Le Juif et la Sorcière/10

CHAPITRE X.

Qui fut tourmenté après cette confidence ? ce fut Magui. Que faire ? à qui recourir ? les conseils de quelque sage personnage, d’un saint prêtre, lui eussent été bien nécessaires ; mais faire connaître à quelqu’un que sa fille souffrait d’un mal honteux, était au pouvoir du malin esprit, peut-être… ! elle ne pouvait s’y résoudre ; et les prières qu’elle faisait en secret, quoique ferventes, étaient peu efficaces, à ce qu’il paraissait, car l’abattement et la tristesse de Brigitte ne faisaient qu’augmenter. Elle ignorait, toutefois, la pire des douleurs que peut causer son mal, la jalousie. Le fils de Nathan montrait la même indifférence pour toutes les jeunes filles ; bien que parmi celles de sa nation il y en eût de belles, et que les autres, tout en le méprisant comme Juif, fussent frappées de sa bonne mine et intéressées par ce qu’on racontait de ses actions. Toutes prenaient plaisir à s’entretenir de lui, à le regarder lorsqu’il passait ; et elles venaient en grand nombre, le soir, se promener aux environs de sa maison, pour l’entendre accompagner d’un luth sa voix grave et harmonieuse. Mais il ne semblait pas remarquer l’attention qu’il excitait, ou, s’il la remarquait, il en paraissait peu touché. Rien n’avait donc jusqu’alors aigri les souffrances de Brigitte au point d’égarer entièrement sa raison. Mais Magui vint lui annoncer, sur un bruit assez vague, le mariage du fils de Nathan avec une belle Juive de Vesoul, aussi riche que lui. La bonne femme s’empressait de conter sa nouvelle, dans la pensée qu’elle contribuerait à la guérison de Brigitte en ôtant tout espoir à son fol amour : elle-même n’avait-elle pas oublié le riche Mathieu lorsqu’il avait pris femme ? et, cependant, elle l’aimait bien follement aussi !

« Que dites-vous ? dit Brigitte qu’il se marie avec une belle fille de Vesoul ? qu’il l’aime ? non, ma mère ! non, cela ne sera pas, je ne le souffrirai pas !

— Eh ! quels moyens as-tu de l’empêcher ? pauvre folle !…

— Oh ! tous les moyens, je les emploierai. Vous sentez bien, ma mère, que je ne puis pas le voir en aimer une autre ! être le mari d’une autre qui sera tout pour lui ! que je rencontrerai marchant à ses côtés, appuyée sur son bras, et qu’il regardera avec amour ! Oh ! tous les supplices, je les endurerai plutôt que celui-là… ! »

Elle marchait à pas précipités, rêvant d’un air farouche comme font les malfaiteurs. Hélas ! c’était bien un crime qu’elle méditait.