui fût en ce bas monde.

Vers cette même heure, un cavalier se promenait seul et tête nue le long du parapet du Pont-Neuf, aux environs de la Samaritaine.

Le Pont-Neuf était alors et tant que durait le jour, l’endroit le plus fréquenté de Paris. Il avait la vogue que possédèrent au commencement de notre siècle les galeries du Palais-Royal ; c’était le lieu par excellence du plaisir et même des affaires, comme il arrive maintenant pour le boulevard des Italiens. Tabarin avait déjà établi à l’entrée de la place Dauphine son théâtre où se débitaient les onguents du sieur Mondor. Maître Gonin, vers la statue d’Henri IV, émerveillait les badauds par ses tours de gobelet, et l’illustre Briochet faisait aller, un peu plus loin, en face de l’hôtel de Conti, ses inimitables marionnettes. D’un bout à l’autre du Pont-Neuf, vous n’auriez pas trouvé dix pieds carrés qui n’eussent leur banquiste en plein air ou leur marchand de souverain baume.

Mais, dès que tombait la brune, les choses changeaient du tout au tout. Les charlatans pliaient bagage, les saltimbanques disparaissaient, l’essaim des badauds prenait sa volée, et ce champ de foire, où naguère grouillait la rieuse cohue, devenait un sombre chemin creux où quelques bandits faméliques attendaient, en vain la plupart du temps, le passage d’un provincial attardé.

Notre cavalier n’était ni un passant surpris par la nuit, ni un coupeur de bourse, car les coupeurs de bourse s’éloignaient de lui, flairant un accueil mauvais, et les passants le fuyaient, craignant une méchante rencontre.

Il allait d’un pas inégal, les cheveux au vent, les habits en désordre. C’était un fou, peut-être. Du moins, ceux qui s’étaient approchés de lui par hasard avaient entendu des paroles sans suite qui tombaient de ses lèvres.

En ce temps-là Paris n’avait aucun pont à l’ouest du Louvre. Le bac qui a donné son nom à la rue la plus commerçante du faubourg Saint-Germain existait encore ; le pont Barbier qui le remplaça n’ayant été fondé que cinq ans plus tard, en 1632.

Madame Éliane, chevauchant, escortée de deux valets seulement, car elle avait fait grande diligence depuis son château de Pardaillan, était entrée par la poterne de l’Abbaye et descendait, juste à ce moment, au grand trot le chemin des Saints-Pères, traversant le grand pré aux Clercs.

Nul passage autre que le bac ne menant directement à l’hôtel de Mercœur, elle suivit la Seine à droite pour gagner le Pont-Neuf.

« Un dernier bout de galop, mes garçons, dit-elle. Nous sommes d’une heure en retard, et M. le comte m’attend sans doute avec bien de l’impatience. »

M. le comte, c’était le pauvre Breton bretonnant de Guezevern, qui se promenait là bas, tête nue, songeant creux avant d’enjamber le parapet pour se jeter dans la rivière.

Certes, il ne se doutait guère du bonheur ironique qui lui arrivait le long de l’eau : le titre de comte et les millions de fortune qu’on lui avait montrés dès son enfance, au lointain de l’avenir inconnu.

S’il avait pu se douter…

Mais tout a une fin, même les hésitations d’un malheureux homme qui va mettre un terme à sa vie.

Maître Pol fit le signe de la croix, prononça le nom de sa femme adorée et monta sur le parapet.

Mme Éliane, suivie de ses deux valets, passait à pleine course devant l’hôtel de Conti, lorsqu’elle entendit le bruit d’un corps tombant à l’eau, puis un long cri, partant de la berge, de l’autre côté du Pont-Neuf. Le cri disait :

« À l’aide ! à l’aide pour un chrétien qui se noie ! »

Éliane avait le cœur sensible et bon ; elle fut émue.

Émue au point de s’étonner elle-même de la profondeur de son émotion.

De la houssine qu’elle tenait à la main, elle fouetta les oreilles de son genêt d’Espagne, et tourna, rapide comme l’éclair, l’angle du Pont-Neuf.

Ses serviteurs, désormais, avaient peine à la suivre.

On ne sait pas d’où sort la foule, à Paris. Quand Mme Éliane arriva à l’autre extrémité du Pont-Neuf, il y avait foule de ces curieux que le premier vent d’une catastrophe assemble en un clin d’œil. Les maisons voisines s’étaient vidées, malgré la crainte qu’on avait des voleurs, et les cabarets du bord de l’eau avaient vomi toute leur clientèle.

Cette foule descendait la berge et courait, avide de voir et de savoir.

Madame Éliane put entendre les renseignements échangés entre gens qui avaient déjà pris leurs informations ou qui devinaient.

Et naturellement ces informations ne concordaient guère.

« C’est un vieillard assassiné ! criait l’un : je l’ai vu.

