Le Juif et la Sorcière/03

CHAPITRE III.

Tout n’était pas cependant facile dans la tâche que s’imposait Magui. Les soins qu’exige un enfant au berceau sont continuels et pénibles ! il faut n’avoir plus de nuits paisibles, plus de jours assidus au travail : c’était cela particulièrement qui contrariait Magui ; son travail était sa seule ressource, et les profits en diminuaient à mesure qu’augmentaient ses dépenses. Elle eût voulu donner à sa petite fille les délicatesses réservées aux enfans des riches ; et ne pouvant non plus se résoudre à la laisser un jour entier sous la garde d’une personne étrangère, elle n’était plus employée comme journalière dans les maisons aisées du pays, et le peu d’ouvrage qu’elle faisait chez elle en surveillant Brigitte, ne lui valait qu’un bien modique salaire. La gêne, le besoin se firent sentir : il fallut supprimer peu à peu à Brigitte les douceurs auxquelles on l’avait accoutumée, et chacune de ces privations était une douleur pour sa mère adoptive. Elle s’attristait, la Magui, ne prenait plus courage et patience comme lorsqu’elle était seule à souffrir. Sa petite était malade, et elle n’osait consulter un médecin, faute d’argent pour payer ses remèdes. Comme elle veillait tristement, un soir, à côté du berceau de Brigitte, sa porte s’ouvrit avec mystère, et il entra chez elle un homme qu’à son habillement elle reconnut pour un Juif.

« Femme, dit-il, tu te montres la mère de cette enfant par la tendresse que tu lui portes ! sois bénie pour ta charité ! voilà de quoi l’aider ». Et il posa sur les genoux de Magui une boîte qui contenait une bourse remplie de pièces d’argent, un papier écrit dans une langue étrangère, et un riche bracelet d’or. « Ce secours te vient d’une personne qui ne t’abandonnera pas tant qu’elle sera sur la terre, continua l’inconnu ; mais la vie de l’homme est incertaine ! ainsi, ménage tes ressources en attendant d’autres nouvelles. Le joyau que voilà a de la valeur, et tu pourrais t’en servir pour te procurer de l’argent, s’il venait à te manquer ; mais ne t’en défais pas absolument, si tu le peux, et ne t’adresse, pour obtenir la somme qui te sera nécessaire, qu’à des hommes de notre religion : les chrétiens pourraient témoigner à ce sujet une curiosité qu’il serait dangereux de satisfaire. Garde le silence avec eux sur ce qui t’arrive aujourd’hui ; ne leur confie point ce papier, et n’avoue tes secrets qu’aux Juifs qui te demanderont à les connaître : il y va de ton intérêt et de celui de ton enfant. Elle est malade, l’enfant ? ajouta-t-il.

— Oui ! dit Magui. »

C’était le premier mot qu’elle eût prononcé depuis l’apparition de l’étranger. Il examina Brigitte, toucha son bras, son front, entr’ouvrit sa petite bouche, et donna à Magui une drogue, en lui en prescrivant l’usage pour la guérison de la petite malade ; ensuite il fit plusieurs signes sur le berceau, prononça plusieurs paroles dans une langue inconnue, et se retira.

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