Le Juif et la Sorcière/12

CHAPITRE XII.

Brigitte ignora l’imprudence de sa mère : celle-ci, heureusement, n’osa l’avouer ; elle en fût morte, l’infortunée ! elle en fût morte de douleur et de honte ! l’indifférence du jeune homme était déjà si cruelle à supporter ! qu’eussent été ses dédains ? Elle avait en vain risqué son salut pour obtenir cet amour, seule joie de son cœur désolé ! elle ne l’obtiendrait jamais ! les conjurations et les promesses de la sorcière étaient sans effet… : elle le regrettait maintenant ; et l’espoir d’être délivrée de ses odieux engagemens, puisque le pacte infernal n’était point exécuté, cet espoir ne la consolait pas !

« Que je n’en sois jamais aimée ! disait-elle, que jamais mon souvenir ne l’occupe un instant, ne fût-ce que pour dire : Pauvre fille ! que je ne sois rien pour lui ! jamais ! oh ! c’est une douleur cruelle ! et qui doit mener à la tombe ! Je voudrais que la mienne fût creusée tout près du chemin, dans le cimetière, et qu’il crût de belles fleurs à l’entour : il en faudra planter, ma mère ! de celles qui s’apperçoivent de si loin dans le jardin des moines. Il plaindra ma jeunesse : on plaint les jeunes gens qui meurent !

— Hélas ! dit Magui, en essuyant ses yeux avec son tablier, que veux-tu que je devienne, si tu as de semblables idées ? et que me servira de t’avoir chérie, soignée comme mon enfant ? » Elle pleura dans le sein de sa vielle amie, mais sans être consolée ; le mal qui dévorait sa jeunesse et sa vie ne pouvait être adouci : c’était un terrible mal !

La seule pensée qu’elle pourrait rencontrer Élie, faisait bondir son cœur d’une sorte de joie douloureuse, qu’elle avait peine à supporter ; et si elle l’appercevait, son premier mouvement était de hâter le pas pour le fuir ; mais un tremblement subit la forçait de s’arrêter. Et le Juif passait sans la regarder ; et lorsqu’il avait disparu à sa vue, elle cachait son visage de ses mains et pleurait, désespérée.

« Que n’ai-je été exposée sur le plus haut de ces rochers, à l’heure où l’aigle y vient chercher de la pâture pour ses petits, ou le vautour ne trouve plus de proie dans la plaine ! ou bien, lorsque l’ardent soleil lance des feux capables de tuer un faible enfant tel que j’étais ! »

C’est ainsi que le Démon lui apprenait à maudire son existence, et substituait à la tristesse pieuse qui lui avait fait mépriser la terre pour aspirer au ciel, l’affreuse tristesse des réprouvés !


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