Le Mari embaumé/I/13. Chez Marion la Perchepré

Hachette (Tome 1p. 188-189-204-205).





XIII

CHEZ MARION LA PERCHEPRÉ.


Quand Guezevern s’éveilla, le soleil couchant mettait des reflets écarlates aux rideaux de son lit. Il avait dormi d’un si bon sommeil, qu’au premier abord il ne sut point répondre à la question que lui adressèrent les objets inconnus qui l’entouraient :

« Où suis-je ? »

Il sauta hors du lit, tout habillé qu’il était et courut à une fenêtre, d’où il reconnut une des cours intérieures de l’hôtel de Mercœur.

« À Paris ! s’écria-t-il joyeux comme un enfant en vacances, je suis à Paris où je n’étais pas venu depuis cinq longues années ! Ceci est le logis de mon ami et compère le bon Renaud de Saint-Venant, que ma femme a pris en grippe. Et pourquoi ? Dieu seul le sait, ou le diable. Car il n’y a que Dieu et le diable, pour comprendre rien aux fantaisies des dames ! »

Il se lava à grande eau et répara tant bien que mal le désordre de sa toilette.

Et tout en s’accommodant de son mieux, il chantait comme un loriot la chanson de ses jeunes amours, que la vue de l’hôtel de Mercœur lui remettait en mémoire à son insu :

Nous étions trois demoiselles.
Toutes trois belles
Autant que moi.
Landeriguette,
Landerigoy.
Un cavalier pour chacune
Courait fortune
Auprès du roi,
Landerigoy,
Landeriguette.

Et comme la chère voix d’Éliane lui allait droit au cœur, quand elle chantait cela autrefois ! C’était le signal de ces trop courts rendez-vous sous les tilleuls du clos Pardaillan, jardin privé de dame Honorée.

Jeanne aimait un gentilhomme
Annette un homme,
Marthe, ma foi,
Landeriguette,
Landerigoy,
Aimait un fripon de page,
Sans équipage
Ni franc aloi
Landerigoy,
Landeriguette.

Et certes, Éliane avait choisi cette chanson, parce qu’il y était question d’un fripon de page. Maître Pol était page, en ce temps-là.

La fraîche chanson venait l’éveiller quand il dormait dur comme pierre après les folies de la nuit, et quand la chanson ne suffisait pas à le tirer de son lourd sommeil, un petit caillou lancé par la blanche main d’Éliane :

Le seigneur acheta Jeanne
L’homme prit Anne
Marthe dit : moi
Landeriguette
Landerigoy.
Il me faut bel apanage,
Et le blond page
Devint un roi,
Landerigoy,
Landeriguette.

Jusqu’à présent, le blond page d’Éliane n’était encore qu’un intendant. Mais comme elle eût fait une délicieuse reine !

Il faut vous dire que maître Pol était de ces gens qui n’aiment jamais mieux qu’aux heures de l’absence. Il adorait follement sa femme en ce moment, et pour un peu il eut sauté sur sa selle rien que pour aller cueillir un baiser sur la fraîcheur veloutée de ses lèvres.

On frappa doucement à la porte du logis.

« Mon compère Renaud ! se dit Guezevern. Voilà le seul défaut qu’on puisse reprocher à mon Éliane. Je donnerais quelque chose pour savoir ce que lui a fait mon compère Renaud ! »

Il ouvrit. Ce fut ce coquin de Mitraille qui fit son entrée chancelante. Au lieu de dormir, Mitraille avait bu et il était ivre aux trois quarts. Maître Pol fut obligé de le guider par les deux épaules jusqu’à la soupente qui devait être sa chambre à coucher.

— Foi de Dieu, dit-il sans trop de colère, le beau gardien que j’ai là pour l’épargne de monseigneur ! »

Mitraille essaya de se redresser.

« Aimeriez-vous mieux cette mouche du cardinal, repartit aigrement Mitraille, le Saint-Venant, qui est en train de vous engluer comme une alouette ? Cela sent le traître, ici, monsieur de Guezevern, et le poltron, et le scélérat. J’en sais de belles sur votre ami… »

Maître Pol le renversa sur £on lit d’une bourrade.

