Traduction par Traduction d’Albin de Kazimirski Biberstein.
Librairie Charpentier (p. 182-192).

CHAPITRE XII.

JOSEPH


Donné à La Mecque. — 111 versets.


Au nom du Dieu clément et miséricordieux


  1. Elif. Lam. Ra.[1]. Voici les signes du Livre évident.
  2. Nous l’avons fait descendre du ciel en langue arabe, afin que vous le compreniez.
  3. Nous allons te raconter, ô Mohammed, la plus belle des histoires révélées dans ce Koran, une histoire dont tu ne t’es point douté jusqu’ici.
  4. Un jour JOSEPH dit : Ô mon père ! J’ai vu onze étoiles et le soleil et la lune qui m’adoraient.
  5. - Ô mon enfant ! lui répondit Jacob, garde-toi bien de raconter ton songe à tes frères, de peur qu’ils s’imaginent contre toi quelque artifice ; car Satan est l’ennemi déclaré de l’homme.
  6. C’est ainsi[2] que Dieu te prendra pour son élu et t’enseignera l’interprétation des événements ; il te comblera de ses bienfaits, toi et la famille de Jacob, comme il en a comblé tes aïeux d’autrefois, Abraham et Isaac. Ton seigneur est instruit et sage.
  7. En vérité, il y a, dans l’histoire de Joseph et de ses frères, des signes instructifs pour ceux qui questionnent[3].
  8. Un jour, ses frères se disaient l’un à l’autre : Joseph et son frère Benjamin sont plus chers à notre père, et pourtant nous sommes plus nombreux. En vérité, notre père est dans une erreur manifeste.
  9. Tuez Joseph, ou bien éloignez-le quelque part ; les regards de votre père seront exclusivement pour vous. Ensuite vous vous conduirez en hommes de bien.
  10. L’un d’entre eux dit alors : ne mettez pas à mort Joseph, jetez-le plutôt au fond d’un puits ; quelque voyageur surviendra et le recueillera ; si toutefois vous voulez faire quelque chose.
  11. Un Jour les frères de Joseph dirent à Jacob : O notre père pourquoi ne veux-tu pas nous confier Joseph ? Nous lui voulons cependant du bien.
  12. Laisse-le partir demain avec nous ; il mangera des fruits et il jouera[4] ; nous serons ses gardiens.
  13. — J’éprouverai du chagrin, dit Jacob, si vous l’emmenez ; je crains qu’un loup ne le dévore pendant que vous n’y ferez pas attention.
  14. Si un loup doit le dévorer, nous qui sommes plusieurs, nous serions bien malheureux de ne pouvoir le défendre.
  15. Puis ils emmenèrent Joseph avec eux, et d’un commun accord ils le jetèrent au fond d’un puits. Nous fîmes alors cette révélation à Joseph : Tu leur rediras un jour ce qu’ils ont fait, et ils ne le comprendront pas[5].
  16. Le soir ils se présentèrent devant leur père en pleurant.
  17. O notre père ! dirent-ils, nous nous sommes éloignés pour courir à qui mieux mieux, et nous avons laissé Joseph auprès de nos hardes, et voilà qu’un loup l’a dévoré ; Mais tu ne nous croiras pas, quoique nous disions vrai.
  18. Puis ils lui montrèrent sa chemise teinte de quelque autre sang[6]. Jacob leur dit : C’est vous-mêmes qui avez arrange tout cela, mais la patience vaut mieux. J’implore le secours de Dieu dans le malheur que vous venez de m’apprendre.
  19. Il arriva que des voyageurs vinrent à passer par là ; ils envoyèrent un homme chargé de leur apporter de l’eau. Celui-ci laissa descendre son seau dans le puits, et s’écria : Quelle heureuse rencontre ! c’est un jeune homme. Ils le cachèrent pour en faire marchandise ; mais Dieu connaissait leurs actions.
