Le Legs de Caïn/Don Juan de Kolomea

Pour les autres éditions de ce texte, voir Don Juan de Kolomea.

Le Legs de CaïnLibrairie Hachette et Cie (p. 1-60).


DON JUAN DE KOLOMEA


I

Nous étions sortis de Kolomea en voiture pour nous rendre à la campagne. C’était un vendredi soir. « Vendredi, bon commencement », dit le proverbe polonais ; mon cocher allemand, un colon du village de Mariahilf, prétendait au contraire que le vendredi était un jour de malheur, Notre-Seigneur étant mort ce jour-là sur la croix. C’est mon Allemand qui eut raison cette fois ; à une heure de Kolomea, nous tombâmes sur un piquet de garde rurale[1]. — Halte-là ! votre passeport !

Nous arrêtâmes ; mais le passeport ! Mes papiers, à moi, étaient en règle ; personne ne s’était inquiété de mon Souabe. Il était là sur son siège comme si les passeports eussent été encore à inventer, faisait claquer son fouet, remettait de l’amadou dans sa pipe. Évidemment ce pouvait être un conspirateur. Sa face insolemment béate semblait provoquer les paysans russes. De passeport, il n’en avait point ; ils haussèrent les épaules. — Un conspirateur ! fit l’un d’eux.

— Voyons, mes amis ! regardez-le donc.

Peine perdue ! — C’est un conspirateur.

Mon Souabe remue sur sa planche d’un air embarrassé ; il écorche le russe, rien n’y fait. La garde rurale connaît ses devoirs. Qui oserait lui offrir un billet de banque ? Pas moi. On nous empoigne et l’on nous conduit à l’auberge la plus proche, à quelque cent pas de là.

De loin, on eût dit des éclairs qui passaient devant la maison : c’était la faux redressée en baïonnette d’une sentinelle. Juste au-dessus de la cheminée se montrait la lune, qui regardait le paysan et sa faux ; elle regardait par la petite fenêtre de l’auberge et y jetait ses lumières comme de la menue monnaie, et emplissait d’argent les flaques devant la porte, pour faire enrager l’avare juif, — je veux dire l’aubergiste, qui nous reçut debout sur le seuil, et qui manifesta sa joie par une sorte de lamentation monotone. Il dandinait son corps à la façon des canards ; s’approchant de moi, il me fit d’un baiser une tache sur la manche droite, puis sur la gauche également, et se mit à gourmander les paysans d’avoir arrêté un monsieur tel que moi, un monsieur qui bien sûr était noir et jaune[2] dans l’âme, il l’aurait juré sur la Thora…, et il vociférait et se démenait comme s’il eût été personnellement victime d’un attentat inouï.

Je laissai mon Souabe avec les chevaux, gardé à vue par les paysans, et j’allai m’étendre dans la salle commune, sur la banquette qui courait autour de l’immense poêle. Je m’ennuyai bientôt. L’ami Mochkou[3] était fort occupé à verser à ses hôtes de l’eau-de-vie et des nouvelles ; deux ou trois fois seulement il s’abattit près de moi en sautant par-dessus le large buffet comme une puce, et s’y colla, et s’efforça d’entamer une conversation politique et littéraire. Ce n’était pas une ressource.

Je me mis à examiner la pièce où je me trouvais. Le ton dominant était le vert-de-gris. Une lampe à pétrole, alimentée avec parcimonie, répandait sur tous les objets une lumière verdâtre ; des moisissures vertes tapissaient les murs, le vaste poêle carré semblait verni au vert-de-gris, des touffes de mousse poussaient entre les pavés du parquet, — une lie verte dans les verres à brandevin, du verdet authentique sur les petites mesures en cuivre, où les paysans buvaient à même devant le buffet sur lequel ils jetaient leur monnaie de billon. Une végétation glauque avait envahi le fromage que Mochkou m’apporta ; sa femme était assise derrière le poêle, en robe de chambre jaune à ramages vert-pré, occupée à bercer son enfant vert pâle. Du vert-de-gris sur la peau chagrine du Juif, autour de ses petits yeux inquiets, de ses narines mobiles, dans les coins aigres de sa bouche, qui ricanait ! Il y a de ces visages qui verdissent avec le temps comme le vieux cuivre.

Le buffet me séparait des consommateurs, qui étaient groupés autour d’une table longue et étroite, pour la plupart des paysans des environs ; ils conversaient à voix basse en rapprochant leurs têtes velues, tristes, sournoises. L’un me parut être le diak (le chantre d’église). Il tenait le haut bout, maniait une large tabatière, où il puisait seul pour ne point déroger, et faisait aux paysans la lecture d’un vieux journal russe à moitié pourri, aux reflets verts ; tout cela sans bruit, gravement, dignement. Au dehors, la garde chantait un refrain mélancolique dont les sons semblaient venir de très loin : ils planaient autour de l’auberge comme des esprits qui n’osaient pénétrer au milieu de ces vivants qui chuchotaient. Par les fentes et les ouvertures, la mélancolie s’insinuait sous toutes les formes, moisissures, clair de lune, chanson ; mon ennui aussi devenait de la mélancolie, de cette mélancolie qui caractérise notre race, et qui est de la résignation, du fatalisme. Le chantre était arrivé aux morts de la semaine et aux cours de la bourse, quand tout à coup on entendit au dehors le claquement d’un fouet, un piétinement de chevaux et des voix confuses. Puis un silence ; ensuite une voix étrangère qui vint se mêler à celle des paysans. C’était une voix d’homme, une voix qui riait, qui était comme remplie d’une musique gaie, franche, superbe, et qui ne craignait point ceux à qui elle s’adressait ; elle s’approchait de plus en plus, enfin un homme franchit le seul.

Je me redressai, mais je ne vis que sa haute taille, car il entrait à reculons en parlementant toujours avec les paysans sur un ton de plaisanterie. — Ah çà ! mes amis, faites-moi donc la grâce de me reconnaître ! Est-ce que j’ai l’air d’un émissaire, moi ? Est-ce que le comité national se promène sur la route impériale à quatre chevaux, sans passeport ? Est-ce qu’il flâne la pipe à la bouche, comme moi ? Frères, faites-moi la grâce d’être raisonnables !

On vit paraître dans la porte plusieurs têtes de paysans et autant de mains qui frottaient des mentons, ce qui voulait dire : voilà une grâce, frère, que nous ne te ferons point.

— Ainsi, vous ne voulez pas vous raviser… à aucun prix ?

— Impossible.

— Mais suis-je donc un Polonais ? Voulez-vous que mes père et mère se retournent dans leur tombe au cimetière russe de Czerneliça ? Est-ce que mes aïeux n’ont pas combattu les Polonais sous le Cosaque Bogdan Khmielniçki ? Ne sont-ils pas allés avec lui les assiéger dans Zbaraz, où ils étaient campés, couchés, assis ou debout, à leur choix ? Voyons, faites-moi la grâce, laissez-moi partir…

— Impossible !

— Même si mon bisaïeul a fait le siège de Lemberg sous l’hetman Dorozenko ? Je vous assure qu’alors les têtes des gentilshommes polonais n’étaient pas plus chères que les poires ; mais, bonne santé, et que ça finisse !

— Impossible !

— C’est impossible pour de bon ? Sérieusement ?

— Sérieusement.

— Tant pis. Bonne santé tout de même !

L’étranger se résigna sans plainte. Il entra, inclina légèrement la tête en réponse aux salamalecs du Juif, et s’assit devant le buffet en me tournant le dos. La Juive fit un mouvement, le regarda, déposa sur le poêle son enfant, qui dormait, et s’approcha du buffet. Elle avait dû être belle jadis, quand Mochkou l’épousa ; maintenant ses traits avaient quelque chose de singulièrement âpre. La douleur, la honte, les coups de pied et de fouet ont longtemps travaillé cette race jusqu’à donner à tous ces visages cette expression à la fois ardente et fanée, triste et railleuse, humble et haineuse. Elle courbait le dos, ses mains fines et transparentes jouaient avec un des gobelets, ses yeux s’arrêtèrent sur le nouveau venu. De ces grands yeux noirs et humides s’échappait une âme de feu, comme un vampire qui sort d’une tombe, et s’attachait sur le beau visage de l’étranger.

Il était vraiment beau. Il se pencha vers elle par-dessus la table, y jeta quelques pièces d’argent, et demanda une bouteille de vin. — Vas-y, dit le Juif à sa femme.

Elle se courba davantage, s’en alla les yeux fermés comme une somnambule. Mochkou, s’adressant à moi, me dit à voix basse : — C’est un homme dangereux, un homme bien dangereux ! — Et il hocha sa petite tête prudente avec les petites boucles noires massées sur le front.

Il avait éveillé l’attention de l’étranger, qui se retourna subitement, m’aperçut, se leva, tira son bonnet de peau de mouton, et s’excusa très poliment. Je lui rendis son salut. La bienveillance russe s’est tellement incarnée dans le langage et les mœurs qu’il est presque impossible à l’effort individuel d’aller au delà de la tendresse insinuante des phrases consacrées. Néanmoins nous nous saluâmes avec plus de politesse encore que ne le veut l’usage. Quand nous eûmes fini de nous proclamer réciproquement nos très humbles valets et de « tomber aux pieds » l’un de l’autre[4], l’homme dangereux s’assit en face de moi, et me demanda la permission, « par miséricorde », de bourrer sa pipe turque. Déjà les paysans fumaient, le diak fumait, le poêle lui-même s’était mis de la partie ; pouvais-je le priver de sa pipe ? — Ces paysans ! fit-il gaîment ; dites-moi vous-même, à cent pas me feriez-vous cette chose de me prendre pour un Polonais[5] ?

— Non, certainement.

— Eh bien ! vous voyez, frère, s’écria-t-il plein de reconnaissance ; mais faites donc entendre raison à ceux-là ! — Il tira de son gousset une pierre, y déposa un fragment d’amadou, et se mit à battre le briquet avec son couteau de poche.

— Cependant le Juif vous appelle un homme dangereux.

— Ah ! oui… — Il regarda la table en souriant dans sa barbe. — L’ami Mochkou veut dire : pour les femmes. Avez-vous remarqué comme il a renvoyé la sienne ? Ça prend feu si facilement…

L’amadou aussi prenait feu ; il le mit dans la pipe, et bientôt il nous enveloppa de nuages bleuâtres. Il avait modestement baissé les yeux, et souriait toujours. Je pus l’examiner à loisir. C’était évidemment un propriétaire, car il était fort bien mis ; sa blague à tabac était richement brodée, il avait des façons de gentilhomme. Il devait être des environs ou du moins du cercle de Kolomea, car le Juif le connaissait ; il était Russe, il venait de le dire, — pas assez bavard d’ailleurs pour un Polonais. C’était un homme qui pouvait plaire aux femmes. Rien de cette pesante vigueur, de cette lourdeur brutale qui chez d’autres peuples passe pour de la virilité : il avait une beauté noble, svelte, gracieuse ; mais une énergie élastique, une ténacité à toute épreuve, se révélaient dans chacun de ses mouvements. Des cheveux bruns et lisses, une barbe pleine, coupée assez court et légèrement frisée, ombrageaient un visage régulier, bronzé par le hâle. Il n’était plus tout à fait jeune, mais il avait des yeux bleus pleins de gaieté, des yeux d’enfant. Une bonté, une bienveillance inaltérable était répandue sur ses traits basanés, et se devinait dans les lignes nombreuses que la vie avait burinées sur ce mâle visage.

Il se leva, et arpenta plusieurs fois la salle d’auberge. Le pantalon bouffant emprisonné dans ses bottes molles en cuir jaune, les reins ceints d’une écharpe aux couleurs vives sous un ample habit ouvert, par devant, la tête coiffée d’un bonnet de fourrure, il avait l’air d’un de ces vieux boyards aussi sages que braves qui siégeaient en conseil avec les princes Vladimir et Jaroslav ou faisaient la guerre avec Igor et Roman. Certes il pouvait être dangereux aux femmes, je n’avais pas de peine à l’en croire ; à le voir se promener ainsi de long en large, le sourire aux lèvres, j’éprouvais moi-même du plaisir.

