Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap5

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 39-44).


CHAPITRE V


DISCOURS DE DOURYODHANA


Argument : Réponse de Douryadhana. Son armée reprend courage et va camper sur un plateau de l’Himalaya.


239. Sañjaya dit : Ayant entendu ces paroles du glorieux fils de Gotama, le roi soupira longuement et fortement et resta silencieux, ô maître des hommes.

240. Puis, ayant réfléchi un moment, le Dhritarâshtride au grand cœur, dompteur de ses ennemis, dit au Çaradvatide Kripa.

241. Tout ce qu’un ami pouvait dire, je viens de l’entendre. Tu as fait en combattant tout (ce que tu pouvais faire pour moi), en ne comptant ta vie pour rien.

242. Le monde te suivait des yeux, quand tu pénétrais dans les armées (ennemies) et quand tu combattais avec les grands et très énergiques Pandouides.

243. Ces paroles, que ton amitié m’a fait entendre, ne me satisfont pas plus qu’un remède (ne satisfait) celui qui veut mourir.

244. Cet excellent discours, étayé de raisons et d’arguments (puissants), qui vient d’être prononcé (par toi), ô guerrier aux grands bras, ne me plaît pas, ô le plus grand des brahmanes

245. Comment celui que nous avons frustré de la royauté, ce roi puissant, vaincu par nous au jeu de dés aurait-il confiance en nous ?

246. Comment même aurait-il encore foi dans mes paroles ? Et Krishna Hrishikeça, dévoué aux fils de Prithâ, envoyé (jadis) en ambassade auprès de nous,

247. A été trompé (dans ses espérances), ce qui était un manque de considération (de notre part). Comment prêtera-t-il l’oreille à mes discours ?

248. Krishnâ (Draupadî) pleura quand elle fut amenée dans l’assemblée, Krishna ne supporte pas (plus patiemment) cet (affront) que le vol de la royauté (de ses amis).

249. Nous voyons arriver ce qu’on nous avait jadis prédit, (c’est-à-dire que) les deux Krishnas n’ont (à eux deux), qu’une seule vie, et qu’ils sont liés l’un à l’autre (par une amitié à toute épreuve).

250. Depuis qu’il a appris la mort du fils de sa sœur, Keçava a le sommeil pénible. Nous sommes coupables (de cette mort). Comment s’apaiserait-il pour favoriser mes intérêts ?

251. La mort d’Abhimanyou empêche Arjouna de goûter aucun plaisir. Comment fera-t-il en ma faveur l’effort que je lui demanderai ?

252. Le second fils de Pândou, le brûlant et très fort Bhîmasena, ne saurait s’apaiser au moment de réaliser ce qu’il a promis.

253. Les deux jumeaux, ces deux héros, semblables à Yama, quand ils ont attaché leurs épées et leurs cuirasses, sont devenus nos ennemis.

254. Dhrishtadyoumna et Çikhandin sont devenus mes adversaires, comment feraient-ils un effort eu ma faveur, ô le meilleur des Brahmanes ?

255, 256. Les fils de Pandou ne sauraient aujourd’hui être détournés de la guerre. Ces destructeurs de leurs ennemis se souviennent que Krishna (Draupadîj triste, (presque) nue, n’ayant qu’un seul vêtement, a été, au moment critique de son mois, tourmentée par Dousçâsana, au milieu de l’assemblée du monde entier qui la regardait.

257. Draupadî Krishnâ, malheureuse, tourmentée, pratique, pour mon malheur, un ascétisme terrible en vue du plus grand bien des (cinq) frères.

258. Elle repose chaque nuit sur la terre nue (et continuera ainsi) jusqu’à la fin de la guerre ; foulant aux pieds l’orgueil et l’amour propre, la charmante sœur du Vasoudevide

259. Obéit constamment à Krishnâ comme (le ferait) une servante. Ainsi tout (est) déchaîné (contre moi, et cet orage) ne tend nullement à s’apaiser.

260. Comment ce (Youdhishthira) s’unira-t-il à moi, après la mort d’Abhimanyou ? Et après avoir possédé cette terre limitée par la mer,

261. Comment jouirais-je d’une royauté due à la faveur du fils de Pândou ? Après avoir, semblable au soleil, resplendi bien au-dessus des rois,

262. Comment pourrais-je suivre Youdhishthira à la façon d’un esclave ? Après avoir goûté des jouissances qui m’étaient propres et répandu de grandes libéralités, comment

263. Traînerais-je, avec des malheureux, une existence misérable ? Je ne suis pas mécontent de tes paroles. Ce que tu m’as dit était d’un ami,

264. Mais je ne pense pas que le temps soit venu de (demander) la paix, Ô destructeur des ennemis, je crois que la sagesse consiste (à se préparer) à un combat énergique.

