Le Livre des sonnets/La maison qu’elle habite aux portes d’un faubourg


Une vieille fille




La maiſon qu’elle habite aux portes d’un faubourg,
En province, eſt muette, oubliée & mauſſade ;
Les grands vents pluvieux ont noirci la façade,
L’ombre emplit les couloirs, l’herbe croît dans la cour.

Avec de vieilles gens elle eſt là tout le jour,
Dans une chambre cloſe où règne une odeur fade ;
Tout le jour elle eſt là, pâle & déjà malade,
Pauvre fille ſans dot, ſans beauté, ſans amour.

Jadis, quand le printemps fleuriſſait ſa fenêtre,
Elle diſait, ſentant friſſonner tout ſon être :
« Le bonheur inconnu viendra-t-il aujourd’hui ?… »

Les printemps ſont paſſés, vides & lourds d’ennui ;
Son œil bleu s’eſt voilé d’une langueur mortelle ;
Elle dit maintenant : « La fin, quand viendra-t-elle ?… »


André Theuriet.