La Juive revint avec la bouteille demandée, la déposa sur la table, et retourna s’asseoir derrière le poêle, les yeux obstinément fixés sur lui. Mon boyard s’approcha, regarda la bouteille ; il paraissait préoccupé. — Un verre de tokaï, dit-il en riant, c’est encore ce qu’il y a de mieux pour remplacer le sang chaud d’une femme. — Il passa la main sur son cœur d’un geste comme s’il voulait comprimer une palpitation.

— Vous aviez peut-être… — Je m’arrêtai, craignant d’être indiscret.

— Un rendez-vous ? Précisément. — Il cligna les yeux, tira d’épaisses bouffées de sa pipe, hocha la tête. Et quel rendez-vous ! comprenez-moi bien. Je puis dire que je suis heureux auprès des femmes, extraordinairement heureux. Si on me lâchait dans le ciel parmi les saintes, le ciel serait bientôt… que Dieu me pardonne le péché ! Faites-moi la grâce de me croire !

— Je vous crois volontiers.

— Eh bien ! voyez. Nous avons un proverbe « ce que tu ne dis pas à ton meilleur ami ni à ta femme, tu le diras à un étranger sur la grande route ». Débouche la bouteille, Mochkou, donne-nous deux verres, et vous, par miséricorde, buvez avec moi et laissez-moi vous raconter mes aventures, — des aventures rares, précieuses comme les autographes de Goliath le Philistin, — je ne dis pas comme les deniers de Judas Iscariote, j’en ai tant vu dans les églises de Russie et de Galicie que je commence à croire qu’il n’a pas déjà fait une si mauvaise affaire… Mais où est donc Mochkou ?

Le cabaretier arriva en sautillant, rua deux ou trois fois du pied gauche, prit un tire-bouchon dans sa poche, fit tomber la cire, souffla dessus, puis serra la bouteille entre ses genoux maigres, et la déboucha lentement avec des grimaces horribles. Ensuite il souffla une dernière fois dans la bouteille par acquit de conscience, et versa le tokaï doré dans les deux verres les plus propres qui soient tolérés dans Israël. L’étranger éleva le sien : — À votre santé ! — Il était sincère, car il vida son verre d’un seul trait. Ce n’était point un buveur, il n’avait pas goûté et claqué de la langue avant de boire.

Le Juif le regardait, il lui dit timidement : — C’est bien de l’honneur pour nous que monsieur le bienfaiteur nous rende visite, et quelle santé magnifique ! Toujours sur la brèche ! — Pour souligner cette remarque, Mochkou prit un air de lion en écartant ses bras grêles et piétinant en cadence. — Et comment se portent madame la bienfaitrice et les chers enfants ?

— Bien, toujours bien.

Mon boyard se versa un second verre et le vida, mais en tenant les yeux baissés, comme honteux ; le Juif était déjà loin lorsqu’il me jeta un regard embarrassé, et je vis qu’il était tout rouge. Il garda le silence pendant quelque temps, fumait devant lui, me versait à boire ; enfin il reprit à voix basse : — Je dois vous paraître bien ridicule. Vous vous dites : Le vieux nigaud a sa femme et ses enfants à la maison, et voilà-t-il pas qu’il veut m’entretenir de ses exploits amoureux ? Je vous en supplie, ne dites rien, je le sais de reste ; mais d’abord, voyez-vous, il y a du plaisir à causer avec un étranger, et puis, pardonnez-moi, c’est singulier, on se rencontre et l’on ne doit jamais peut-être se revoir, et pourtant on se soucie de l’opinion que l’autre pourrait emporter de nous,… moi du moins. Il est vrai, — je ne veux pas me peindre en beau, — que je ne suis point insensible à la gloriole ; je crois que je serais désolé qu’on ignorât mes bonnes fortunes. Cependant ce soir j’ai été ridicule. — Je voulus l’interrompre. — Laissez, poursuivit-il, c’est inutile ; je sais ce que je dis, car vous ne connaissez pas mon histoire ; tout le monde ici la connaît, mais vous l’ignorez. On devient vaniteux, ridiculement vaniteux, lorsqu’on plaît aux femmes : on voudrait se faire admirer, on jette sa monnaie aux mendiants sur la route et ses confidences aux étrangers dans les cabarets. Maintenant il vaut mieux que je vous raconte le tout ; ayez la grâce de m’écouter. Vous avez quelque chose qui m’inspire confiance.

Je le remerciai.

— Eh bien !… D’ailleurs que faire ici ? Ils n’ont pas seulement un jeu de cartes. J’ai peut-être tort… Ah bah ! Mochkou, encore une bouteille de tokaï !… À présent écoutez. — Il appuya sa tête sur ses deux mains et se prit à rêver. Le silence régnait dans la salle ; au dehors résonnait le chant lugubre de la garde rurale, tantôt venant de loin comme une lamentation funèbre, tantôt tout près de nous et tout bas, comme si l’âme de cet étranger se fût exhalée en vibrations douloureusement joyeuses.

— Vous êtes donc marié ? lui demandai-je enfin.

— Oui.

— Et heureux ?

Il se mit à rire. Son rire était franc comme celui d’un enfant ; je ne sus pourquoi j’eus le frisson. — Heureux ! dit-il. Que voulez-vous que je vous réponde ? Faites-moi la grâce de réfléchir sur ce mot, le bonheur. Êtes-vous agronome ?

— Non.

— Cependant vous devez connaître un peu l’économie rurale ? Eh bien ! le bonheur, voyez-vous, ce n’est pas comme un village ou une propriété qui serait à vous, c’est comme une ferme, — comprenez-moi bien, je vous prie, — comme une ferme. Ceux qui veulent s’y établir pour l’éternité, observer les rotations et fumer les champs, et ménager la futaie, et planter des pépinières ou construire des routes, — il se prit la tête des deux mains, — bon Dieu ! ils font comme s’ils peinaient pour leurs enfants. Tâchez d’y faire votre beurre, et plutôt aujourd’hui que demain : épuisez le sol, dévastez la forêt, sacrifiez les prairies, laissez pousser l’herbe dans les chemins et sur les granges, et quand tout se trouve usé et que l’étable menace ruine, c’est bien, et le grenier aussi, c’est mieux ! voire la maison, c’est parfait ! Cela s’appelle jouir de la vie… Voilà le bonheur. Amusons-nous ! — La seconde bouteille fut débouchée ; il s’empressa de remplir nos verres. — Qu’est-ce que le bonheur ? s’écria-t-il encore ; c’est un souffle, voyez, regardez, où est-il maintenant ? — Il montra du doigt la légère vapeur qui, échappée de ses lèvres, allait en se dissolvant. — C’est ce chant que vous entendez, qui nage dans l’air et s’envole et va se perdre dans la nuit pour toujours…

Nous nous tûmes tous les deux pendant quelques minutes. Enfin il reprit : — Pardonnez-moi, pouvez-vous me dire pourquoi tous les mariages sont malheureux, ou du moins la plupart ?… — Ai-je tort ? Non… Eh bien ! c’est un fait. Moi, je dis qu’il faut porter ce qui est fatal, ce qui est dans la nature, comme l’hiver ou la nuit, ou la mort ; mais y a-t-il une nécessité qui veut que les mariages soient généralement malheureux ? Est-ce que c’est une loi de la nature ? — Mon homme mettait dans ses questions toute l’ardeur du savant qui cherche la solution d’un problème ; il me regardait avec une curiosité enfantine. — Qu’est-ce donc qui empêche les mariages d’être heureux ? continua-t-il. Frère, le savez-vous ?

Je répondis une banalité ; il m’interrompit, s’excusa et reprit son discours. — Pardonnez-moi, ce sont de ces choses qu’on lit dans les livres allemands ; c’est très-bon de lire, mais on prend l’habitude des phrases toutes faites. Moi aussi je pourrais dire : « Ma femme n’a pas répondu à mes aspirations, » ou bien : « que c’est triste de ne pas se voir compris ! Je ne suis pas un homme comme les autres ; je ne trouve pas de femme capable de me comprendre, et je cherche toujours. » Tout cela, voyez-vous, ce sont des façons de parler, des mensonges ! — Il remplit de nouveau son verre ; ses yeux brillaient, sa langue était déliée, les paroles lui venaient avec abondance. — Eh bien ! monsieur, qu’est-ce qui ruine le mariage ? dit-il en posant ses deux mains sur mes épaules comme s’il voulait me serrer sur son cœur. Monsieur, ce sont les enfants.

Je fus surpris. — Mais, cher ami, répondis-je, voyez ce Juif et sa femme ; sont-ils assez misérables ? Et croyez-vous qu’ils ne tireraient pas chacun de son côté, comme les bêtes, s’il n’y avait les enfants ?

Il hocha la tête, et leva les deux mains étendues comme pour me bénir. — C’est comme je vous le dis, frère, c’est ainsi ; ce n’est que cela. Écoutez mon histoire

II

Tel que vous me voyez, j’ai été un grand innocent, comment dirai-je ? un vrai nigaud. J’avais peur des femmes. À cheval, j’étais un homme. Ou bien je prenais mon fusil et battais la campagne, toujours par monts et par vaux ; quand je rencontrais l’ours, je le laissais approcher et je lui disais : Hop, frère, il se dressait, je sentais son haleine, et je lui logeais une balle dans la tache blanche au milieu de la poitrine ; mais quand je voyais une femme, je l’évitais : m’adressait-elle la parole, je rougissais, je balbutiais,… un vrai nigaud, monsieur. Je croyais toujours qu’une femme avait les cheveux plus longs que nous et les vêtements plus longs aussi, voilà tout. Vous savez comme on est chez nous ; même les domestiques ne vous parlent point de ces choses, et l’on grandit, on a presque de la barbe au menton, et l’on ne sait pas pourquoi le cœur vous bat quand on se trouve en face d’une femme. Un vrai nigaud, vous dis-je ! Et puis, quand je sus, je me figurai que j’avais découvert l’Amérique. Tout à coup je devins amoureux, je ne sais comment… Mais je vous ennuie ?

— Au contraire ! je vous en prie…

— Bien. Je devins amoureux. Mon pauvre père s’était mis en tête de nous faire danser, ma sœur et moi. On fit venir un petit Français avec son violon, puis arrivèrent les propriétaires des environs avec leurs fils et leurs filles. C’était une société très gaie et sans gêne ; tout le monde se connaissait, on riait, moi seul je tremblais. Mon petit Français ne fait ni une ni deux, il aligne les couples, m’attrape par la manche et happe aussi une demoiselle de notre voisin, une enfant ; elle trébuchait encore dans sa robe longue, et elle avait des tresses blondes qui descendaient jusqu’en bas. Nous voilà dans les rangs ; elle tenait ma main, car moi j’étais mort. Nous dansâmes ainsi. Je ne la regardais pas ; nos mains brûlaient l’une dans l’autre. À la fin, j’entends le signal, chacun se pose en face de sa danseuse, joint les talons, laisse tomber la tête sur la poitrine comme si on vous l’eût coupée, arrondit le bras, saisit le bout de ses doigts et lui baise la main. Tout mon sang afflua au cerveau. Elle me fit sa révérence, et, quand je relevai la tête, elle était très rouge, et elle avait des yeux ! Ah ! ces yeux ! — Il ferma les siens, et se pencha en arrière. — « Bravo, messieurs ! » C’était fini. Je ne dansai plus avec elle depuis lors.

