Le Juif et la Sorcière/15

CHAPITRE XV.

À peine s’était-elle aperçu jusques alors de la fatigue qu’elle éprouvait ; elle la ressenti en recommençant à marcher : ses pas étaient chancelans, ses jambes tremblantes fléchissaient sous le poids de son corps ; et le jeune homme ne semblait pas remarquer sa souffrance, et n’offrait point de la soutenir. « Élie ! » dit-elle timidement. Il s’arrêta, la fatigue m’accable ! » Elle baissa les yeux, honteuse de sa hardiesse. Il la regardait. Elle releva ses yeux et le regarda à son tour d’un air doux et supliant !…

« Qu’est ce ? dit Elie avec emportement, me tends-tu des pièges, fille de Madian ? Mais je ne crains rien, le Dieu fort est avec moi ! viens, viens, je soutiendrai ta faiblesse. »

L’ame de Brigitte s’émut d’indignation ; elle comprenait qu’il l’accusait d’artifice :

« Laissez-moi ! cria-t-elle en le repoussant, je ne veux pas de votre appui ! »

Changeant alors de langage, le Juif lui dit :

« Pardonne-moi ! je suis injuste ; était-ce là ce que tu devais attendre ? Je suis injuste ! pardonne-moi ! »

Les sanglots qui gonflaient son cœur auraient éclaté, si elle eût prononcé une parole ; elle lui fit signe de marcher en avant, et qu’elle le suivrait. Ils firent ainsi quelques pas ; puis le Juif, s’arrêtant tout-à-coup, répéta d’une voix qui la fit tressaillir :

« Pardonne-moi ! pardonne-moi, enfant ! je ne te hais pas ! »

Elle s’éloigna de lui un peu effrayée, en disant :

« Pourquoi me haïriez-vous ? »

Il reprit son chemin, sombre et soucieux. Elle le suivait avec peine. Il passa son bras autour de son corps, et la soutint : elle tremblait. Arrivés au lieu où ils devaient se séparer, le Juif la pressa fortement contre sa poitrine, et, la repoussant bientôt :

« Vis heureuse ! dit-il, que la paix et la joie t’accompagnent ! je ne te reverrai jamais.

— Mon Dieu ! cria l’infortunée ; et elle ajouta dans son cœur : Ma vie ! pour te revoir encore. »


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