Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap22

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 142-146).


CHAPITRE XXII


COMBAT GÉNÉRAL


Argument : Exploits de Douryodhana, qui résiste aux efforts des fils de Pândou et du Satyakide. Intervention du fils de Drona, de Çakouni et d’Ouloûka. Généralisation du combat.


1130. Sañjaya dit : grand roi, ton fils, le meilleur des maîtres de chars, à qui il était difficile de résister, monté sur son char, resplendit dans le combat comme le majestueux Roudra.

1131. La terre était couverte de milliers de ses flèches, et il en arrosait les ennemis comme les montagnes (sont arrosées) par la pluie.

1132. Et dans l’océan de l’armée des Pândouides, il n’y eut pas un homme, pas un cheval, pas un éléphant, pas un char, qui ne fût offensé par ses traits,

1133. maître des hommes, quel que fût le guerrier que nous regardions dans la bataille, il était couvert des flèches de ton fils, ô Bharatide.

1134. On voyait l’armée couverte par les flèches du magnanime comme par la poussière qu’elle avait élevée.

1135. maître de la terre, nous voyons la terre n’être plus que flèches, mise (dans cet état) par l’archer Douryodhana à la main rapide.

1136. Parmi ces milliers de guerriers, tant des tiens que des ennemis, il n’y avait qu’un homme, ton fils Douryodhana. Voilà mon opinion.

1137. Nous considérions la force merveilleuse de ton fils, (qui était telle) que les fils de Prithâ réunis ne (pouvaient pas) l’approcher, ô Bharatide.

1138. Ô excellent Bharatide, il atteignit en combattant Youdhishthira de cent (traits), Bhîmasena de soixante-dix, Sahadeva de sept,

1139. Nakoula de soixante-quatre, Dhrishtadyoumna de sept, les fils de Draupadî de sept, et il perça le Satyakide de trois.

1140. Ô vénérable, il coupa avec une bhalla l’arc de Sahadeva. Le magnanime fils de Mâdrî ayant déposé cette arme brisée,

1141. Et saisi un autre grand arc, courut sur le roi. Il atteignit ensuite Douryodhana de dix flèches, dans la bataille.

1142. Puis le héros Nakoula perça le roi de neuf traits d’aspect terrible, aux grandes emprennures, et poussa un cri.

1143. Le Satyakide atteignit aussi le roi avec une flèche aux nœuds recourbés. Les fils de Draupadî (le percèrent) de soixante-treize (traits), et Dharmarâja de cinq,

1144. Bhîmasena le tourmenta aussi avec quatre-vingts flèches. Mais, couvert de toutes parts par les traits (lancés) par les magnanimes,

1145-1147. Il ne bougea pas, ô grand roi, toute l’armée voyant (sa fermeté dans le combat). Tous les hommes connurent que la légèreté, l’excellence et l’héroïsme du magnanime (Douryodhana) surpassaient (les qualités de) tous les êtres. Les guerriers Dhritarâshtrides, (bien) armés ne voyant pas (entre lui et eux) un intervalle (même) très petit, entouraient le roi. Leur arrivée produisit un tumulte terrible,

1148, 1149. Semblable, en vérité, au bruit de la mer agitée, pendant la saison des pluies. Ces grands archers s’étant approchés dans la bataille, du roi invincible, allèrent à la rencontre des Pândouides, en les attaquant. Le fils de Drona arrêta, dans le combat, Bhîmasena irrité.

1150. Ô grand roi, les diverses flèches lancées dans l’espace, empêchaient (par leur nombre) , les héros de distinguer les points cardinaux et les espaces intermédiaires.

1151. Ô Bharatide, ces deux (guerriers), aux exploits terribles, tous les deux difficiles à aff’ronter, désireux d’attaquer et de rendre les coups qui leur étaient portés, combattirent d’une manière affreuse.

1152. Faisant trembler tous les points de l’horizon, ayant la peau durcie par le frottement de la corde de leurs arcs. Cependant Çakouni, héros dans les combats, pressait Youdhishthira.