— C’est une jeune fille-mère, répondait l’autre avec une égale certitude ; je l’ai vue.

— C’est un coupeur de bourse, et voilà qui est bien fait !

— Qu’on se taise, menteurs et badauds ! cria une voix retentissante. J’ai appris la chose de la bouche même des deux petits amoureux. Ah ! les chérubins ! »

Pour le coup la foule se massa en un seul tas compacte. Ces mots : « les deux petits amoureux, » donnèrent à l’aventure une bonne odeur de friandise.

La forte voix reprit :

« L’endroit est bon pour parler d’amour, quand on n’a ni bijoux, ni escarcelle. Les deux mignons n’ont pas peur des voleurs : Jonquille le danseur de cordes et la Fanchonnette qui avale des couteaux. Ils étaient donc là, sous le pont, à se confier leurs secrets, quand patatras ! voici un beau gentilhomme qui tombe tête première.

— Sa femme l’avait trompé, improvisa aussitôt un des auditeurs ; c’est certain !

— Du tout, point, c’était sa maîtresse, pour sûr ! »

Le long du parapet, on criait :

« Holà, ho ! du bateau ! Trouve-t-on le gentilhomme ? »

Il y avait en effet un bateau de sauvetage qui sondait le courant.

« Le gentilhomme a coulé sous les pilotis de la Samaritaine, opina un penseur. Il ne savait pas nager.

— Quand ils ont à sauter le pas, riposta une bourgeoise, ils s’attachent un pavé au cou, à ce qu’on dit.

« Tiens ! tiens ! fit la grosse voix, savez-vous qui est dans le bateau ? c’est don Ramon, le miquelet qui raccole pour la guerre d’Allemagne. Je gage qu’il va repêcher un soldat ! »

Et la foule de rire.

Une voix vint du bateau qui dit :

« Le pauvre diable est noyé ! Dieu ait son âme ! »

Sur le pont, une autre foule bavardait, racontant comme quoi M. le cardinal avait fait lancer par-dessus le parapet un certain cadet de Touraine dont Sa Majesté le roi Louis XIII avait dit : « Il a de beaux yeux. »

— Un pain ! un pain et une chandelle ! »

Personne n’ignore ceci : quand un malheureux noyé s’en va au fil de l’eau, le mieux est d’avoir un pain rond qu’on perce à son milieu pour y ficher une chandelle ou un cierge. Le pain rond doit être ainsi livré au courant, après que la chandelle a été allumée, et par l’intercession de saint Antoine de Padoue, il va s’arrêter juste à l’endroit où est l’homme, vivant ou mort.

Le pain secourable fut trouvé et le cierge allumé. On vit bientôt une lueur, semblable à un feu follet, qui descendait le cours de la Seine.

Mme Éliane la suivit des yeux bien longtemps, cette lueur.

Et elle pensait :

« Bon saint Antoine, ayez pitié du pauvre gentilhomme ! »

Mais la lueur disparut au tournant du fleuve, vers la butte Chaillot, et Mme Éliane, le cœur serré mortellement, reprit le chemin de l’hôtel de Mercœur.

Elle avait beau se dire : Je ne connaissais pas ce gentilhomme ! Elle avait beau ajouter en elle-même : Je vais embrasser mon mari bien-aimé, à qui j’apporte noblesse et fortune, un poids écrasant restait sur sa poitrine.

Dix heures de nuit sonnaient quand elle passa le seuil de l’hôtel.

Le premier valet qu’elle rencontra lui apprit que M. de Guezevern, intendant de Vendôme, habitait le propre appartement du bon écuyer Renaud de Saint-Venant.

Cette nouvelle ne diminua point le poids qui lui chargeait le cœur.

Elle demanda si maître Pol était dans sa retraite ; on lui répondit que les fenêtres de M. l’intendant étaient éclairées.

Mme Éliane, nous le savons, était une personne de haute résolution et de grand courage. Elle secoua la préoccupation triste qui la navrait, et donna l’ordre à ses serviteurs de porter chez maître Pol les valises qu’ils avaient en croupe. Ces valises semblaient être lourdes.

En revenant, les serviteurs dirent à Mme Éliane que M. l’intendant était seul dans son appartement, et qu’il reposait étendu sur son lit. Elle les congédia et entra.

« J’espère, dit-elle à peine entrée, que vous ne vous trouvez point malade, Pol, mon cher mari ?

Il lui fut répondu :

« Non. »

Sans prendre le temps d’ôter son chaperon de voyage ni sa mante, Mme Éliane passa derrière les rideaux et donna son beau front au baiser de son époux, il faisait dans l’alcôve une obscurité presque complète. Renaud de Saint-Venant avait placé la lampe de manière à rester lui-même dans l’ombre.

