Le Juif et la Sorcière/18

CHAPITRE XVIII.

Elle veillait un soir, triste et solitaire ; c’est ainsi qu’elle veillait, seize années auparavant, lorsque l’étranger qu’elle n’avait pas revu depuis était entré dans sa cabane. Déjà, alors, les jours de Brigitte étaient menacés… Hélas ! que Dieu ne l’avait-il appelée dans ces instans ! elle eût été un ange dans le ciel ; et maintenant !… On frappa doucement à sa porte. Elle ne sut d’abord que penser… ; mais que pouvait-elle craindre ? L’homme qui se présenta pressa fortement son bras, en lui recommandant le silence à voix basse, ferma soigneusement la porte, après être entré ; et Magui, un peu inquiète, se rassura en reconnaissant Élie.

Dès leur arrivée à la grotte, les Juifs avaient découvert un chemin caché qui les pouvait éloigner de Salins, et conduire à un pays sûr. Ils gagnèrent, avec de grandes peines, des cabanes de bergers placées au revers de la montagne qu’ils gravirent ; et Élie obtint de ces hommes, par l’appât d’une forte récompense, de conduire son père dans le lieu qu’il désigna. Quant à lui, il ne voulait pas s’éloigner sans connaître le sort de Brigitte ; quelques propos tenus par les bergers, et d’autres indices encore, lui inspiraient de vives inquiétudes, et il revenait à Salins pour les éclaircir.

« Est-il vrai, demanda-t-il à Magui, que ta fille soit en danger de la vie ?

— Trop vrai ! répondit la bonne femme, et Dieu pardonne à ceux qui en sont cause !

— Comment cela est-il arrivé ? »

Magui conta tous les détails de la malheureuse aventure. De plus en plus intéressé, le jeune homme prolongea ses questions sur le compte de Brigitte, et il découvrit ce qu’il avait ignoré jusqu’alors, c’est que Magui n’était pas sa mère. Les circonstances qui la lui avaient fait adopter furent confiées au Juif, ainsi que toutes celles qui se rapportaient à cet événement : il apprit la visite du messager inconnu, lut le papier qu’il avait laissé ; ce papier contenait le secret de la naissance de Brigitte, et le nom de ses parens : elle était née d’une mère chrétienne et d’un père juif. Cette découverte ajoutait à l’intérêt que lui portait Élie ; il la voyait maintenant digne de sa tendresse : et de misérables insensés allaient la faire périr dans les tourmens ! Comment la sauver ? le généreux Élie aurait sacrifié sa vie pour y parvenir ; mais en se livrant, il n’eût pas arraché la patiente à ses boureaux ; on les eût fait périr tous deux.

Le terme fixé aux Juifs pour quitter Salins n’étant pas expiré, il en restait encore un grand nombre ; et cela donnait à Élie de la facilité pour s’y cacher, mais ne lui fournissait pas les moyens de délivrer la prisonnière. Il le tenta avec courage : il hasarda sa propre sûreté, il prodigua l’or ; et tandis que le temps se passait en démarches infructueuses, le destin de la pauvre fille s’accomplissait. Elle était condamnée à mourir ; le feu devait la consumer vivante. Fatiguée de souffrances, épouvantée des tortures qu’elle avait un instant essayé d’endurer, elle avait fait tous les aveux qu’on exigeait. Que lui importait de vivre ? qu’avait elle à attendre ? l’affaissement du désespoir l’emportait sur l’instinct qui fait aimer la vie, et elle ne repoussait pas le coup fatal ; elle s’en effrayait, toutefois. L’avenir lui était inconnu, et aucune voix consolante ne lui montrait la miséricorde divine telle qu’elle est, tendre, immense et comptant nos tribulations et nos larmes en même temps que nos péchés ! Elle tremblait, bien que résignée ; sa dernière nuit s’écoulait lente et rapide à la fois, les heures lui semblaient longues, et elle les regrettait. Si le sommeil ferma un instant ses yeux fatigués, elle tressaillit en s’éveillant, craignant d’avoir passé dans cet oubli tout le temps qui lui restait à vivre… ! elle prêtait l’oreille avec anxiété, regardait autour d’elle… La porte de son cachot ne devait s’ouvrir que pour lui annoncer sa dernière heure ; elle y portait de temps en temps ses regards, et le moindre bruit qui s’y faisait entendre repoussait vers son cœur tout son sang glacé…


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