  20. Ils le vendirent pour un vil prix[7] pour quelques drachmes d’argent, et comme tenant peu à le garder.
  21. Celui qui l’acheta (ce fut un Égyptien) dit à sa femme[8] : Donne-lui une hospitalité généreuse ; il peut nous être utile un jour, ou bien nous l’adopterons pour notre fils. C’est ainsi que nous avons établi Joseph dans ce pays-là ; nous lui apprîmes l’interprétation des événements. Dieu est puissant dans ses œuvres ; mais la plupart des hommes ne le savent pas.
  22. Lorsque Joseph parvint à l’âge de puberté, nous lui donnâmes la sagesse et la science : c’est ainsi que nous récompensons ceux qui font le bien.
  23. La femme dans la maison de laquelle il se trouvait conçut de la passion pour lui ; elle ferma toutes les portes de l’appartement[9], et lui dit : Viens ici. — Dieu m’en préserve ! répondit Joseph. Mon maître m’a donné une généreuse hospitalité. Les méchants ne prospèrent pas.
  24. Mais elle le sollicita, et il eut la même intention, mais il reçut un avertissement de son Seigneur. Nous le lui avons donné pour le détourner du mal, d’une turpitude, car il était de nos serviteurs sincères.
  25. Alors tous les deux s’élancèrent vers la porte, lui pour fuir, elle pour le retenir, et la femme déchira la tunique de Joseph par derrière. Tous deux rencontrent à la porte son maître à elle (son mari). Que mérite, dit la femme, celui qui a conçu des intentions coupables à l’égard de ta femme, sinon la prison ou une punition terrible ?
  26. — C’est elle, dit Joseph, qui m’a sollicité au mal. Un parent de la femme témoigna alors contre elle, en disant : Si la tunique est déchirée par devant, c’est la femme qui dit la vérité, et c’est Joseph qui est menteur.
  27. Mais, si elle est déchirée par derrière, c’est la femme qui a menti, et c’est Joseph qui dit la vérité.
  28. Le mari examina la tunique, et vit qu’elle était déchirée par derrière. — Voilà de vos fourberies ! dit le mari, et certes grandes sont vos fourberies !
  29. O Joseph, ne te préoccupe plus de cette affaire[10] ; et toi, femme ! demande pardon de ta faute, car tu as péché.
  30. Les femmes de la ville se racontaient l’aventure, en disant : La femme de l’Aziz[11] a eu des vues sur son jeune homme, qui l’a rendue folle de lui. Nous trouvons qu’elle est dans une fausse voie manifeste !
  31. Lorsque la femme de l’Aziz eut entendu ces propos, elle envoya des invitations à ces femmes, prépara un banquet, et donna à chacune d’elles un couteau ; puis elle ordonna à Joseph de paraître. Dès qu’elles l’aperçurent, elles se mirent à s’extasier sur lui, et se coupaient les doigts par distraction[12], en s’écriant : Dieu nous garde ! ce n’est pas une créature humaine, c’est un ange ravissant.
  32. — Voilà, leur dit la femme de l’Aziz, celui qui m’a attiré vos blâmes. J’ai voulu le faire céder à mes désirs, mais il veut rester chaste ; si à l’avenir il ne fait pas ce que je lui ordonnerai, · il sera jeté dans un cachot et comptera parmi les plus misé- rables.
  33. — Seigneur ! s’écria Joseph, la prison est préférable au crime auquel ces femmes me convient ; et si tu ne détournes pas de moi leurs artifices, je cèderai à mon inclination pour elles et je serai du nombre des insensés.
  34. Dieu l’exauça et détourna de lui leurs machinations, car il entend et sait tout.
  35. Cependant il leur plut, même après les preuves de son innocence, de le jeter pour quelque temps dans un cachot.
  36. Deux hommes furent en même temps emprisonnés avec lui. L’un d’eux dit : J’ai rêvé cette nuit que je pressais du raisin. Et moi, dit l’autre, j’ai rêvé que je portais sur ma tête des pains et que les oiseaux venaient becqueter. — Donne-nous l’interprétation de ces songes, car nous te regardons comme un homme vertueux[13].