Elle était la fille d’un propriétaire du voisinage. Belle ? J’étais plutôt frappé de sa distinction. — Une fois par semaine, nous eûmes notre leçon. Je ne lui parlais seulement pas ; mais lorsqu’elle dansait la cosaque, le bras gentiment appuyé sur la hanche, je la dévorais des yeux, et si alors elle me regardait, je me mettais à siffler et tournais sur mes talons. Les autres jeunes gens léchaient ses doigts comme du sucre, se donnaient des entorses pour ramasser son mouchoir ; elle, elle rejetait ses tresses, et ses yeux me cherchaient. Au départ, je m’enhardissais à l’éclairer dans l’escalier, et je m’arrêtais sur la dernière marche. Elle s’emmitouflait, baissait son voile, saluait tout le monde de la tête, la jalousie m’en mordait au cœur, et, quand les grelots ne résonnaient plus que dans le lointain, j’étais encore à la même place, armé de mon chandelier, avec la bougie qui coulait. Un vrai nigaud, n’est-ce pas ?

Puis les leçons prirent fin, et je fus longtemps sans la revoir. Alors je me réveillais la nuit, ayant pleuré sans savoir pourquoi ; j’apprenais par cœur des vers que je récitais à mon porte-manteau, ou bien je m’emparais d’une guitare et chantais, à tel point que notre vieux chien sortait de dessous le poêle, levait le nez au ciel et hurlait.

Vint le printemps, et j’eus l’idée d’aller à la chasse. J’errais dans la montagne, et je venais de me coucher sur le bord d’un ravin et de m’y mettre à mon aise ; tout à coup j’entends craquer les branches, et j’aperçois un ours énorme qui arrive tout doucement à travers le taillis. Je me tiens coi. La forêt était silencieuse ; un corbeau passa sur ma tête, croassant. J’eus peur : je fis un grand signe de croix, je ne respirais plus ; puis, lorsqu’il fut en bas, je pris mes jambes à mon cou.

C’était le mois où se tenait la foire. Excusez-moi si je vous conte tout cela pêle-mêle. Je me rends donc à la ville, et, comme je flâne parmi les boutiques, elle est là aussi. J’ai oublié de vous dire son nom : Nicolaïa Senkov. Elle avait maintenant une démarche de reine ; ses tresses ne pendaient plus derrière le dos, elles étaient relevées et lui formaient comme un cercle d’or ; elle marchait avec une aisance adorable, se balançait, imprimait à sa robe des ondulations qui vous ensorcelaient. La foire allait son train ; c’était un tapage ! les paysans qui trottent dans leurs lourdes bottes, les Juifs qui s’élancent, perçant la foule, tout cela criaille, se lamente, rit ; les gamins ont acheté des sifflets, et ils sifflent. Pourtant elle m’a vu tout de suite. Moi, je prends mon courage à deux mains, je cherche autour de moi, et je me dis : Tu vas lui offrir ce soleil… Je vous demande pardon, c’était un soleil en pain d’épice, magnifiquement doré ; il me frappait de loin, il ouvrait de grands yeux comme notre curé lorsqu’il doit enterrer quelqu’un pour rien. Bon ! J’ai donc de l’audace comme un vrai diable, j’y vais, je donne ma pièce blanche, tout ce que j’avais sur moi, et j’achète le soleil ; puis, à grandes enjambées, je rattrape la demoiselle par un pan de sa robe, — c’était inconvenant, mais voilà comment on est quand on est bien épris, — je l’arrête donc, et je lui présente mon soleil. Que croyez-vous qu’elle fit ?

— Elle vous dit merci ?

— Merci ! Elle éclate de rire à mon nez, son père aussi éclate, et sa mère, et ses sœurs, et ses cousines, tous les Senkov ensemble se tiennent les côtes. Je me crois encore au ravin avec l’ours ; je voudrais m’enfuir, mais j’ai honte, et les Senkov rient toujours. Ils sont riches ; nous, nous étions à peu près à notre aise. Alors je mets les mains dans mes poches, et je lui dis : — Pana Nicolaïa, vous avez tort de rire comme vous faites. Mon père ne m’avait confié que cette pièce pour aller à la foire, je l’ai donnée pour vous comme un prince donnerait un village. Ainsi faites-moi la grâce… — Je ne pus achever, les larmes m’étouffaient. Un vrai nigaud, hein ?… Mais la pana Nicolaïa prend mon soleil des deux mains, et le serre sur sa poitrine, et me regarde,… ses yeux étaient si grands, si grands, ils me semblèrent plus vastes que l’univers, et si profonds, ils vous attiraient comme l’abîme. Elle me priait, me priait du regard,… je poussai un cri : — Quel sot je fais, pana Nicolaïa ! Je voudrais décrocher le soleil du ciel, le véritable soleil du bon Dieu, pour le mettre à vos pieds. Riez, riez de moi ! — À ce moment passe la britchka d’un comte polonais, attelée de six chevaux, lui sur le siège, le fouet levé, à travers toute cette foule. A-t-on jamais vu ! Les femmes crient, un Juif roule par terre, mes Senkov prennent la fuite, Nicolaïa seule reste immobile, elle ne fait qu’étendre la main au-devant des chevaux. Je la saisis, je l’enlève ; elle m’entoure de ses bras. Tout le monde se récrie ; moi, j’aurais sauté de joie avec mon fardeau. Mais la britchka avait disparu, il fallut la déposer à terre. Quel doux moment ! Et ce Polonais de malheur, aller d’un train pareil !… Mais je vous raconte tout cela sans ordre ; je serai bref…

— Non, non, allez toujours. Nous autres Russes, nous aimons à raconter et entendre raconter. — Je m’étendis sur mon banc. Il vida sa pipe, la bourra de nouveau.

— Au reste, fit-il, peu importe ; nous sommes ici aux arrêts… Écoutez donc la suite de mon histoire. Le Polonais nous avait séparés du reste de la famille ; mes Senkov étaient dispersés aux quatre vents. La pana Nicolaïa avait pris mon bras bien gentiment, et je la conduisais auprès des siens, c’est-à-dire que j’épiais la foule pour les éviter du plus loin que je les verrais. Je lève la tête, fier comme un Cosaque, et nous causons. De quoi parlions-nous ? Voilà une femme qui vend des cruches ; la pana prétend que les cruches de terre valent mieux pour l’eau, et moi les cruches de bois ; elle loue les livres français, moi les allemands ; elle les chiens, moi les chats ; je la contredisais pour l’entendre parler : une musique, cette voix ! À la fin, les Senkov m’avaient cerné comme un gibier, impossible de leur échapper : je me trouve nez à nez avec le père. Il voulut sur-le-champ retourner à la maison. Bon ! j’avais recouvré tout mon sang-froid ; je fis la grosse voix pour appeler le cocher, et lui dis bien sa route. J’aide d’abord Mme Senkov à monter en voiture, puis j’y pousse le père Senkov, comme cela, par derrière, et vite je mets un genou en terre pour que Nicolaïa puisse poser le pied sur l’autre et s’élancer à sa place. Ensuite les sœurs, — encore une demi-douzaine de mains à baiser, et fouette, cocher !

Oh ! oui, cette foire ! Je m’y vendis. De ce jour, j’errais comme une bête qui a perdu son maître. J’étais égaré, moi aussi. Le lendemain, je montai à cheval et allai faire ma visite au village des Senkov. Je fus bien reçu. Nicolaïa était plus sérieuse que de coutume, elle penchait la tête ; je devins triste aussi. — Qu’as-tu donc ! pensai-je. Je suis à toi, ta chose ; pourquoi ne ris-tu pas ? — Je multipliai mes visites. Un jour, l’arrêtant : — Permettez-moi de ne plus mentir. — Elle me regarda étonnée. — Vous, mentir ! — Oui. Je me dis toujours votre valet, et je « tombe à vos pieds », et pourtant je ne le suis pas et ne le fais pas. Je ne veux plus mentir ! — Et, je vous l’assure, je cessai de mentir. À quelque temps de là, le vieux Cosaque de mon père disait aux domestiques : — Notre jeune seigneur est devenu dévot, il en a des taches aux genoux.

Le village des Senkov était plus rapproché de la montagne que le nôtre. Ils faisaient paître de grands troupeaux de moutons près de la forêt. Le pacage était entouré d’une bonne clôture. La nuit, les pâtres allumaient de grands feux ; ils avaient des bâtons ferrés, même un vieux fusil de chasse et plusieurs chiens-loups ; tout cela parce qu’on n’était pas loin de la montagne ; les loups et les ours s’y promenaient comme les poules et multipliaient ainsi que les Juifs.

Il y avait là un chien-loup noir qu’on appelait Charbon. Il était noir, noir, et il avait des yeux qui étincelaient comme la braise. C’était le grand ami de ma… que dis-je donc ? — il rougit légèrement, — de la pana Nicolaïa. Comme elle était encore un bébé et se roulait sur le sable chauffé par le soleil, Charbon, tout jeune lui-même, venait lui lécher la figure, et l’enfant glissait ses doigts mignons entre ses dents aiguës et riait, et le chien riait aussi. Ils grandirent ensemble : Charbon devint fort comme un ours. Nicolaïa était en retard sur lui ; cependant ils ne cessèrent de s’aimer. Puis, quand il eut à garder les moutons…, ce n’est pas qu’on l’eût destiné à ces fonctions, mais il était si généreux de sa nature qu’il lui fallait toujours quelqu’un à protéger. À dix lieues à la ronde, vous n’auriez pas trouvé une bête pareille. S’il dévorait un chien, c’était pour en venger un autre. Les loups l’évitaient, et l’ours restait chez lui quand maître Charbon était de garde. Il eut ainsi cette idée de protéger les moutons ; ces pauvres bêtes, toujours effarées, c’était bien son affaire. Il vint donc chez les moutons, ne fit plus que de rares visites à la maison, et, lorsqu’il en revenait, les agneaux se pressaient à sa rencontre, et lui il donnait un coup de langue à droite et à gauche, comme pour dire : C’est bon, c’est bon, je sais… Nicolaïa venait à son tour en visite au pacage, mais si l’enfant oubliait de venir, le chien boudait, et, au lieu de se présenter à la maison, faisait une pointe dans la forêt, histoire de troubler le ménage du loup. C’était vraiment un animal majestueux. Lorsque Nicolaïa arrivait, il lui amenait les petits agneaux ; elle s’asseyait sur son dos, et il la promenait avec orgueil.

Quand je le connus, il était déjà vieux, avait les dents usées et une jambe estropiée, dormait souvent, et il se perdait plus d’un agneau. On parlait alors beaucoup d’un ours monstrueux qui avait été vu dans les environs, et qui avait aussi fait son apparition chez les Senkov. Je me rappelais mon ours du ravin, et j’étais quelque peu honteux. Un jour, je vais donc encore en visite, quand je vois des paysans traverser la route et se diriger en courant à toutes jambes du côté du pacage. Je pousse mon cheval, j’entends crier à l’ours ! c’est l’ours ! Je m’élance à toute bride, je mets pied à terre, j’aperçois une foule de gens qui entourent Nicolaïa couchée sur le sol, tenant son chien entre ses bras et sanglotant. L’ours était là qui emportait un agneau. Les bergers, les chiens, personne ne bougeait, ils ne faisaient que hurler. La demoiselle pousse un grand cri ; Charbon est piqué au vif, de sa jambe boiteuse il bondit par-dessus la palissade, saute à la gorge du ravisseur. Ses dents sont émoussées, cependant il empoigne son adversaire : les bergers accourent avec le fusil, l’ours prend la fuite, l’agneau est sauvé ; le pauvre Charbon se traîne encore quelques pas, et tombe comme un héros. Nicolaïa se jette sur lui, l’étreint dans ses bras, l’inonde de ses larmes ; il la regarde une dernière fois, soupire, et c’est fini.

J’étais là comme si je venais de commettre un assassinat. — Laissez-le, pana Nicolaïa, lui dis-je. — Elle lève sur moi ses yeux pleins de larmes : — Vous êtes dur, vous ! me répond-elle. — Moi, un homme dur !

Je confie mon cheval aux bergers, je prends un long couteau, l’aiguise encore ; je me fais donner le vieux fusil, j’en extrais la charge et le charge à nouveau moi-même ; enfin je mets dans ma poche une poignée de poudre et de plomb haché et me dirige vers la montagne. Je savais qu’il passerait par le ravin…

— L’ours ?