« Tais-toi, ivrogne, dit-il et cuve ton vin ! »

Au fond, Mitraille ne demandait pas mieux. Il s’endormit du coup, vautré qu’il était en travers de sa couche, et ronfla bientôt comme un juste.

Maître Pol songeait en regagnant sa chambre :

« Ils sont tous contre mon compère Renaud ! »

Celui-ci passait justement le seuil et marchait à lui les deux bras ouverts. C’était plaisir, en vérité, de voir cette douce et souriante figure.

« Nous voilà bien reposé, mon digne ami, dit-il, et tout prêt à courir la pretentaine ?

— Partons ! » s’écria Guezevern.

Saint-Venant lui fit bien prendre garde à fermer la porte à double tour et lui conseilla de mettre la clef au plus profond de sa poche.

Dès qu’ils furent dans la rue, Guezevern dit :

« Mon compagnon, je n’aime rien au monde tant que mon Éliane. Il faudra bien qu’un jour ou l’autre vous m’expliquiez pourquoi elle ne peut vous souffrir. »

Saint-Venant se mit à rire.

« Madame de Guezevern me déteste-t-elle-donc si fort ? demanda-t-il.

— Elle est bonne chrétienne, répliqua maître Pol, et ne déteste personne. Mais si elle détestait quelqu’un, je ne puis pas dire non…

— Ce serait moi ? »

Saint-Venant ; ayant prononcé ces mots gaiement, prit tout à coup un air plus sérieux.

« Il faudrait un plus fin que moi pour sonder le secret d’une femme ! murmura-t-il.

— Oh ! fit Guezevern, vous n’y êtes pas ! mon Éliane n’a point de secret. »

Saint-Venant murmura encore, mais si bas que maître Pol eut peine à l’entendre :

« Dieu le veuille !

— Or çà, s’interrompit-il brusquement, reprenant son ton de gaillardise, n’avez-vous point honte d’aller par les rues de la bonne ville avec un costume de hobereau campagnard ? Votre pourpoint est du temps de la ligue et vos chausses sentent le déluge. J’ai déjà couru de ci de là, annonçant votre arrivée à messieurs nos amis. Ils s’attendent à revoir le brillant page d’autrefois, un peu débraillé, mais débraillé à la mode. Je vous prie, que vont-ils dire ?

— Suis-je donc démodé ? interrogea Guezevern en rougissant.

— Les gens qui mangent de l’ail ne savent pas même que leur haleine garde l’odeur de l’ail, répartit Saint-Venant, et la province est moisie à ce point qu’elle ne s’en aperçoit point. Entrons chez maître Lehervieux, le fripier en vogue, et, vive Dieu ! accommodons-nous des pieds à la tête. »

Ceci fut l’affaire d’une demi-heure et d’une trentaine de louis, donnés pour un costume complet de très-galante apparence, mais, qui valait un peu moins que celui de maître Pol.

Dieu nous préserve, cependant, de blâmer maître Lehervieux. La mode a son prix inestimable ; on ne la saurait trop cher payer.

Tout en s’admirant dans la petite glace de Venise, suspendue à la porte du fripier, Guezevern ne pouvait s’empêcher de songer :

« Si je ne savais pas ma douce Éliane plus pure que les anges, je croirais que Renaud, mon compère, me cache quelque chose à son endroit. »

Ils sortirent et prirent le haut du pavé. Guezevern sentait qu’il avait gagné, la pistole pour livre depuis sa visite à maître Lehervieux. Il sa carrait de tout son cœur et regardait aux fenêtres en homme qui revient de Pontoise.

« Mon compagnon, fit-il à moitié chemin de la rue Sainte-Avoye, vos anecdotes sur les gens suivant la cour sont réjouissantes assurément et me divertissent au plus haut point, mais pourquoi diable avez-vous grommelé : Dieu le veuille ! quand je vous ai dit que ma femme n’avait point de secret.