  37. Joseph leur répondit : On ne vous aura pas encore apporté votre nourriture journalière, que je vous aurai explique vos songes avant qu’ils se réalisent. Cette science me vient de Dieu, qui me l’a enseignée ; car j’ai abandonné la religion de ceux qui ne croient point en Dieu et qui nient la vie future.
  38. Je professe la religion de mes pères, Abraham, Isaac et Jacob ; nous n’associons aucune créature à Dieu. Cela vient de la faveur de Dieu envers nous comme envers tous les hommes ; mais la plupart des hommes ne sont point reconnaissants.
  39. O mes camarades de prison ! est-ce une multitude de seigneurs qui valent mieux, ou bien un Dieu unique et puissant ?
  40. Ceux que vous adorez à côté de Dieu ne sont que des vains noms que vous avez inventés, vous et vos pères. Dieu ne vous a donné aucune preuve à l’appui de votre culte. Le pouvoir suprême n’appartient qu’à Dieu ; il vous commande de ne point adorer d’autre Dieu que lui. Telle est la religion vraie ; mais la plupart des hommes ne le savent pas.
  41. O mes camarades de prison ! l’un d’entre vous présentera la coupe de vin à son maître ; l’autre sera sacrifié, et les oiseaux viendront manger de sa tête. La chose sur laquelle vous venez de m’interroger est décrétée irrévocablement.
  42. Puis Joseph dit à celui auquel il prédisait son élargissement : Quand tu seras libre, rappelle-moi au souvenir de ton maître. Satan lui fit oublier de parler de Joseph à son maître, et Joseph resta encore quelques années en prison.
  43. Le roi d’Égypte dit un jour aux grands du royaume : J’ai vu en songe sept vaches grasses dévorées par sept vaches maigres, et sept épis verts et sept épis desséchés. Seigneurs ! expliquez-moi ma vision, si vous savez expliquer les songes.
  44. — Ce n’est qu’un tas de rêves incohérents[14], des songes ; nous n’entendons rien à l’explication des songes.
  45. Celui des deux prisonniers qui avait été élargi leur dit (or il s’était souvenu de Joseph après quelques années) : Je vous en donnerai l’explication. Laissez-moi partir pour voir la personne qui le fera.
  46. O Joseph ! homme véridique, explique-nous ce que signifient sept vaches grasses que sept vaches maigres dévorent, et sept épis verts et sept épis desséchés, afin que, quand je serai de retour auprès de ceux qui m’ont envoyé, ils en connaissent l’explication.
  47. Joseph lui répondit : Vous sèmerez pendant sept ans comme c’est l’habitude le blé que vous aurez moissonné, laissez-le dans l’épi[15], excepté le peu que vous emploierez pour vos besoins.
  48. Ensuite viendront sept années dures qui consommeront tout ce que vous aurez mis de côté en vue d’elles, excepté le peu que vous aurez gardé avec soin.
  49. Puis viendra une année pendant laquelle les habitants de ce pays auront beaucoup de pluies et presseront le raisin et les olives.
  50. Alors le roi dit : Amenez-moi cet homme. Lorsque le messager vint trouver Joseph, celui-ci lui dit : Retourne auprès de ton maître, et demande-lui ce voulaient faire ces femmes qui se coupaient les doigts. — Mon Seigneur (Dieu) connaît parfaitement leurs machinations.
  51. Le roi demanda alors à ses femmes : Que voulaient dire ces instances pour faire céder Joseph à vos désirs — Dieu nous garde ! répondirent-elles ; il ne s’est rendu coupable d’aucun péché que nous sachions. Et la femme de l’Aziz (du gouverneur de l’Égypte) ajouta : Maintenant la vérité est bien établie, c’est moi qui avait sollicité Joseph au mal ; lui, il a toujours dit la vérité.
  52. Lorsque Joseph apprit tout cela, il dit : Ehje ne l’ai point trahi pendant son absence. Dieu ne mène pas à bonne fin les machinations des traîtres.
  53. Je ne me dirai pas non plus entièrement innocent moi-même ; certes le sang entraîne au mal[16], sauf si Dieu à pitié de nous ; mais Dieu est indulgent et miséricordieux.
