Le Juif et la Sorcière/19

CHAPITRE XIX.

Ayant perdu tout espoir de la sauver, le Juif conçut un projet étrange et difficile à exécuter ; c’était une preuve d’amour qu’il donnait à celle qui mourait pour lui…, la première…, la seule… Le gardien de la prison était un homme dur, mais avide ; Élie espéra le gagner à force d’or. Il risquait beaucoup en se présentant devant cet homme, qui pouvait le reconnaître et le livrer ; il ne balança pas, toutefois, et en effet, il obtint de pénétrer jusqu’à la prisonnière, de l’entretenir quelques instans ; et c’était lui qui s’offrit à ses regards lorsque la porte du cachot s’ouvrit.

« Élie… ! » cria-t-elle. Le Juif la regardait, et ses yeux, habituellement si sévères, étaient pleins de larmes.

« Malheureuse enfant… ! dit-il, que de tourmens pour ta faiblesse… !

— Oui, reprit Brigitte, j’ai bien souffert… ! »

La pitié du jeune homme lui était si douce !

« Que ne puis-je t’arracher d’ici ! prendre ta place ! oh ! je le voudrais ! »

Il tenait ses mains dans les siennes, et les pressait contres ses lèvres. Le bonheur de la pauvre fille était si grand, qu’elle doutait qu’il fût réel.

« Élie ! répéta-t-elle, est-ce vous ?…

— Moi ! moi ! » dit le Juif.

Elle avait offert sa vie pour cet instant, il lui était envoyé.

« N’as-tu pas souhaité, reprit Élie avec tendresse, de reposer ta tête sur mon cœur, de m’entendre te dire : Je t’aime ?

— Je l’ai dit ! je l’ai souhaité ! s’écria la malheureuse fille ; mon Dieu ! pitié pour mon âme ! »

Cet instant, cet unique instant de bonheur, réservé à sa triste vie, le remords l’empoisonnait ; mais il le fallait pour son bonheur éternel.

« Repose ta tête sur mon cœur ! continua Élie, je t’aime ! »

Un odieux souvenir vint encore la troubler le pacte infernal s’exécutait-il ?

« Quel jour, en quel temps as-tu commencé à m’aimer ? demanda-t-elle avec effroi.

— Qui sait ? dit le Juif, le jour, peut-être, où j’appris que tu étais ma sœur.

— Ta sœur !

— Ton père était de ma religion. Mon père était Juif !

— T’en affliges-tu ?

— Et ma mère ?

— Une chrétienne de haut rang.

— Une pauvre pécheresse comme moi ! elle fut donc l’épouse du Juif ?

— Non, elle était celle d’un autre. »

Brigitte baissa les yeux avec confusion.

« Elle mourut au fond d’un cloître, l’année même de ta naissance, continua le Juif, et ton père peu après, pendant un voyage ; et voilà pourquoi tu as été abandonnée.

— Je n’ai pas été abandonnée ; la mère qui m’adopta me chérissait. Vous en prendrez soin, de ma mère… ? vous ne délaisserez pas sa vieillesse, puisque je dois mourir. »

Le jeune homme fit un signe affirmatif. Elle s’était attendue à une autre réponse, peut-être elle ; pâlit.

« Mourir ! s’écria-t-elle, si tôt, dans les tourmens ! Élie ! »

Et elle se rapprochait de lui, comme s’il eût pu la défendre. Le Juif sentait des mouvemens de douleur et de rage qu’il avait peine à maîtriser ; il se contint, cependant, et lui dit d’un ton grave :

« Cette fiole contient un élixir qui pourra t’épargner les tourmens qu’on te prépare. Il tremblait… Elle porta la fiole à ses lèvres. Pas encore ! dit le Juif, en l’arrêtant ; quand tu seras seule. »

Elle cacha la fiole dans son sein, sans faire de questions, craignant peut-être de voir détruire le vague et fol espoir qui lui venait sourire.


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