Le Juif et la Sorcière/17
CHAPITRE XVII.

La clameur allait croissant : tout lui était imputé à crime, et son penchant à la solitude et à la méditation, et son savoir, et ses amusemens. Elle essayait quelquefois de retracer sur la pierre unie et blanche du rocher les objets qui frappaient sa vue : les arbres, les fleurs, les animaux ; et ces images imparfaites furent réputées des caractères magiques connus seulement de Satan et de ses suppôts. On la signalait aux gens en pouvoir comme une créature malfaisante, qu’il était dangereux de laisser librement exercer son horrible pouvoir. Il fut ordonné de la renfermer dans les prisons du bourg. Les passans se la montraient en ricanant, tandis qu’elle se rendait à l’infàme demeure ; on la suivait, on insultait à sa misère ; on l’agravait, ainsi que son danger, par des propos inconsidérés et méchans. Oh ! la foule est si barbare !
Elle s’assit en entrant dans le cachot, et chercha à rappeler ses souvenirs, comme on cherche à retrouver un rêve. C’était plus de souffrances qu’elle n’en pouvait supporter, et elle ne les ressentait plus : la nature épuisée se reposait. Elle avait besoin, en effet, l’infortunée ! de retrouver des forces.
Le jour même elle parut en criminelle devant des juges. On la menaça des tortures, de la mort. Maintenant, elle n’était plus la victime du mécréant, mais sa complice ; elle avait participé aux abominations qu’on lui reprochait, suivi, à son exemple, des pratiques impies, étudié une science damnable, réclamé l’appui du Démon… Elle-même se troubla à cette accusation ; son entrevue avec la sorcière du bourg revint à sa mémoire… : était-ce donc en punition de cette faute que tant de maux s’amassaient sur sa tête ?… Grand Dieu ! que votre justice est sévère ! Elle répondit oui lorsqu’on lui demanda si elle avait recouru aux mauvais esprits pour parvenir à ses fins, elle répondit oui ; et, pressée de questions, elle ne sut rien taire de la vérité.
Ses aveux amenèrent devant les juges une autre coupable, une furie déchaînée contre la malheureuse qui l’accusait, hélas ! si involontairement ! Elle l’accusa à son tour avec une malice infernale ; et Brigitte protesta vainement que sa confession avait été sincère et entière : on décida d’agir en toute rigueur à son égard.
Oh ! qui pourrait dire les terreurs d’une pauvre femme, jeune, timide, qui voit l’appareil des tortures, et des hommes sans pitié prêts à épuiser leurs forces pour tourmenter son faible corps ! Un tremblement convulsif agita Brigitte, et ses dents fortement serrées ne lui laissèrent pas articuler une parole. Un prêtre fut appelé pour conjurer le Démon qui liait sa langue ; mais elle continua de ne faire entendre que des gémissemens étouffés. Et la terrible épreuve fut remise à un autre instant.
Avant qu’elle commençât, son confesseur vint la visiter dans sa prison ; mais elle ne reçut aucune consolation de cette démarche. C’était un homme sévère en qui le zèle étouffait la pitié ; persuadé qu’elle était coupable, il nommait obstination et perversité sa constance à nier quelques-uns des crimes dont on l’accusait ; et ces crimes semblaient si énormes au confesseur, qu’ils l’endurcissaient pour les souffrances de la pauvre fille. Elle restait donc sans appui, sans défenseur ! Magui avait inutilement crié merci pour elle, demandé à partager sa captivité, on l’avait repoussée ; et c’était à l’indulgence qu’inspirait son caractère, à la simplicité de ses réponses, qu’elle devait d’être traitée moins rigoureusement que sa compagne. Elle ne s’en applaudissait pas ; la prison de Brigitte lui eût paru moins triste que sa cabane, maintenant si solitaire ! Elle y passait les jours et les nuits dans les larmes : son enfant, sa belle-fille ! enfermée dans une prison, déshonorée, perdue ! exposée chaque jour à d’horribles tourmens, à la mort ! Mon Dieu ! mon Dieu ! n’y a-t-il donc point de grâce à espérer, ni pour ce monde, ni pour l’autre ?… La bonne femme ne savait elle-même que penser sur les accusations portées contre Brigitte… Mais, coupable ou non, son cœur lui était ouvert, elle la chérissait, et sa perte était le désespoir de sa vieillesse !