  54. Le roi dit alors : Amenez-moi Joseph, je le prendrai à mon service particulier. Et, quand il lui eut adressé quelques paroles, il lui dit : Dès aujourd’hui tu seras auprès de nous, investi d’autorité et de notre confiance.
  55. Joseph lui dit : Donnez-moi l’intendance des magasins du pays : J’en serai le gardien intelligent.
  56. C’est ainsi une nous avons établi fermement Joseph dans ce pays ; il pouvait choisir sa demeure partout où il voulait. Nous portons nos faveurs sur quiconque nous voulons, et nous ne laissons point périr la récompense des hommes qui font le bien.
  57. Mais la récompense de la vie future est préférable pour ceux qui croient et craignent Dieu.
  58. Il arriva que les frères de Joseph vinrent en Égypte, et se présentèrent devant lui : il les reconnut ; mais eux ne le reconnurent pas.
  59. Et lorsqu’il les eut pourvus de leurs provisions, il leur dit : Amenez-moi votre frère qui est resté avec votre père. Ne voyez-vous pas que je vous donne une bonne mesure, et que je reçois bien mes hôtes ?
  60. Si vous ne me l’amenez pas, vous n’aurez plus de blé ; sans lui ne reparaissez pas devant moi.
  61. — Nous nous efforcerons, dirent·ils, de l’obtenir auprès de notre père, certes nous le ferons.
  62. Puis Joseph dit à ses gens : Mettez le prix de leur blé parmi leurs bagages ; peut-être s’en apercevront-ils à leur arrivée chez eux, et ils reviendront ici pour le restituer.
  63. Quand ils furent de retour auprès de leur père, ils lui dirent : On nous refusera à l’avenir le blé en Égypte ; laisse partir notre frère avec nous, et nous en obtiendrons. Nous aurons soin de lui.
  64. — Vous confierai-je encore celui-ci comme je vous avais confié autrefois son frère (Joseph) ? Dieu est le meilleur gardien ; il est le plus clément.
  65. Et lorsqu’ils eurent déballé leurs bagages, ils trouvèrent que le prix de leur blé leur avait été rendu. O notre père ! dirent-ils, que pouvons-nous désirer de plus ? Voici le prix de notre blé qui nous a été rendu ; nous allons y retourner pour acheter des provisions pour nos familles ; nous aurons soin de notre frère ; cette fois-ci nous apporterons la charge d’un chameau de plus. C’est une charge de peu d’importance[17].
  66. — Je ne le laisserai pas partir avec vous, dit Jacob, à moins que vous ne juriez devant Dieu que vous me le ramènerez sain et sauf, s’il ne vous arrive quelque événement majeur. Lorsqu’ils le lui eurent promis, Jacob s’écria : Dieu m’est caution de vos engagements.
  67. Puis il leur dit : O mes enfants !en arrivant en Égypte, n’entrez point tous par une seule porte, mais par plusieurs à la fois ; toutefois je ne saurais rien faire pour vous contre les décrets de Dieu, car le pouvoir suprême appartient à Dieu. Je mets ma confiance en lui, et c’est en lui que mettent leur confiance les hommes qui se résignent :
  68. Ils entrèrent donc dans la ville en se conformant à l’ordre de leur père ; mais cette précaution ne pouvait leur être d’aucune utilité contre les arrêts de Dieu, sauf qu’elle satisfaisait le désir de Jacob, qui la leur avait recommandée. Or Jacob possédait la science que nous lui enseignâmes ; mais la plupart des hommes n’en ont point.
  69. Et quand ils se présentèrent devant Joseph, celui-ci retint à diner son frère Benjamin, et lui dit : Je suis ton frère, ne t’afflige plus du crime qu’ils ont commis.
  70. Joseph, les ayant pourvus de leurs provisions, glissa une coupe à boire dans les hardes de son frère Benjamin, puis, par ses ordres, un héraut cria après eux : Hé ! voyageurs ! vous êtes donc des voleurs ?