— Parce que, répliqua Saint-Venant du bout des lèvres, il est toujours bon qu’une jeune dame n’ait point de secret. »

Guezevern fronça le sourcil, et Renaud se hâta d’ajouter :

« Il n’est point de femme au monde qui mérite à mes yeux plus de vénération que madame Éliane.

— À la bonne heure, mort de mes os !

— Seulement… reprit Saint-Venant, de sa voix la plus doucereuse.

— Seulement ! répéta Guezevern, qui mit le poing sur la hanche.

— Ne vous fâchez pas, mon digne et cher ami… vous quittez votre maison souvent… et vous restez longtemps dehors.

— Foi de Dieu ! s’écria maître Pol, la joue chaude déjà et l’oreille écarlate.

— Là là ! On vous dit de ne vous point fâcher. Sait-on les fantaisies qui peuvent entrer dans la cervelle d’une femme délaissée ? »

Maître Pol lui saisit le bras violemment.

« Prétendriez-vous ?… commença-t-il.

— Mon digne ami, l’interrompit l’écuyer d’un air innocent, le temps n’a point mis de plomb dans votre tête. Je ne prétends rien, et si je blâmais quelqu’un, ce ne serait point madame Éliane, mais bien vous ! »

Les doigts de Guezevern lâchèrent prise, et il se dit, honteux de sa colère :

« C’est moi qu’il accuse, et il a bien raison ! Si mon Éliane l’entendait seulement, elle connaîtrait sa bonne âme ! »

Ils franchissaient l’entrée quelque peu fangeuse du cul-de-sac Saint-Avoye, et déjà un bruit confus de chants et de rires frappait leurs oreilles.

Après avoir longé une allée étroite et noire qui ne ressemblait certes point à l’avenue d’un palais, ils montèrent un escalier pareillement étroit et fort raide que remplissaient mille joyeux fracas.

Au haut de la première volée un vaste palier, éclairé richement, était occupé par des valets en livrée. Ici, l’air changeait brusquement de saveur. Au lieu des exhalaisons humides épandues dans l’allée et dans l’escalier, une odeur tiède et parfumée saisissait déjà les narines et montait au cerveau.

Maître Pol respira.

« Foi de Dieu ! murmura-t-il, me voici rajeuni de cinq ans ! Nous reconnaissons ce vent-là, mon compagnon ! »

Saint-Venant poussa l’une des trois portes qui s’ouvraient sur le carré, et nos deux amis se trouvèrent dans une salle de large étendue, un peu basse d’étage, il est vrai, mais toute ruisselante de lumières.

Maître Pol respira plus fort et porta la main à ses yeux éblouis par tout un horizon d’épaules nues et de sourires étincelants.

C’était cela qu’il regrettait dans son heureux exil, ce pauvre bon garçon. Chaque exilé a dans le cœur un subtil parfum qui s’appelle la patrie.

La patrie du page fou était précisément ce temple de l’extravagant plaisir.

Sous le règne de Louis XIII, ce jeune homme triste, soucieux et malade, la joie cherchait une issue hors des froides limites de la cour. Tout ce qui entourait Louis XIII, y compris la jeune reine, aimait passionnément le plaisir.

Devant le plaisir, le roi restait comme un valétudinaire sans appétit devant une table bien servie.

Le plaisir lui donnait des nausées.

On dit pourtant qu’il avait ses plaisirs à lui, puérils ou dignes de pitié ; mais de tout temps les courtisans ont si cruellement calomnié les rois !

On dit… Mais M. de Luynes fut le seul qui mourut dans son lit. Le cardinal donna tous les autres au glaive, et ce pâle roi les regarda froidement égorger.

Le cardinal avait aussi ses plaisirs ; frivoles ou terribles choses. Il adorait madame la duchesse de Chevreuse en la menaçant du bourreau, comme d’autres riment un madrigal aux pieds d’une maîtresse cruelle, et persécutait les vrais poètes en faisant de mauvaises tragédies.

C’était un grand homme, un très-grand homme. Je ne crois pas qu’on puisse trouver une plus haïssable figure dans l’histoire du monde.