— Évidemment ; c’était lui que j’attendais. Je me postai dans le ravin ; là, il n’y avait pas moyen de s’éviter. Les parois étaient droites, unies, presque à plomb ; des arbres en haut, mais trop loin pour qu’on pût saisir une racine et se hisser. L’ours ne peut m’éviter et il ne reculera pas, ni moi non plus. Je l’attends donc de pied ferme. Je ne sais pas combien de temps je restai ainsi. La solitude était profonde, horrible. Enfin j’entends les feuilles crier dans le haut du ravin comme sous les pas lourds d’un paysan, puis un grognement : le voici. Il me regarde, s’arrête. J’avance d’un pas, j’arme… que dis-je ? je veux armer mon fusil ; je cherche : il n’y avait pas de chien. Je fais le signe de la croix, j’ôte mon habit, l’enroule sur mon bras gauche, — l’ours était à deux pas. — Hop, frère ? — Il ne m’écoute pas, n’a pas l’air de me voir. — Halte-là, frère, je vais t’apprendre le russe ! — Je retourne mon fusil et lui assène un grand coup de crosse sur le museau. Il rugit, se dresse, j’enfonce le bras gauche dans sa gueule et lui plonge mon couteau dans le cœur ; il me saisit dans ses pattes. Un flot de sang m’inonde, tout disparaît…

Pendant quelques minutes, il se tint la tête appuyée, puis de sa main étendue il frappa légèrement sur la table, et me dit d’un ton enjoué : — Voilà que je vous conte des histoires de chasse ; mais vous allez voir les griffes, — il écarta sa chemise, et je vis imprimées dans ses flancs comme deux mains de géant toutes blanches ; — il m’a rudement empoigné !

Les verres étaient vides. Je fis signe à Mochkou de nous apporter une autre bouteille.

— C’est dans cet état que je fus trouvé par les paysans, continua mon boyard. On me porta chez les Senkov ; j’y demeurai longtemps au lit avec la fièvre. Quand je recouvrais mes sens le jour, je les voyais assis autour de moi, avec ceux de chez nous, comme autour d’un moribond ; mais le père Senkov disait : Ça va bien, ça va très bien, — et Nicolaïa riait. Une fois, je m’éveille la nuit et regarde ma chambre, qui n’était éclairée que par une veilleuse ; j’aperçois Nicolaïa qui priait à genoux… Mais laissons cela : c’est passé, de loin en loin seulement je le revois en rêve. N’en parlons plus… Vous voyez que j’en suis revenu. Depuis lors, la britchka du père Senkov stationnait souvent dans notre cour, et celle de mon père chez eux ; parfois les femmes étaient de la partie. Les vieux parents chuchotaient ensemble, et quand je m’approchais, Senkov souriait, clignait les yeux et m’offrait une prise.

Nicolaïa m’aimait, ah ! de tout son cœur, croyez-le bien. Moi du moins, je le croyais, et les vieilles gens aussi. Elle devint donc ma femme. Mon père me remit la gestion de notre bien ; Nicolaïa eut en dot un village entier. La noce eut lieu à Czerneliça. Tout le monde s’y soûla ; mon père y dansa la cosaque avec Mme Senkov. Dans la soirée du lendemain, — ils étaient encore tous, comme les morts le jour du jugement dernier, à chercher leurs membres, et ne les trouvaient pas, — j’attelai à ma voiture six chevaux blancs comme des colombes. La peau de mon ours, une fourrure magnifique, était étendue sur le siège, les pattes aux griffes dorées pendaient sur les deux côtés jusqu’au marchepied, la grosse tête avec ses yeux flamboyants vous regardait encore menaçante. Tous mes gens, paysans et cosaques, sont à cheval avec des torches allumées ; ma femme en pelisse rouge fourrée d’hermine ; je la soulève dans mes bras et la porte dans la voiture. Mes gens poussent des cris de joie ; elle avait l’air d’une princesse, sur sa peau d’ours, ses pieds mignons appuyés sur la grosse tête velue. Toute la troupe nous faisait cortège. C’est ainsi que je la conduisis dans sa maison.

Quelles absurdités, ce qu’on lit dans les livres allemands, « l’amour céleste, » puis cette idolâtrie des vierges ! Allez ! l’illusion n’est pas longue. Est-ce l’amour, cette niaise langueur qui vous attache aux pas d’une jeune fille ?… Lorsqu’elle fut ma femme, j’eus enfin le courage de l’aimer, et elle de même. Nos deux amours grandirent comme deux jumeaux. À la pana Nicolaïa, je baisais les mains, à ma femme les pieds, et les mordais souvent, et elle criait et me repoussait d’une ruade. — Ah ! l’amour, c’est l’union, c’est le mariage. — Au demeurant, n’est-ce pas tout ce qu’on a ? Voyez, s’il vous plaît, cette vie : les paroles sont étranges, et, — il écoutait le chant mélancolique de la garde, — et voilà l’air. Les Allemands ont leur Faust, les Anglais aussi ont un livre de ce genre ; chez nous, chaque paysan sait ces choses-là. C’est un instinct secret qui lui dit ce qu’est la vie.

Qu’est-ce qui donne à ce peuple ce fonds de tristesse ? C’est la plaine. Elle s’étend sans bornes comme la mer, le vent l’agite, la fait onduler comme la mer, et, comme dans la mer, le ciel s’y baigne ; elle entoure l’homme, silencieuse comme l’infini, froide comme la nature. Il voudrait l’interroger ; sa chanson s’élève comme un appel douloureux, elle expire sans trouver de réponse. Il s’y sent étranger… Il regarde les fourmis, qui en longues caravanes, chargées de leurs œufs, vont et viennent sur le sable chaud : voilà son monde à lui. Se presser dans un petit espace, peiner sans trêve, — pour rien. Le sentiment de son abandon l’envahit, il lui semble qu’il oublierait à tout moment qu’il existe. Alors, dans la femme, la nature s’humanise pour lui : « Tu es mon enfant. Tu me crains comme la mort ; mais me voici ton semblable. Embrasse-moi ! je t’aime, viens, coopère à l’énigme de la vie, qui te trouble. Viens, je t’aime ! »

Il se tut pendant quelque temps, puis il reprit : — Moi et Nicolaïa, comme nous fûmes heureux ! Quand les parents arrivaient ou les voisins, il fallait la voir donner ses ordres et faire marcher son monde ! Les domestiques plongeaient comme les canards sur l’eau aussitôt qu’elle les regardait. Un jour, mon petit Cosaque laisse tomber une pile d’assiettes qu’il portait correctement sous le menton ; ma femme de sauter sur le fouet ; lui, — si la maîtresse doit le fouetter, il cassera volontiers une douzaine par jour ! — Compris ? et ils rient tous les deux.

On voyait maintenant les voisins. Auparavant ils ne venaient que les jours de grande fête, par exemple à Pâques, pour la table bénite[6] ; on eût dit qu’ils voulaient rattraper le temps perdu. Ils venaient tous, vous dis-je. Il y avait d’abord un ancien lieutenant, Mack : il savait par cœur tout Schiller ; pour le reste, un brave homme. Il est vrai qu’il avait un défaut : il buvait, — pas tellement, vous savez, qu’il aurait glissé sous la table ; mais il se plantait au milieu du salon, le petit rougeaud, et nous récitait d’une haleine la ballade du Dragon. Terrible, hein ?

Puis venait le baron Schebiçki ; le connaissez-vous ? Le Papa s’appelait Schebig, Salomon Schebig, — un Juif, un colporteur, qui achetait et vendait, obtenait des fournitures ; puis un beau jour il achète une terre, et s’appelle Schebigstein. Il y en a, dit-il, qui s’appellent Lichtenstein ; pourquoi ne m’appellerais-je pas Schebigstein ? Le fils est devenu baron et s’appelle Raphaël Schebiçki. Il ne fait que rire. Dites-lui : Monsieur, faites-moi l’honneur de dîner chez moi ; il rira, et dites-lui : Monsieur, voici la porte ! paschol ! il rira de même. Il ne boit que de l’eau, va tous les jours aux bains de vapeur, porte une grosse chaîne sur un gilet de velours rouge, et ne manque jamais de se signer avant le potage et après le dessert.

Puis un noble, Dombovski, un Polonais haut de six pieds, — des yeux rouges, une moustache mélancolique et des poches vides ; quête toujours pour les émigrants. Lorsqu’il voit quelqu’un pour la deuxième fois, il le serre sur son cœur et l’embrasse tendrement. S’il a bu un verre de trop, il pleure comme un veau, chante : la Pologne n’est point perdue encor, s’empare de votre bras pour vous confier toute la conjuration, et s’il est gai tout à fait, il porte un toast : Vivat ! aimons-nous ! et boit dans les vieux souliers des dames.

Ensuite le révérend M. Maziek, un type de curé de village, qui avait une consolation pour tout ce qui vous arrivait : naissance, mort, mariage. Il vantait surtout ceux qui s’endormaient dans la paix du Seigneur ; l’église, disait-il, les a distingués par un tarif plus élevé. Il avait son mot pour appuyer son discours : purgatoire ! comme d’autres disent, parbleu ou ma parole.

Puis encore le savant Thaddée Kuternoga, qui depuis onze ans se prépare à passer sa thèse de docteur ; enfin un propriétaire, Léon Bodoschkan, un véritable ami, celui-là, et d’autres gentilshommes bons vivants. Tous gais ! gais comme un essaim d’abeilles : mais devant elle ils se contenaient. Les femmes aussi venaient la voir, de bonnes amies qui ne font que jaser, sourire, jurer leurs grands dieux, et puis… enfin on sait ce que c’est. Nous vivions ainsi avec nos voisins, et moi, j’étais fier de ma femme lorsqu’ils buvaient dans ses souliers et faisaient des vers en son honneur ; mais elle avait une manière de regarder les gens : « vous perdez votre peine ! » — Au reste nous préférions être seuls.

Ces grandes propriétés, voyez-vous, on y a ses soucis et l’on a ses joies. Elle voulut se mêler de tout. Nous allons gouverner nous-mêmes, me dit-elle, pas nos ministres ! Les ministres, c’était d’abord le mandataire Kradulinski, un vieux Polonais, drôle d’homme ! Il n’avait pas un cheveu sur la tête et jamais un compte en règle, — puis le forestier Kreidel, un Allemand, comme vous voyez ; un petit homme avec des yeux percés à la vrille et de grandes oreilles transparentes et un grand lévrier également transparent. Ma femme surveillait l’attelage ; je crois qu’au besoin elle n’eût pas craint d’user du fouet. Et nos paysans, il fallait les voir quand nous allions aux champs ! — « Loué soit Jésus-Christ ! — En toute éternité, amen ! » d’un ton si joyeux ! Le jour de la fête des moissonneurs, notre cour était pleine ; ma femme se tenait debout sur l’escalier, ils venaient déposer la couronne d’épis à ses pieds. C’étaient des jubilations ! On lui présentait un verre de brandevin : — À votre santé ! — et elle le vidait. — Ils baisaient le bas de sa robe, monsieur…

Elle montait aussi à cheval. Je lui présentais la main, elle y posait le pied, et était en selle. Elle se coiffait alors d’un bonnet de Cosaque ; la houppe dorée dansait sur sa nuque, le cheval hennissait et piaffait lorsqu’elle lui tapait sur le cou. Je lui appris encore à manier un fusil ; j’en avais un petit avec lequel j’avais tiré les moineaux quand j’étais enfant. Elle le jetait sur l’épaule, allait dans les prés, tirait les cailles, oh ! dans la perfection. Voilà qu’un autour vient de la forêt, ravage la basse-cour, enlève à Nicolaïa justement sa jolie poule noire à huppe blanche. Je le guette longtemps, ah bien oui ! Un jour, je reviens du champ où on lève des pommes de terre, ma badine à la main ; le voilà. Il crie encore, tourne au-dessus de la cour. Je lance une imprécation, — Paf ! Un battement d’ailes, et il roule par terre. Qui avait tiré ? C’était ma femme : — Celui-là ne me volera plus rien, — et elle va le clouer à la porte de la grange.

