Le Livre des sonnets/Toutes, portant l’amphore, une main sur la hanche


Les Danaïdes




Toutes, portant l’amphore, une main ſur la hanche,
Théano, Callidie, Amymone, Agavé,
Eſclaves d’un labeur ſans ceſſe inachevé,
Courent du puits à l’urne où l’eau vaine s’épanche.

Hélas ! le grès rugueux meurtrit l’épaule blanche,
Et le bras faible eſt las du fardeau ſoulevé :
« — Monſtre, que nous avons nuit & jour abreuvé,
Ô gouffre, que nous veut ta ſoif que rien n’étanche ? »

Elles tombent, le vide épouvante leurs cœurs ;
Mais la plus jeune alors, moins triſte que ſes ſœurs,
Chante, & leur rend la force & la perſévérance.

Tels ſont l’œuvre & le ſort de nos illuſions :
Elles tombent toujours, & la jeune Eſpérance
Leur dit toujours : « Mes ſœurs, ſi nous recommencions !


Sully Prudhomme.