Le Juif et la Sorcière/06

CHAPITRE VI.

C’est ainsi que l’imprudente femme amassait autour d’elle l’inimitié, en même temps qu’elle se mettait à la merci d’autrui, en dépensant à la légère la petite fortune qui assurait son indépendance. Brigitte blâmait cette conduite ; et tout en remerciant sa mère de sa générosité, elle lui représentait doucement qu’il serait mieux peut-être de dépenser autrement le peu qu’elle possédait, ou de le ménager davantage. Mais Magui ne tenait compte de ses observations. Cependant le trésor s’épuisait ; Magui ne le comptait plus qu’en tremblant… Le bracelet était une ressource qu’elle hésitait à employer, dans la crainte de perdre sans retour ce joyau qu’il lui était recommandé de conserver !… Mais il était impossible que ceux qui l’avaient si généreusement secourue l’abandonnassent ! le messager porteur du bracelet reparaîtrait et lui fournirait les moyens de le racheter. Quant à la recommandation de s’adresser à un Juif pour ce marché, elle était facile à suivre : ils étaient en grand nombre au comté de Bourgogne, et particulièrement à Salins, que ces opiniastrés, dit encore notre vieil auteur, hauoient prins pour leur siège principal, entre les places de Bourgougne, la plus part desquelles ils appaourissoient par leurs vsures, impietés et malices. Celui auquel s’adressa Magui était l’un des plus riches de tous, ce qu’on n’eût pas deviné à sa manière de vivre : il habitait seul une maison de chétive apparence, se refusant le nécessaire, en même temps qu’il entassait des monceaux d’or et hasardait sur la mer de fortes sommes, qui se trouvaient promptement doublées. Il n’accorda que peu de temps à Magui pour rendre la somme qu’il lui avançait ; et comme elle insistait afin d’obtenir un plus long délai, le Juif lui dit avec impatience : « Le terme que je te fixe est déjà trop éloigné, peut-être, puisqu’il n’est pas sûr que je sois encore ici lorsqu’il arrivera ! et dans ce cas, il me faudrait emporter, au lieu de mon argent qui me serait si nécessaire, cet inutile joyau qui ne le vaut pas. Nous devons nous attendre chaque jour à quitter ce pays, dont on veut nous chasser ; et nous accordera-t-on le temps nécessaire pour recouvrer ce qui nous sera dû ? obtiendrons-nous des délais, nous ? Ne m’importune pas, femme ! les chrétiens ne doivent pas attendre de nous tant de condescendance et de pitié ! »

Il était en effet question de bannir les Juifs du comté de Bourgogne ; et les souverains du pays avaient déjà rendu pour cela bien des ordonnances, que les richesses et l’adresse des Juifs les mettaient toujours à même d’éluder. Mais la comtesse Marguerite paraissait disposée à une grande sévérité à leur égard ; et ils faisaient valoir leurs inquiétudes pour se montrer plus durs envers leurs débiteurs.

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