Ou bien c’est le facteur[7] qui déballe à grand bruit : tout est bon teint, tout est neuf, tout au rabais, et il vend à perte ; il faut voir comme elle sait marchander ! Le Juif ne fait que soupirer : — Une dame bien sévère ! dit-il ; cependant il lui baise le coude. — Puis je vais faire un tour à la ville : j’y rencontre la femme du staroste[8], qui a une robe bleue mouchetée de blanc ; c’est la dernière mode à coup sûr ; je rapporte une robe bleue mouchetée de blanc, et Nicolaïa rougit de plaisir. Une autre, fois je pousse jusqu’à Brody, je reviens chargé de velours de toutes les couleurs, de soieries, de fourrures, et quelles fourrures ! toutes de contrebande. Le cœur lui en battait de joie, monsieur.

Comme elle savait s’habiller ! On se serait mis à genoux. Elle avait une kazabaïka de drap vert d’olive, garnie de petit-gris de Sibérie, — l’impératrice de Russie n’a rien de plus beau, — large comme la main, et tout l’intérieur doublé de la même fourrure gris d’argent et si douce au toucher !

Le soir, elle se tenait couchée sur son divan, les bras croisés sous la tête, et je lui faisais la lecture. Le feu pétille dans l’âtre, le samovar siffle, le cricri chante, le ver frappe dans le bois, la souris grignote, car le chat blanc sommeille sur son coussin. Je lui lis tous les romans ; la ville avait déjà son cabinet de lecture, et puis les voisins, — on emprunte le volume à l’un et à l’autre. Elle m’écoute les yeux fermés, moi je m’étends dans mon fauteuil, et nous dévorons les livres ; plus d’une fois on se couchait fort tard. Nous discutions : l’épousera-t-il, ne l’épousera-t-il pas ? Les assauts de générosité la mettaient en colère ; elle vous rougissait jusqu’au petit bout de l’oreille, se soulevait à demi, appuyée sur une main, m’apostrophait comme si c’eût été de ma faute : — Je ne veux pas qu’elle fasse cela, entends-tu ? — et elle en pleurait presque. Dans les romans, vous savez, les femmes se sacrifient pour un oui pour un non… Ou bien encore elle saute en pied, me pousse le livre à la figure et me tire la langue. Nous nous poursuivons et jouons à cache-cache comme les enfants. Une autre fois elle imagine une féerie, se sauve : — Quand je reviendrai, tu seras mon esclave ! — s’habille en sultane, écharpe de couleur, turban, mon poignard circassien à la ceinture, un voile blanc par-dessus tout cela, et elle reparaît triomphante. — Une femme divine monsieur ! Lorsqu’elle dormait, je pouvais passer des heures à la voir respirer seulement, et si elle poussait un soupir, la peur me prenait de la perdre : il m’arrivait de l’appeler à haute voix, elle se mettait sur son séant, me regardait étonnée et éclatait de rire. — Mais c’est son rôle de sultane qu’elle jouait surtout dans la perfection. Elle gardait son sérieux, et, si j’essayais de plaisanter, elle fronçait les sourcils et me lançait un regard, je me croyais déjà sur le pal.

III

Nous vivions ainsi comme deux hirondelles, toujours ensemble et caquetant. Une douce espérance vint s’ajouter à nos joies. Et pourtant par quelles angoisses j’ai passé ! Souvent je lui écartais gentiment les cheveux du front, et les larmes me montaient aux yeux ; elle me comprenait, me jetait ses bras autour du cou et pleurait. — Cela nous prit à l’improviste comme la fortune. J’avais couru à Koloméa chercher le médecin ; comme je rentre, elle me tend l’enfant. Les vieux parents ne se connaissaient pas de joie, nos gens poussaient des cris et sautaient, tout le monde était soûl, et sur la grange la cigogne faisait le pied de grue. — Dès lors les soucis arrivèrent, chaque heure de tourment ne faisait que serrer le lien entre nous. Mais cela ne devait pas durer.

Il parlait très-bas ; sa voix était devenue extrêmement douce ; elle vibrait à peine dans l’air. — Ces choses-là ne durent jamais ; c’est comme une loi de la nature. J’y ai réfléchi bien souvent. Qu’en pensez-vous ? J’ai eu un ami, Léon Bodoschkan ; il lisait trop, il y a perdu la santé. Il m’a dit plus d’une fois,… mais à quoi bon redire ces choses, puisque je les ai là ? — Il tira de sa poche quelques feuillets jaunis, les déplia. — C’était un homme obscur, ignoré de tous, mais lui connaissait tout ; il voyait au fond des choses comme dans une eau de source. Il vous démontait les hommes comme une montre de poche et scrutait les rouages ; il trouvait le défaut sans chercher. Il aimait à parler des femmes. Ce sont les femmes et la philosophie qui l’ont tué. Il écrivait souvent ses pensées, puis, lorsqu’il flânait dans la forêt, il jetait tout cela ; le papier le gênait. Qui peut écrire son amour n’aime pas, disait-il. Tenez, j’ai gardé ceci. — Il posa l’un des feuillets sur la table, — Non, je me trompe, c’est une facture. — Il la remit dans sa poche. — C’est celui-là. — Il toussa et se mit à lire.

« Qu’est la vie ? Souffrance, doute, angoisse, désespoir. Qui de nous sait d’où il vient, où il va ? Et nous n’avons aucun pouvoir sur la nature, et nos questions éperdues restent sans réponse ; toute notre sagesse se résume finalement dans le suicide. Mais la nature nous a imposé une souffrance encore plus terrible que la vie : c’est l’amour. Les hommes l’appellent bonheur, volupté ; n’est-ce pas une lutte, un mortel combat ? La femme, c’est l’ennemi ; vaincu, l’homme sent qu’il est à la merci d’un adversaire impitoyable. Il se prosterne : foule-moi sous tes pieds, je serai ton esclave ; mais viens, aie pitié de moi !… Oui, l’amour est une douleur, et la possession une délivrance ; mais vous cessez de vous appartenir.

» La femme que j’aime est mon tourment. Je tressaille, si elle passe, si j’entends le frôlement de sa robe ; un mouvement imprévu m’effare… On voudrait s’unir indissolublement pour l’éternité. L’âme descend dans cette autre âme, se plonge dans la nature étrangère, ennemie, en reçoit le baptême. On s’étonne que l’on n’a pas toujours été ensemble : on tremble de se perdre ; on s’effraye quand l’autre ferme les yeux ou que sa voix change. On voudrait devenir un seul être ; on s’abandonne comme une chose, comme une matière plastique : fais de moi ce que tu es toi-même. C’est un vrai suicide ; puis vient la réaction, la révolte. On ne veut pas se perdre tout à fait, on hait la puissance qui vous domine, vous anéantit ; on tente de secouer la tyrannie de cette vie étrangère, on se cherche soi-même. C’est la résurrection de la nature. »

Il tira de sa liasse un second feuillet. — « L’homme a sa peine, ses projets, ses idées qui l’environnent, le soulèvent, le portent comme sur des ailes d’aigle, l’empêchent d’être submergé. Mais la femme ? qui lui prêtera secours ? Enfin elle sent vivre en elle son image à lui, — elle le tient, dans ses bras, le presse sur son cœur ! Est-ce un rêve ? L’enfant lui dit : Je suis toi, et tu vis en moi ; regarde-moi bien, je te sauverai. — Ah ! maintenant elle dorlote dans l’enfant son propre être qui lui était à charge ; elle le voit grandir sur ses genoux, elle s’y attache, s’y cramponne. »

Après m’avoir lu ces fragmens, mon compagnon plia les feuillets et les cacha sur sa poitrine ; puis il se tâta encore pour s’assurer qu’ils étaient en place, et boutonna sa redingote. — Il en fut de même chez moi, dit-il, exactement de même. Je ne saurais en parler aussi bien que Léon Bodoschkan ; cependant, si vous voulez, je vous conterai cela.

— Certainement, je vous en prie.

— Eh bien ! ç’a donc été chez moi la même chose, absolument…

— Oui, interrompis-je pour l’encourager, d’ordinaire on appelle les enfans des gages d’amour.

Il s’arrêta, me regarda d’un air singulier, presque farouche. — Des gages d’amour ! Ah ! oui, s’écria-t-il, des gages d’amour !… Figurez-vous que je rentre à la maison, — une propriété vous donne bien du tracas ! — que je rentre las comme un chien courant ; j’embrasse ma femme, elle me déride le front de sa petite main, me sourit de son joli sourire, patatras ! c’est le gage de l’amour qui crie à côté, et tout est fini. On passe la matinée à se chamailler avec le mandataire, l’économe et le forestier, enfin on se met à table ; cela ne manque pas : à peine ai-je noué ma serviette, — ancien style, vous savez, — qu’on entend le gage de l’amour qui pleure, parce qu’il ne veut pas manger de la main de sa bonne. Ma femme y va, ne revient plus ; je reste seul à table, libre de siffler pour me distraire, par exemple :

Minet qui perche sur un mur
Se plaint de minette au cœur dur.
Et voilà tout,
Je suis au bout[9].


On se dit : J’irai à la chasse, — à la chasse aux canards. Toute la journée, on barbote dans l’eau jusqu’aux genoux, mais on a la perspective d’un bon lit bien chaud. On rentre tard, on se glisse près de sa femme ; mais le gage d’amour fait ses dents, il pleure ; la maman vous quitte, on s’endort seul, si on peut s’endormir.

Puis vient une de ces années qui ne s’oublient pas : tout le monde est sur le qui-vive ; il y a quelque chose en l’air, chacun le sait, personne ne peut dire ce que c’est. On rencontre des visages inconnus. Les propriétaires polonais se remuent : l’un achète un cheval, l’autre de la poudre. La nuit, on voit une rougeur dans le ciel ; les paysans forment des groupes devant les cabarets, et ils disent entre eux : — C’est la guerre, ou le choléra, ou bien la révolution. — On a le cœur gros ; on se souvient tout à coup qu’on a une patrie dont les bornes sont enfoncées dans la terre slave, dans la terre allemande et dans d’autres terres encore. Que préparent ces Polonais ? On s’inquiète pour l’aigle qui décore le bailliage, on s’inquiète pour sa grange. La nuit, on fait la visite autour de sa maison pour s’assurer qu’ils n’y ont pas mis le feu. On voudrait s’en ouvrir à quelqu’un, vider son cœur : on va chez sa femme, elle est occupée du petit, qui pleurniche parce que les mouches le tourmentent.

Je sors de la maison. Une lueur rouge s’est élevée à l’horizon ; un paysan passe à cheval, jette dans la cour ce cri : révolution ! et pique son bidet efflanqué. Dans le village, on sonne le tocsin. Un paysan cloue sa faux droite sur le manche, deux autres arrivent avec leurs fléaux sur l’épaule. Plusieurs entrent dans la cour. — Monsieur, prenons garde, les Polonais arrivent. — Je charge mes pistolets, je fais affiler mon sabre. — Ma femme, donne-moi un ruban pour le coudre à mon bonnet, un chiffon quelconque, pourvu qu’il soit jaune et noir. — Va-t’en, va-t’en, me répond-elle, tu sais bien que le petit pleure, on me le fait mourir ; cours au village, défends-leur de sonner, va-t’en ! — Ah ! pour le coup, je veux faire sonner le tocsin dans toutes les campagnes. Qu’il pleure, le poupard ! le pays est en danger. — Ah ! monsieur…

Enfin un jour, elle est donc assise près de moi sur le divan, j’ai passé mon bras autour de sa taille, je lui parle doucement. Elle écoute si l’enfant ne remue pas. — Qu’est-ce que tu as dit ? me demande-t-elle d’un ton distrait. — Oh ! rien. — Je vois que je perds ma peine, je m’en vais triste, découragé.

