Le Juif et la Sorcière/14
CHAPITRE XIV.

C’est au milieu de ces anxiétés, que son confesseur la manda auprès de lui. Il l’interrogea sur ce qu’il avait appris de Magui, en l’engageant, au nom de son salut, à ne rien taire de la vérité. Elle répondit que loin d’avoir des plaintes à porter contre Élie, elle et sa mère devaient lui rendre grâce ; et elle conta sa générosité à leur égard. Mais le confesseur ne vit dans cette conduite du Juif qu’une preuve à l’appui de ses soupçons, et il reprocha sévèrement à Brigitte sa prévention en faveur du mécréant, la menaçant de la colère du ciel, si elle y persistait. Mais le supplice d’Élie, qu’il lui faisait entrevoir, l’épouvantait bien plus que ses menaces ! elle tremblait d’émotion et de terreur en arrivant chez lui pour l’avertir. « Fuyez, Élie ! s’écria-t-elle, on veut vous retenir prisonnier, vous faire mourir ! » Le Juif comprit, lorsqu’elle se fut expliquée, qu’un danger imminent le menaçait ; mais, comment s’y soustraire ? où fuir ? les terres voisines de celles de la dame de Salins n’offraient point un asile sûr : le proscrit qu’elle eût réclamé lui eût été livré certainement ; et pour les traverser rapidement, et se trouver en peu de temps à une grande distance, il fallait endurer une fatigue au-dessus des forces du vieux Nathan. Son fils ne voulait point l’abandonner, persuadé qu’on le rendrait responsable de sa fuite, ne fût-ce, comme il le disait amèrement, que pour s’approprier ses richesses.
Brigitte conseilla aux fugitifs de se cacher près de la ville, tandis qu’on chercherait au loin leurs traces, et elle indiqua la caverne qui lui servait de retraite, et dont personne ne connaissait les chemins, pas même sa mère. L’offre fut acceptée ; et l’on convint que la jeune fille conduirait les Juifs à la caverne, dès que l’obscurité pourrait les dérober aux regards. Magui ne fut point mise dans la confidence de ce projet ; sa fille redoutait son imprudence ; et la nuit venue, Brigitte sortit secrètement de sa cabane, se rendit au lieu désigné, fit le signal convenu… Les voyageurs étaient prêts ; ils la suivirent. Elle marchait en avant, légère comme une biche, et s’arrêtait de temps en temps pour attendre ses compagnons : car le vieux Nathan avait peine à gravir les rudes sentiers qui conduisaient à la grotte ; son fils le soutenait, le portait quelquefois dans ses bras ; Brigitte offrait aussi son appui au vieillard, qui la remerciait avec des termes caressans. Elle était heureuse !
La caverne offrait un asile plus commode que les Juifs ne l’avaient espéré : Brigitte en avait fait une sorte de demeure, où se trouvaient quelques-unes des délicatesses que la grâcieuse imagination d’une jeune fille sait toujours rassembler autour d’elle, en quelque lieu qu’elle se trouve. Élie souriait en les remarquant ; elle souriait aussi. Son retour à la ville fut ensuite le sujet d’une discussion sérieuse : il semblait plus prudent qu’elle s’y rendît sur-le-champ que d’attendre le jour pour y arriver, et le jeune homme se disposa à l’accompagner. Elle refusait son offre dans la crainte de l’exposer à quelque danger.
« Je ne crois en courir aucun, dit Elie ; mais quand il en serait autrement, penses-tu que je consentirais à te laisser errer seule, à cette heure, à travers les chemins que nous venons de parcourir ? En aurais-tu toi-même le courage ? »
Elle baissa les yeux en soupirant.
« Tu es une aimable et douce créature ! reprit Elie, et je voudrais te protéger toujours. »
Elle soupira encore. Le jeune homme, au moment de se mettre en route, s’agenouilla devant son père, qui étendit sur lui ses mains tremblantes pour le bénir ; Brigitte s’inclina avec respect. Ils partirent.
