Le Livre des sonnets/Sire, vostre Citron, qui couchoit autrefois


Sonnet au Roi




Sire, voſtre Citron, qui couchoit autrefois
Sur voſtre lict paré, couche ores ſur la dure :
C’eſt ce fidelle chien qui apprit de nature
A faire des amis & des traiſtres le choix :

C’eſt lui qui les brigands effrayoit de ſa voix,
Et de dents les meurtriers : d’où vient donc qu’il eudure
La faim, le froid, les coups, les deſdains, & l’iniure,
Payement couſtumier du ſervice des Rois ?

Sa fierté, ſa beauté, ſa ieuneſſe agreable
Le fit chérir de vous ; mais il fut redoutable
A vos haineux, aux ſiens, par ſa dextérité.

Courtiſans, qui iettez vos deſdaigneuſes veuës
Sur ce chien delaiſſé, mort de faim par les ruës,
Attendez ce loyer de la fidelité.


Agrippa d’Aubigné.