— Où est donc ta kazabaïka, ma petite Nicolaïa ?

— Est-ce que je vais m’habiller pour la maison ? L’enfant ne me reconnaîtrait plus ; tu devrais comprendre cela.

Oui, je comprends ; mais, lorsqu’il nous arrive du monde, l’enfant peut crier : elle y va un instant, puis revient verser le thé, et elle rit, et elle cause, je vois même reparaître la kazabaïka verte fourrée de petit-gris ; que ne fait-on pas pour être agréable à ses hôtes ?

Il y avait longtemps que je n’étais pas retourné dans la montagne. Mon garde-forêt avait vu un ours, — pardon, j’allais encore vous raconter une histoire de chasse. Bien ! nous avions donc couru quelque danger, le garde et moi. Un paysan nous avait précédés ; je trouvai la maison en émoi. Ma femme se jette à mon cou ; elle m’apporte mon fils. Le sang me coule par la figure, l’enfant a peur. — Oh ! va-t’en ! me dit-elle. — Il haussa les épaules d’un air de mépris. — Ce n’était pas grand’chose sans doute, quelques gouttes de sang ; d’ailleurs le danger était passé. Bon ! je me lave le front ; le garde, un ancien militaire, me panse. Alors c’est le mouchoir blanc qui fait peur au petit ; on me chasse encore. — Enfin que vous dirai-je ? On se jette sur son lit, seul, toujours seul, comme autrefois ! Au diable le gage d’amour ! Que Dieu me pardonne le péché ! — Il se signa, cracha avec colère, et voulut continuer.

— Permettez, fis-je, vous n’avez donc pas dit à votre femme ?…

— Pardon, m’interrompit-il d’un ton presque violent ; ses narines frémissaient. — Je l’ai fait ; savez-vous ce qu’elle m’a répondu ? « Alors à quoi bon avoir des enfants ? » Elle aurait été capable de tout. On devient l’esclave d’une telle femme. On ne sait quel parti prendre ; on hésite. Lui être infidèle ? Non. Alors vivre en moine ? Quelle existence !… Vous est-il arrivé qu’une horloge s’est arrêtée tout à coup ? Oui ; mais vous êtes impatient ?

— Quelquefois.

— Bon ! Vous êtes donc impatient. Il faut qu’elle marche, là, tout de suite. Vous poussez le balancier ; elle marche. Combien de temps ? La voilà qui s’arrête de nouveau. — Encore, et encore ! — Elle s’arrête une fois de plus ; vous vous emportez, vous la maltraitez ; elle ne marche plus du tout. — C’est par là qu’on passe lorsqu’on veut avoir raison de son cœur. On finit par y renoncer.

D’abord, comprenez-moi bien, je ne voulais que me distraire. Un régiment de hussards était en garnison dans le voisinage ; je me liais avec les officiers. Voilà des hommes ! Ce Banay par exemple ; le connaissez-vous ?

— Non.

— Ou bien le baron Pàl ? Pas davantage ? Mais vous avez connu Nemethy, celui qui portait la moustache en pointe ? Ils venaient chez moi presque tous les jours. On fumait, buvait du thé ; à la fin, on jouait aussi. J’allais souvent chasser avec eux. Ma femme s’en aperçut à la fin ; elle devint taciturne, puis me fit des reproches. — Ma chère, lui dis-je, quel agrément ai-je donc ici ? — Le lendemain, Nicolaïa arrive dans ses grands atours, s’assoit au milieu des hussards, fait l’aimable, plaisante, prend des poses ; pour moi, pas un regard. Je ris dans ma barbe. Mes hussards, d’abord c’étaient d’honnêtes garçons qui n’avaient pas l’air de s’apercevoir de rien ; ensuite aucun d’eux ne se souciait de risquer sa vie, — pourquoi ? — ou d’être estropié. Tant que le cœur ne se met pas de la partie !… Cependant ils me taquinaient. — Qu’en dis-tu, frère ? Ta femme se laisse faire la cour de la belle façon. — Faites-lui la cour, ne vous gênez pas ! — Avais-je raison ?

Mais il en vint un autre, — vous ne le connaissez pas sans doute : un homme insupportable, un blond, au visage blanc et rose. C’était un propriétaire. Il se faisait friser tous les jours par son valet de chambre ; il récitait l’Igor et les vers de Pouschkine avec les gestes obligés, comme un vrai comédien. Celui-là plut à ma femme. — Sa voix était devenue rauque : plus il s’échauffait, et plus il baissait le ton ; les paroles sortaient péniblement, s’arrachaient de la poitrine. — Attendez. On menait donc une vie joyeuse. L’hiver, les voisins arrivaient avec leurs femmes : des bals, des mascarades, des promenades en traîneaux ! Ma femme s’amusait. Dans l’été, elle eut un second enfant, un garçon, comme le premier. Il y eut entre nous comme un rapprochement. Un jour, assis près de son lit, je lui dis : — Je t’en supplie, prends une nourrice ! — Elle secoue la tête. Les larmes me viennent, et je sors.

Une année durant, elle fut donc encore absorbée par son fils. Nous causions rarement ; elle commençait à bâiller quand je lui parlais de mes affaires, puis des querelles à propos de tout, et devant les étrangers. J’avais toujours tort, les autres toujours raison. — Il cracha. — Une fois je la prie en grâce de ne pas me faire cette chose ; le lendemain, elle ne desserre pas les dents, et lorsqu’on lui demande son opinion : — Je suis de l’avis de mon mari, — dit-elle d’un air pincé. Méchanceté tatare ! elle se faisait violence pour être de mon avis ! Et je vis encore !

Un jour, je perdis une forte somme. On jouait gros jeu, et le guignon me poursuivait. Je perdis tout ce que j’avais sur moi, les chevaux, la voiture. — Il ne put s’empêcher de rire. — Alors je pris une grande résolution, je me rangeai. Les voisins cessèrent de nous voir ; lui seul vint. Je n’en prenais pas ombrage. Mon exploitation m’absorbait ; je n’étais pas sans avoir quelques succès ; je trouvais du plaisir à voir pousser en quelque sorte sous ma main ce que je venais de semer moi-même. Au reste l’agriculture est aussi un jeu ; ne faut-il pas préparer son plan, le modifier à chaque instant selon les circonstances, et compter avec le hasard ? N’a-t-on pas les orages, la grêle, les froids et les sécheresses, les maladies, les sauterelles ?… Quand je rentre pour prendre le thé, que j’ai bourré ma pipe, je me rappelle que le cheval a besoin d’être ferré, ou qu’il serait bon d’aller dans le verger voir qui a été le plus fort de mon garde ou de mon eau-de-vie. Je prends ma casquette et m’en vais, sans penser à ma femme, qui reste avec les enfants.

On en parle chez les voisins : c’est encore un mariage comme les autres ; même le révérend M. Maziek arrive un jour, tout plein d’onction. Son visage, ses cheveux, tout était onctueux, jusqu’à son collet, à ses bottes, à ses coudes. Il resplendissait, levait sur moi son jonc comme une houlette, et me sermonnait. — Mais, mon révérend, si nous ne nous aimons plus ? — Ho ! ho ! purgatoire ! s’écrie-t-il en riant à gorge déployée, et le mariage chrétien ? — Mais, mon révérend, notre bienfaiteur, est-ce une vie, cela ? — Ho ! ho ! purgatoire ! non, ce n’est pas ainsi qu’on doit vivre. À quoi servirait donc l’église ? Savez-vous, pauvre ami égaré, ce que c’est que la religion ? Ayez comme cela des rapports avec une fille sans l’aimer autrement, entretenez-la, chacun la méprise, et on vous appelle libertin ; dans le mariage, c’est différent. De quoi vous parle l’épouse chrétienne ? D’amour ? Non, purgatoire ! de son douaire et de vos devoirs. Ai-je raison ? Qui pense à l’amour ? Nourris ta femme, habille-la, c’est ton écot. Voilà le mariage chrétien. Purgatoire ! je m’entends… Un enfant de l’amour, c’est une honte ; ici au contraire, si on a des enfants, qu’est-ce que cela fait qu’on se déteste ? c’est la bénédiction du ciel. Est-ce l’amour qui fait le mariage, je vous prie, ou est-ce la consécration par le prêtre ? Si c’était l’amour, on se passerait bien du prêtre. Ergo ! je m’entends. — Ainsi parla notre curé.

Dès lors, je me sens de plus en plus seul à la maison. Je reste maintenant dehors quand on coupe les blés ; je m’assois sous les gerbes amoncelées comme sous une tente, fumant ma pipe, écoutant chanter les moissonneurs. Lorsqu’on abat du bois, je vais dans la forêt, j’y tire un écureuil. Je ne manque pas un seul marché dans tout le district : on me voit souvent à Lemberg, surtout à l’époque des contrats[10] ; je m’absente des semaines entières. Peu à peu, tacitement, ma femme et moi, nous avons accepté les conditions du… mariage chrétien.

Mon voisin voyait les choses autrement ; il pensait qu’on peut se mettre en frais tous les jours. En effet, il ne se lassait pas de tenir compagnie à ma femme, surtout les jours où j’étais dehors. Il était désolé de ne pas me trouver, — putois, va ! — puis s’installait, et récitait du Pouschkine. Il la plaignait, parlait des maris en général, hochait la tête et reniflait avec compassion ; un jour il me fit une scène parce que, disait-il, je négligeais ma femme, une femme de tête et un cœur d’or ! — C’est facile à dire, mon ami ; tu ne la vois qu’en humeur de fête. — Il lui lit donc des livres ; bientôt elle ne fait plus que soupirer lorsqu’il est question de moi. Et au fond, qu’y a-t-il eu entre nous ? — « Nous ne nous comprenons pas, » dit-elle. — C’était pris textuellement dans un livre allemand, textuellement, monsieur…

Une fois donc je reviens tard de Dobromil, d’une licitation. Je trouve ma femme assise sur le divan, un pied relevé, le genou dans les mains, absorbée dans ses réflexions. Mon ami s’y trouvait aussi ; elle avait sa pelisse de petit-gris, et alors il n’est jamais loin. Je ne me fâche pas : elle me plaît ainsi ; je lui baise la main, je lisse la fourrure. Tout à coup elle me regarde d’un regard étrange ; je n’y comprends rien. — Cela ne peut pas durer, dit-elle d’une voix tout enrouée, avec effort. — Mais qu’as-tu donc ? — Tu ne viens plus ici que la nuit, s’écrie-t-elle. À une maîtresse, on fait la cour au moins. Et moi, moi, je veux être aimée ! — Eh bien ! je ne t’aime donc pas ? — Non ! — Elle sort, monte à cheval, disparaît. Je la cherche toute la nuit, toute la journée. Comme je rentre le soir, elle a fait faire son lit dans la chambre des enfants.

J’aurais dû me montrer alors, c’est vrai ; j’étais trop fier, je croyais que les choses s’arrangeraient, — et puis nos femmes ! on n’en fait pas ce qu’on veut. Il y avait là au bailliage un greffier allemand ; sa femme recevait des lettres d’un capitaine de cavalerie. — Qu’as-tu donc là, ma chère ? — Il prend la lettre, et il n’a pas achevé de lire qu’il commence à la battre ; il l’a si bien battue qu’elle lui a rendu son affection. Voilà un mariage heureux ; mais moi ! j’ai manqué le bon moment. Maintenant c’est tout un.