Certes, Mme Éliane n’avait et ne pouvait avoir aucun soupçon préconçu. Les aventures du genre de celles qui s’entament ici sous nos yeux ne se devinent point.

Néanmoins, et c’était sans doute la suite de cette sinistre rencontre qui avait salué son entrée dans Paris, Mme Éliane se sentait prise d’un indicible malaise. Quoi qu’elle fit, elle songeait à cette lueur mélancolique qui suivait le fil de l’eau, et elle se disait :

« Aura-t-on retrouvé le pauvre gentilhomme ? »

Et puis, je ne sais comment exprimer une nuance si vague et en même temps si subtile, mais il est certain que le baiser de la personne qu’on aime a une saveur particulière. Le doute n’était pas né dans l’intelligence de Mme Éliane, mais peut-être que son front et ses lèvres s’étonnaient déjà tout bas.

« Pol, dit-elle, c’est une chose bien extraordinaire qui nous arrive. Je m’attendais à un autre accueil. N’avez-vous point pris connaissance de ma lettre ?

— Si fait, mon amour, » répliqua le faux Guezevern, la bouche dans ses couvertures.

Éliane qui était en train de dépouiller son costume de voyage, prêta l’oreille avec étonnement.

« Je suis folle ! pensa-t-elle. C’est pourtant bien sa voix. »

En effet, Renaud de Saint-Venant avait imité assez bien l’accent breton de maître Pol.

Éliane poursuivit :

« Il semblait que mon pauvre père n’attendît que ma venue pour rendre son âme à Dieu. Il a voulu que je lui accordasse son pardon au nom de ma mère, et il est mort comme un saint… Quelle noble demeure que ce château de Pardaillan, mon bien aimé Pol ! Et comme notre sort a changé du jour au lendemain !

— Certes, certes, murmura Saint-Venant. Hâtez-vous, s’il vous plaît, mon Éliane chérie. »

Je ne saurais dire pourquoi celle-ci était plus lente que d’habitude à délacer les agrafes de son corsage.

Peut-être un premier soupçon frappait-il au seuil de sa pensée.

Mais quelle apparence, pourtant ?

« N’avez-vous point désir de connaître les détails de mon voyage ? demanda-t-elle.

— Je les écouterai quand vous serez près de moi, répliqua Saint-Venant.

— Ceci est bien de lui ! pensa la jeune femme qui eut son premier sourire rougissant et heureux.

— Vous ne m’avez pas encore dit, reprit-elle cependant, si vous me pardonnez la hardiesse que j’ai eue de signer votre nom sans votre permission. »

Saint-Venant, il faut que vous le pensiez bien, n’était pas sur un lit de roses. Éliane l’eût soulagé incomparablement, si elle avait raconté en ce moment l’aventure du gentilhomme inconnu qui venait de se noyer sous le Pont-Neuf.

Saint-Venant avait la fièvre. Le danger de sa situation lui apparaissait terrible. Il se disait : si la porte allait s’ouvrir ! si Guezevern allait paraître !

Il essuyait à pleines mains, derrière le rideau, la sueur qui baignait ses tempes.

Mais cela ne l’empêchait point de tenir vaillamment son rôle, et il répondit :

« Ma toute aimée, n’êtes-vous pas mon bras droit ?

— Cette fois, c’est bien ton cœur qui a parlé, Pol, mon ami et mon maître ! s’écria Éliane. J’avais peur. Mais j’ai bien fait, du moment que tu m’approuves… et laisse-moi te saluer la première du titre qui t’appartient. Aimez-moi, aimez-moi, comte de Pardaillan, comme vous m’aimiez quand nous étions deux pauvres jeunes gens, forcés, pour vivre, à occuper un emploi de roture.

— Comtesse, ma belle comtesse, repartit passionnément Renaud, je vous adorerai jusqu’au dernier jour de ma vie ! Mais par grâce, hâtez-vous ! »

Éliane obéit, cette fois, et son corsage, dénoué, tomba.

Renaud dévorait des yeux les charmants profils de sa taille. Le succès qui payait son audace éloignait peu à peu ses frayeurs.

Après tout, ce fou de maître Pol n’était pas homme à s’arrêter à moitié chemin de la rivière.

Il avait promis de se tuer. Ce devait être chose faite.

Quant à Éliane, elle alla prendre la lampe et la porta devant un miroir pour disposer sa coiffure de nuit.

« Et savez-vous, mon ami, poursuivit-elle en baissant la voix malgré elle, tandis qu’un rouge pudique montait à la fraîcheur de ses joues, un bonheur ne vient jamais seul. Il y avait une chose que vous souhaitiez ardemment… »

Elle s’arrêta.

Renaud, pris d’une soudaine inquiétude, attendait, bouche béante, la fin de la phrase.

Il ne savait pas, le malheureux, quelle était la chose si vivement désirée.

Et il cherchait à deviner.