1153. Le fort fils de Soubala, ayant tué ses quatre chevaux, effraya toutes les armées en poussant un grand cri.

1154. À ce moment, le majestueux Sahadeva entraîna sur son char, hors du champ de bataille, l’invincible héros royal (Youdhishthira).

1155. Et Youdhishthira Dharmapoutra, étant monté sur un autre char, ayant atteint Cakouui de neuf (traits), le perça encore de cinq (autres).

1156. Puis le plus excellent de tous les archers poussa un grand cri. Ce combat, ô vénérable, était étrange, et d’aspect terrible,

1157-1161. Remplissant les spectateurs de satisfaction, honoré par les Siddhas (saints) et les Câranas (panégyristes des dieux). Mais, Ouloûka attaquait de toutes parts avec des pluies de flèches, le grand archer Nakoula, enragé au combat, et le héros Nakoula couvrait de tous côtés, dans la bataille, le fils de Soubala, d’un grand nuage de flèches. On vit là ces deux héros des batailles, grands guerriers de noble race, combattant (l’un contre l’autre), désirant attaquer, et rendre les coups qui leur étaient portés. Le Çinien, tourmenteur de ses ennemis, luttant contre Kritavarman, ô roi, brilla dans (ce) combat, comme Indra (combattant) Bali. Douryodhana, ayant, dans la bataille, coupé l’arc de Dhrishtadyoumna,

1162. Atteignit ensuite de flèches aiguës, ce (guerrier) dont l’arc était brisé. Mais Dhrishtadyoumna ayant saisi une excellente arme,

1163. Combattit le roi sous les yeux de tous les archers. Ô excellent Bharatide, la lutte de ces deux (héros) dans la bataille fut grande,

1164-1165. Pareille à celle qui a lieu entre deux éléphants des bois, en rut, les bosses frontales ouvertes. Le héros Gotamide, plein de colère, atteignit dans le combat, les fils de Draupadî, (qui étaient) doués d’une grande force, avec de nombreuses flèches aux nœuds recourbes. Le combat qu’il leur livra fut (aussi terrible) que (celui que) l’homme (livre) à ses sens.

1166. Ce (combat) fut terrible, sans pitié, impossible à faire cesser, et ces (guerriers) tourmentèrent (le Gotamide) comme les sens (tourmentent) un jeune homme.

1167, 1168. Le (Gotamide) leur résista avec fureur dans la bataille. Le combat qu’il leur livra présenta (des aspects) divers, ô Bharatide, comme celui qu’un homme livre à ses sens. Les hommes (se battaient) contre les hommes, les éléphants contre les éléphants,

1169. Les chevaux contre les chevaux, les maîtres de chars contre les maîtres de chars, et, ô maître des hommes, la mêlée prit de nouveau un aspect épouvantable.

1170. Ô grand roi les combats étaient terribles et nombreux, (et on pouvait dire) : cette (lutte offre des formes) variées, elle est épouvantable, elle est effrayante.

1171. Ces dompteurs de leurs ennemis s’approchèrent les uns des autres dans la bataille, s’attaquèrent et se frappèrent dans le grand combat (qu’ils se livraient).

1172. Ô roi, la poussière que leurs armes élevait était épaisse, et poussée en avant par le vent, par les chevaux et par les cavaliers courants.

1173. La poussière soulevée par les roues des chars et l’haleine des éléphants, dense comme un nuage du crépuscule, monta vers le soleil,

1174. Qui, obscurci par cette poussière, devint sans éclat. La terre, et ces grands guerriers héroïques, étaient cachés (par elle).

1175, 1176. Ô Bharatide, en un instant, pour ainsi dire, cette obscurité profonde et terrible à voir, disparut de toutes parts avec la poussière (qui la constituait), sur le sol arrosé du sang des héros, et quand elle eut ainsi cessé, je vis mieux les engagements deux à deux,

1177. (En appréciant) la force et la supériorité réciproques (des combattants). Au milieu du jour les armures (lançaient) d’une manière terrible des éclats brillants.

1178. Et les flèches volant dans la bataille, faisaient un bruit tumultueux, pareil à celui d’un bois de roseaux brûlant dans la montagne.