Le Livre des récompenses et des peines/Préface de l’empereur


Traduction par M. Abel Rémusat.
Renouard (p. 9-12).


PRÉFACE


DE L’EMPEREUR,


Pour la collection des livres propres à exciter à la vertu.




Jai considéré que la loi céleste étant essentiellement bonne, il ne s’agissait que de la faire connaître parfaitement bien à mes peuples, pour que, parmi les vivans, il n’y eût personne qui ne se livrât de préférence à la vertu. Car s’il y a quelqu’un qui ne soit pas vertueux, on peut dire que balotté en lui-même par mille passions désordonnées, souillé au-dehors par une conduite honteuse, c’est un homme qui n’a pas su conserver le cœur pur que lui avait donné la nature, et qui est en révolte contre le Ciel. S’il avait conservé son cœur pur, sa manière d’agir serait bien différente. C’est de la connaissance que le Ciel suprême a de nous, et de l’examen approfondi qu’il fait de notre cœur, que dépendent les calamités et le bonheur qu’il nous envoie. En nous envoyant du bonheur, il rend manifeste la protection qu’il accorde aux bons. En trompant les méchans dans leurs espérances, et faisant descendre sur eux un déluge inévitable de malheurs, il avertit clairement nos peuples d’ici-bas de corriger leurs vices, et de rentrer dans la bonne voie. En voyant ces récompenses qui ne manquent jamais d’accompagner nos actions, notre devoir n’est-il pas aussi clair que la lumière du soleil ? Comment donc ne pas être pénétré de respect et de crainte ?

Les anciens ont reçu du Ciel d’admirables préceptes destinés à l’instruction de l’empire. Et ces excellens discours, ces paroles exquises ne sont pas en petit nombre. Un seul ouvrage n’a pas paru suffisant. Et quoique le sens au fond soit toujours le même, la forme qu’on a su donner aux paroles est susceptible d’une inépuisable variété.

Chargé par les décrets du Ciel de protéger et d’alimenter tous les pays de l’univers, et voulant m’acquitter respectueusement de la tâche qui m’est imposée, j’ai fait de profondes méditations sur les leçons que les anciens ont données au monde, et sur les exhortations qu’ils ont faites pour encourager la vertu ; j’ai pensé que, pour eux, le plus grand de tous les plaisirs était de tendre à la perfection. J’ai donc rassemblé tout ce qu’il y avait d’essentiel dans tous les livres, et j’en ai rédigé une collection sous le titre de discours propres à exciter à la vertu. Dans cet ouvrage, je n’ai pas cru qu’il fût nécessaire de s’attacher exclusivement à l’éclat du style, mais à la solidité des pensées. En effet, pourvu qu’un ouvrage de ce genre soit également à la portée de l’habile homme et du simple, des grands et des petits, le but principal est rempli.

Que l’on médite donc profondément sur ces sujets qui sont la base de la morale ; qu’on lise avec attention ces livres qui en présentent les règles ; qu’on en fasse l’application à soi-même, et qu’un résumé de leur contenu vienne se placer dans notre cœur ; que les bons s’en servent pour redoubler d’efforts, et faire de nouveaux progrès dans la sincérité et dans la droiture ; qu’ils obtiennent par-là le bonheur qu’ils méritent. Et quant à ceux qui, peu instruits des devoirs de la morale, sont restés jusqu’à ce moment dans les ténèbres et dans la corruption, qu’ils se hâtent de se corriger et de rentrer dans la bonne voie, s’ils veulent se préserver des malheurs qui les menacent.

Je me croirais indigne des bontés que le Ciel suprême a pour moi, comme pour les êtres vivans, si je ne mettais toute ma sollicitude à la conversion et à l’instruction de mes peuples. Que ces derniers emploient de leur côté tous leurs efforts pour en tirer des fruits heureux.

Cette préface a été écrite la douzième année Chun-tchi (1655), à la première lune, un jour heureux.