265. Ce n’est pas le moment de se conduire en eunuque, mais (au contraire) de lutter avec vigueur. De nombreux sacrifices ont été offerts pour moi, des dons ont été faits aux prêtres,

266. Mes désirs ont été accomplis, j’ai entendu la récitation des védas ; j’ai placé mon pied sur la tête de mes ennemis ; mes serviteurs ont été bien entretenus, ô mon ami, et les malheureux ont été relevés (par moi, de leur misère).

267. Je n’oserais pas parler (comme tu le désires) aux fils de Pandou. Les royaumes des ennemis, ô le meilleur des brahmanes, ont été conquis (par moi), et notre propre royaume a été protégé.

268. Des jouissances de diverses sortes ont été goûtées, et l’ensemble des trois choses (plaisir, devoir, utilité), pratiqué par moi. J’ai payé ma dette aux (créanciers qui sont) mes ancêtres et mes devoirs de Kshatriya.

269. Il n’y a pas un plaisir sûr en ce monde. Qu’est-ce que la gloire et la royauté ? Il faut ici bas acquérir la renommée (et elle s’obtient) en combattant bien, et pas autrement.

270. La mort du Kshatriya, qui a lieu dans sa maison, est blâmée. La mort dans son lit, chez soi, est une ignominie.

271. L’homme qui perd la vie dans les forêts ou dans les combats, après avoir offert des sacrifices, s’achemine vers les grandeurs.

272. Ce n’est pas lui qui, malade, se lamentant, accablé de vieillesse, meurt misérablement au milieu de ses parents en pleurs,

273. Mais, abandonnant les divers plaisirs (que je puis encore goûter), je vais maintenant aller, par un combat courageux, au refuge suprême des morts, de ceux qui voient Çakra,

274. Des héros à la noble conduite, ne tournant pas le dos dans la bataille, des Sages, de ceux qui sont véridiques et de tous ceux qui offrent des sacrifices.

275. Certes, le séjour dans le monde d’Indra est le partage de ceux qui ont été purifiés par le glaive ou par les bains (sacrés). Il est certain que les troupes des apsaras les contemplent joyeusement dans les combats.

276. Assurément, les Pitris (dieux mânes) verront (les guerriers), honorés dans l’assemblée des dieux, entourés par les apsaras et se réjouissant dans le monde d’Indra.

277. Suivons donc le chemin foulé par les immortels, et la voie tracée par ces héros qui n’ont pas fui,

278. Ainsi que par notre vieux, sage et respectable grand-oncle (Bhîshma), par Jayadratha, Karna et Dousçâsana.

279. Dans cette (voie), les héros, les rois, frappés et tués pour moi, blessés de flèches, couverts de sang, gisent sur la terre.

280. Ces héros, connaissant les astras (formules magiques) suprêmes, offrant des sacrifices d’après les règles prescrites, après avoir abandonné leurs corps, habitent les palais d’Indra.

281. Mais, certes, ce chemin préparé par eux deviendra difficile à suivre, (encombré) par (le grand nombre de ceux) qui s’envolent avec une grande vitesse vers ce refuge salutaire.

282. Me rappelant ce qui a été fait par les héros tués pour défendre ma cause, me chargeant de la dette (que leur mort m’impose), je ne place plus mon espérance dans la royauté.

283. Si, après avoir fait tuer mes amis, mes frères, notre grand-oncle, je cherchais à conserver ma vie, le monde me blâmerait certainement.

284. Quelle serait cette royauté (dont je jouirais), privé de mes parents, de mes amis, de mes partisans, après m’être humilié devant les fils de Pandou ?

285. Moi que voici, après avoir ainsi conquis le monde, j’obtiendrai le Svarga par un combat méritoire, il n’en sera pas autrement.

286. Après avoir été ainsi harangués par Douryadhana et avoir honoré ses paroles (par leurs acclamations), tous les Kshatriyas dirent : bien ! bien !

287. Ne regrettant plus les victoires (remportées par) les ennemis, songeant à leur propre force, tous étaient brûlants de courage et bien décidés à se battre.

288. Alors tous les Kourouides, désireux de combattre, ayant fait souffler leurs chevaux et marché un peu moins de deux yojanas, s’arrêtèrent

289. Sur un plateau élevé de l’Himalaya, propre (à un campement), dépourvu d’arbres. Ayant atteint la Sarasvati Arounienne, ils (y) burent 6

290, 291. Les tiens, possédés de l’ardeur qui animait ton fils, s’arrêtèrent là, comptant de nouveau les uns sur les autres. Ô roi, tous les Kshatriyas, poussés par le destin, retournaient au combat.