  71. Les fils de Jacob retournèrent sur leurs pas, et s’écrièrent : Que cherchez··vous ?
  72. — Nous cherchons, leur répondit·on, la coupe du roi. Quiconque la restituera, recevra une récompense en blé de la charge d’un chameau ; j’en suis garant, dit le héraut.
  73. — Nous le jurons par Dieu, répondirent les fils de Jacob, vous savez que nous ne sommes point venus ici pour commettre des brigandages ; nous ne sommes pas des voleurs.
  74. — Et, si vous mentez, quelle sera la peine de celui qui l’a fait ? dirent les autres.
  75. — Celui, répondirent-ils, dans les hardes duquel sera trouvée la coupe, vous sera livré en expiation. C’est ainsi que nous punissons les coupables[18].
  76. Joseph commença par fouiller dans leurs sacs avant de fouiller dans celui de son frère, puis il tira la coupe du sac de son frère. C’est nous qui suggérâmes cette ruse à Joseph ; il n’aurai pas pu, d’après la loi du roi de l’Égypte, s’emparer de la personne de son frère, à moins que Dieu ne l’eut voulu. Nous élevons le rang de celui que nous voulons. Il est quelqu’un plus savant que les savants.
  77. Les fils de Jacob dirent alors : Si Benjamin a commis ce vol, son frère en avait commis un avant lui[19]. Joseph comprima au fond de son cœur la vérité et ne se fit pas connaître, il dit en lui-même : Vous êtes dans une condition plus à plaindre que nous deux. Dieu connaît mieux ce que vous racontez.
  78. — O Seigneur ! dirent-ils alors, il a un père âgé, respectable ; prends plutôt un d’entre nous à sa place. Nous savons que tu es généreux.
  79. — A Dieu ne plaise que je prenne un autre que celui chez qui notre coupe a été trouvée ! Si te le faisais, j’agirais injustement.
  80. Quand ils eurent désespéré du succès de leurs demandes, ils se retirèrent pour se consulter. Le plus âgé d’eux dit : Ne savez-vous pas que votre père a reçu de vous une promesse faite devant Dieu ? Ne vous rappelez-vous pas quel crime vous avez commis à l’égard de Joseph ? Je ne quitterai pas le pays que mon père ne me l’ait permis, ou que Dieu ne m’ait manifesté ses ordres, car il est le meilleur des juges.
  81. Retournez auprès de votre père, et dites-lui : O notre père ! ton fils a commis un vol : nous ne pouvons témoigner, excepté de ce qui est à notre connaissance, et nous ne pouvions nous tenir en garde contre les choses imprévues.
  82. Fais prendre des renseignements dans la ville où nous étions, et près de la caravane avec laquelle nous sommes arrives, et tu verras que nous disons la vérité.
  83. De retour chez eux, Jacob leur parla ainsi : Vous avez arrangé tout cela vous-même ; mais prenons courage peut-être Dieu me les rendra tous deux, car il est le Savant, le Sage.
  84. Il s’éloigna donc d’eux et s’écria : , Hélas ! ô Joseph ! et ses yeux blanchirent de tristesse, et il fut oppressé par la douleur.
  85. Ses fils lui dirent : Au nom de Dieu, tu ne cesseras donc de parlerais Joseph jusqu’à ce que la mort te surprenne ou que la douleur termine tes jours ?
  86. — Je porte mon affection et ma douleur devant Dieu, et je sais sur Dieu ce que vous ne savez pas.
  87. O mes enfants ! allez et informez-vous partout de Joseph et de son frère, et ne désespérez pas de la bonté de Dieu ; car les ingrats seuls désespèrent de la bonté de Dieu.
  88. Ils revinrent en Égypte, et, s’étant présentés chez Joseph, ils lui dirent : Seigneur la misère s’est appesantie sur nous et sur notre famille ; nous n’apportons qu’une modique somme ; mais fais-nous remplir la mesure, fais-nous-en l’aumône. Dieu récompensera ceux qui font l’aumône.
  89. — Savez-vous ce que vous avez fait de Joseph et de son frère, quand vous étiez plongés dans l’ignorauce ?
