Le Livre des sonnets/La vie avance & fuit sans ralentir le pas


Après la mort de Laure




La vie avance & fuit ſans ralentir le pas,
Et la mort vient derrière, à ſi grandes journées
Que les heures de paix qui me furent données
Me paraiſſent un rêve & comme n’étant pas !

Je m’en vais meſurant d’un ſévère compas
Mon ſiniſtre avenir, & vois mes déftinées
De tant de maux divers encore environnées,
Que je veux me donner de moi-même au trépas !

Si mon malheureux cœur eut jadis quelque joie,
Triſte, je m’en fouviens ; & puis, tremblante proie.
Devant je vois la mer qui va me recevoir !

Je vois ma nef ſans mât, ſans antenne & ſans voiles,
Mon nocher fatigué, le ciel livide & noir,
Et les beaux yeux éteints, qui me ſervaient d’étoiles.


Antoni Deſchamps.