Le Livre des sonnets/Pour toujours, me dis-tu, le front sur mon épaule


Pour toujours




« Pour toujours ! » me dis-tu, le front ſur mon épaule.
Cependant nous ſerons ſéparés. C’eſt le fort.
L’un de nous, le premier, ſera pris par la mort
Et s’en ira dormir ſous l’if ou ſous le ſaule.

Vingt fois, les vieux marins qui flânent ſur le môle
Ont vu, tout pavoiſé, ce brick rentrer au port ;
Puis, un jour, le navire eſt parti vers le Nord.
Plus rien. Il s’eſt perdu dans les glaces du Pôle.

Sous mon toit, quand ſoufflait la briſe du printemps,
Les oiſeaux migrateurs ſont revenus, vingt ans ;
Mais, cet été, le nid n’a plus ſes hirondelles.

Tu me jures, maitreſſe, un éternel amour ;
Mais je ſonge aux départs qui n’ont pas de retour.
Pourquoi le mot « toujours » ſur des lèvres mortelles ?


François Coppée.