  90. — Serais-tu Joseph ? lui dirent-ils. — Oui, je suis Joseph, et celui-ci est mon frère. Dieu a été bienfaisant envers nous ; car quiconque le craint et persévère est heureux, et Dieu ne fera point périr la récompense des vertueux.
  91. — Par le nom de Dieu, répondirent-ils, Dieu t’a permis de nous faire du bien, quoique nous ayons péché.
  92. — Je ne vous ferai point de reproches aujourd’hui ; Dieu vous pardonnera vos fautes, car il est le plus miséricordieux.
  93. Allez et emportez ma tunique ; couvrez-en le visage de mon père, il recouvrera la vue. Puis amenez-moi toute votre famille.
  94. Quand la caravane partit d’Égypte, Jacob dit à ceux qui l’environnaient : Je sens l’odeur de Joseph vous pensez peut-être que je suis en délire ?
  95. — Par le nom de Dieu, lui répondit-on, tu es dans ta vieille erreur.
  96. Lorsque le messager porteur de l’heureuse nouvelle arriva, il jeta la tunique de Joseph sur le visage de Jacob, et Jacob recouvra la vue.
  97. — Ne vous ai-je pas dit que je sais sur Dieu des choses que vous ne savez pas ?
  98. — O notre père ! dirent ses fils, implore notre pardon auprès de Dieu, car nous avons péché.
  99. — Oui, j’implorerai votre pardon auprès de Dieu ; il est indulgent et miséricordieux.
  100. Quand Jacob, avec sa famille arrivée en Égypte, alla chez Joseph, il les reçut chez lui, et leur dit : Entrez en Égypte, s’il plaît ainsi à Dieu, et habitez ce pays à l’abri de toute crainte.
  101. Il plaça sur un siège élevé ses père et mère, qui tombèrent sur leurs faces pour l’adorer. O mon père ! dit Joseph, voilà l’explication de mon songe de l’autre jour : Dieu l’a réalisé, il a été bienfaisant envers moi, quand il me délivra de la prison, quand il vous a amené auprès de moi du désert, après que Satan nous eut séparés moi et mes frères. Le Seigneur est plein de bonté quand il le veut. Il est le Savant, le Sage.
  102. Seigneur, tu m’as accordé le pouvoir et tu m’as appris l’interprétation des événements. Créateur des cieux et de la terre, tu es mon protecteur dans ce monde et dans l’autre ; fais-moi mourir résigné à ta volonté, et place-moi au nombre des vertueux.
  103. Telle est cette histoire, ô Mohammed ! du nombre des récits inconnus que nous te révélons. Tu n’as pas été présent, quand les frères de Joseph ourdirent en commun leur machination, et qu’ils lui tendirent un piège ; mais la plupart des hommes, quel qu’en soit ton désir, n’y croiront pas.
  104. Tu ne leur demanderas pas de salaire pour ce récit : c’est un récit qui s’adresse a tous.
  105. Que de miracles répandus dans les cieux et sur la terre ! Ils passent auprès d’eux et s’en détournent.
  106. La plupart ne croient point en Dieu, sans mêler à son culte celui des idoles.
  107. Sont-ils donc sûrs que le châtiment de Dieu ne les enveloppera pas, que l’heure ne fondra pas soudain sur eux et pendant qu’ils ne s’y attendront pas ?
  108. Dis-leur : Voici mon sentier, je vous appelle à Dieu appuyé par une preuve évidente. Moi et celui qui me suivra, par la gloire de Dieu, nous ne sommes point idolâtres.
  109. Nous n’avons jamais envoyé avant toi que des hommes choisis parmi le peuple de différentes cités, auxquels nous révélions nos ordres. N’ont-ils pas voyagé dans le pays ? ils y auraient vu quelle a été la fin de ceux qui ont vécu avant eux. Certes la demeure de l’autre monde est d’un plus haut prix pour ceux qui craignent Dieu. Ne le comprendront-ils pas ?