Cette bouche de bronze, qui ânonnait de méchants vers ; cette tonsure sanglante et galante, cette griffe de tigre qui voulait écrire comme la main de Pierre Corneille, dominent tout un siècle à d’incroyables hauteurs ; c’était un très-grand homme ; et quand nous regardons en arrière, nous ne voyons plus rien à la cour de Louis XIII, sinon la sombre physionomie de ce prêtre à la hache, abattant tout ce qui levait la tête, et déblayant la route fatale par où le passé va vers l’avenir.

La joie fuyait le roi et son ministre, deux vivantes menaces : le roi faible, le ministre fort ; tous deux lugubres.

Le ministre poussant les verrous de la Bastille sur ceux qui n’applaudissaient point Mirame, le roi caressant ses maîtresses avec une paire de pincettes !

La joie s’en allait le plus loin qu’elle pouvait, mais non point au-delà des murailles de Paris ; car ministres et rois n’y peuvent rien : il faut toujours que Paris s’amuse.

La maison de la Perchepré était un de ces temples où la joie persécutée se cachait. Il y avait à Paris bon nombre d’asiles semblables, portant généralement le nom d’étuves ou maisons de baigneurs.

Marion la Perchepré tenait, en effet, une étuve ; mais l’eau manquait dans les réservoirs, et la seule liqueur qui coulât franchement chez elle était le vin.

Les lieux de semblable espèce ont été souvent décrits mal ou bien, et nous ne perdrons point notre peine à en faire le minutieux portrait. En cherchant bien d’ailleurs, vous trouveriez encore dans Paris moderne quelque respectable logis où se pratique un commerce analogue.

La police qui cherche toujours en trouve quelquefois ou du moins s’en vante.

Ceux d’aujourd’hui sauf le costume, l’ameublement, le nom des jeux de hasard et le titre des boissons à la mode, ressemblent trait pour trait à ceux d’autrefois.

Le fond de l’aventure est éternellement la fameuse trilogie de la chanson : le jeu, le vin, les belles.

Trois jolies choses assurément et qui égayent un livre. L’intérêt du nôtre est ailleurs.

Ce n’étaient point des ducs et pairs qui fréquentaient le nid d’amour de Marion la Perchepré, non que les ducs et pairs aient jamais dédaigné les passe-temps de cette sorte, mais parce que, probablement, ils avaient leurs habitudes autre part.

Les chalands de l’établissement appartenaient aux couches inférieures de la noblesse, quoiqu’on y vît de temps a autre quelque grand seigneur déclassé. Le gros du joyeux bataillon se composait des gentilshommes et officiers servant dans les maisons princières, presque tous jeunes, et l’appoint était fourni par une demi douzaine de vieux pêcheurs comme M. le baron de Gondrin-Montespan.

Quant à Marion la Perchepré elle-même, c’était et c’est encore une ancienne jolie fille, car elle est immortelle au moins autant que le Juif Errant, et je penche à croire qu’elle est la Juive Errante. Vous la trouveriez encore au quartier d’Antin ou quelque part, autour des Champs-Élysées, tenant toujours avec honneur son tripot clandestin et menant paître un troupeau de houris, dont elle est la bergère peu vénérée.

Seulement de nos jours, elle est vicomtesse.

Guezevern fut merveilleusement reçu par Marion la Perchepré, qui était une gaillarde d’heureuse humeur, gardant des restes de beauté, mais trop forte en chair selon la coutume de ses pareilles. Elle tenait bonne table, dont elle usait pour son compte abondamment. Sa fortune grossissait déjà, faite de mille hontes et de mille ruines. Elle était estimée. Certains prétendaient que M. le cardinal ne dédaignait point les renseignements qu’elle pouvait donner.

Guezevern trouva chez Marion la Perchepré beaucoup d’anciennes connaissances : ceci doit s’entendre du sexe masculin, car dans ces cabarets d’Armide, les hommes seuls restent, les femmes ne font que passer.

Dans l’espace de cinq ans, le troupeau de Marion la Perchepré avait dû se renouveler bien des fois.

C’était l’heure de la collation. Tout le monde riait, buvait, chantait. La foule brillante se mêlait en un franc et joyeux désordre. Les hommes étaient presque tous beaux et de galante mine, toutes les femmes étaient jeunes et charmantes.