On ne se disait plus que bonjour, bonne nuit, c’était tout. Je recommençais de chasser ; je passais des jours entiers dans la forêt. J’avais alors un garde-chasse qui s’appelait Irena Wolk, un homme bizarre. Il aimait tout ce qui vit, tremblait lorsqu’il découvrait un animal, et ne l’en tuait pas moins ; ensuite il le tenait dans sa main, le contemplait, et disait d’une voix lamentable : — Il est bien heureux, celui-là, bien heureux ! — La vie à ses yeux était un mal. Drôle d’homme ! Je vous en parlerai une autre fois. Je mettais donc dans ma torba[11] un morceau de pain, du fromage, et de l’eau-de-vie dans ma gourde, et je partais. Parfois nous nous couchions sur la lisière de la forêt ; Irena allait fouiller dans un champ, rapportait une brassée de pommes de terre, allumait un grand feu et les faisait cuire dans la cendre. On mange ce qu’on a. Lorsqu’on rôde ainsi dans la forêt noire, silencieuse, où l’on rencontre le loup et l’ours, où l’on voit nicher l’aigle, — que l’on respire cet air pesant, froid, humide, chargé d’âpres senteurs, — qu’on a pour s’attabler une souche d’arbre, pour dormir une caverne, pour se baigner un lac aux eaux sombres et sans fond, qui ne se ride jamais et dont la surface lisse et noire boit les rayons du soleil comme la lumière de la lune, — alors il n’y a plus de sentiments, on n’éprouve que des besoins : on mange par faim, on aime par instinct.

Le soleil se couche ; Irena s’est mis en quête de champignons. Une paysanne est assise sur le sol ; sa jupe bleue fanée ne cache pas ses petits pieds couverts de poussière. La chemise a glissé à moitié de ses épaules ; retenue par la ceinture, elle entr’ouvre ses plis. Tout à l’entour, l’air est parfumé des émanations du thym. Accoudée sur ses genoux, elle appuie la tête dans ses deux mains. Un lampyre s’est posé sur ses cheveux noirs, qui s’échappent de dessous son foulard couleur de feu et lui retombent sur le dos. Son profil se découpe en noir sur le fond rouge du ciel ; le nez est finement arqué ainsi que le bec d’un oiseau de proie, et, quand je l’appelle, elle pousse un cri comme celui du vautour des montagnes, et ses yeux dardent sur moi un regard aigu, qui passe comme la lueur fugitive d’une flamme de naphte. Son cri résonne, les parois du rocher le répercutent, puis la forêt à son tour, puis encore la montagne au loin. Cette femme m’avait presque effrayé.

Elle se penche, arrache du thym, ramène le foulard rouge sur son visage plus rouge encore.

— Qu’as-tu donc ? lui dis-je.

Pour toute réponse, elle entonne lentement une douma[12] mélancolique comme des larmes.

— Tu as de la peine ? Dis ?

Elle se tait.

— Eh bien ?

Elle me regarde en face, se met à rire, et ses longs cils retombent commue un voile sur ses yeux.

— Alors de quoi rêves-tu ?

— D’une fourrure de mouton, me répond-elle tout bas.

Je ris à mon tour. — Attends, je t’en apporterai une de la foire, — elle se cache la figure dans ses mains ; — mais le mouton neuf ne sent pas bon. Veux-tu que je te donne une soukmana[13] garnie de lapin noir ou plutôt de lapin blanc, blanc comme le lait ?

Elle me regarda d’un petit air à la fois étonné et narquois, fronça légèrement les sourcils, et ses lèvres frémirent sur ses dents blanches ; puis des coins de la bouche le rire gagna les joues, et finalement éclata sur tout le visage de la petite friponne.

— Eh bien ! pourquoi ris-tu maintenant ?

— Ce n’est rien.

— Alors veux-tu d’une soukmana doublée de lapin, de lapin blanc ? Qu’en dis-tu ?

Elle se lève subitement, rabat sa jupe, ramène sa chemise.

— Non, dit-elle. Si vous m’en donnez une, ce sera avec du petit-gris.

— Du petit-gris ? Comment ?

— Mais oui, comme le portent les belles dames…

Je la contemplai. Ce visage-là resplendissait d’égoïsme, d’un égoïsme naïf comme l’innocence. Elle embrassait les désirs de son âme sans penser à rien, comme elle baisait les pieds d’un saint. D’idées, de principe, point ; la morale du faucon et les lois de la forêt ! Elle était chrétienne à peu près comme un jeune chat qui par aventure fait une croix sur son nez avec sa patte.

Elle eut sa soukmana, que je lui rapportai de Lemberg, et, — vous allez vous moquer de moi, — je m’épris d’une belle passion pour cette femme. Ce fut un vrai roman. Au premier coup de fusil, elle accourait. Je peignais ses longs cheveux avec mes doigts, je lavais ses pieds dans le torrent, et elle me jetait l’eau à la figure. C’était une créature étrange. Sa coquetterie avait une nuance de cruauté ; elle me tourmentait dans son humilité profonde comme jamais orgueil de grande dame ne m’a tourmenté depuis. — Mais ayez donc pitié de moi, mon bon seigneur, que voulez-vous que je fasse de vous ? — Elle savait qu’elle faisait de moi tout ce qu’elle voulait…

IV

Mon boyard fit une pause ; nous nous tûmes tous les deux pendant quelque temps. Les paysans, ainsi que le chantre, étaient partis. Le Juif avait mis son fronteau et s’était assoupi dans un coin ; il nasillait en rêve quelque prière, et s’accompagnait d’un hochement de tête régulier. Sa femme était assise devant le buffet, la tête dans ses mains ; elle avait glissé ses doigts minces entre ses dents, ses paupières somnolentes étaient à demi fermées, mais son regard restait obstinément attaché sur l’étranger.

Celui-ci déposa sa pipe et respira profondément. — Faut-il que je vous raconte la scène que j’eus avec ma femme ? Vous m’en dispensez. Elle fut languissante pendant quelque temps ; je restais à la maison, je lisais. Une fois elle traverse la chambre, me dit à mi-voix : bonne nuit ! Je me lève, elle a disparu, je l’entends fermer sa porte. C’était fini encore une fois.

À cette époque, j’avais un procès avec la propriétaire du domaine d’Osnovian. Avant d’atteler la justice et de remettre les rênes à l’avocat, me dis-je, tu feras mieux d’atteler tes deux chevaux et d’y aller de ta personne. Qu’est-ce que je trouve ? Une femme séparée, qui s’est retirée dans ses terres parce qu’elle a le monde en horreur, une philosophe moderne. Elle s’appelait elle-même Satana, et c’était un amour de petit démon, des yeux comme des feux follets. Je perdis naturellement mon procès, mais j’y gagnai ses bonnes grâces.

Malgré tout, je n’avais pas cessé d’aimer ma femme. Souvent, dans les bras d’une autre, je fermais les yeux et me persuadais que c’étaient ses longs cheveux humides et sa lèvre ardente, enfiévrée.

Nicolaïa, pendant ce temps, délirait entre sa haine et son amour. Son cœur était comme ces fleurs qui ne s’épanouissent qu’à l’ombre, il débordait maintenant de tendresse sauvage. Elle trouvait mille moyens de se trahir en voulant trop se cacher. Un jour, elle pose sur mon bureau une lettre que venait d’apporter pour moi le cosaque de ma belle, et elle rit tout haut, mais le rire s’arrête dans sa gorge ; c’était triste à voir. Trop d’amour m’avait éloigné d’elle, et elle maintenant avait soif de vengeance parce que son amour était dédaigné. Elle ne marchait qu’avec une précipitation nerveuse, criait en rêve, s’emportait à tout propos contre les domestiques et les enfants.

Puis tout d’un coup elle parut changée ; on eût dit qu’elle se résignait. Son regard, lorsqu’il se posait sur moi, avait quelque chose d’étrangement saturé, et pourtant à ses éclats de rire se mêlait comme une note douloureuse.

— C’est dommage, me dit un jour mon garde-chasse, monsieur ne va plus du tout à la forêt. J’ai découvert un renard pas bien loin d’ici, et des bécasses, — il faut vous dire que c’était ma chasse préférée, — puis elle est là, qui vous attend près de la pierre. N’aurez-vous point pitié de la pauvre femme ?

Je prends mon fusil et je l’accompagne jusqu’à la dernière clôture du village. Là, une terreur incompréhensible s’empare de moi ; je plante là le garde-chasse, et je rentre à la maison presque en courant. Je suis tout honteux, mais je marche sur la pointe des pieds, j’écoute, — il écarta à plusieurs reprises les cheveux de son front, — comment vous dire ? J’ouvre brusquement, et je vois ma femme… — Je vous dérange ? dis-je, et je referme la porte.

Qu’aurais-je fait ? Nous ne sommes pas les maîtres. L’Allemand, lui, considère la femme comme sa vassale, mais nous autres, nous traitons avec elle de puissance à puissance. Ici le mari n’a aucun privilège ; il n’y a qu’un droit pour l’homme et pour la femme. Si tu fais la cour aux filles, tu souffriras que ta femme se laisse conter fleurette par le premier venu. Tant pis pour toi.

Je me retirai donc, et j’arpentai l’antichambre. Le sentiment était éteint en moi ; c’était comme une paralysie morale. Je me répétais toujours : N’as-tu pas fait la même chose ? tu n’as aucun droit, aucun droit.

Enfin il sortit. Je lui dis : — Mon ami, je n’ai pas voulu vous déranger ; mais ne sais-tu pas que ceci est ma maison ?

Il tremblait, sa voix tremblait aussi. — Fais de moi ce que tu voudras, me répondit-il.

— Qu’est-ce que tu veux que je fasse de toi ? Mais as-tu quelque notion de l’honneur ? Il nous faudra échanger une couple de balles.

Je l’éclairai encore jusqu’au bas de l’escalier, puis je montai à cheval, et je courus chez Léon Bodoschkan pour le prier de me servir de témoin. Il m’écouta en souriant tristement. — Au fond, c’est une sottise, me dit-il ; mais sois tranquille, avant demain matin tout sera réglé. Fais-moi seulement l’amitié de lire ces feuillets cette nuit. — Il me donna ces papiers que je vous ai montrés, et qui ne m’ont plus quitté depuis. Un homme étrange !

Je me mis donc à les lire ; je n’en avais pas besoin. Je venais de provoquer l’amant de ma femme, c’était pour la forme. Je savais très bien que j’étais dans mon tort ; mais l’honneur !… vous comprenez. J’étais sûr qu’il me manquerait : à quinze pas, il ne distinguait pas un moineau d’une meule de foin ; moi, je tire bien. Je pouvais donc me venger, le tuer, personne n’aurait eu un mot à dire ; je ne m’en reconnaissais pas le droit, et je tirai en l’air. J’étais aussi coupable à mes yeux que lui ou elle.

Je songeais d’abord à me séparer de ma femme ; mais il y avait les enfants. C’est là ce qui nous rive ensemble par couples pour l’éternité et nous pousse dans l’ouragan, comme les damnés de l’Enfer du Dante… Avez-vous remarqué, monsieur, comment, par le moyen de l’amour, nous sommes les éternelles dupes de la nature ? En principe, l’homme et la femme sont créés pour être ennemis, — vous comprenez ce que je veux dire, — et la nature, elle, ne songe uniquement qu’à la propagation de l’espèce ; nous, dans notre vanité crédule, nous nous persuadons qu’elle a en vue notre bonheur, — bernique ! Dès que l’enfant est là, presque toujours il n’y a plus ni bonheur ni amour, et on se regarde comme deux marchands qui ont fait une mauvaise affaire ; tous les deux sont volés, et aucun n’a trompé l’autre. Et l’on s’obstine à croire qu’il s’agit d’être heureux, et on se fait des reproches, au lieu d’accuser la nature, qui, à côté de l’amour, sentiment passager, a placé un sentiment tenace, l’affection pour les enfants.

Nous ne nous quittâmes donc pas. Il ne vint plus à la maison ; mais ils continuèrent de se voir chez une amie : on trouve de ces bonnes âmes serviables. Moi, je me remis à tirer mes bécasses. Je commençai alors à envisager les femmes comme un gibier dont la chasse est à la fois plus difficile et plus productive. — Vous savez comment l’on tire la bécasse ? Non ? Eh bien ! il faut d’abord connaître son vol. Elle s’élève, fait trois crochets en zigzag comme un follet, puis file tout droit. C’est le bon moment : j’épaule, je vise, et j’ai ma bécasse. Ainsi les femmes ; si on se hâte trop, c’est fini ; mais une fois qu’on sait prendre son temps, on peut les avoir toutes.