  110. Lorsqu’à la fin nos apôtres désespérèrent du succès de leurs efforts, quand les hommes s’imaginaient qu’ils mentaient, notre assistance ne fit pas défaut aux apôtres ; nous sauvons ceux que nous voulons, et notre vengeance ne saurait être détournée des têtes des coupables.
  111. L’histoire des prophètes est remplie d’exemples instructifs pour les hommes doués de sens. Ce livre n’est point un récit inventé à plaisir : il corrobore les Écritures révélées avant Iui, il donne l’explication de toute chose, il est la direction et une preuve de la grâce divine pour les croyants.
  1. Voy. II, 1
  2. C’est-à-dire, de même que Dieu t’a élu pour t’accorder cette vision, de même il te fera son élu etc.
  3. C’est ainsi, je pense qu’il faut entendre le mot sailin, puisque cette histoire a été racontée par Mahomet aux Koreïchites, qui, pour l’embarrasser, lui demandèrent l’histoire de Joseph.
  4. D’après une autre leçon ; nous paîtrons les troupeaux et nous jouerons.
  5. En Égypte, quand ses frères vinrent chercher des vivres.
  6. Mot à mot : d’un sang mensonger, c’est-à-dire, qui n’était pas le sang de Joseph.
  7. Joseph est pour les mahométans le type de la beauté. De là l’expression : « vendre Joseph pour un vil prix, » est devenue proverbiale, et revient au même que : « vendre un trésor inestimable pour un objet de nulle valeur. »
  8. Le nom de l’Égyptien, trésorier du roi, selon les commentateurs est Kitfir ou Itfir, altération du nom de Putiphar, occasionnée par la confusion des lettres k et f qui ne diffèrent que par les points, la lettre p n’existant pas on arabe. Le nom de le femme, d’après les mahométans, est Zuleïkha.
  9. Les commentateurs ajoutent : il y en avait sept.
  10. Mot a mot : tourne le dos à cette affaire, laisse cela là.
  11. Aziz veut dire en arabe puissant, et aussi cher. Dans le premier sens, ce mot s’applique à Dieu. Il est employé exceptionnellement ici pour l’intendant de trésor en Égypte, et ce titre s’est conservé longtemps chez les Orientaux comme particulier aux gouverneurs de l’Égypte et aux lieutenants des califes dans ce pays.
  12. A la place des oranges que la femme de l’Aziz avait fait servir.
  13. Car il n’y a que les hommes vertueux et purs qui peuvent interpréter les songes.
  14. Le mot du texte botte, fagot de rêves, répond assez à l’acception familière du mot fagot en français.
  15. C’est-à-dire, dans vos magasins, sans le battre.
  16. Dans le texte arabe, les mots : moi-même, ma personne, et les mots : le sang, la passion sont rendus par le même mot nafs dans les deux cas, et nous ferons observer à cette occasion que, lorsqu’on traduit en général nafs par âme, il faut y attacher plutôt le sens du principe de la vie, du sang, du penchant, que celui de l’âme immatérielle, esprit, rouh. Les commentateurs, s’appuyant sur ce verset du Koran, ainsi que sur le verset 24, et bien plus encore sur les contes des juifs, racontent que Joseph, malgré l’apparition de l’ange Gabriel, était prêt de céder aux sollicitations de la femme, et ne reprit l’empire sur sa passion que lorsque l’ombre de Jacob lui apparut, et, le frappant sur les extrémités des doigts, eut dissipé les désirs qui le maîtrisaient.
  17. Cela peut vouloir dure qu’une charge de chameau de plus pour le chameau de Benjamin sera peu de chose pour un roi d’Égypte, ou bien en attribuant ces derniers à mots à Jacob, ils signifieraient : c’est trop peu de chose pour que je risque mon fils.
  18. C’est·à-dire, d’après l’usage en vigueur chez nous Hébreux, le voleur est retenu comme esclave.
  19. D’après les commentateurs, Joseph, étant tout petit, aurait volé une ceinture à sa tante ; selon d’autres, une poule, pour la donner à un pauvre, ou enfin une idole à son grand-père Laban.