Le Juif et la Sorcière/08
CHAPITRE VIII.

Le lendemain, Magui alla dès le matin s’acquitter avec Nathan, et fut minutieusement interrogée par Brigitte, à son retour, sur toutes les circonstances de sa visite ; mais la pauvre fille n’osa pas prononcer le nom du jeune homme, ni faire une question directe à son sujet ; et Magui, qui ne l’avait pas vu, répondait sans faire mention de lui et sans s’appercevoir de l’impatience qu’elle causait à sa fille. À quoi tiennent donc ces attachemens subits et funestes qui saisissent le cœur à la vue d’un être dont on ignorait jusqu’alors l’existence, et le rendent en un instant l’arbitre de la destinée entière ? Dans les temps que je cite, on les attribuait aux prestiges du Démon ; et en effet, comment comprendre qu’une jeune fille sage, pieuse, modeste, accorde en un instant toutes ses affections à un étranger, ennemi de son Dieu, que sa foi lui faisait un devoir de mépriser, et sans qu’il ait (au moins en apparence) cherché à les obtenir ! C’était cela peut-être ? c’était le froid dédain du Juif qui subjuguait son cœur en l’étonnant ? Le fils de Nathan rendait aux chrétiens haine pour haine, mépris pour mépris ; et s’il leur faisait du bien chaque fois qu’il en trouvait l’occasion, c’est que son ame généreuse l’y portait sans doute, mais aussi parce qu’il était satisfait d’avoir sur eux cet avantage. La jeune fille lui avait paru belle et modeste ; mais il se serait reproché, comme un crime, le moindre penchant pour une fille de la religion du Christ, et la force de son esprit lui donnait les moyens d’en triompher. Tandis qu’elle, la faible femme ! elle ne pouvait échapper un seul instant au pouvoir de cet amour qui maîtrisait toutes ses pensées ! elle souhaitait le Juif à ses côtés pour gravir les sentiers de la montagne, pour admirer le ciel azuré, le vaste horizon ; et maintenant ce n’était plus le bonheur des saints qu’elle enviait, mais le bonheur criminel d’être aimée du mécréant ! lui seul méritait à son gré la tendresse et la soumission qu’une femme doit à son époux ; elle avait sans cesse présent à l’esprit la noble figure du jeune homme, sa haute taille, ses paroles graves ; on parlait en sa présence de la charité du fils de Nathan envers les pauvres, de sa pieuse tendresse pour son vieux père, de sa fierté à repousser l’insulte si elle osait l’atteindre ! elle l’appercevait quelquefois, rarement ; la vie du Juif était mystérieuse et cachée. Tout se réunissait pour attiser le feu qui dévorait son cœur !