Guezevern se sentit devenir ivre avant même d’avoir porté un verre à ses lèvres. Vous l’absoudrez plus volontiers si nous le confessons ainsi avec une entière candeur.

Le pauvre garçon se réveillait page de M. de Vendôme après ces cinq années de prospère sommeil. C’était ici son centre, sa patrie, son ciel ; il revivait.

Renaud, qui semblait être un favori dans cette Cythère, guida les premiers pas de Guezevern, car celui-ci avait un peu oublié ; mais bientôt l’ancien page retrouva son aplomb d’autrefois, et nagea dans l’orgie comme le poisson dans l’eau.

Au bout d’une demi-heure, il avait conquis la propre maîtresse de Saint-Venant, qui le laissait faire en riant : une bonne et ronde fille à la gorge éblouissante, à la bêtise splendide. Elle avait nom la Chantereine. Elle éclatait de rire à chaque mot et hurlait des niaiseries de petit enfant avec des transports d’allégresse. Elle buvait supérieurement et chantait faux à faire plaisir.

Oh ! combien de fois, mes jeunes messieurs, vous l’avez admirée autour des tréteaux qu’enrichit la gloire de Thérésa ! Ne soupçonnez pas même qu’il y ait ici l’ombre d’un anachronisme. Thérésa vivait du temps de la Chantereine, et la Chantereine ne mourra jamais.

Elles sont immortelles, je vous l’affirme de nouveau, et le rire entraînant, communicatif, superbe, le rire adorablement idiot de la Chantereine anime, à l’heure qui sonne, les douze cents Paphos du moderne Paris.

Guezevern savourait la folle chanson de cette belle fille, Guezevern buvait ce sourire éternel et cette banale gaieté, Guezevern était amoureux.

Sur ma parole, amoureux de ce meuble vivant, de ce joujou, de cette chose !

Guezevern ! le mari d’Éliane, qui était cent fois plus belle et qui avait un cœur !

Ce Guezevern pouvait passer, cependant, pour une âme bonne et vaillante. Rien ne lui manquait, ni l’honnêteté, ni l’intelligence, ni le bon sens, même.

Elles ont un attrait, un mordant, un charme ; elles entraînent, comme tout fruit défendu. Voulez-vous mon opinion ? Les fous vont à elles surtout à cause du mal qu’en disent les sages. Le sermon fait l’ivrogne. Criez bien haut que telle plate et insipide boisson, l’absinthe, par exemple, est un poison, la moitié de Paris ne voudra plus d’autre breuvage.

Le repas fut un enchantement. Guezevern n’avait jamais si bien soupé de sa vie. La Chantereine buvait dans son verre ; le vin était exquis ; il se grisa supérieurement.

Et certes, quand on lui proposa de jouer, il répondit :

« Allez au diable ! J’aime mieux boire ! »

Mais la Chantereine éclata de rire, et lui glissa à l’oreille, d’une voix qui se pouvait entendre du dehors :

« Mon chérubin, je veux que tu me gagnes un collier de perles !

— Mort de moi ! s’écria maître Pol, je puis bien te donner un collier de perles sans le gagner ! »

La pensée d’Éliane venait de lui traverser l’esprit par hasard. Éliane lui avait dit :

« Promets-moi que tu ne joueras pas ! »

Et il avait promis.

Il est vrai qu’Éliane avait ajouté :

« Promets-moi que tu ne te laisseras pas entraîner par cet homme. »

Cet homme dont elle ne prononçait jamais le nom, tant elle le détestait : Renaud de Saint-Venant.

Peut-être qu’en ce moment maître Pol comprit pour la première fois le motif de cette aversion : la seule haine qui fût dans le doux cœur d’Éliane.

Maître Pol avait manque déjà à sa seconde promesse, il s’était laissé entraîner par cet homme.

Allait-il aussi trahir la première ?

La Chantereine lui demanda, montrant toutes ses dents magnifiques en un sourire qui éblouissait :

« Est-ce que tu as juré à ta maman de ne pas jouer, mon chérubin ? »