Le Livre des sonnets/Le puits profond était poli comme un miroir


Au bord du puits




Le puits profond était poli comme un miroir ;
Le ciel s’y reflétait tout bleu, pur de nuages,
Formant d’azur & d’or un nimbe aux frais viſages
Des amoureux penchés & ravis de s’y voir.

Sur le riant criſtal encadré d’un mur noir
Se jouaient leurs yeux vifs en mille badinages ;
Lancés du bout des doigts, entre ces deux images
Les baiſers voltigeaient dans le ſombre couloir.

Voici qu’aux doux ſignaux & qu’à l’œillade folle
La ſource en bouillonnant vient couper la parole :
Du flot qui les traduit le ſourire eſt moins clair…

Mais pour mieux ſe parler dans ces brèves tempêtes,
Mêlant leurs cheveux blonds, ils rapprochaient leurs têtes,
Et les baiſers ceſſaient de ſe perdre dans l’air.


Victor de Laprade.