Le Juif et la Sorcière/11

CHAPITRE XI.

Il y avait dans le bourg du comte une vieille de mauvais renom, qui passait pour composer des philtres et des talismans avec lesquels on obtenait l’amour de ceux qu’on aimait. Brigitte l’alla trouver : cachée sous d’amples vêtemens, saisie d’effroi, car le mal qu’elle commettait n’échappait pas à sa conscience, elle se rendit chez la vieille, et réclama son secours. La magicienne exigea, comme c’est l’usage, des engagemens criminels… Dieu pardonne à ceux qui l’oublient, ne fût-ce qu’un instant !

Brigitte revint dans sa maison plus malheureuse qu’elle n’en n’était partie. Les remords, la crainte, la honte étouffaient le coupable espoir qui cherchait quelquefois à enivrer son cœur : était-ce par de semblables moyens qu’il fallait être aimée ! et s’il venait un jour à découvrir lui-même ce mystère, quel ne serait pas son mépris pour elle ! L’agitation continuelle de son esprit alluma dans son sein une ardente fièvre ; et loin de vouloir surmonter son mal, elle s’en laissait accabler, ne trouvant pas qu’il fit d’assez rapides progrès. Magui, en la voyant garder son lit, refuser toute nourriture, crut ses jours en danger, et ne pensa plus qu’à la sauver, n’importe à quel prix. Le Juif Élie était savant médecin : elle résolut de le consulter. S’il avait fait le mal, il lui serait facile de le guérir, comme aussi de l’augmenter… Le projet ne fut pas exécuté sans hésitation, et Magui se mit plus d’une fois en chemin pour se rendre chez Élie, avant d’arriver jusqu’à lui ; elle était même encore près de retourner sur ses pas, lorsque le Juif la rencontra à peu de distance de sa maison, pleurant et sanglottant.

« Quel est ton chagrin, femme ? demanda-t-il. Mon enfant, mon pauvre enfant qui se meurt !

— Qui, ton enfant ! cette jeune fille que j’ai vue ?

— Elle souffre d’un mal cruel, comme vous le savez sans doute ? Comment le saurais-je, femme ? Mais j’ai des remèdes pour un grand nombre de maladies, et si tu veux me conduire auprès d’elle je pourrai peut-être la guérir ?

— Je vous en conjure, Seigneur ! ayez pitié de ses souffrances : rendez-lui la santé et la joie !

— Je le ferai si je le puis, femme : quels singuliers me tiens-tu ? »

Ils entrèrent à petit bruit dans la cabane. Brigitte dormait ; l’un de ses bras reposait sur la couverture de son lit. Le Juif le pressa légèrement de ses doigts, et dit à Magui :

« Cette jeune fille n’est point en danger. »

Son action éveilla Brigitte, elle se souleva brusquement en regardant autour d’elle avec égarement.

« Je disais à ta mère, continua Élie, que tu n’étais pas aussi malade qu’elle le craint, que tu le crains peut-être toi-même ?

— Je ne demande pas mieux que de mourir, » répondit tristement Brigitte. Le jeune homme la regarda, étonné, et dit :

« Serais-tu déjà tourmentée par les peines de l’ame ? enfant ! ce serait bientôt que ta vie serait flétrie ! »

Il ajouta d’un ton de compassion :

« Tu es pauvre ?

— Je suis pauvre, reprit Brigitte, mais pour moi seule je n’aurais jamais recouru à la pitié d’autrui.

— Je n’ai pas eu dessein de t’offenser, la belle fille, répartit Élie, je voulais seulement connaître la cause de tes souffrances pour les soulager si je puis » ; et sa figure calme et indifférente n’exprimait qu’une froide bienveillance.

« Mes souffrances ne peuvent pas, ne doivent pas être confiés à un étranger inconnu ! s’écria Brigitte. Qui donc vous a amené ici, a réclamé votre pitié ? je n’en veux pas, de votre pitié ! qu’on me laisse ! qu’on me laisse ! continua-t-elle avec violence, je supporterai mon mal, ou la mort m’en délivrera. »

Élie la regarda de nouveau avec étonnement et fit signe à Magui de le suivre hors de la maison. Brigitte en les voyant sortir poussa un cri de désespoir.

« C’est un singulier mal que celui de ta fille ! » dit Élie à la bonne femme ; et il commençait à lui indiquer des remèdes.

« Seigneur ! interrompit Magui, si j’osais vous avouer tout ?

— Parle sans crainte :

— Elle vous aime, Seigneur ! elle vous aime d’un fol amour ! voilà son mal. »

Le jeune homme lui jeta un regard sévère.

« Il faut que l’esprit malin s’en soit mêlé, continua Magui. Une fille si sage ! si modeste ! et maintenant elle n’a pas honte de dire, en parlant de vous : Pour reposer ma tête sur son cœur, pour l’entendre me dire : Je t’aime ! je donnerais ma vie, ma jeunesse, tout ! Ce sont ces propres paroles.

— Tes discours sont dignes de mépris ! » dit le Juif ; et il s’éloigna, emportant d’injurieuses préventions contre les deux femmes. Les filles madianites avaient ainsi, autrefois, essayé leurs séductions sur les enfans d’Israël, qui avaient làchement succombé ! mais il n’imiterait pas la faiblesse que le Seigneur avait punie, et la chrétienne (qu’il se rappelait, toutefois, belle, triste, attachant sur les siens ses yeux pleins de douceur, ou les baissant avec modestie), la chrétienne ne serait que l’objet de son dédain.