À la maison, j’avais la paix. Les enfants marchaient déjà, et, croyez-vous ! maintenant je les aimais. Je les aimais parce que Nicolaïa les aimait. Souvent je me figurais que notre amour s’était incarné en eux : il courait là devant moi, gambadait, riait ; c’était comme un rêve. Puis je veux qu’ils m’aiment plus que leur mère, qu’ils n’aiment que moi. Je les fais sauter sur mes genoux près du feu, leur apprends des contes de fées, leur chante les refrains des rues, leur raconte des histoires de chasseur.

C’était vraiment singulier. Je ne vous ai pas dit qu’il était venu un troisième enfant, une fille, le portrait vivant de sa mère. On dit ordinairement que les filles tiennent du père, les fils de la mère ; eh bien ! ce n’est pas ce que j’ai observé. L’aîné, c’est le grand-père ; le cadet, je ne sais qu’en faire : ma femme l’aura pris dans un roman. Ni l’un ni l’autre n’a rien de la mère ; c’est sa fille qui lui ressemble. Peut-être qu’alors elle ne songeait qu’à elle-même, à sa vengeance… Donc la petite s’attache à moi avec une tendresse, — elle savait pourtant que je la détestais. Quand je racontais une histoire, elle s’approchait timidement, se mettait sur un petit banc dans le coin obscur, écoutait, et on ne voyait que ses yeux qui brillaient. Parfois je la rudoyais, et elle tremblait. Quand je partais, elle me suivait du regard, immobile ; quand j’arrivais, elle courait au-devant de moi, puis s’effrayait de ce qu’elle avait osé. Un jour mon aîné dit : — L’ours finira par dévorer le père ; — la petite bondit, elle avait les yeux pleins de larmes. Je m’imaginais alors que c’était ma femme qui venait à moi, qui me demandait pardon et qui pleurait. — Une fois j’appelai la petite, elle devint pourpre et s’enfuit. Peu à peu cependant nous devînmes une paire d’amis.

Mes garçons ne tenaient guère de moi. — Voudrais-tu tirer le renard ? — Oui, papa, si le fusil ne faisait pas tant de tapage. — Ou bien, à propos d’une rencontre avec l’ours : — Il venait droit à moi ; que penses-tu que j’ai fait alors ? — Tu as couru tant que tu as pu ? — La petite, elle, en riait. Quelquefois elle se drapait dans une peau de loup et faisait peur aux deux garçons, qui se cachaient derrière les jupes de leur mère. — Vous ne connaissez donc pas votre sœur ? — Maman, répondaient les gamins, elle est alors un loup pour de vrai ; ses yeux étincellent, et elle hurle que c’est un plaisir.

Les jours où je m’absentais, l’enfant errait dans la maison comme une âme en peine. — Pourvu que papa ne verse pas. — Pourquoi donc verserait-il ? — Oh ! je connais les deux noirs, ce sont des bêtes fongueuses. Ou s’il rencontrait un ours… — Papa le visera au milieu de la poitrine, là où est la tache blanche, dit mon fils d’un air compétent. — Et s’il le manque ? — Il ne le manquera pas.

Comme elle grandit, elle veut m’accompagner, se roule par terre en pleurant ; je finis par l’emmener. J’avais le petit fusil dont s’était servie ma femme. Je lui achète une gibecière, et elle part avec moi. La gamine était courageuse comme un homme, que dis-je ? comme pas un homme ! Comment vous expliquer cela ? Lorsque j’entendais craquer les branches : — S’il allait nous arriver quelque chose ? disais-je. — Elle ne faisait qu’en rire : — Puisque je suis avec toi ! — Ce n’est qu’à moi qu’elle songeait.

À la maison, elle avait la fièvre ; en face du loup, elle était calme comme devant une poule. Et comme nous nous comprenions ! Je n’avais pour ainsi dire pas besoin de parler ; elle avait étudié mes yeux, chaque trait de mon visage, chacun de mes mouvements. Néanmoins nous aimions à causer. Quand le gibier était à terre et qu’Irena s’agenouillait pour le vider, nous restions assis côte à côte, et le monde était comme un livre à images que je feuilletais sous les yeux de l’enfant…, de son enfant. Je l’aimais vraiment, et ma femme, elle, l’adorait, — l’adorait d’autant plus que la petite s’attachait davantage à moi. Lorsque je l’emmenais, ma femme se mettait à genoux, l’embrassait, et lui disait tout bas : — Reste avec moi ; — mais l’enfant secouait la tête. Je riais, et quand j’étais déjà loin de la maison, en pleine forêt, ce souvenir m’égayait : j’étais content d’avoir la petite près de moi et de penser que sa mère se morfondait à la maison.

Si ma femme lui donnait une couture à faire, elle s’y mettait pour la forme, puis tout à coup jetait son ouvrage et courait fourbir mon fusil. Ou bien ma femme la charge d’une commission ; elle me regarde et ne bouge pas. Un jour, Nicolaïa s’emporte : — Il n’est pas ton père !

— Alors tu n’es point ma mère, dit l’enfant tranquillement.

Elle pâlit ; depuis, elle se tut et ne fit que pleurer parfois… Quelle sottise, pleurer ! La vie est si gaie !

Il vida d’un trait son dernier verre de tokaï. — Si gaie ! Vous rappelez-vous les vers de… de qui donc ? du grand Karamsine. Il est vrai que c’est un Grand-Russien, mais cela n’y fait rien, je maintiens l’épithète, — il passa la main dans ses cheveux ; — j’y suis.

« Voici le fond de la sagesse — que la vie m’a enseignée : — L’amour est mortel, — rien ne peut l’empêcher de mourir.

» Sois fidèle, elles riront de toi ; — elles varient comme la mode. — Change, et c’est l’envie — que tu déchaîneras.

» Évite le piège de l’hymen ; — ne te flatte pas d’avoir une femme à toi. — Aime-les et trompe-les toutes, — pour n’être point trompé. »

C’est bien cela… il faut tromper pour n’être point trompé…

Je pourrais maintenant vous raconter mes exploits amoureux. Toutes les femmes sont à moi : paysannes, juives, bourgeoises, grandes dames, toutes ! la blonde et la brune, la rouge aussi… Des aventures tous les jours ! Tenez, en ce moment, j’ai une jeune femme mariée, — un vrai démon, monsieur !… J’ai la tête un peu lourde… Puis encore une autre, la veuve d’un brigand ; elle ne sait pas lire, mais elle sait aimer… Dix femmes à la fois ! pourtant le cœur n’est jamais pris. — Il se mit à rire d’un rire aimable en montrant ses magnifiques dents blanches comme l’ivoire. — À quoi bon d’ailleurs le cœur ? Il faut que l’homme ait un cœur pour ses enfants, pour ses amis, pour la patrie, mais pour une femme ? Ah ! ah ! aucune ne m’a plus trompé depuis que je les trompe toutes. Drôle de comédie ! Comme on vous adore quand vous les faites pleurer !

— Et sur quel pied êtes-vous à présent avec votre femme ? lui demandai-je après un long silence.

— Nous sommes polis l’un pour l’autre… Parfois, lorsqu’il m’arrive de me souvenir…, alors… alors j’ai la migraine ; … mais à cette heure nous sommes gais, gais ! houssah !

Il lança la bouteille contre le mur ; le Juif se réveilla en sursaut et tira son fronteau, qui lui glissa sur le nez.

— Ah ! maintenant je suis bien. — Il déboutonna son vêtement. — Toujours gai ! voilà la vie… voilà le bonheur.

Il se leva, vint au milieu de la salle, les bras coquettement appuyés sur les hanches, et se mit à danser la cosaque en se chantant à lui-même un de ces airs bizarres, pleins d’une fougue enfantine et d’une sauvage mélancolie. Tantôt il était presque assis par terre et lançait les pieds comme on jette une chose qui vous gêne, tantôt je le voyais bondir et tourner sur lui-même dans l’air. Enfin il s’arrêta, les bras croisés sur la poitrine, et branla tristement la tête ; puis il la prit dans ses deux mains comme pour l’arracher, et cria comme l’aigle lorsqu’il s’élance vers le soleil.

À ce moment, la porte s’ouvrit, et je vis entrer un vieillard vénérable, vêtu d’un sierak[14] brun, avec de longs cheveux blancs, une moustache pendante et des yeux madrés. C’était Siméon Ostrov, le juge. Un sourire mélancolique glissa sur sa face terreuse lorsqu’il nous aperçut.

— Il y a longtemps que vous êtes là, messieurs ? dit-il. Ce n’est point de ma faute, je vous assure.

— Alors nous sommes libres de partir ? demanda le boyard.

— Certainement, répondit Siméon le juge.

— Il est vrai que c’est trop tard maintenant, reprit l’autre : je veux dire pour moi ; mais vous, dit-il en se tournant vers moi, vous en profiterez ? Que Dieu vous conduise. Bonne santé !

La Juive s’était approchée ; il la regarda en souriant, lui prit le menton ; elle devint cramoisie. Il fit mine de sortir, revint, et, me serrant la main :

— Eh quoi ! s’écria-t-il, l’eau rejoint l’eau, et l’homme retrouve l’homme[15].

J’étais debout sur le seuil pour le voir partir ; il salua encore une fois de la main, puis la voiture disparut. Je me retournai vers le Juif. — Aïe, c’est un homme jovial, gémit ce dernier, un homme bien dangereux ! On l’appelle Don Juan de Kolomea.


  1. Kolomea, ville d’environ 10 000 âmes, est le chef-lieu d’un cercle de la Galicie ; elle est bâtie sur l’emplacement d’une ancienne colonie romaine, d’où lui vient probablement son nom. On sait que la partie orientale de la Galicie est peuplée par 3 millions de Petits-Russiens, qui appartiennent à l’Église grecque unie. À côté de la commune (gromada), qui se gouverne elle-même, on y trouve une autre institution démocratique, la garde rurale, formée par les paysans armés, qui fut en 1846 officiellement reconnue par le gouvernement autrichien et investie de prérogatives analogues à celles de la gendarmerie. La haine invétérée des Petits-Russiens pour les Polonais a toujours permis, en temps de révolution, de confier à la garde rurale la surveillance des campagnes. Il en fut ainsi en 1863, époque où se passe cette histoire.
  2. Ce sont les couleurs autrichiennes : noir et jaune, — bon Autrichien.
  3. Moïse, sobriquet des Juifs.
  4. Padam do nog, je tombe à vos pieds — salut polonais et petit-russien.
  5. Les Polonais disent : Jak długo świat światem, Polak ni byl i nie bedzie Rusinowi bratem (tant que le monde est le monde, le Polonais n’a été et ne sera jamais le frère du Russe). À leur tour, les Petits-Russiens disent : Tcho Lakh, to vrakh (un Polonais, c’est dire, un ennemi).
  6. En Galicie, les jours de Pâques, dans chaque maison, une table ouverte est dressée pour les parents et les amis ; elle est chargée de mets nationaux et autres qu’on a fait préalablement bénir à l’église.
  7. Toute maison seigneuriale a son agent israélite, son factotum ou juif familier, c’est le « facteur ».
  8. Ancien titre polonais qui est resté au bailli du cercle autrichien.
  9. Chanson des enfants en Galicie.
  10. Époque où les propriétaires galiciens se donnent rendez-vous dans la capitale et dans les chefs-lieux de cercle pour vendre leurs produits, généralement sur pied, aux marchands, qui sont des Juifs pour la plupart.
  11. Espèce de havre-sac.
  12. Forme particulière de la poésie populaire des Petits-Russiens, d’un caractère élégiaque.
  13. Espèce de casaque longue et étroite que portent les femmes du pays.
  14. Espèce de long caban de bure à capuchon que portent les paysans.
  15. Dicton petit-russien : voda s vodolu sidiatia a tcholovik s tcholovikom.