Éliane poursuivit, en passant le peigne dans les masses admirables de ses cheveux :

« Faut-il vous dire quel est votre souhait le plus cher, Pol, mon amour ?

— Il n’est pas besoin… » balbutia Renaud au hasard.

Et se souvenant à propos du juron favori de son compère, il ajouta :

« Mort de moi ! j’y songe la nuit et le jour ! »

Éliane eut cette moue gentille qui fronçait ses lèvres quand on lui désobéissait.

« Quel nom d’ange lui donnerons-nous ? prononça-t-elle si bas, que Renaud eut peine à l’entendre.

— Quel nom ? » répéta imprudemment le faux Guezevern.

Éliane réprima un tressaillement.

Cette fois, un soupçon, un vrai soupçon lui avait traversé le cœur.

Il n’était pas possible que maître Pol n’eût point compris. Dans cette langue particulière dont tout couple bien uni fait usage, et qui est comme l’argot du bonheur, Éliane venait de dire clairement et explicitement : Dieu a exaucé nos ferventes oraisons ; je vais être mère !

Et regardant comme accompli déjà le côté problématique de son désir, elle laissait entendre que son petit Renaud allait avoir une sœur.

En conscience, ce pauvre Saint-Venant ne pouvait deviner tout cela.

Éliane réfléchissait déjà en peignant à pleines mains sa magnifique chevelure ; pour elle réfléchir c’était comprendre.

Elle était fée. Une main d’acier lui étreignit le cœur.

Mais elle ne perdit pas son sourire, mais elle garda tout son sang-froid en face d’un danger dont elle ne pouvait encore mesurer l’étendue.

Le danger existait, voilà le fait certain. Éliane se pencha vers le miroir, comme pour mieux nouer sa coiffure, et chercha l’alcôve dans la glace. Saint-Venant avait disposé les rideaux de manière à masquer la lumière de la lampe, placée, comme elle l’avait été par lui, à l’autre bout de la chambre ; mais Éliane avait dérangé la lampe.

Par l’interstice des rideaux, une lueur pénétrait dans l’alcôve et frappait le visage de Renaud, que son trouble faisait désormais inattentif.

Ce trouble allait grandissant ; il était composé d’émotions diverses. Renaud avait peur, mais, en même temps, une ivresse voluptueuse lui montait au cerveau. Cette femme était la seule peut-être qui eût jamais mis du feu dans ses veines. Depuis qu’il était homme, il l’aimait, il l’adorait. Sa haine contre Guezevern, qui durait depuis des années, et qu’il avait patiemment couverte du voile de l’amitié, n’était que de la jalousie.

Et cette femme allait lui appartenir ! Elle était là, laissant tomber un à un ses voiles et montrant des trésors de beauté que la passion même de Renaud n’avait point rêvés.

Il avait peur, mais ce n’était pas la peur qui embarrassait son souffle dans sa poitrine et faisait battre ses tempes mouillées. Ce n’était pas la peur qui l’arrachait à demi de son lit, le cou tendu, l’œil avide et ardent…

Ce fut ainsi que le regard furtif d’Éliane le trouva dans le miroir et le reconnut.

Il n’y eut point en elle de surprise : c’était bien lui qu’elle s’attendait à voir.

La pensée de cet homme s’était éveillée dans son esprit en même temps que l’idée de trahison.

Comment avait été éloigné maître Pol ?

Éliane eut la force de sourire malgré l’angoisse qui lui étreignait le cœur.

Renaud vit ce sourire et dit d’une voix étranglée :

« Ma belle Éliane, je vous attends, venez ! »

Elle se retourna, radieuse de grâce et de jeunesse, et la tête défaillante de Saint-Venant retomba sur l’oreiller.

« Éteignez la lampe, balbutia-t-il encore. »

Elle obéit sans hésiter, mais, avant d’obéir, elle avait remarqué d’un coup d’œil rapide la place où le faux Guezevern avait déposé son épée.

La lampe éteinte laissa voir deux traînées de pâle clarté que la lune épandait par les croisées.

Éliane vint vers le lit. Renaud de Saint-Venant l’attendait les bras ouverts. Éliane parut entre les rideaux. Quelque chose brillait dans sa main aux lueurs de la lune.

« Où es-tu, mon mari ? demanda-t-elle.

— Ici, répondit Renaud. Que tu es belle, ce soir, et comme je t’aime ! »

Ce dernier mot s’étouffa sous un cri. Renaud se rejeta violemment en arrière parce que la pointe froide de l’épée avait piqué sa gorge.

« Misérable traître, prononça Éliane d’un accent net et calme. Ne fais pas un mouvement ou je te tue ! »

Renaud de Saint-Venant ne bougea pas. Ses yeux, en s’habituant à l’obscurité, commençaient à distinguer une forme frêle, mais fière, qui se dressait près du lit, l’épée à la main.